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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Changement d'époque, changement d'échelle ! Si l'on croyait s'en tenir à la seule appréciation du droit interne au regard du droit européen, c'était oublier un peu vite que la question de la conventionalité d'une convention internationale allait assurément se poser également. Comme le souligne le Conseil d'Etat, lui-même : "L'admission par le juge administratif du contrôle de conventionalité des lois par la voie d'exception s'est essentiellement traduite par l'introduction dans son prétoire de deux principaux instruments : le droit communautaire et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. L'inflation des moyens tirés de la méconnaissance de ces deux instruments devait nécessairement conduire le juge à devoir les confronter. Et ce qui devait arriver, arriva".
Et cela arriva un beau matin du 10 avril 2008, au cours duquel le Haut conseil a fait droit au recours du CNB en annulant partiellement le décret du 26 juin 2006, pris en application de la loi du 11 février 2004 transposant la deuxième Directive "blanchiment" du 4 décembre 2001. Il a fait ainsi prévaloir le respect du secret professionnel, que l'avocat doit à son client, sur les obligations imposées aux avocats par le dispositif européen de lutte contre le blanchiment de capitaux. C'était la question de la conciliation entre les obligations imposées par la Directive et le secret professionnel des avocats, qui couvre à la fois leur activité de conseil et leur activité de défense et de représentation en justice de leurs clients, que posait ce recours formé devant le Conseil d'Etat. Or, ce secret n'est pas seulement protégé par la loi nationale, mais aussi par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Quid de la régularité de la Directive au regard de la Convention européenne ? De celle de la loi et de son décret de transposition ? Le juge français a-t-il la possibilité de soulever une quelconque incompatibilité entre deux normes internationales qui, sauf droit coutumier relatif à la combinaison entre elles, s'imposent pareillement au droit interne. C'est à l'ensemble de ces questions que répondent les Sages du Palais royal ; réponse que nous éclaire, cette semaine, Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, dans nos colonnes.
Enfin la question de la compatibilité de ces deux normes est d'autant plus vive que, si le juge communautaire, comme le juge interne, a recours à la notion de "principes généraux du droit communautaire" pour subordonner la norme communautaire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne prévue au nouvel article 6 du Traité, dans sa rédaction issue du Traité de Lisbonne, permettra sûrement de se passer de ce prisme dans l'avenir. Il en résultera, assurément, un contrôle renforcé de la norme communautaire avant même sa promulgation (une sorte de contrôle de constitutionalité/conventionalité des Règlements et Directives), et, a posteriori, sur l'initiative du justiciable européen lui-même. Restera à se soucier de la conventionalité des conventions internationales autres que le Traité communautaire et de ses dérivés dont l'intégration à notre système normatif nous est facilitée par les travaux de la CJCE ; ce qui n'est pas le cas de toutes les autres conventions. Enfin, "Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir" écrivait Montesquieu dans De l'esprit des lois : aussi, quid de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme elle-même ? Sa vocation universelle empêche-t-elle de constater l'incompatibilité de ses dispositions au regard d'autres normes pourtant, juridiquement, de même niveau, alors que la réciproque est désormais admise ?
"Le droit international est, pour le Etats, non seulement, un ensemble normatif, mais aussi un langage commun" (Boutros Boutros-Ghali, extrait de l'introduction du Livre de l'année - 1994). C'est alors ce langage commun qui peut seul éviter l'inflation des contentieux tendant à soulever la contrariété des normes internationales.
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