La lettre juridique n°303 du 8 mai 2008 : Temps de travail

[Jurisprudence] Crédit d'heures pour l'exercice d'un mandat municipal : un droit discrétionnaire ?

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.793, Mme Patricia Charpy c/ Société Pompes funèbres Defruit, FS-P+B (N° Lexbase : A9611D74)

Lecture: 9 min

N8791BEC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Crédit d'heures pour l'exercice d'un mandat municipal : un droit discrétionnaire ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210093-jurisprudence-credit-dheures-pour-lexercice-dun-mandat-municipal-un-droit-discretionnaire
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Soucieux de permettre aux salariés titulaires d'un mandat municipal d'exercer pleinement leurs fonctions malgré leurs obligations professionnelles, le législateur leur a octroyé un crédit d'heures. Si l'employeur est tenu, de par la loi, d'accorder à ces salariés l'autorisation d'utiliser leur crédit d'heures, il n'a pas, en revanche, à le rémunérer. En outre, il lui est fait interdiction absolue de licencier ou de sanctionner disciplinairement un salarié en raison des absences inhérentes à l'utilisation des heures de délégation. Tirant profit de ces dispositions, la Cour de cassation considère, dans un important arrêt rendu le 16 avril 2008, que, sauf à invoquer le dépassement de crédit d'heures par le salarié, l'employeur n'est pas en mesure de contrôler l'usage qui en est fait. En d'autres termes, l'employeur n'est pas en droit de reprocher au salarié une utilisation non conforme de son crédit d'heures. On est, ainsi, fort proche d'un droit discrétionnaire.
Résumé

L'employeur, qui est tenu d'accorder aux titulaires de mandats municipaux l'autorisation d'utiliser le crédit d'heures prévu par la loi et qui n'a pas invoqué le dépassement du forfait trimestriel par la salariée, ne peut contrôler l'usage qui en est fait.

Commentaire

I Le droit à un crédit d'heures pour l'exercice d'un mandat municipal

  • Principe et étendue

En application de l'article L. 2123-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9559DND), les maires, les adjoints et les conseillers municipaux ont droit à un crédit d'heures leur permettant de disposer du temps nécessaire à l'administration de la commune ou de l'organisme auprès duquel ils la représentent et à la préparation des réunions des instances où ils siègent.

Ce crédit d'heures, forfaitaire et trimestriel, est fixé par référence à la durée hebdomadaire légale du travail. Il est égal :

1° à l'équivalent de quatre fois la durée hebdomadaire légale du travail pour les maires des communes d'au moins 10 000 habitants et les adjoints au maire des communes d'au moins 30 000 habitants ;

2° à l'équivalent de trois fois la durée hebdomadaire légale du travail pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants et les adjoints au maire des communes de 10 000 à 29 999 habitants ;

3° à l'équivalent d'une fois et demie la durée hebdomadaire légale du travail pour les conseillers municipaux des communes de 100 000 habitants au moins et les adjoints au maire des communes de moins de 10 000 habitants ;

4° à l'équivalent d'une fois la durée légale du travail pour les conseillers municipaux des communes de 30 000 à 99 999 habitants, de 60 % pour les conseillers municipaux des communes de 10 000 à 29 999 habitants et de 30 % pour les conseillers municipaux des communes de 3 500 à 9 999 habitants.

Le texte en cause précise que, lorsqu'un adjoint ou un conseiller supplée le maire dans les conditions fixées par l'article L. 2122-17 du même code (N° Lexbase : L8613AAA), il bénéficie, pendant la durée de la suppléance, du crédit d'heures fixé au 1° ou au 2°. De même, les conseillers municipaux qui bénéficient d'une délégation de fonction du maire ont droit au crédit d'heures prévu pour les adjoints au 1°, au 2° ou au 3° (1).

Il est, enfin, à souligner que les heures non utilisées pendant un trimestre ne sont pas reportables.

  • Régime juridique

Conformément aux prescriptions de l'article L. 2123-2 du Code général des collectivités territoriales, l'employeur est tenu d'accorder aux élus concernés, sur demande de ceux-ci, l'autorisation d'utiliser leur crédit d'heures (2). En revanche, cette même disposition précise expressément que "ce temps d'absence n'est pas payé par l'employeur".

Il y a là une différence notable avec les heures de délégation dont bénéficient les représentants du personnel. On sait, en effet, que le temps passé par les représentants du personnel à l'exercice de leurs fonctions est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l'échéance normale. Cette différence est justifiée. Outre le fait que l'exercice d'un mandat municipal n'a, à l'évidence, rien à voir avec la représentation de la collectivité du personnel ; l'élu sera par ailleurs, et en principe, indemnisé au titre de ses fonctions.

Si l'exercice d'un mandat municipal ne coûte a priori rien à l'employeur, il n'en est pas moins de nature à désorganiser le fonctionnement de l'entreprise, en raison des absences du salarié. Sans bénéficier du statut de salarié protégé, en ce sens que son licenciement n'a pas à être soumis à l'autorisation de l'inspecteur du travail, le salarié titulaire d'un mandat municipal n'en bénéficie pas moins d'une certaine protection.

Il résulte de l'article L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8621AAK) qu'"aucun licenciement ni déclassement professionnel, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés en raison des absences résultant de l'application des dispositions des articles L. 2123-1 (N° Lexbase : L8614AAB), L. 2123-2 et L. 2123-4 (N° Lexbase : L3964C9P) sous peine de nullité et de dommages et intérêts au profit de l'élu. La réintégration ou le reclassement dans l'emploi est de droit" (3).

Parfaitement justifiée en son principe, cette disposition n'avait, à notre connaissance, pas encore été mise en oeuvre par la Cour de cassation. C'est chose faite avec l'arrêt rapporté. L'interprétation qu'en donne la Chambre sociale est pour le moins protectrice du salarié titulaire d'un mandat municipal, puisqu'elle revient pratiquement à faire du droit à un crédit d'heures un droit discrétionnaire.

II Un droit discrétionnaire

  • L'interdiction faite à l'employeur de contrôler l'usage du crédit d'heures

En l'espèce, une salariée, employée comme vendeuse-secrétaire à temps partiel et maire-adjointe de la commune de Villers-Cotterets, avait informé son employeur, le 23 juin 2003, qu'elle utiliserait le crédit d'heures trimestriel du 7 au 12 juillet, du 15 juillet au 28 juillet et le 30 juillet 2003. A la demande de la société, un huissier s'était rendu à la mairie le 25 juillet où la secrétaire générale lui avait répondu : "Mme C. n'est pas visible ce jour, et à ma connaissance, elle est en congés actuellement".

Pour dire que le licenciement de la salariée était justifié par une faute grave, la cour d'appel avait retenu que rien ne s'oppose à ce que l'employeur fonde le licenciement d'un salarié titulaire d'un mandat municipal sur l'abus qui aurait pu être fait des autorisations d'absences, si elles ont pu être sollicitées pour des réunions imaginaires dans le seul but d'obtenir des congés. Or, le constat d'huissier faisait clairement ressortir cet abus, puisqu'il en résultait que la salariée avait demandé à bénéficier du crédit d'heures pour pouvoir prendre les congés payés qui lui avaient été refusés, et que cet unique grief était suffisamment grave, puisqu'il procédait de la volonté délibérée de tromper l'employeur en profitant des avantages donnés par le mandat municipal pour empêcher la poursuite de la relation de travail même pendant la période de préavis.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2123-2 et L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales. Selon la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors que l'employeur, qui est tenu d'accorder aux titulaires de mandats municipaux l'autorisation d'utiliser le crédit d'heures prévu par la loi et qui n'a pas invoqué le dépassement du forfait trimestriel par la salariée, ne peut contrôler l'usage qui en est fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Ainsi, et sauf à invoquer un dépassement du crédit d'heures octroyé par la loi, l'employeur n'est pas en mesure de contrôler l'usage qui en est fait par le salarié titulaire d'un mandat municipal. C'est affirmer, en d'autres termes, que l'exercice d'un tel droit n'est pas susceptible d'abus, contrairement à ce qu'avaient pu juger les juges du fond. Il y a, dès lors, lieu de constater que l'on se trouve en quelque sorte en présence d'un droit discrétionnaire, catégorie pourtant extrêmement résiduelle dans notre système juridique. La solution apparaît, cependant, sinon justifiée, du moins justifiable.

  • Une solution surprenante mais justifiable

Si la solution retenue dans l'arrêt rapporté peut surprendre, c'est, d'abord, en comparaison avec la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux heures de délégation des représentants du personnel.

Sans entrer dans le détail de cette question (4), on sait que l'employeur peut, dans le respect de la présomption d'utilisation conforme, obtenir le remboursement des heures de délégation qui n'ont pas été utilisées par le représentant à des fins de représentation du personnel ou à des fins syndicales. Au-delà, et encore que l'hypothèse soit beaucoup moins fréquente en pratique, l'utilisation non conforme des heures de délégation peut avoir des conséquences disciplinaires. Il a, en effet, été jugé que le représentant du personnel, en cas d'utilisation manifestement irrégulière et réitérée des heures de délégation, peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire (Cass. soc., 26 février 1992, n° 88-45.284, Mme Arnaud c/ Etablissements Roudière N° Lexbase : A4524AB8, RJS, 1992, n° 456) (5). Ce faisant, et à condition que la faute soit suffisamment grave, l'employeur est donc en mesure de licencier le représentant du personnel indélicat. La rupture du contrat ne pourra, cependant, intervenir qu'avec l'accord de l'inspecteur du travail.

En interdisant à l'employeur de contrôler l'usage fait de ses heures de délégation par le salarié titulaire d'un mandat électif, la Cour de cassation écarte purement et simplement ces solutions dans cette hypothèse. Cette position peut se justifier. S'agissant des heures de délégation des représentants du personnel, le droit pour l'employeur d'en contrôler l'usage est d'abord la contrepartie de son obligation de rémunérer celle-ci. Or, et nous l'avons vu, le crédit d'heures des élus municipaux n'est pas rémunéré par l'employeur. Partant, l'employeur perd le droit d'en contrôler l'usage.

On admettra que cette explication n'est guère de nature à satisfaire l'employeur confronté à la situation dans laquelle son salarié prend ses heures de délégation pour faire tout autre chose que l'exercice de son mandat municipal. Sans doute, n'a-t-il pas à le rémunérer. Il n'en reste pas moins que celui-ci étant absent de son poste de travail, il subit peu ou prou un préjudice en raison de son absence. Cela étant, l'argument de texte s'avère, ici, imparable. Rappelons que, en vertu de l'article L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales, "aucun licenciement, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés en raison des absences résultant de l'application des dispositions des articles L. 2123-1, L. 2123-2 et L. 2123-4 du Code général des collectivités territoriales sous peine de nullité et de dommages-intérêts au profit de l'élu" (6).

L'absence du salarié ne pouvant, en aucune façon, être sanctionnée et l'employeur n'étant pas tenu de rémunérer les heures de délégation, le contrôle de leur usage perd toute raison d'être. La solution retenue par la Cour de cassation est de ce fait justifiée, même si l'on peut trouver excessif l'affirmation selon laquelle l'employeur "ne peut contrôler l'usage qui en est fait". En réalité, l'employeur peut bien contrôler cet usage, mais il ne peut tirer aucune conséquence d'une utilisation non conforme.

L'immunité dont bénéficie le salarié en la matière est, cependant, bornée par les dispositions de l'article L. 2123-8 du Code général des collectivités territoriales. Seules les absences consécutives à l'utilisation du crédit d'heures octroyé par la loi excluent le contrôle de l'employeur. Par suite, et ainsi que le relève la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, le dépassement du forfait trimestriel autorise un tel contrôle (7).


(1) En cas de travail à temps partiel, ce crédit d'heures est réduit proportionnellement à la réduction du temps de travail prévue pour l'emploi considéré.
(2) Précision au demeurant nullement nécessaire dans la mesure où les élus sont titulaires d'un droit à un crédit d'heures en vertu du I de cet article.
(3) Ce même article dispose, en outre, qu'"il est interdit à tout employeur de prendre en considération les absences visées à l'alinéa précédent pour arrêter ses décisions en ce qui concerne l'embauche, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d'avantages sociaux".
(4) Voir, par exemple, sur la question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 790 et s..
(5) Ainsi que le relève un auteur (L. Gamet, Heures de délégation, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 15-90, § 100), "les juges du fond sont sensibles au caractère exceptionnel de l'irrégularité : 'A supposer qu'un délégué syndical ait utilisé son crédit d'heures d'une journée à des fins personnelles étrangères à son mandat, il n'entre pas dans les pouvoirs de l'employeur de sanctionner ce comportement abusif, celui-ci pouvant seulement demander le remboursement des sommes versées en contrepartie d'une obligation non exécutée' [CA Paris, 1ère ch., sect. D, 11 janvier 1985, D., 1985, inf. rap. p. 262]".
(6) C'est nous qui soulignons.
(7) Relevons que la Cour de cassation ne dit pas que le dépassement du crédit d'heures constitue ipso facto une faute du salarié. Elle semble plutôt signifier que le dépassement permet à l'employeur de contrôler l'usage de ces heures "supplémentaires". Cela étant, on peine à imaginer que l'employeur ne puisse tirer aucune conséquence d'un tel dépassement, alors même que le salarié aurait exercé son mandat municipal. Mais, peut-être faut-il réserver ici l'hypothèse de circonstances exceptionnelles.

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.793, Mme Patricia Charpy c/ Société Pompes funèbres Defruit, FS-P+B (N° Lexbase : A9611D74)

Cassation partielle de CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 28 juin 2006

Textes visés : CGCT, art. L. 2123-2 (N° Lexbase : L9559DND) et L. 2123-8 (N° Lexbase : L8621AAK)

Mots-clefs : mandat municipal ; crédit d'heures ; usage par le salarié ; contrôle de l'employeur.

Lien base :

newsid:318791

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus