Réf. : Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-14.386, ASSEDIC Aquitaine c/ M. Jean Descamps, F-D (N° Lexbase : A9186D4Y)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Est soumise à la prescription de trente ans l'action d'un salarié en remboursement de sommes indûment reversées sur mise en demeure de l'ASSEDIC, dans la mesure où cette action ne s'analyse pas en une action en paiement d'allocation d'assurance chômage, mais en une action en répétition de l'indu, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats. |
Commentaire
I. Le principe de distinction des prescriptions des actions en paiement et en remboursement
Les salariés perçoivent de leur employeur un salaire, et, plus largement, une rémunération, ainsi qu'un certain nombre de prestations servies soit par la Sécurité sociale, au titre des assurances sociales ou du régime d'indemnisation des victimes de dommages professionnels, soit par les ASSEDIC, au titre de l'assurance chômage. La technicité des règles applicables au calcul des droits des salariés entraîne fréquemment des erreurs qui peuvent se traduire par la perception de cotisations inexistantes ou le versement de prestations sociales indues. Indépendamment de la question des conditions de fond de la restitution de ces sommes, qui a été réglée en 1993 par la suppression de la preuve du caractère erroné du versement des sommes par le solvens à l'accipiens (1), se pose la délicate question de la prescription de ces actions et de la concurrence qui peut exister entre la prescription trentenaire, de droit commun, et les courtes prescriptions prévues par des textes spéciaux.
Une difficulté est née lorsque les actions en répétition opposent des salariés aux organismes sociaux.
La plupart du temps, ce sont les organismes sociaux qui versent indûment des prestations sociales et qui en réclament, ensuite, le remboursement aux salariés.
Ce remboursement s'opèrera assez souvent directement par la compensation avec les sommes restant dues aux assurés, dans des proportions fixées par des dispositions particulières.
Les organismes peuvent, également, agir directement contre les bénéficiaires de ces paiements indus. Logiquement, la jurisprudence a considéré que ces actions en répétition devaient être prescrites selon les règles du droit commun, c'est-à-dire dans le cadre du délai de trente ans de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) (2), à tout le moins avant la réforme intervenue par la loi du 17 juillet 2001 (loi n° 2001-624, portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel N° Lexbase : L1823ATP), qui ramenait la prescription des actions engagées par l'ASSEDIC à trois ans (3), délai porté à dix ans en cas de fraude ou de fausse déclaration de l'assuré (4).
Parfois, ces actions en remboursement peuvent être exercées directement par les salariés qui réclameront, alors, soit le remboursement de cotisations indûment perçues, soit le remboursement de... remboursements injustifiés, comme c'était le cas dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 13 février 2008.
Un chômeur avait perçu une allocation d'assurance chômage à compter du 20 août 1993 et jusqu'au mois de mai 1995. Le 23 juin 1995, l'ASSEDIC l'avait mis en demeure de lui restituer des sommes correspondant aux allocations perçues à tort entre le 20 août 1993 et le 30 septembre 1994, en application de l'article 50 du règlement annexé à la Convention d'assurance chômage du 1er janvier 1994 (N° Lexbase : L1601DPY) et de la délibération n° 5 prise par la Commission paritaire nationale en exécution de cet article. Or, ces articles et délibérations ayant été annulés, le chômeur avait assigné, le 24 janvier 2002, l'ASSEDIC, en remboursement des sommes indûment retenues et reversées par ses soins. Se posait, alors, la question de la prescription applicable à cette action, et donc de la qualification adéquate des sommes en jeu. S'agissait-il d'une action en paiement de l'allocation d'assurance, à l'époque soumise à la prescription quinquennale de l'article 2277 du Code civil, ou d'une action en répétition de l'indu soumise à la prescription trentenaire de droit commun ? L'intérêt pour le salarié était évident dans la mesure où l'action dirigée en 2002 contre l'ASSEDIC aurait été déclarée forclose si la prescription quinquennale, alors applicable, lui avait été opposée.
Comme le précise très justement la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cette affaire, qui confirme, d'ailleurs, les termes d'une précédente décision intervenue dans une espèce en tous points identiques (5), "la cour d'appel, saisie par le salarié d'une demande en remboursement des sommes indûment reversées sur mise en demeure de l'ASSEDIC, a exactement retenu que cette action ne s'analysait pas en une action en paiement d'allocation d'assurance chômage, mais en une action en répétition de l'indu qui relève du régime spécifique des quasi-contrats", la prescription applicable étant, alors, la prescription trentenaire de droit commun.
Cette solution doit être approuvée. En effet, le salarié ne réclamait pas le paiement de ses indemnités, qu'il avait déjà perçues, mais le remboursement de sommes qu'il avait été contraint de rendre à l'ASSEDIC au titre de remboursement de prestations prétendument indues. Elle semble, également, juste, dans la mesure où l'ASSEDIC, lorsqu'il lui avait réclamé le remboursement des allocations indûment perçues, avait, également, bénéficié de la prescription trentenaire.
Elle place, toutefois, la Chambre sociale de la Cour de cassation devant une forme de contradiction, compte tenu des solutions qui prévalent lorsque les actions opposent salariés et employeurs.
II. Plaidoyer pour une généralisation de la distinction des prescriptions
Le principe de distinction des actions en paiement de certaines sommes, et en remboursement de ces mêmes sommes, qui s'évince des solutions que nous venons d'évoquer, n'est malheureusement pas respecté par la Chambre sociale de la Cour de cassation de manière homogène.
Lorsqu'un litige oppose un salarié et son employeur sur le paiement des salaires, la Chambre sociale de la Cour de cassation fait, en effet, application de la prescription quinquennale de l'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4), non seulement à l'action dirigée par le salarié contre son employeur, ce qui va de soi (6), mais, également, à l'action en remboursement exercée par l'employeur contre le salarié en cas de paiement indu (7).
Une même solution a été retenue lorsque l'action en remboursement émane de la Mutualité sociale agricole, qui réclame à un assuré la restitution de sommes correspondant à des points d'indice supplémentaires de salaire auxquels il n'avait pas droit, la Cour de cassation affirmant que "la prescription quinquennale s'applique à toute action afférente au salaire, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une action en paiement ou en restitution de ce paiement" (8).
Totalement critiquable sur le plan juridique, cette application indifférenciée de la prescription quinquennale vise à rétablir l'égalité des armes entre salariés et employeurs, car l'application de la prescription trentenaire aux actions en remboursement exercées par l'employeur lui confèrerait un avantage significatif par rapport au salarié qui se heurte, lorsqu'il exerce l'action en paiement, à la prescription quinquennale.
Quoique créant une asymétrie dans les délais de prescriptions bénéficiant, de manière assez inhabituelle en droit du travail, à l'employeur, cette application distributive des prescriptions, selon la nature de l'action, résulte directement des termes de la loi. Faut-il le rappeler, l'article L. 143-14 du Code du travail ne concerne que l'action "en paiement" du salaire, et non les actions relatives aux salaires, ce qui est très différent.
C'est, d'ailleurs, en ce sens, que les autres chambres civiles de la Cour de cassation statuent dans des hypothèses voisines où l'action en répétition porte sur des sommes soumises à une courte prescription, lorsque leur paiement est en cause, créant, également, un déséquilibre entre le régime des actions.
C'est, ainsi, que la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que, "si l'action en paiement de pensions de retraite se prescrit par cinq ans, l'action en répétition de ces prestations, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n'est pas soumise à la prescription abrégée de l'action en paiement desdites prestations mais à la prescription trentenaire de droit commun" (9), contredisant, ainsi, la Chambre sociale, qui avait affirmé, s'agissant de l'action en remboursement exercée par la MSA, exactement le contraire (10).
La deuxième chambre civile affirme, dans le même sens, que "la répétition de l'indu, en ce qu'elle trouve sa justification dans l'inexistence de la dette, ne dérive pas du contrat d'assurance et n'est donc pas soumise à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP)" (11). Une même solution prévaut s'agissant de la prescription de l'action en remboursement de pensions alimentaires indûment perçues, qui ne se trouve pas soumise à la prescription quinquennale, mais bien à la prescription trentenaire (12).
Pour sa part, et dans le cadre de l'exécution du contrat de bail, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, également, bien dissocié le régime des actions en paiement des charges locatives, et en répétition de ces mêmes charges indûment perçues, en affirmant que "l'action en répétition de sommes indûment versées au titre des provisions sur charges locatives, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n'est pas soumise à la prescription quinquennale, mais à la prescription trentenaire" (13). Dans cette dernière affaire, d'ailleurs, le principe de dissociation des prescriptions a été confirmé par une Chambre mixte réunie le 12 avril 2002 (14).
Reste à déterminer si cette application, juridiquement très discutable, de la prescription quinquennale doit perdurer. Il ne nous semble pas.
Les réformes récentes ont, en effet, ramené le délai de prescription des actions en remboursement exercées par les ASSEDIC, par la loi du 17 juillet 2001, et de la Sécurité sociale par la loi du 18 décembre 2003 (loi n° 2003-1199, de financement de la Sécurité sociale pour 2004 N° Lexbase : L9699DLS), à trois années (15). Le projet de réforme du droit de la prescription envisage, d'ailleurs, d'étendre, légalement, le délai de prescription de l'action en paiement des salaires aux actions en remboursement de ces derniers (16).
Mais, en attendant, il nous semblerait souhaitable, à la fois pour unifier la jurisprudence des différentes chambres de la Cour de cassation et pour rendre sa cohérence aux solutions admises par sa Chambre sociale, que le principe de distinction des prescriptions, que vient confirmer cet arrêt en date du 13 février 2008, soit pleinement respecté.
Décision
Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-14.386, ASSEDIC Aquitaine c/ M. Jean Descamps, F-D (N° Lexbase : A9186D4Y) Rejet (CA Pau, 1ère ch. civ., 20 février 2006) Textes concernés : C. civ., art. 1235 (N° Lexbase : L1348ABK), 1376 (N° Lexbase : L1482ABI) et 2277 (N° Lexbase : L5385G7L) ; C. trav., art. L. 351-3 (N° Lexbase : L6262ACW) et L. 351-19 (N° Lexbase : L6250ACH) Mots clef : assurance-chômage ; prestations remboursées indument ; action en restitution du salarié ; prescription trentenaire. Liens base : |
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