Réf. : Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.401, M. Jean-Michel Amestoy, FS-P+B (N° Lexbase : A9775D78) et n° 07-41.465, M. Pierre Verk, FS-P+B (N° Lexbase : A9776D79)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'obligation, pour les salariés, de restituer des éléments de rémunération perçus en application d'un accord est la conséquence nécessaire de l'annulation de cet accord. Le bénéfice d'un sursalaire familial conventionnel est attribué aux salariés ayant eu des enfants durant le délai d'un an de maintien d'une convention collective dénoncée prévu par l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI). En revanche, les salariés dont les enfants sont nés postérieurement au délai d'un an ne peuvent bénéficier du sursalaire. |
Commentaire
I - Les conséquences directes de la nullité d'un accord de substitution
Comme tout accord collectif, les accords collectifs de substitution répondent à un certain nombre de conditions de validité expressément prévues par le Code du travail. Ce sont, tout d'abord, les règles classiques relatives à la validité d'un contrat, telles que les règles de capacité (2). D'autres règles plus spécifiques imposent, par exemple, que la convention collective soit rédigée par écrit et impérativement en langue française (3).
Enfin, et c'est le point de droit qui posait difficulté aux origines de cette affaire, la Cour de cassation a exigé que l'accord de substitution ne puisse être conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés ait été invité à la nouvelle négociation qui s'était engagée après la dénonciation du précédent accord (4).
Plus précisément, des négociations avaient été engagées en 1990 par la société Suez Lyonnaise des eaux en vue de réviser le statut du personnel issu d'un accord de 1947. Le 19 janvier 1993, lors d'une réunion avec les organisations syndicales, constatant le blocage des négociations, l'entreprise avait dénoncé l'accord de 1947 et notifié la dénonciation aux syndicats à 22 heures. Les délégués CGT et CFDT avaient, alors, quitté la réunion. Les discussions s'étaient, cependant, poursuivies avec les représentants des organisations syndicales CGT-FO et CFE-CGC et avaient abouti à la signature d'un accord le 20 janvier 1993, à une heure du matin.
Si le législateur et le juge ont donc prévu quelques hypothèses de nullité d'accord collectif en raison d'un manquement à l'une de ses conditions de validité, ils sont resté bien moins diserts quant aux effets concrets de cette nullité (5). C'est donc vers le droit commun et les règles classiques de la nullité qu'il convient de se tourner.
Ainsi, la nullité ayant pour effet l'anéantissement rétroactif du contrat, elle doit emporter la restitution réciproque de tout paiement obtenu en exécution du contrat annulé. "Les choses doivent être remises dans le même état que si l'acte n'avait pas existé" (6). Cette règle pose, pourtant, parfois, difficulté lorsqu'il s'agit d'un contrat à exécution successive, comme c'est le cas de l'accord collectif. Dans ces hypothèses, il est fait exception à la rétroactivité qui s'attache, par principe, à la nullité, si bien que l'anéantissement du contrat ne vaut, alors, que pour l'avenir.
C'est principalement la première des espèces commentées (pourvoi n° 07-41.401) qui traduit les conséquences directes de la nullité d'un accord collectif de substitution. Dans cette affaire, l'accord collectif de substitution annulé comportait des éléments de rémunération pour les salariés. Les salariés, par leur pourvoi, contestaient la décision de la cour d'appel leur imposant la restitution des sommes versées en exécution de l'accord annulé. Faisant abstraction d'un moyen tiré du principe "à travail égal, salaire égal", la Cour de cassation rejette le pourvoi, estimant que la nullité de l'accord doit emporter la restitution des sommes versées en exécution de l'accord (7).
Il s'agit donc là d'une conséquence directe de la nullité de l'accord collectif de substitution. Par une application des plus classiques des règles gouvernant la nullité des actes juridiques, la Cour de cassation exige que les salariés restituent les sommes versées. Pour les Hauts magistrats, le caractère successif de la convention collective n'y change rien. Il faut reconnaître que le caractère rétroactif de la nullité n'est pas strictement écarté en raison du caractère successif du contrat, mais, plutôt, à cause de l'impossibilité de restitution d'un certain type d'obligations, telle que celle consistant en la fourniture d'une prestation de travail ou en l'occupation d'un local (8). En cas de nullité du contrat de travail, par exemple, le salarié n'est pas contraint de restituer les salaires versés parce que l'employeur n'est pas en mesure de restituer la force de travail produite durant l'exécution du contrat annulé.
La Cour de cassation ne semble, pourtant, pas s'attacher à un tel raisonnement. En effet, l'apparition, depuis une vingtaine d'années, d'accords dits "donnant-donnant" devrait inciter la jurisprudence à étudier si la restitution de sommes versées aux salariés n'engendre pas une forme d'enrichissement sans cause pour l'employeur, qui aurait bénéficié, du fait de l'accord annulé, d'autres avantages tels que, par exemple, une augmentation de la durée du travail ou l'institution conventionnelle de sujétions pour les salariés (9). La nature très particulière de la convention collective, à la fois contractuelle et règlementaire, n'explique pas mieux cette solution, puisque la nullité des actes règlementaires est, elle aussi, rétroactive.
A côté de ces conséquences très directes de la nullité de l'accord collectif de substitution, la Cour de cassation se prononce, également, sur des conséquences plus indirectes de la nullité de l'accord et découlant spécialement des règles relatives à la disparition des conventions collectives en droit du travail.
II - Les conséquences indirectes de la nullité d'un accord de substitution
"L'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution". Tel était la substance de deux décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 novembre 2005, toujours au sujet du même accord conclu au sein de la société Suez Lyonnaise des eaux (10). Le précédent accord de 1947 ayant été dénoncé, employeur et salariés se trouvaient donc dans la situation de droit commun prévue par l'article L. 132-8 du Code du travail (art. L. 2261-10, recod.). Lors de la dénonciation d'un accord collectif, l'accord dénoncé continue de produire ses effets pour une durée maximale d'un an, à moins que n'intervienne entre-temps un accord de substitution. A l'expiration de ce délai, les avantages comportés par l'accord dénoncé sont contractualisés, les salariés bénéficiant, alors, des avantages individuels acquis.
Les lourdes conséquences du maintien des avantages individuels acquis, qu'une telle solution pouvait emporter, avaient déjà été soulignées par les commentateurs des arrêts rendus en 2005 (11). La Chambre sociale de la Cour de cassation a, cette fois, l'occasion de se prononcer sur d'autres avantages conférés par l'accord collectif de 1947 et distingue clairement selon le moment à partir duquel l'avantage était exigible par les salariés. Ce faisant, elle ne fait, somme toute, qu'une application des plus traditionnelles de la notion d'avantage individuellement acquis.
En l'espèce, l'accord initial de 1947 prévoyait des sursalaires familiaux pour les salariés dont le montant variait en fonction du nombre de leurs enfants. L'accord de substitution étant annulé, l'accord initial devait être considéré, a posteriori, comme ayant survécu durant un an puis avoir donné naissance à des avantages individuels acquis.
Dans les deux affaires, les juges du fond avaient fait droit aux demandes des salariés de bénéficier de ces sursalaires pour des enfants nés ultérieurement à la dénonciation de l'accord. Les espèces se distinguaient, néanmoins, en ce que, pour la première (pourvoi n° 07-41.401), les sursalaires avaient été versés à des salariés ayant eu des enfants durant la période de survie d'un an de l'accord dénoncé alors que, dans la seconde (n° 07-41.465), les sursalaires avaient été versés après l'expiration de ce délai, au titre d'avantages individuels acquis.
La Cour de cassation rend des décisions en apparence contradictoire, rejetant le pourvoi pour la première affaire, prononçant la cassation de la décision des juges d'appel dans la seconde.
La première solution est indiscutable. La survie de l'accord n'implique aucune différence avec la situation dans laquelle l'accord n'aurait pas été dénoncé. Les enfants de salariés nés pendant cette période de survie donnent donc nécessairement droit au versement de ces sursalaires.
La seconde mérite, en revanche, quelques explications en ce qu'elle fait une application apparemment très stricte de la notion d'avantage individuel acquis. L'avantage individuel acquis est, d'abord, celui dont le salarié peut bénéficier individuellement. Cela s'oppose aux avantages collectifs que peuvent constituer, par exemple, l'institution de représentants conventionnels du personnel ou un système de répartition des pourboires (12). S'agissant de primes de sursalaire versées aux salariés parents, le caractère individuel ne fait que peu de doute. L'avantage doit, ensuite, être acquis, c'est-à-dire que le salarié doit en avoir effectivement bénéficié durant l'exécution de la convention collective (13).
S'agissant spécifiquement de sursalaires, deux interprétations étaient envisageables. La première consistait à considérer que seuls les salariés ayant déjà bénéficié du sursalaire pour un enfant né antérieurement à l'expiration de la période de survie voyaient l'avantage contractualisé, si bien qu'une naissance ultérieure leur donnait droit à l'augmentation corrélative du sursalaire. La seconde, plus restrictive, menait à considérer que les salariés ayant bénéficié d'un sursalaire avant l'échéance du délai de survie continuaient à bénéficier de celui-ci au titre d'un avantage individuel acquis, mais ne pouvaient exiger une augmentation de cette prime en cas de naissance ultérieure à l'échéance, n'ayant pas directement bénéficié de cette amélioration alors que la convention était encore active.
Alors que la cour d'appel avait retenu la première de ces interprétations, la Cour de cassation retient la seconde, en estimant que "l'accord dénoncé [...] ne continuait à produire ses effets que jusqu'à l'expiration du délai prévu à l'article L. 132-8 du Code du travail" et que "la cour d'appel, qui a constaté que les enfants des salariés demandeurs étaient nés postérieurement au délai précité, a violé le texte susvisé".
La notion d'avantage individuel acquis n'étant pas définie par le Code du travail, il revient au juge judiciaire de l'élaborer et d'en dessiner le régime juridique. Il n'y a, dès lors, rien de choquant, d'un point de vue juridique, à voir la Cour de cassation retenir une interprétation aussi stricte du caractère acquis de l'avantage.
Il faut, néanmoins, probablement, envisager que la justification véritable de cette restriction tienne plus aux circonstances de la naissance de l'avantage qu'à la notion même d'avantage individuel acquis. En effet, les conséquences de la nullité de l'accord de substitution peuvent être particulièrement lourdes, d'autant que la Cour de cassation rappelle que l'action des salariés en la matière, de nature indemnitaire, est soumise à un délai de prescription trentenaire (14). L'interprétation stricte de la notion d'avantage individuel acquis permet donc d'atténuer la rudesse que peut recouvrir la décision d'annulation.
(1) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ) ; Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM) et les obs. de G. Auzero, L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1150AKS), D., 2006, pan, p. 416, obs. E. Peskine ; RJS, 2006, 50, n° 69 ; JCP éd. S, 2005, p. 1010, note Ch. Néau-Leduc.
(2) Seuls les syndicats de salariés et les organisations patronales ou les employeurs peuvent conclure des accords collectifs, la règle ayant tout de même été nettement aménagée par la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), qui permet, désormais, à certaines conditions, aux représentants élus de l'entreprise ou à un salarié mandaté par une organisation patronale de conclure un tel accord. V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Présentation de la réforme du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1585ABC).
(3) Pour l'écrit, v. C. trav., art. L. 132-2 (N° Lexbase : L5680ACD, art. L. 2231-3, recod. N° Lexbase : L0476HXW). Pour la rédaction en langue française, v. C. trav., art. L. 132-2-1 (N° Lexbase : L5681ACE, art. L. 2231-4, recod. N° Lexbase : L0477HXX).
(4) Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié (N° Lexbase : A4721AGX), RJS, 2000, p. 203, n° 306.
(5) A la décharge du juge, il faut reconnaître le caractère sporadique des décisions prononçant la nullité d'un accord ou d'une convention collective.
(6) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, p. 417. Adde E. Poisson-Drocourt, Les restitutions entre les parties consécutives à l'annulation d'un contrat, D., 1983, chron., p. 85.
(7) Relevons que les salariés avaient, également, soulevé un moyen fondé sur l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur puisque, rappelons-le, les accords atypiques ou imparfaits peuvent, en droit du travail, constituer des engagements unilatéraux liant l'employeur. La Chambre sociale laisse à demi-mot entendre qu'un tel moyen aurait pu avoir une certaine portée sur sa solution, mais l'écarte parce que ce moyen avait été soulevé, pour la première fois, devant la Cour de cassation sans avoir été soutenu devant les juges du fond.
(8) V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil Les obligations, préc., p. 419.
(9) X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015.
(10) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290 et n° 03-45.774, préc..
(11) V., en particulier, G. Auzero, L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord, préc..
(12) Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, M. Aal et autres c/ Société fermière du casino municipal de Cannes (N° Lexbase : A4265AA9).
(13) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 04-41.863, Société Berlitz France c/ Mme Darcy Liddel, FS-P+B (N° Lexbase : A2107DPQ).
(14) Pourvoi n° 07-41.465, second moyen du pourvoi incident de la société Suez. Ce débat ne va pas sans rappeler celui qui s'était élevé à l'occasion des arrêts "La Samaritaine" et qui, par l'effet de la nullité du plan social, pouvaient entraîner de lourdes conséquences pour l'employeur, parfois plusieurs années après les licenciements. V. Cass. soc., 13 février 1997, n° 95-16.648, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Comité d'entreprise de la société des Grands Magasins de la Samaritaine (N° Lexbase : A1924ACA), D., 1997, p. 172, note A. Lyon-Caen ; Dr. soc., 1997, p. 255, note G. Couturier ; JCP éd. S, 1997, p. 230, note F. Gaudu ; G. Couturier et J. Pélissier, SSL, 1997, n° 829, p. 3.
Décisions
1° Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.401, M. Jean-Michel Amestoy, FS-P+B (N° Lexbase : A9775D78) Rejet, CA Lyon, audience solennelle, 22 janvier 2007 Textes mentionnés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L1022G8D, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI) Mots-clés : accord collectif de substitution ; nullité ; survie de l'accord dénoncé ; maintien des avantages individuels acquis. Lien base : 2° Cass. soc., 17 avril 2008, n° 07-41.465, M. Pierre Verk, FS-P+B (N° Lexbase : A9776D79) Cassation partielle, CA Lyon, audience solennelle, 22 janvier 2007 Textes visés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L1022G8D, art. L. 2261-10, recod. N° Lexbase : L0573HXI) Mots-clés : accord collectif de substitution ; nullité ; survie de l'accord dénoncé ; maintien des avantages individuels acquis. Lien base : |
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