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N8794BEG
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le 07 Octobre 2010
La complexité de la réglementation des assurances de groupe n'est plus à démontrer (1). Les règles de fonctionnement de ces conventions sont d'autant plus délicates à appréhender qu'elles varient, de plus en plus, selon le type de convention conclue (2). C'est ainsi que l'on distingue les assurances collectives des assurances emprunteurs ainsi que les adhérents garantis par une assurance individuelle ou par une assurance collective ou encore les assurances à adhésion facultative ou les assurances à adhésion obligatoire. Pour qui n'est pas familier de ces aspects, précisons qu'il convient, de surcroît, de ne pas confondre les assurances de groupe régies par la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L0640A34), dite loi "Bérégovoy", et celles réglementées par la loi n° 89-1009 également du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L5011E4D), dite loi "Evin". Ajoutons que se retrouver dans cette jungle, ou disons, plus juridiquement, ce foisonnement technique, n'est pas toujours simple et captivant.
Si la Cour de cassation ajoute à ces obstacles, l'ensemble devient alors pesant. Et ce n'est pas l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 février 2008 qui viendra contredire cette assertion, même si l'on a connu pire. Dans le cas présent, la difficulté est née de l'étendue et du contenu, en quelque sorte, des conséquences de la rupture du lien qui avait été tissé, à l'origine, entre celui que la loi nomme le souscripteur -au risque d'être source de mauvaises compréhensions- et l'adhérent. En l'espèce, le contrat d'assurance de groupe en jeu consistait en une garantie collective offerte aux salariés d'une entreprise, en raison d'une adhésion obligatoire, ainsi que l'article 2 de la loi "Evin" autorise à le faire. C'est-à-dire -et la remarque n'est pas neutre pour la suite de la compréhension de la logique relative de la Cour de cassation- qu'il n'était pas considéré qu'une relation ayant une existence autonome s'était nouée entre l'adhérent et l'assureur.
L'interrogation ne portait pas tout à fait sur la possibilité ou non de continuer le contrat d'assurance souscrit après la cessation des relations de travail entre l'employeur souscripteur et son salarié adhérent. En effet, l'article 4 de la loi "Evin" admet, pour les frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, que le contrat puisse prévoir, sans condition de période probatoire ni d'examen ou de questionnaire médical, les modalités et les conditions tarifaires des nouveaux contrats ou conventions par lesquels l'organisme d'assurance maintient la couverture d'assurance. Le législateur, pour ce type de risque particulier qui suppose une exécution régulière ou tout au moins réitérée de l'assureur, au cours de la période de garantie, avait voulu offrir une protection accrue à l'adhérent, par rapport aux assurances de groupe prévoyant, à la charge de l'assureur, une intervention unique et ponctuelle telle la remise d'un capital.
En dépit de la rupture du lien ayant existé entre le souscripteur et l'adhérent, à l'origine de l'ensemble du montage juridique, la cessation de toute relation avec l'entreprise d'assurance n'a donc pas été décidée. L'arrêt rapporté en constitue une nouvelle application à laquelle il faut adjoindre une évolution significative. Concrètement, une entreprise décide, un jour, de souscrire, auprès d'un assureur, un contrat d'assurance de groupe à adhésion obligatoire, pour son personnel cadre et assimilé. Loin de se contenter d'un accord global et peu détaillé, elle prend, au contraire, le soin de prévoir, par avenant signé en 1999 les modalités du maintien de la couverture d'assurance et les conditions tarifaires au profit des anciens salariés et les ayants droit d'un assuré décédé.
Quelques années plus tard, l'un des salariés est licencié. Or, celui-ci demande à continuer de bénéficier, à titre individuel, de l'assurance santé et décès à laquelle il avait droit lorsqu'il était salarié de l'entreprise. L'assureur ne refuse pas de satisfaire sa demande. Mais il lui propose une garantie pour les frais de santé un peu différente de la précédente. Le salarié, M. A., assigne ce dernier afin qu'il soit condamné à maintenir toutes les prestations d'origine. La cour d'appel ne fait pas droit à la prétention du salarié car elle estime que les nouvelles garanties offertes sont proches des précédentes. Or, l'avenant signé en 1999 indiquait que le maintien de la couverture d'assurance des frais médicaux pouvait être effectuée "sur la base du régime le plus proche de celui prévu par le contrat collectif et obligatoire". En l'espèce, seuls les frais d'optique semblaient ne pas figurer comme dans le contrat initial.
Ainsi exposée, la difficulté apparaît uniquement celle d'un problème d'interprétation d'une clause contractuelle. Dans ce cadre, il appartenait donc aux juges du fond, en vertu de leur pouvoir souverain d'appréciation, de juger si les prestations désormais offertes étaient similaires ou presque à celles antérieurement proposées. A priori donc aussi, la Cour de cassation n'avait pas à censurer la décision de la cour d'appel. Pourtant, c'est ce qu'elle effectue en déclarant "qu'il ne peut pas être dérogé, par voie de convention, aux dispositions d'ordre public de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, qui prévoit le maintien à l'ancien salarié privé d'emploi de la couverture résultant de l'assurance de groupe souscrite par l'employeur pour la garantie des frais de santé" (3).
La décision a semblé laisser un peu dubitatif (4). En réalité, sur le plan juridique, elle n'est peut-être pas si étrange qu'elle peut paraître, de prime abord. Car la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 n'a pas expressément énoncé que l'adhérent au contrat d'assurance de groupe disposait du droit de négocier, discuter ou modifier les termes de ce dernier, fut-ce après la rupture du lien qui l'unissait à l'un des cocontractants originaires. Or, au fond, si l'on y réfléchit, il n'est pas incohérent d'avoir adopté cette règle. Lors de sa formation, comme de son exécution, seuls l'assureur et le souscripteur décident et règlent le sort de ce contrat d'assurance de groupe. Par conséquent, qu'il ne soit pas donné, plus tard, à l'adhérent la possibilité de discuter les termes de ce contrat, rien de plus normal et d'orthodoxe. On parlerait volontiers de parallélisme des formes lors de la formation du contrat et de son maintien.
N'étant pas partie au contrat d'assurance de groupe, mais tiers bénéficiaire -puisque c'est bien ainsi qu'il convient de l'analyser- il ne peut prétendre, ensuite, en changer les termes. La stipulation pour autrui de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE), sur laquelle repose l'opération, justifie cette analyse, quoi que l'on puisse en penser par ailleurs. La solution de la Cour de cassation est alors logique : puisque ce tiers ne peut pas revenir sur un accord qu'il subit dans le cadre d'une assurance souscrite collectivement, à adhésion obligatoire, le maintien des garanties doit être strictement identique. Mais dans cette perspective, toute clause contractuelle d'aménagement de la règle de la poursuite des garanties précédemment offertes, est alors inutile, sans effet, pour ne pas dire nulle et non avenue. La Cour de cassation ne l'énonce toutefois pas, alors qu'elle en avait la possibilité.
Une autre analyse est encore possible, dont la mise en oeuvre n'est pas exclusive de la première, et qui viendrait, au contraire, renforcer l'explication de la rigueur dont a fait preuve la Cour de cassation. Les termes exacts de l'avenant, étant donné leur caractère approximatif, expliquent peut-être la réaction de cette dernière. On sait que celle-ci s'est toujours défiée de ces clauses vagues, imprécises, non limitées (5). Tout au moins est-ce sa réaction, en assurances de dommages, en matière d'exclusions de risque (6), de clauses de nullité ou de déchéances. C'est ainsi qu'elle a censuré les clauses trop générales comme celles employant l'adverbe "notamment" (7) ou encore celles dont l'imprécision ne permet pas à l'assuré d'en connaître l'exacte étendue (8). Même si c'est plus rare (9), elle en a décidé ainsi également en assurances de personnes (10), à propos des maladies sexuellement transmissibles. En l'espèce, la Cour de cassation n'a-t-elle donc pas voulu imposer aussi la rédaction de clauses claires, nettes et précises ? Au-delà des seules incidences en matière d'assurances de groupe, n'a t-elle donc pas voulu imposer la rédaction de clauses claires, nettes et précises ?
En revanche, au-delà de l'aspect strictement juridique, l'arrêt du 7 février 2008 n'est pas sans incidences importantes pour les assureurs. En effet, ayant vocation à s'appliquer à tous les contrats comportant une clause du type de celle -assez banale- conclue dans cette affaire, la décision s'appliquera dans de nombreux autres cas. Une fois de plus la jurisprudence est source d'insécurité juridique pour l'assureur. Or, si toute évolution jurisprudentielle n'est pas neutre pour les parties concernées, elle prend une coloration particulière lorsqu'elle concerne l'assurance puisqu'il est interdit à l'assureur, pour l'année en cours tout au moins, de solliciter un montant de primes différent au prétexte -fut-il tout à fait valable- d'une augmentation de charges résultant, indirectement, des tribunaux.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé
Un arrêt en date du 20 février dernier, destiné au Bulletin, attire l'attention sur les difficultés posées par le fonctionnement des assurances dans un contexte international. Il s'agit, plus précisément, de définir la loi applicable aux recours subrogatoires entre assureurs, ou d'un organisme de Sécurité sociale contre l'assureur du tiers responsable d'un dommage dont la victime a été indemnisée par cet organisme. La question est déjà complexe en droit interne (11) ; la présence d'un élément d'extranéité soulève, en question liminaire, des enjeux de droit international privé : compétence judiciaire et détermination du droit internationalement compétent.
Le droit du contrat d'assurance international est complexe (12) et il faudra, sans doute, dans une prochaine chronique mesurer si le Réglement "Rome I" (13) pourrait simplifier la matière. L'arrêt du 20 février 2008, ici examiné, en ce qu'il mêle droit de la Sécurité sociale et droit des assurances dans un contexte d'accident international de la circulation routière ajoute à la difficulté. En outre, ce litige portant sur des rapports franco-suisse, il demeure dans un contexte tenu à l'écart du mouvement de "communautarisation" du droit international privé, puisque la Suisse, non membre de l'Union (on n'apprendra rien à quiconque sur ce point !), n'est pas davantage tenue par les accords concernant l'Espace économique européen (EEE), lequel unit l'Union européenne à tous les pays de l'AELE (14) (Association européenne de libre échange) sauf... la Suisse ! Cependant, ce pays se réserve la possibilité de conclure certains accords bilatéraux avec l'Union européenne ou avec tel ou tel pays, dont la France.
La seule lecture de l'arrêt ne permet guère d'en comprendre les faits. Il faut donc quelque peu conjecturer à leur endroit. Le pourvoi est formé par la compagnie d'assurance Winterthur dans le litige l'opposant à quatre litigants [Axa France -il est piquant de constater qu'AXA ayant "acheté" Winthertur par un accord daté du 14 juin 2006, l'arrêt est une forme de "procès avec soi-même" !-, M. Thierry V., domicilié à Divonne-les-Bains, M. Jérôme P., domicilié à Divonne-les-Bains, et la caisse suisse de compensation], à propos, dixit l'arrêt, "d'un accident de la circulation survenu le 22 mars 1992". On croit comprendre qu'un français, domicilié en France mais travaillant en Suisse, couvert par la compagnie suisse Winthertur, a eu un accident de la circulation en suisse (accident du travail en forme "d'accident de trajet" ?) avec un français, domicilié en France et couvert par la compagnie française Axa. La victime ayant été indemnisée par versement des prestations obligatoires au sens de la loi suisse (droit de la Sécurité sociale suisse) par la Caisse suisse de compensation, établissement public équivalent à nos caisses de Sécurité sociale, et par le versement d'indemnités journalières au titre d'un contrat d'assurance accident complémentaire par la compagnie Winthertur, ces deux "payeurs" ont cherché à exercer un recours surbrogatoire contre l'assureur du responsable de l'accident (Axa).
La caisse suisse a voulu écarter pour partie la "concurrence" de la société d'assurance privée helvète? en soutenant que les indemnités journalières versées par cet assureur "devaient être exclues de l'assiette du recours, car ne constituant pas des prestations obligatoires au sens de la loi suisse". Les juges du fond ont décidé que "la compagnie Winterthur exercera son recours subrogatoire pour les prestations légales et obligatoires, en concours avec le recours subrogatoire de la caisse suisse de compensation, avec répartition au marc le franc", aux motifs que "'la LAA' ne prévoit pas de subrogation pour les prestations au titre de l'assurance accident complémentaire". C'est juger que cette "LLA", comprendre la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (15), écarte toute subrogation pour les indemnités complémentaires (et c'est refuser de fonder celles-ci sur une autre loi !) et retenir que cette loi permet une action proportionnelle pour les prestations légales et obligatoires acquittées par ces deux payeurs.
Ce n'est toutefois pas sur la pertinence de l'assiette du recours contre l'assureur du responsable que le contentieux va rouler. C'est sur le terrain de la loi compétente pour fonder ce recours subrogatoire que la Cour de cassation va opérer censure, aux motifs "qu'en se déterminant ainsi, sans préciser les dispositions de la loi suisse sur lesquelles elle se fondait et sans s'expliquer sur la loi (LLA) dont elle faisait application alors que toutes les parties avaient invoqué la loi fédérale suisse du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance (LCA) applicable au litige en vertu de la Convention franco-suisse de Sécurité sociale du 3 juillet 1975, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé". Voilà qui appelle plusieurs remarques.
Concernant la loi compétente, on pourrait s'attendre, s'agissant d'un accident de la circulation en matière internationale, à voir utilisée la Convention de La Haye du 4 mai 1971. Mais ce serait oublier que son article 2 exclut de son champ d'application toute action récursoire, qu'il s'agisse des "recours entre personnes responsables" (art. 2.4), des "recours et subrogations concernant les assureurs" (art. 2.5), des "actions et recours exercés par ou contre les organismes de Sécurité sociale, d'assurance sociale ou autres institutions analogues et les fonds publics de garantie automobile, ainsi qu'aux cas d'exclusion de responsabilité prévus par la loi dont relèvent ces organismes" (art 2.6). Ces actions subrogatoires de l'organisme de Sécurité sociale et de l'assureur suisses contre un assureur français ne pouvant être fondées sur cette convention multilatérale, restait à examiner si une convention bilatérale ne régissait pas cette question. Or, justement, il existe une Convention de Sécurité sociale du 3 juillet 1975 (16) qui lie la France et la Suisse. Les juges du fond ne semblaient pas, au moins expressément (était-ce une économie de moyens ou une erreur ?), s'y être référés, visant seulement la "LAA" suisse. La Cour de cassation, quant à elle, la vise pour préciser qu'en application de cette Convention, c'est la loi suisse qui est ici compétente. Il faut approuver l'analyse puisque l'article 35 de cette Convention du 3 juillet 1975 dispose que "les droits éventuels de l'institution débitrice à l'encontre du tiers tenu à la réparation du dommage sont réglés de la manière suivante : a) lorsque l'institution débitrice est subrogée, en vertu de la législation qu'elle applique, dans les droits que le bénéficiaire détient à l'égard du tiers, cette subrogation est reconnue par l'autre Etat contractant ; b) Lorsque l'institution débitrice a un droit direct à l'égard du tiers, l'autre Etat contractant reconnaît ce droit. Dans l'exercice de cette subrogation ou de ce droit direct, l'organisme assureur du premier Etat est assimilé à l'institution nationale correspondante". Or, c'est ici sur le fondement du droit suisse que l'organisme de Sécurité sociale et l'assureur suisses sont intervenus pour indemniser la victime. C'est donc sur ce même fondement qu'ils exerceront cette action récursoire.
Reste à déterminer, à l'intérieur de l'ordre juridique suisse ainsi désigné compétent, la loi substantielle compétente. La cour d'appel a considéré que c'est la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 qui devait ici s'appliquer. La Cour de cassation fait grief aux juges du fond de ne pas s'être expliqués sur le choix de cette loi, alors que toutes les parties avaient invoqué une autre loi suisse, la loi fédérale suisse du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance. D'où sa censure pour manque de base légale. Il y a donc confusion éventuelle entre deux règles du droit suisse, l'une procédant du droit de la Sécurité sociale et l'autre du droit des assurances. En somme, c'est un peu comme si, sur le fondement du droit français, il était reproché de procéder à une confusion entre les articles L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3414HWD) et L. 121-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI).
Il nous semble que, dans la mesure où il est question de subrogation par un organisme de Sécurité sociale et par un assureur, une application distributive de deux lois n'est pas à exclure ! En outre, dans la mesure où il serait question d'une action subrogatoire concernant à la fois des prestations "obligatoires" au sens du droit suisse et d'autres "complémentaires" résultant d'une assurance privée, l'application distributive de deux textes n'aurait, ici encore, rien de surprenant. Les juges du fond n'avaient, visiblement, entendu ouvrir de recours que pour les prestations "obligatoires"...
Cette référence à la "loi invoquée par toutes les parties" fait immédiatement songer à l'accord procédural, dont on sait l'importance au stade de l'applicabilité de la règle de conflit lorsque, s'agissant de droits disponibles, comme le sont les droits en matière de responsabilité civile, les parties s'entendent pour désigner une loi différente de celle désignée par notre règle de conflit de lois. Toutefois, la question à examiner ne se situe pas ici au stade de l'applicabilité de la règle de conflit, mais bien plutôt au stade de son application. Or, on sait avec certitude que, depuis deux arrêts du 28 juin 2005 (17) figurant au Rapport annuel, la Cour de cassation a éteint la divergence entre ses première chambre civile et Chambre commerciale en positionnant nettement la recherche de la teneur de la loi étrangère comme relevant de l'office des juges du fond, comme un devoir imposé en toute matière, sans qu'il faille ici distinguer selon la nature disponible ou indisponible des droits en présence, tandis que, en amont, au stade de l'applicabilité de la règle de conflit, ce critère demeure pour distinguer selon que le juge "peut" (droits disponibles) ou "doit" (droits indisponibles) relever d'office la loi étrangère désignée par notre règle de conflit de lois alors que les parties se seraient abstenues de le faire. Dans son Rapport annuel, la Cour de cassation a précisé que, s'agissant de la preuve de la teneur du droit étranger compétent, "le juge doit s'assurer du concours des parties (productions de certificats de coutume ou autre preuve) ou en rechercher la teneur, même d'office, par son action personnelle [...] L'établissement du droit étranger relève désormais de son office. Il ne peut s'y soustraire que s'il établit par des motifs précis et circonstanciés que cette recherche est impossible ou n'a pas permis de prouver le contenu du droit en cause. Enfin, lorsqu'il déclare un droit étranger applicable, l'application qu'il en fait, quelle qu'en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de cassation" et elle qualifie "d'aménagement" "la notion d'accord procédural, en matière de droits disponibles, [défini comme] l'accord résultant ou déduit des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle désignée par un traité, par le contrat ou par la règle de conflit".
Est-ce à dire qu'un tel accord procédural s'impose y compris au stade de la teneur de la loi étrangère ? Il faut l'admettre par un raisonnement a fortiori, car si cette volonté concordante est apte à écarter la loi normalement compétente selon notre règle de conflit de lois au profit d'une autre au stade de la désignation du droit compétent, cela doit valoir a fortiori, en aval, quant au choix, "interne" au système juridique compétent (ici suisse), de la norme substantielle à appliquer au litige. Il nous semble donc logique de tenir compte d'un tel accord procédural, sauf à constater qu'il procèderait d'une dénaturation du droit étranger compétent. D'ailleurs la formule employée par la Cour de cassation dans l'arrêt examiné, selon laquelle "en se déterminant [...] sans s'expliquer sur la loi (LLA) dont elle faisait application alors que toutes les parties avaient invoqué la loi fédérale suisse du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance (LCA) applicable au litige en vertu de la Convention franco-suisse de Sécurité sociale du 3 juillet 1975, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé", si elle invite à tenir compte de l'accord procédural, ne semble pas fermer toute possibilité d'appliquer cette loi suisse (la LLA de 1981) différente de celle retenue de manière concordante par toutes les parties dans leurs écritures (la LCA de 1908). Mais cette "mise à l'écart" de la loi désignée par les parties, cette non-prise en considération de l'accord procédural, doit faire l'objet "d'explications", bref être dûment motivée !
Une seule "explication" indiscutable pourrait conduire à écarter un tel accord procédural : l'hypothèse où la loi étrangère (ici suisse) visée par les juges du fond constituerait une loi de police étrangère, auquel cas elle serait préférée à l'autre loi de cet état étranger visée par les parties. Mais rien n'indique qu'une telle qualification soit ici à retenir. En outre, elle est sans doute superflue dans le contexte d'une convention bilatérale qui impose une reconnaissance de plein droit de la subrogation dans l'autre Etat (cf. art. 35 précité supra).
On s'interrogera sur le sens de l'expression "toutes les parties" employée dans l'arrêt. Faute d'avoir l'intégralité des écritures, on supposera que l'expression désigne tant l'organisme de Sécurité sociale et l'assureur suisses, "demandeurs à la subrogation", que l'assureur français du tiers responsable de l'accident, "défendeur à la subrogation". S'il en est ainsi, l'accord procédural pourra produire ses effets. Si l'expression était utilisée pour ne désigner que les deux parties ayant vocation à agir par voie de subrogation, qui s'opposaient ici s'agissant de la détermination de l'assiette de ce recours, l'accord procédural pourrait n'être pas efficace, puisque, n'étant pas opposable au "troisième" (18) (l'assureur français de l'auteur du dommage) qui se fonderait, pour sa part, sur une "loi suisse" distincte de celle invoquée par les co-demandeurs suisses.
Il faut laisser à la cour de renvoi le soin de dénouer ces éventuelles difficultés de droit suisse ! (en rappelant que l'impossibilité de faire la clarté sur les dispositions du droit suisse en cette matière autoriserait la cour de renvoi à utiliser le droit français, à titre subsidiaire). Pour l'heure, on retiendra essentiellement de cet arrêt du 20 février 2008 que, même s'il se fonde sur une convention bilatérale, il confirme implicitement la jurisprudence antérieure qui, sur ce terrain, n'est guère fournie. La doctrine avait remarqué un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 30 janvier 1989 (19) ayant jugé que le recours des organismes de Sécurité sociale ou des assureurs se fondent sur la loi locale en vertu de laquelle ils ont indemnisé la victime (dans cette espèce il s'agissait de la Sécurité sociale française, donc de la compétence de l'article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale), tandis que l'assiette du recours est déterminée par la loi du lieu de survenance de l'accident en tant que lex loci delicti (et non en application de la Convention de 1971, inapplicable aux actions récursoires comme on l'a déjà souligné). De son côté, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 13 mai 1998 (20), a partagé cette analyse, retenant, à propos de l'action subrogatoire d'un assureur liechtensteinois (il s'agissait déjà de Winthertur !) que "son action subrogatoire, aux fins de recouvrement des rentes qu'elle doit payer à ce titre aux ayants droit de la victime d'un accident de la circulation, n'est pas soumise aux dispositions de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, en vertu de l'art. 2-6 de celle-ci ; Cette action est régie par les dispositions de l'institution pour le fonctionnement de laquelle s'opère l'action subrogatoire ; Si, en effet, le mode et l'étendue de la réparation d'un dommage sont assujettis à la loi du lieu où celui-ci a été occasionné [en l'occurrence la France, donc la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9], l'action subrogatoire, indépendante du statut de l'acte dommageable, obéit en revanche à sa loi propre, savoir celle qui régit le paiement opérant subrogation [en l'espèce la loi du Liechtenstein] à laquelle la loi du lieu du fait dommageable reste étrangère".
Ces solutions seront-elles amenées à évoluer ? Si on délaisse le cas de la Suisse et qu'on se tourne vers les problèmes assurantiels liés à des accidents automobiles intra-communautaires, on signalera que, si dans le Règlement "Rome II" du 11 juillet 2007 (Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles N° Lexbase : L0928HYZ), les autorités communautaires n'ont pas adopté de dispositions relatives aux accidents internationaux, ce règlement s'accompagne, in fine, d'une déclaration intitulée "Déclaration de la commission sur les accidents de la route" aux termes de laquelle : "Consciente de la disparité des pratiques suivies dans les Etats membres en ce qui concerne le niveau des indemnisations accordées aux victimes d'accidents de la route, la Commission est disposée à examiner les problèmes spécifiques que rencontrent les résidents de l'UE impliqués dans des accidents de la route dans un Etat membre autre que celui où ils résident habituellement. A cet effet, elle mettra à la disposition du Parlement européen et du Conseil, avant la fin de l'année 2008, une étude portant sur toutes les possibilités, notamment en matière d'assurance, d'améliorer la situation des victimes transfrontalières; cette étude préparerait la voie à un livre vert". Dans l'attente d'un futur instrument, la doctrine demeurera vigilante...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
(1) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse dacty., 1994, LGDJ, 1996, préf. Jacques Héron, spéc. n° 452 et s., p. 196 et s.. Le titre consacré à cette partie des contrats d'assurance est ainsi intitulé : La structure complexe d'assurance (...).
(2) L. Mayaux in Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, Tome IV, LGDJ, 2007, sous la direction de J. Bigot, préf. G. Durry, spéc. n° 771 et s., p. 619 et s..
(3) Note sous arrêt, JCP éd. G, n° 13 du 26 mars 2008, note D. Noguero.
(4) P. Sargos, Le droit au maintien des prestations et des garanties dans l'assurance de prévoyance collective, JCP éd. G, 2000, I, 363.
(5) Cass. civ. 1, 3 février 1993, n° 90-10.404, Compagnie Cigna France c/ Compagnie La Concorde et autres (N° Lexbase : A4985AH4), RGAT, 1993, p. 317.
(6) C. assur., art. L. 113-1 (N° Lexbase : L0060AAH) : "Les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police".
(7) Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 88-10.141, Société Scotren c/ Caisse d'assurance mutuelle du Bâtiment (N° Lexbase : A3399AHD).
(8) Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.548 (N° Lexbase : A5412AWD), Cass. civ. 1, 10 décembre 1996, n° 94-21.477 (N° Lexbase : A9787CGL), Cass. civ. 1, 20 juillet 1994, n° 92-16.078, M. Kohn c/ M. Guitline et autres (N° Lexbase : A7063AB9), RGAT, 1994, p. 1115, note J. Kullmann.
(9) Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 06-13.525 (N° Lexbase : A1196DTH) ; Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 04-10.273, Mme Raphaëlle Buffoli, veuve Utard, FS-P+B (N° Lexbase : A3619DQ4) ; Cass. civ. 2, 18 janvier 2006, n° 04-17.279, M. Gérard Cottin c/ Caisse nationale de prévoyance (CNP 75), FS-P+B (N° Lexbase : A4025DMZ) ; Cass. civ. 1, 10 décembre 1996, n° 94-21.477, Mlle Sacuto et autre c/ Compagnie AXA (N° Lexbase : A9787CGL) ; Cass. civ. 1, 20 juillet 1994, n° 92-16.078, M. Kohn c/ M. Guitline et autres (N° Lexbase : A7063AB9), RGAT, 1994, p. 1115, note J. Kullmann.
(10) Cass. civ. 1, 14 mai 1999, n° 97-16.924, M. X... c/ Société La Baloise (N° Lexbase : A0313CGP).
(11) Sur les recours des caisses de Sécurité sociale, cf., notamment, J.-P. Chauchard, Droit de la sécurité sociale, LGDJ, 2005, n° 193 et s..
(12) Pour une analyse détaillée, cf. V. Heuzé in Traité de droit des assurances, sous la direction de J. Bigot, T. 3, Le contrat d'assurance, LGDJ, 2002, spéc. n° 2011 et s..
(13) Dans l'attente de la publication du Règlement, cf. Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 29 novembre 2007 en vue de l'adoption du Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), spécialement son article 7 consacré au contrat d'assurance.
(14) L'AELE comprend : l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.
(15) Consultable sur le site : http://www.admin.ch/.
(16) Publiée par le décret n° 76-1098 du 24 novembre 1976.
(17) Cass. civ. 1, 28 juin 2005, n° 00-15.734, M. A. c/ M. B., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8389DIK), Bull. civ. I, n° 289 et Cass. com., 28 juin 2005, n° 02-14.686, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8402DIZ), Bull civ. IV, n° 138.
(18) En application d'un arrêt (Cass. civ. 1, 22 février 2005, n° 02-17.587, Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) c/ M. Armand Asnar, FS-P+B N° Lexbase : A8569DGH, RCDIP, 2005, p. 304, note P. Lagarde) qui écarte l'accord procédural conclu entre les victimes françaises et l'auteur français du dommage créé par un accident de la circulation au Guatémala, afin de désigner compétente la loi française du 5 juillet 1985 plutôt que la loi guatémaltèque compétente en tant que loi du lieu de l'accident en vertu de l'article 3 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, dès lors que l'assureur français de l'auteur du dommage revendiquait l'application de la loi guatémaltèque. Dans un procès "à trois", l'accord entre deux n'y suffit pas !
(19) CA Versailles, 30 janvier 1989, D., 1989, somm. comm., p. 259, obs. B. Audit.
(20) CA Paris, 17ème ch., sect. A, 13 mai 1998, D.,1998, p. 200.
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