La lettre juridique n°294 du 28 février 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La fraude à l'obligation de réintégration, nouveau cas de nullité du licenciement

Réf. : Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, Société Daimler Chrysler France, F-P+B sur les quatrième et cinquième moyens (N° Lexbase : A9335D4I)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En cas de transfert partiel d'entreprise, il arrive, parfois, que certains salariés voient leur contrat de travail scindé si leurs fonctions ne ressortent pas intégralement de l'activité transférée. Cela peut emporter des conséquences assez inattendues, comme l'illustre cet arrêt du 12 février 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation mettant, ici, un terme à un véritable marathon judiciaire (1). Le licenciement du salarié prononcé par le cédant étant annulé, les juges ont imposé sa réintégration. Mais, son emploi étant, désormais, réparti entre l'entreprise du cédant et celle du cessionnaire, la réintégration impliquait, également, des effets pour l'entreprise repreneur. Or, si celle-ci, après avoir réintégré le salarié, prononce son licenciement dans le but inavoué d'éviter une véritable réintégration, la Cour décide que ce licenciement est frauduleux. Elle en déduit, de manière très surprenante, que ce licenciement est nul (I), ce qui, en revanche, emporte des conséquences parfaitement classiques (II).
Résumé

Le licenciement destiné à éviter la réintégration d'une salariée dont le licenciement a été annulé, réintégration imposée à l'entreprise ayant partiellement repris l'activité du premier employeur auteur du licenciement, procède d'un dessein frauduleux et est, à ce titre, atteint de nullité.

Commentaire

I. Un nouveau cas de nullité du licenciement

  • Transfert partiel d'entreprise

L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) prescrit que, s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Cette règle peut, néanmoins, subir des modulations, notamment, si le salarié était affecté à diverses fonctions dans l'entreprise initiale et que seules certaines d'entre elles ressortissaient de l'activité transférée. On se trouve, alors, dans l'hypothèse d'un transfert partiel du contrat de travail, le salarié devenant un subordonné des deux entreprises, selon un ratio le plus souvent déterminé par les termes du contrat organisant la cession entre les deux employeurs (2).

Il s'agissait bien, dans cette affaire, d'un transfert partiel du contrat de travail, la salariée ne consacrant que 40 % de ses fonctions à l'activité reprise (3).

  • Licenciement par le cédant

La Cour de cassation considère que l'employeur cédant une partie de son entreprise peut avoir à procéder à des licenciements pour motif économique avant le transfert (4), mais, ceci, à la stricte condition que les licenciements ne soient pas intervenus à la suite d'une collusion frauduleuse entre cédant et cessionnaire (5).

L'employeur initial avait, dans cette affaire, procédé au licenciement pour motif économique de plusieurs salariés, parmi lesquels figurait la requérante. En raison de l'insuffisance du plan social, son licenciement avait été déclaré nul par le juge, qui avait ordonné la réintégration de la salariée dans son emploi. L'entreprise ayant été en partie transférée, la réintégration concernait donc, à la fois, l'entreprise cédante et l'entreprise cessionnaire.

  • Réintégration auprès du cessionnaire

Le cessionnaire devait réintégrer la salariée dans son emploi, au moins pour la partie ressortissant de l'activité qui lui avait été transférée. Une fois cette réintégration opérée, il procéda au licenciement de la salariée pour motif personnel.

Là encore, le transfert d'entreprise et l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail ne font pas obstacle, par principe, à la possibilité, pour le nouvel employeur, de licencier le salarié transféré (6). Bien entendu, l'appréciation de l'existence d'une cause réelle et sérieuse guide la validité d'un tel licenciement. A défaut d'une telle cause justificative, la Cour de cassation estimait, jusqu'alors, que le licenciement ne donnait pas lieu à réintégration (7).

Ce n'est, pourtant, pas la voie que choisit la Chambre sociale dans l'espèce commentée. Estimant que l'entreprise cessionnaire "n'avait pas pris l'initiative d'accomplir les actes nécessaires à la réintégration de la salariée, [...] ne justifiait pas s'être trouvée dans l'impossibilité de réintégrer effectivement cette dernière [...] et que le refus de réintégration opposé par cet employeur ne résultait pas du comportement de la salariée", la Cour de cassation en déduit que le licenciement prononcé "n'était destiné qu'à éviter la réintégration de la salariée et qu'il procédait, ainsi, d'un dessein frauduleux", et qu'il devait, à ce titre, être atteint de nullité.

Il en ressort clairement que la Chambre sociale prononce la nullité du licenciement opéré en fraude à la poursuite des contrats de travail impliquée par l'article L. 122-12, alinéa 2.

  • Nullité sans texte

On s'était habitué, depuis le célèbre arrêt "Clavaud", à voir la Cour de cassation prononcer la nullité du licenciement, en dehors de toute prescription textuelle, lorsque la violation d'une liberté fondamentale du salarié était en cause (8). Mais cet élan avait été strictement encadré, si bien que la violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) ne pouvait légitiment permettre d'obtenir une telle annulation (9).

La fraude corrompant le licenciement intervenu dans le cadre d'un transfert d'entreprise était toujours sanctionnée, le licenciement étant considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. Pourtant, en l'absence de texte visant une telle sanction, la nullité accompagnée de la réintégration du salarié n'était jamais poursuivie.

  • Le licenciement poursuivant un "dessein frauduleux"

L'explication peut, éventuellement, être recherchée au travers de l'adage fraus omnia corrumpit (10). Pourtant, l'application de cet adage emporte, de manière générale, la seule inopposabilité de l'acte corrompu à l'égard de la victime de la fraude. Ce n'est que lorsque les droits des tiers ne peuvent être sauvegardés que par la destruction de l'acte que la sanction de la fraude réside dans la nullité (11). Si la fraude entre cédant et cessionnaire emporte bien des conséquences pour le salarié, ici, figure de tiers, il n'est pas certain que ses droits ne puissent être préservés par une juste indemnisation de la rupture illégitime.

Enfin, resterait l'hypothèse de l'existence d'une violation d'une liberté fondamentale du salarié, mais celle-ci semble bien difficile à identifier. A moins qu'il ne faille, justement, considérer que la décision rendue classe le maintien des contrats de travail dans le cadre d'un transfert d'entreprise dans le champ de telles libertés...

Il paraît, néanmoins, plus réaliste de limiter, dans l'attente d'une réponse plus claire, la portée de la solution à la fraude à l'obligation de réintégration. La nullité du licenciement se comprend plus aisément s'il ne s'agit que de sanctionner l'employeur qui fait mine d'assouvir l'obligation de réintégration qui lui a été imposée, tout en vidant immédiatement l'exécution de cette obligation de son contenu.

La nullité du licenciement étant prononcée, celle-ci emporte des conséquences tout à fait classiques.

II. Les conséquences classiques de la nullité

  • Réintégration et indemnisation du salarié

Lorsque un licenciement est annulé, le salarié peut choisir d'être, ou non, réintégré dans son emploi (12). S'il choisit la réintégration, il aura, en outre, "droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé" (13). Cette formule est reprise, au mot près, par la Chambre sociale dans l'espèce commentée.

Cette sanction n'aurait posé aucune difficulté particulière si, comme c'est souvent le cas, la salariée n'avait pas perçu, entre-temps, des revenus de remplacement. Le juge devait-il déduire des indemnités versées les sommes perçues afin de tenir compte de la réalité du préjudice ?

  • La compensation des sommes déjà perçues

En l'espèce, la salariée avait perçu, à la fois, des revenus de remplacement servis par l'ASSEDIC et des revenus tirés d'une autre activité. La cour d'appel estimait ne pouvoir opérer aucune réduction sur le montant des sommes que l'employeur doit verser au salarié et qui correspond au montant du salaire de l'emploi occupé avant le licenciement, la question relative aux indemnités de chômage servies par l'ASSEDIC relevant des seuls rapports entre cet organisme et la salariée.

La Cour de cassation demeure, néanmoins, dans la ligne qu'elle s'était fixée en 2003 et soutient que l'évaluation du préjudice subi par la salariée doit prendre en considération les sommes perçues durant son éviction de l'entreprise (14). Elle ajoute, en outre, que les indemnités versées par l'employeur n'ayant pas pris en compte ces éléments seront sujettes à répétition, ce qui n'étonne guère, puisque la Cour de cassation accepte relativement facilement le mécanisme de la répétition de l'indu dans la relation de travail (15).

On ne peut, néanmoins, que relever qu'une telle solution risque d'emporter une cascade d'actions en répétition. L'employeur agira en répétition contre le salarié, l'ASSEDIC agira en répétition contre l'employeur. Cette complexité reste insoluble dans la mesure ou la salariée avait perçu des sommes provenant, à la fois, de l'ASSEDIC et de revenus tirés d'une autre activité. Mais, dans l'hypothèse où seules des indemnités de chômage auraient été versées, il serait certainement plus simple d'alléger la procédure, en permettant directement à l'ASSEDIC d'introduire une action en répétition contre le salarié.


(1) L'affaire a donné lieu à quatre décisions de la Cour de cassation s'agissant d'un premier licenciement prononcé en 1996 ! V. les précédents arrêts : Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.960, Mme Evenas-Baro c/ Société Sonauto et autre (N° Lexbase : A5482AG7), Dr. soc., 2001, p. 769 ; Cass. soc., 17 juin 2003, n° 02-43.321, Société Daimler Chrysler France, FS-D (N° Lexbase : A0686D7K) ; Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 04-16.530, Mme Rose Evenas-Baro, F-D (N° Lexbase : A0811DT9).
(2) V., par exemple, l'hypothèse dans laquelle le salarié est affecté à deux établissements, dont l'un a fait l'objet d'un transfert et passe au service du cessionnaire pour la partie de l'activité qu'il consacrait au secteur cédé (Cass. soc., 22 juin 1993, n° 90-44.705, M. Launay c/ Société Baume et autre N° Lexbase : A6396ABI, RJS, 1993, n° 844). Ou, encore, le cas d'un comptable dont le contrat s'exécutait "pour l'essentiel" sur le secteur repris (Cass. soc., 10 janvier 1995, n° 91-45.280, Société ECS c/ Société Data Leasing et autres N° Lexbase : A6835AHM, RJS, 1995, n° 108). La Cour valide, également, le transfert, "pour moitié", du contrat de travail d'un salarié affecté à une partie de la clientèle de son employeur, que celui-ci a scindée pour la céder à deux sociétés (Cass. soc., 9 mars 1994, n° 92-40.916, Société d'expertise et d'audit Goria-Theillet c/ M. Goupil, N° Lexbase : A1063ABY, RJS, 1994, n° 377). Sur ce point, v. I. Francou, Transfert partiel d'activité : les salariés ont-ils le don d'ubiquité ?, JSL, 2001, n° 84, p. 4.
(3) Selon les termes d'un arrêt antérieur de la procédure, Cass. soc., 2 mai 2001, préc..
(4) Cass. soc., 17 juillet 1990, n° 87-40.867, Mme Lubat c/ Mme Sarrailh (N° Lexbase : A9683AAU), RJS, 1990, n° 650 ; Cass. soc., 27 juin 1995, n° 94-40.359, M. Schmitt c/ Société Audis et autres (N° Lexbase : A9610AA8), RJS, 1995, n° 1013, JCP éd. S, 1996, I, 3899, obs. Ph. Coursier ; Cass. soc., 9 avril 2002, n° 00-41.958, Mme Suzanne Reali c/ M. Lucien Laborde, F-D (N° Lexbase : A4883AYI).
(5) Par ex., Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-45.143, Société Paradis Thalassa (N° Lexbase : A4418AR3).
(6) Cass. soc., 6 mars 1974, n° 72-40.767, Société d'exploitation des procédés Cellonite c/ Dechatte (N° Lexbase : A1538ABL) ; Cass. soc., 30 mai 1980, n° 78-15.874, Dormoy c/ Bureau (N° Lexbase : A9812AGI).
(7) Cass. soc., 6 mai 1982, n° 81-12.007, SARL Relief c/ Dame Hulot, Vega, Beaupeux, Dame Omezeguine, Denis, Société des grands magasins de la Samaritaine et autres, publié au bulletin, Cassation partielle (N° Lexbase : A3205CGS).
(8) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, Société anonyme Dunlop France c/ M. Clavaud, publié (N° Lexbase : A4778AA9), Dr. soc., 1988, p. 428, concl. H. Ecoutin, note G. Couturier.
(9) Cass. soc., 31 mars 2004, n° 01-46.960, Société nouvelle Les Tricotages du Bassigny c/ Mme Anne Marie Fréquelin, épouse Voinchet, F-P+B (N° Lexbase : A7474DBG) et les obs. de Ch. Radé, Annulation du licenciement et article 6 de la CESDH : la salutaire mise au point de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 115 du 8 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1178ABA), D., 2004, IR. 1213; Dr. soc., 2004, 666, obs. Ch. Radé.
(10) H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., v. Fraus omnia corrumpit, spéc., pp. 288 et s..
(11) Ibid., p. 289.
(12) Depuis les arrêts "La samaritaine" et sous réserve, depuis la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), que cette réintégration ne soit pas devenue impossible. V. Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié (N° Lexbase : A4174AAT), Dr. soc., 1997, p. 331, chron. T. Grumbach, p. 341, chron. F. Favennec ; JCP éd. G, 1997, II, 22843, note F. Gaudu ; JCP éd. E, 1997, I, 648, chron. G. Picca et A. Sauret ; RJS, 1997, p. 155, chron. P.-H. Antonmattéi ; Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.013, Association laïque pour l'Education et la formation professionnelle c/ Mme Berthelin et autres, publié (N° Lexbase : A4729AGA), Dr. soc., 1999, p. 593, chron. G. Couturier. C'est l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74) qui prévoit, désormais, que la réintégration ne peut être prononcée si elle est devenue impossible.
(13) Cass. soc., 3 juillet 2003, n° 01-44.522, Bernard Herbaux c/ Société Etablissements Normil, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A0223C97) et les obs. de Ch. Radé, Réintégration du salarié et réparation du préjudice salarial : la jurisprudence retient une solution réaliste, Lexbase Hebdo n° 79 du 10 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8124AA7) ; D., 2004, p. 180, obs. B. Reynès.
(14) Ibid..
(15) V. Cass. soc., 17 juillet 2007, n° 06-43.521, Mme Patricia Haure, épouse Vidal, F-D (N° Lexbase : A4619DXD) et nos obs., La répétition de salaires indûment versés, Lexbase Hebdo n° 271 du 6 Septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2444BCI).

Décision

Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, Société Daimler Chrysler France, F-P+B sur les quatrième et cinquième moyens (N° Lexbase : A9335D4I)

Cassation partielle (CA Versailles, 6ème ch., 14 novembre 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q) ; C. civ., art. 1153-1 (N° Lexbase : L1255AB4) et 1376 (N° Lexbase : L1482ABI)

Mots-clés : transfert partiel du contrat de travail ; licenciement économique ; réintégration ordonnée ; licenciement prononcé par l'employeur repreneur ; fraude ; nullité ; réintégration ; indemnisation.

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