La lettre juridique n°303 du 8 mai 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Délégation de l'autorité parentale : pas de priorité pour les membres de la famille

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-11.273, Mme Dominique Fuseau, F-P+B (N° Lexbase : A9654D7P)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt en date du 16 avril 2008, la Cour de cassation affirme clairement qu'"aucune disposition légale n'impose au juge de choisir par priorité parmi les membres de la famille, le tiers à qui il délègue tout ou partie de l'autorité parentale". En l'occurrence, la délégation de l'autorité parentale à la compagne de la mère des enfants, décédée, ne pouvait être contestée en vertu d'une prétendue priorité donnée aux membres de la famille, invoquée par leur tante, dès lors que la délégation en cause remplissait les conditions prévues par l'article 377, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2924ABW). I - L'absence de priorité des membres de la famille

Délégation volontaire. La délégation de l'autorité parentale sur les deux enfants au profit de la compagne de leur mère était demandée conjointement par celle-ci et le père des enfants sur le fondement de l'article 377 du Code civil. On peut s'étonner de ce fondement. L'article 377-1, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2925ABX), qui prévoit le partage de l'autorité parentale, aurait été, en effet, plus approprié. Cette disposition issue de la loi du 4 mars 2002, relative à l'autorité parentale (loi n° 2002-305 N° Lexbase : L4320A4R), a, en effet, permis l'utilisation du mécanisme de la délégation afin d'établir un partage de tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale pour les besoins de l'éducation de l'enfant. Le but de la réforme était de permettre à des tiers d'obtenir, grâce à une délégation, la consécration juridique de rapports de fait qu'ils entretiennent souvent déjà avec le mineur. Il en était ainsi, en l'espèce, les enfants ayant été confiés par leur père à la compagne de cette dernière avec laquelle ils vivaient depuis leur plus jeune âge.

Interprétation de l'article 377, alinéa 1er, du Code civil. Toutefois, leur tante estimait que la formulation de l'article 377, alinéa 1er, du Code civil, qui place les membres de la famille en tête de liste des délégataires possibles, donnait une priorité à ces derniers. Elle sollicitait donc que la délégation lui soit accordée à elle... La cour d'appel a fait une autre lecture de l'article 377, lecture approuvée par la Cour de cassation. Elle considère, à juste titre, que dans le cadre de la délégation volontaire, le choix du délégataire est laissé à l'appréciation des parents. Le père des enfants pouvait donc librement préférer la compagne de la mère à la soeur de celle-ci.

Enfant confié à un tiers. La délégation de l'autorité parentale se distingue ainsi de l'hypothèse dans laquelle le juge aux affaires familiales confie, à titre exceptionnel, l'enfant à un tiers, notamment lorsque l'un des parents est privé de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu de l'article 373-3 du Code civil (N° Lexbase : L2906ABA). Cette disposition prévoit, en effet, expressément que le tiers à qui l'enfant est confié doit être choisi de préférence parmi la parenté. Cette différence s'explique par la qualité de celui qui prend l'initiative de confier l'enfant à un tiers : dans le cadre de la délégation de l'autorité parentale volontaire, il s'agit du ou des parents, tandis que dans le cadre de l'article 373-3 du Code civil, il s'agit du juge. La tante des enfants ne pouvait, toutefois, pas invoquer l'article 377, alinéa 1er, du Code civil puisque cette disposition est relative à la délégation volontaire de l'autorité parentale et que par hypothèse le père n'avait pas manifesté son intention de lui déléguer l'exercice de l'autorité parentale. La délégation forcée de l'alinéa 2 ne lui était pas davantage applicable puisqu'elle impliquait que les enfants lui aient été confiés.

Beaux-parents homosexuels. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de se prononcer, certes sur le fondement de l'article 377-1 du Code civil, sur la mise en oeuvre de la délégation de l'autorité parentale au profit de la compagne de la mère dans un arrêt très médiatisé du 24 février 2006 (1). En considérant que l'exercice de l'autorité parentale peut être délégué à une personne de même sexe, avec qui le parent vit en union stable et continue, la Cour de cassation a marqué clairement, et légitimement, son intention de ne pas faire de l'orientation sexuelle un critère abstrait de répartition des droits découlant de l'exercice de l'autorité parentale, et a approuvé plusieurs décisions de juges du fond allant dans le même sens (2).

II - Les conditions de la délégation de l'autorité parentale

Intérêt de l'enfant. Après avoir écarté la priorité des membres de la famille, la Cour de cassation rappelle que la cour d'appel devait vérifier que les circonstances exigeaient la délégation de l'autorité parentale et qu'elle était conforme à l'intérêt de l'enfant. Elle se fonde, en l'espèce, sur une appréciation globale des circonstances, considérant que la délégation était justifiée par les liens des enfants avec la compagne de leur mère qui avait été désignée par la défunte pour les prendre en charge après son décès. Il s'agit alors moins de remédier à une solution de détresse du titulaire de l'autorité parentale que de permettre la prise en charge des enfants par le tiers qui en assume effectivement la charge. Il est, d'ailleurs, révélateur que l'appréciation des circonstances de la délégation à laquelle procède la cour d'appel ne fasse pas état de la situation du père. Le juge se contente de démontrer que l'intérêt de l'enfant rendait nécessaire la délégation de l'autorité parentale. Ce faisant, il s'inscrit davantage dans la perspective d'un partage de l'autorité parentale que dans celui d'une délégation d'autorité parentale traditionnelle.

Audition de l'enfant. Contrairement à ce que l'auteur du pourvoi prétendait, la cour d'appel ne s'est pas fondée uniquement sur le souhait des enfants, même s'il paraît évident que leur volonté de continuer à vivre auprès de la compagne de leur mère, et de rester dans la même région, a dû constituer un élément déterminant dans la décision du juge. Les exigences de l'article 377 du Code civil imposaient, en effet, au juge de justifier sa décision par d'autres arguments que celui de la volonté des enfants. Dans une affaire similaire opposant un père de deux enfants à la compagne de leur mère décédée, la Cour européenne des droits de l'Homme a reproché, dans l'arrêt "C. c/ Finlande" du 9 mai 2006, à une juridiction finlandaise, d'avoir exclusivement pris en compte les souhaits exprimés par ces derniers, sans tenir d'audience ni prendre de mesure d'expertise.

Article 373-3 du Code civil. On peut se demander si la délégation de l'autorité parentale est la réponse la plus appropriée à la situation faisant l'objet de l'arrêt du 16 avril 2008. On se trouve en effet dans l'hypothèse dans laquelle le parent survivant, dont on ne connaît pas les liens qu'il entretenait avec les enfants avant le décès de leur mère, ne paraît pas désireux de les prendre en charge alors qu'une autre personne assume ce rôle avec l'assentiment du parent décédé. Or, dans un tel cas, c'est en principe l'article 373-3, alinéa 3, du Code civil qui permet au juge aux affaires familiales de confier l'enfant à un tiers et ce faisant d'écarter la dévolution automatique de l'autorité parentale au parent survivant (3). Il reste que la délégation de l'autorité parentale semble plus appropriée lorsque le parent survivant est lui-même favorable au fait que l'enfant soit confié à un tiers. L'article 373-3, alinéa 3, du Code civil pourrait ainsi être réservé aux hypothèses de refus ou de silence du parent survivant. Les effets de la mesure sont de toute façon les mêmes dans les deux cas, la personne à qui l'enfant est confié recevant le pouvoir d'accomplir tous les actes usuels le concernant (4).


(1) Cass. civ. 1, 24 février 2006, n° 04-17.090, Procureur général près la cour d'appel d'Angers c/ Mme Christine X, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1782DNC), AJFamille, 2006, p. 159, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2006, comm., n° 89, obs. P. Murat ; RTDciv., 2006, p. 297, obs. J. Hauser ; D., 2006, p. 897, note D. Vigneau, p. 876, Point de vue, H. Fulchiron.
(2) TGI Nice, 8 juillet 2003, 7 avril 2004 et 30 juin 2004, AJFamille, 2004, p. 453, obs. F. Chénédé ; contra TGI Paris, 2 avril 2004.
(3) P. Murat et A. Gouttenoire, L'enfant confié à un tiers, Dr. fam., 2003, chron. n° 1.
(4) C. civ., art. 377-1, alinéa 2, et 373-4 (N° Lexbase : L2907ABB).

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