La lettre juridique n°303 du 8 mai 2008 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] Prévoyance des salariés, loi "Evin" et notion de prestations différées

Réf. : Cass. civ. 2, 17 avril 2008, 3 arrêts, n° 06-45.137, Société Supermarchés Match, FS-P+B (N° Lexbase : A9616D7B) ; n° 07-12.064, Mme Laurence P., FS-P+B (N° Lexbase : A9668D79) et n° 07-12.088, Mme N. B., épouse G., FS-P+B (N° Lexbase : A9669D7A)

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par Frank Wismer, Avocat associé du cabinet Fromont-Briens & Associés

le 30 Décembre 2021

Près de 20 ans après la publication de la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D), la Cour de cassation, dans trois arrêts du 17 avril 2008, consolide sa jurisprudence concernant la notion de "prestations différées" en matière de garanties "incapacité-invalidité-décès".

Pour mémoire, l'article 7 de cette loi dispose que la résiliation d'un contrat d'assurance est sans effet sur le maintien des "prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution".

En pratique, l'application de ce texte a pu causer des difficultés lorsqu'un salarié, en arrêt de travail sous l'empire d'un contrat d'assurance et percevant des prestations d'incapacité de travail à ce titre, est déclaré invalide par la Sécurité sociale postérieurement à cette résiliation, généralement sous l'empire d'un nouveau contrat d'assurance souscrit par son employeur.

La question se pose, alors, de savoir si cette invalidité constitue une prestation différée dans le temps, quoique née sous l'empire du contrat résilié par la survenance de la maladie ou de l'accident à l'origine de l'incapacité de travail.

La Chambre sociale avait déjà eu l'occasion, par un arrêt largement diffusé, de condamner un organisme assureur à garantir une rente d'inaptitude (qui était, en l'espèce, contractuellement assimilée à une rente d'invalidité 1ère catégorie), alors même que la situation d'inaptitude avait été constatée par le médecin du travail postérieurement à la résiliation du contrat d'assurance concerné (Cass. soc., 16 janvier 2007, n° 05-43.434, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5820DTQ et les obs.de Ch. Willmann, Prise en charge des états pathologiques antérieurs à la souscription du contrat avec un organisme de prévoyance, Lexbase Hebdo n° 247 du 7 février 2007 N° Lexbase : N0143BAK).

On pouvait voir, dans cette décision, la confirmation de deux arrêts de la première, puis de la deuxième chambre civile (successivement en charge des questions d'assurance) aux termes desquels le premier organisme assureur avait été condamné à verser la prestation sur le fondement de l'article 7 de la loi "Evin" (Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 02-14.731, F-D N° Lexbase : A4923DAL ; Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 03-13.775, Caisse de régimes interentreprises (CRI) Prévoyance c/ Mme Marie-Thérèse Bothorel, épouse Dheilly, F-D N° Lexbase : A9105DC9).

A nouveau, la deuxième chambre civile a abordé à trois reprises, le 17 avril dernier, cette problématique dans des termes dénués d'ambiguïté, même si les litiges ne portaient pas, à proprement parler, sur une succession d'organismes assureurs et n'impliquaient pas de mettre en oeuvre l'article 7 précité.

Un bref exposé des faits s'impose pour comprendre la portée de ces décisions.

Dans la première affaire (pourvoi n° 06-45.137), une salariée est licenciée et exécute son préavis d'une durée de trois mois : la veille du terme de son préavis, elle est placée en arrêt de travail et exige de l'organisme assureur le versement des prestations d'incapacité de travail. Ce dernier refuse sa garantie en opposant qu'au jour de l'attribution effective de la prestation, soit au terme de la période de franchise, elle ne revêtait plus la qualité de salarié justifiant l'obtention de la prestation.

Dans l'absolu, l'article 7 de la loi "Evin" ne trouvait pas à s'appliquer, puisqu'en pareille hypothèse, le contrat d'assurance n'était pas résilié, seul le contrat de travail du salarié ayant été rompu. Toutefois, la Cour condamne l'organisme assureur à verser les prestations sur la base d'un principe jurisprudentiel inédit issu, de toute évidence, des termes et de l'esprit de l'article 7.

Ainsi, la terminologie employée par la Cour de cassation est strictement identique à celle de ce texte. Elle a, en effet, jugé que "lorsque des salariés sont garantis collectivement contre [...] le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la cessation de la relation de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant cette relation".

Dans le même ordre d'idée, et dans le deuxième litige (pourvoi n° 07-12.064), un salarié subit un accident du travail ouvrant droit à une prestation d'incapacité de travail. Postérieurement à la rupture de son contrat de travail pour inaptitude, la caisse primaire d'assurance maladie lui notifie un nouveau taux d'incapacité permanente de 35 %, ouvrant droit à une prestation d'invalidité de 2ème catégorie au titre du contrat d'assurance en vigueur chez son ancien employeur. L'organisme refuse sa garantie en opposant qu'à la date de notification du nouveau taux d'incapacité, l'assuré n'était plus salarié de l'entreprise et que, là encore, l'article 7 ne pouvait trouver à s'appliquer compte tenu du défaut de résiliation du contrat d'assurance.

Comme dans l'arrêt précédemment décrit, la Cour de cassation adopte le même principe jurisprudentiel et casse l'arrêt d'appel ayant rejeté la condamnation de l'organisme assureur.

Enfin, le troisième arrêt (pourvoi n° 07-12.088) concerne une entreprise ayant souscrit un contrat d'assurance auprès d'une compagnie d'assurance et dont un salarié a été placé en arrêt de travail deux mois avant la date d'effet de la résiliation de ce contrat. Sous l'empire du contrat d'assurance souscrit auprès du nouvel organisme, le salarié est classé en invalidité 2ème catégorie. Ce dernier se retourne vers son employeur pour obtenir le versement du capital décès par anticipation, tel que cela a été prévu dans le contrat d'assurance du premier organisme. L'employeur lui refuse cette prestation en opposant que l'invalidité a été déclarée sous l'empire du second organisme et que le contrat de ce dernier ne prévoit le versement d'un capital décès par anticipation qu'en situation d'invalidité de 3ème catégorie.

A défaut d'avoir appelé en la cause les organismes assureurs, le contentieux se limite à la relation entre le salarié et son employeur. Il n'en reste pas moins que la deuxième chambre civile juge que la cour d'appel a exactement décidé que "le versement du capital décès par anticipation [dans le cas d'une invalidité de 2ème catégorie] constitue une prestation différée relevant de l'exécution de ce contrat".

Erigeant un principe jurisprudentiel de maintien des garanties postérieurement à la rupture du contrat de travail ou faisant expressément référence à l'article 7 de la loi "Evin" dans un contentieux ne concernant, pourtant, aucun organisme assureur, la Cour de cassation semble affirmer une position de principe visant à considérer que l'invalidité constitue une prestation différée de l'incapacité de travail, lorsque celle-ci résulte d'un accident ou d'une maladie survenu tant sous l'empire du contrat d'assurance avant sa résiliation, que du contrat de travail avant sa rupture.

Cette solution peut être saluée, a minima, pour deux raisons.

D'une part, elle permet de prendre en compte l'hypothèse où le contrat d'assurance est résilié, sans qu'un nouveau contrat d'assurance ne soit souscrit par la suite. Tel peut être le cas, par exemple, lorsque l'entreprise est en situation de liquidation judiciaire. En pareil cas, outre la perte de leur emploi, les salariés en arrêt de travail rencontreraient, sans l'application de cet article, les plus grandes peines du monde pour trouver une garantie d'invalidité à un tarif supportable, compte tenu de leur état de santé déjà dégradé lors de la souscription du contrat d'assurance individuelle.

D'autre part, la règlementation impose aux organismes assureurs de constituer des provisions dites "pour rentes en attente relatives aux rentes d'invalidité susceptibles d'intervenir ultérieurement au titre des sinistres d'incapacité en cours au 31 décembre de l'exercice". Or, lorsqu'un organisme assureur évalue le montant d'une cotisation, il prend en compte le fait qu'en cas de survenance d'une incapacité de travail, il devra obligatoirement constituer de telles provisions. Ainsi, les salariés ont déjà "payé" la constitution des provisions liées au risque de survenance de l'invalidité à travers leurs cotisations salariales.

Considérer que l'invalidité n'est pas due en raison de sa survenance postérieurement à la résiliation du contrat d'assurance aboutirait à la solution paradoxale où l'organisme assureur résilié constaterait un bénéfice technique compte tenu de l'annulation de cette provision, alors même que le salarié ne serait plus en mesure de trouver une garantie à titre personnel, ou paierait avec son employeur une "sur-cotisation", si le nouvel organisme assureur acceptait de prendre en charge cette sinistralité aggravée. Ce serait là une bien étrange façon de "renforcer les garanties offertes à certaines personnes assurées", ce qui est pourtant l'objet et le titre de la loi "Evin".

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