La lettre juridique n°294 du 28 février 2008 : Public général

[Textes] Loi relative à la simplification du droit : des normes qui doivent être intelligibles pour être respectées

Réf. : Loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H)

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N2189BES

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 07 Octobre 2010

Adoptée par le Parlement le 20 décembre 2007, la loi n° 2007-1787, relative à la simplification du droit, s'inscrit dans une démarche initiée par les lois n° 2003-591 du 2 juillet 2003 (N° Lexbase : L6771BHA) et n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 (N° Lexbase : L4734GUU). En effet, la complexité du droit français nuit à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Les causes de cette complexification proviennent, notamment, de l'importance prise par les normes communautaires et internationales dans notre environnement juridique et des transferts de compétence de l'Etat aux collectivités territoriales, à la suite des différentes lois de décentralisation. Comme l'a souligné Bernard Saugey dans son rapport, la simplification du droit est conforme à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, et elle répond, également, à une attente forte des citoyens, "déroutés par l'abondance et la complexité des normes, des entreprises, freinées dans leurs initiatives par la multiplicité des démarches administratives à accomplir, et des administrations publiques elles-mêmes, conscientes que l'inflation des textes et leur insuffisante clarté nuisent à l'efficacité de l'action des pouvoirs publics et en augmentent sensiblement le coût".

On a ainsi pu lire, dans le rapport public du Conseil d'Etat de 2006 : "ce rythme et ce désordre normatifs créent de nombreux effets préjudiciables pour l'ensemble des acteurs de la société : ils désorientent les citoyens qui perdent leurs repères et n'ont pas le temps d'en trouver de nouveaux, ils pénalisent les opérateurs économiques et nuisent à l'attractivité de notre territoire, ils désarçonnent les autorités publiques en charge de l'application et les juges sans cesse confrontés à de nouvelles normes".

Le rapporteur énonce, également, que la simplification du droit constitue, aussi, un objectif juridique à part entière comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 (N° Lexbase : A9631C89). En effet, examinant la conformité à la Constitution de la loi n° 2003-591, le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion de préciser que les mesures de simplification et de codification du droit répondaient "à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi". Ainsi, pour le Conseil, seule une connaissance suffisante par les citoyens des normes qui leur sont applicables assure à la fois l'effectivité de l'égalité devant la loi énoncée à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), la garantie des droits requise par son article 16 (N° Lexbase : L1363A9D), et l'exercice des droits et libertés prévus par ses articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K) et 5 (N° Lexbase : L1369A9L).

Ces signaux d'alerte émanant des plus hautes autorités judiciaires françaises ont été entendus par les pouvoirs publics, lesquels ont déclenché le processus de simplification du droit en 2003 (I). Ce processus aboutit aujourd'hui, avec le vote de la loi n° 2007-1787, à des innovations importantes en matière de délivrance de permis de construire et d'occupation du domaine public (II).

I - La simplification du droit : une nécessité prise en compte depuis plusieurs années...

Le législateur, à deux reprises, en 2003 et 2004, a adopté des lois de simplification ayant ouvert la voie à la démarche actuelle. Cette activité législative a été complétée par la création de la Direction générale de la modernisation de l'Etat et la réactivation des études d'impact (A). Cette volonté tend à s'intensifier depuis, l'une des avancées importantes de la loi qui vient d'être votée résidant dans l'abrogation des dispositions devenues sans objet ou obsolètes (B).

A - Une démarche législative et réglementaire déjà entamée par les pouvoirs publics

Insufflant une dynamique résolument novatrice, la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, a permis d'apporter, dans des domaines très variés, de nombreuses simplifications. Le rapporteur, Bernard Saugey, cite, à cet égard, l'exemple du domaine sanitaire et social où les formalités ont été allégées, ainsi que les démarches des usagers et des entreprises. Ces simplifications sont intervenues par des mesures d'application directe, ainsi que par de nombreuses habilitations prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X). La loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 a opéré, quant à elle, de nombreuses simplifications de la législation, par voie d'ordonnances ou par des mesures d'application directe. Elle a, également, poursuivi le travail de codification en habilitant le Gouvernement à créer ou modifier de nombreux codes.

Pour le rapporteur, la volonté de l'Etat d'engager un vaste chantier de simplification du corpus juridique français s'est traduite par la création en 2006 de la Direction générale de la modernisation de l'Etat (DGME). Aux termes du décret n° 2005-1792 du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : L6685HEC), la DGME a pour mission "de coordonner, d'aider et d'inciter, au niveau interministériel, les administrations en vue de moderniser les modes de fonctionnement et de gestion de l'Etat pour améliorer le service rendu aux usagers, contribuer à une utilisation plus performante des deniers publics et mobiliser les agents publics".

Enfin, le rapporteur souligne un élément important, à savoir que "l'effort de simplification passe nécessairement par la réactivation des études d'impact préparatoires aux choix publics, expérimentées dans les années 1990, puis progressivement tombées en désuétude". Destinées à endiguer la prolifération des textes et à en maîtriser la complexité, les études d'impact comprennent l'évaluation de la législation existante, les objectifs de la réforme envisagée, les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles, ainsi qu'une estimation sommaire des conséquences économiques et financières de la réforme. Cependant, pour une entière effectivité, il faudrait leur donner un ancrage constitutionnel, en définissant leur contenu dans une loi organique. Cette dernière disposerait que l'étude d'impact doit obligatoirement exposer les raisons du choix du dépôt d'un projet de loi et indiquer les effets attendus du projet. L'efficacité de cette formule exigerait, bien entendu, que l'étude d'impact, comme l'examen par le Conseil d'Etat, devienne une formalité substantielle soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, qui en vérifierait non seulement l'existence mais aussi la sincérité.

B - La disparition du corpus juridique français de multiples textes devenus sans objet ou obsolètes

L'article premier de la loi n° 2007-1787, qui insère un article 16-1 dans la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ([LXB=L04020AIE]), a pour objet de contraindre les autorités administratives à faire droit à toute demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal ou sans objet. S'agissant de l'abrogation des actes administratifs devenus illégaux ou qui le sont depuis leur origine, le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 (N° Lexbase : L0278A3P) concernant les relations entre l'administration et les usagers, a posé, pour la première fois, le principe selon lequel : "l'autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, soit que le règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte des circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date". Cette obligation a été confirmée dans les mêmes termes par l'arrêt du Conseil d'Etat "Alitalia" du 3 février 1989 (CE Contentieux, 3 février 1989, n° 74052, Compagnie Alitalia N° Lexbase : A0651AQ8). Outre la consécration législative d'un principe jurisprudentiel, l'article premier introduit un principe nouveau dans notre droit : l'abrogation de règlements administratifs devenus sans objet par l'effet de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur publication. Cette mesure opportune vise à remédier à l'un des maux de la réglementation française : le maintien dans le corpus juridique national de dispositions illégales ou sans objet, générant une sédimentation des textes préjudiciable au citoyen.

La simplification du droit suppose, également, d'engager une démarche nouvelle, consistant en l'abrogation des textes superflus. Le rapporteur précise que cette entreprise vise à combattre le risque d'un empilement des textes de nature à affecter la lisibilité du droit applicable. Le constat est connu : en 1991, le Conseil d'Etat relevait l'existence de 7 500 lois et 100 000 décrets. Seize années après, les normes juridiques, que "nul n'est censé ignorer", ont progressé en volume. Le nombre de textes, dont le recensement s'avère extrêmement difficile, pourrait aujourd'hui avoisiner 8 000 lois et 140 000 décrets. En dépit des ambitions annoncées et d'un important travail de codification engagé dans les années 1990, le système juridique français n'a, en effet, pas échappé à la logique de sédimentation, consistant à prendre successivement des textes sur le même sujet sans réévaluation d'ensemble du dispositif et sans abrogation en conséquence de tout ce qui est devenu inutile, superfétatoire, redondant ou encore obsolète. C'est pourquoi la présente loi procède, dans son article 27, à l'abrogation de plus de 135 lois, articles de loi, décrets, ordonnances, devenus totalement sans objet, telle une loi de 1924, rendant les femmes commerçantes éligibles aux chambres de commerce, ou encore une loi de 1931, relative au commerce de la chicorée.

II - Des innovations importantes en matière de délivrance de permis de construire et d'occupation du domaine public

Le volet du texte touchant aux collectivités territoriales simplifie le fonctionnement de ces collectivités à plusieurs titres et harmonise le droit applicable en la matière. C'est ainsi que les modalités de suppléance au sein du comité des finances locales sont redéfinies. En matière de marchés publics, le maire peut, désormais, prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres d'un montant inférieur à un seuil défini par décret, ainsi que toute décision concernant leurs avenants qui n'entraînent pas une augmentation du montant du contrat initial supérieure à 5 %, lorsque les crédits sont inscrits au budget. Cependant, les deux innovations les plus importantes de la loi n° 2007-1787 concerne la sécurisation des autorisations d'urbanisme délivrées depuis le 1er octobre 2007 (A), et l'autorisation d'occupation du domaine public pour les activités non commerciales (B).

A - Le maire peut désormais déléguer sa signature aux agents chargés de l'instruction des demandes de permis de construire

Aux termes de l'article 16 de la loi n° 2007-1787, le maire peut, désormais, déléguer sa signature aux agents chargés de l'instruction des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et de l'examen des déclarations préalables à la réalisation de constructions, aménagements, installations ou travaux. Et le rapporteur rappelle qu'avant le 1er octobre, date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005, relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme (N° Lexbase : L4697HDC), l'article L. 421-2-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3421HZQ) permettait au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent de déléguer sa signature aux agents chargés de l'instruction des dossiers. Or, ces dispositions n'ont pas été reprises dans le nouvel article L. 423-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3438HZD). Dès lors, seul était jusqu'à présent applicable l'article L. 2122-19 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8587AAB), qui établit la liste des personnes auxquelles le maire peut déléguer sa signature : le directeur général des services, le directeur général adjoint des services, le directeur général et le directeur des services techniques.

En conséquence, depuis le 1er octobre 2007, les agents des services instructeurs des communes n'étaient plus autorisés à signer les actes d'instruction tels que, par exemple, la notification de la liste des pièces manquantes lorsqu'un dossier est incomplet. Les dispositions adoptées par la loi n° 2007-1787 ont pour objet de réparer cette omission, et valident, en outre, les décisions prises par les maires et les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale entre le 1er octobre 2007 et la date d'entrée en vigueur de la loi, en tant qu'elles seraient entachées de ce seul vice de forme.

En effet, le rapporteur souligne qu'à défaut de cette validation, des contentieux auraient pu être introduits pour contester des décisions d'octroi ou de refus de permis de construire ou même faire constater la délivrance tacite d'un permis puisque les demandes de pièces complémentaires seraient irrégulières. L'article L. 424-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3440HZG) dispose, en effet, que "le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction". Cette validation ne remet donc pas en cause l'autorité de la chose jugée et répond à un motif d'intérêt général.

B) Une possibilité d'occupation du domaine public à titre gratuit pour des activités non commerciales

L'article 18 de la loi n° 2007-1787 complète l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques , afin de permettre aux collectivités territoriales d'accorder une autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public à titre gratuit, à condition que le bénéficiaire n'y exerce pas d'activité commerciale. Dans sa rédaction antérieure, l'article L. 2125-1 précité disposait que toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance. Etaient, toutefois, prévues deux dérogations, d'une part, lorsque l'occupation ou l'utilisation était la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous, et, d'autre part, lorsque l'occupation ou l'utilisation contribuait directement à assurer la conservation du domaine public lui-même.

Le rapporteur énonce que ces dérogations apparaissent aujourd'hui trop restrictives et obligent les collectivités territoriales à délivrer une permission de voirie ou un permis de stationnement donnant lieu au paiement d'une redevance d'occupation privative du domaine public, alors même que les bénéficiaires, par exemple des associations, n'exercent pas d'activités commerciales. Telle est la raison pour laquelle la loi du 20 décembre 2007 permet aux collectivités territoriales, dans des conditions déterminées par les assemblées délibérantes concernées, d'autoriser dans ce cadre l'occupation ou l'utilisation de leur domaine gratuitement. Cependant, cette occupation gratuite est nécessairement temporaire, les articles L. 2122-2 et L. 2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques précisant respectivement que "l'occupation ou l'utilisation du domaine public ne peut être que temporaire" et que "toute autorisation présente un caractère précaire et révocable".

La simplification du droit est une obligation qui s'impose tant au législateur qu'à l'administration. En la matière, le regard doit être tourné non seulement vers le passé, mais aussi vers l'avenir. Vers le passé, pour corriger les défauts de la législation actuellement en vigueur. Vers l'avenir, en recherchant des voies qui permettront d'éviter les écueils qui ont conduit à la situation actuelle de perte de lisibilité du droit.

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