Réf. : Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.397 à 06-45.401 (jonction), M. Stéphane Lietaer et a. c/ Société la Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A9277D4D)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Au regard du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant, ou après, la dénonciation d'un engagement unilatéral ne saurait justifier des différences de traitement entre eux. En se déterminant comme elle l'a fait, par des motifs impropres à caractériser les raisons objectives et matériellement vérifiables justifiant la différence de rémunération des salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. |
Commentaire
I. L'ambiguïté du principe "à travail égal, salaire égal"
Affirmé dans le fameux arrêt "Ponsolle" (1), le principe "à travail égal, salaire égal" n'en finit pas de susciter interrogations (2) et litiges. Cet état de fait tient essentiellement à deux difficultés. La première réside dans l'ambiguïté de la notion de "travail égal" ou de "travail de valeur égale". C'est, en réalité, une double ambiguïté qui est, ici, en cause. Que faut-il, tout d'abord, entendre par le terme de "travail" ? Ainsi qu'il a été relevé, celui-ci renvoie tout à la fois aux caractéristiques de l'emploi occupé et à la prestation de travail fournie par le salarié (3). Ensuite, la notion de travail "à valeur égale" n'est pas, non plus, facile à saisir. On peut, toutefois, avancer, avec un auteur qu'elle renvoie "à des emplois de même classification ou de même coefficient, c'est-à-dire à des emplois ayant fait l'objet d'une évaluation les mettant à égalité dans les grilles de salaires" (4).
Au vu de ces quelques éléments, il serait, sans doute, plus juste d'avancer qu'un travail "de qualité égale" doit être rémunéré de manière identique. Il ne saurait donc être exigé, sur le fondement du principe en cause, que les salariés qui exécutent un même type de travail reçoivent tous la même rémunération. Tout au contraire, des différences de rémunération peuvent être tolérées à condition d'être justifiées. Or, c'est là que réside la seconde difficulté de l'application du principe "à travail égal, salaire égal", quelles sont les raisons qui peuvent motiver une telle différence de traitement ?
Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la différence de traitement doit être justifiée par des "raisons objectives et matériellement vérifiables". Ces dernières peuvent résider dans les qualités professionnelles du salarié (5) ou, encore, dans les caractéristiques de l'emploi (6). L'employeur est, ainsi, en droit de "récompenser" le salarié qui, d'un point de vue qualitatif ou quantitatif, s'investit plus dans son travail que ses collègues. Il est, cependant, évident que l'on ne saurait se cantonner aux seules allégations de l'employeur et celui-ci doit, au contraire, établir ce qui justifie la différence de traitement (7).
La Cour de cassation ne s'est, cependant, pas contentée, au titre des justifications d'une différence de traitement, de raisons tenant au travail lui-même, aux qualités professionnelles du salarié ou, encore, à sa situation personnelle. Elle a admis que la différence de traitement pouvait être liée moins au contenu de l'emploi qu'au contexte de ce dernier (8).
II. Différence de traitement et remise en cause du statut collectif
Dans un important arrêt rendu le 11 juillet 2007, la Cour de cassation a affirmé "qu'au regard de l'application du principe 'à travail égal, salaire égal', la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un accord collectif ne saurait justifier des différences de traitement entre eux, à la seule exception de celles résultant, pour les salariés engagés avant la dénonciation, des avantages individuels acquis par ces derniers, conformément à l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN), lesquels ont pour objet de compenser, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution, le préjudice qu'ils subissent du fait de la dénonciation de l'accord collectif dont ils tiraient ces avantages" (9).
L'arrêt rapporté se situe dans le droit fil de cette jurisprudence. Etait en cause, en l'espèce, non pas la dénonciation d'un accord collectif, mais celle d'un engagement unilatéral de l'employeur. Plus précisément, l'employeur avait dénoncé l'engagement d'appliquer à certains de ses ouvriers le statut d'agent technique de la Convention collective nationale des cadres techniques de la presse quotidienne régionale (10). Cette dénonciation ne produisait, cependant, et en quelque sorte, effet que pour l'avenir, puisqu'étaient seuls concernés les ouvriers embauchés à compter du 1er janvier 1992. Ces derniers avaient, alors, saisi le conseil de prud'hommes de demandes en rappel de salaires et de repositionnement sur le fondement de la Convention collective nationale des cadres techniques de la presse quotidienne régionale, dont bénéficient les salariés occupant un emploi identique.
Pour débouter les salariés de leur demande, les juges d'appel ont retenu que, si la dénonciation de l'avantage, à effet au 1er janvier 1992, a entraîné une inégalité de statut social entre les salariés en poste au 31 décembre 1991 et les salariés embauchés postérieurement, cette inégalité ne constitue pas une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", les anciens salariés ne se trouvant pas dans une situation identique aux nouveaux salariés et les différences s'expliquant par des raisons objectives.
Cette décision est cassée par la Chambre sociale au visa du principe "à travail égal, salaire égal". Pour la Cour de cassation au regard de l'application de ce principe, "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un engagement unilatéral ne saurait justifier des différences de traitement entre eux".
Compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation et, spécialement de son arrêt en date du 11 juillet 2007, cette solution ne constitue pas une surprise et était, au contraire, prévisible. Elle n'en demeure pas moins problématique.
La solution retenue par la Cour de cassation a ceci de regrettable qu'elle risque de conduire à une sorte de "nivellement par le bas". En effet, à s'en tenir au motif de principe de l'arrêt, l'employeur n'est pas en droit de traiter différemment des salariés pour le seul motif qu'ils ont été embauchés avant ou après la dénonciation d'un engagement unilatéral. Cela revient, par suite, à exiger de l'employeur qu'il applique l'avantage dénoncé à tous les salariés, qu'ils étaient engagés avant ou après sa dénonciation. Or, et sauf pour l'employeur à renoncer à faire produire le moindre effet à sa dénonciation, la seule issue réside dans la suppression de l'avantage pour tous les salariés, qu'ils aient été embauchés avant ou après la dénonciation (11).
Ce scénario semble, cependant, pouvoir être écarté si l'on a égard aux "portes de sortie" que la Cour de cassation a pris soin de ménager dans sa décision. En effet, il ressort de l'arrêt que "la seule circonstance" que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d'un engagement unilatéral ne peut justifier de différences de traitement. Cela laisse entendre que d'autres motifs peuvent être avancés pour justifier la différence de rémunération. Ce sentiment est confirmé par l'affirmation selon laquelle "en se déterminant comme elle a fait, par des motifs impropres à caractériser les raisons objectives et matériellement vérifiables justifiant la différence de rémunération des salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
Il reste, alors, à se demander ce que peuvent bien être ces raisons "objectives et matériellement vérifiables". En s'inspirant de l'arrêt précité du 11 juillet 2007, on pourrait avancer qu'il s'agit du souci de compenser le préjudice que subissent les salariés en poste du fait de la dénonciation de l'engagement unilatéral. Le problème est qu'il ne peut être fait état, en la matière, d'un quelconque maintien des avantages individuels acquis à défaut d'accord de substitution, ainsi que le prévoit le Code du travail, pour la dénonciation ou la mise en cause des conventions et accords collectifs de travail. On ne peut donc qu'être dubitatif quant aux chances de succès de cette argumentation. Mais, on peine, alors, à imaginer quelle autre raison pourrait, en l'espèce, être évoquée pour justifier la différence de traitement.
Cette impossibilité ne pourrait être, en définitive, que le signe de l'atteinte portée au principe "à travail égal, salaire égal". Une telle conclusion peut, cependant, être contestée, au même titre, d'ailleurs, que la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté. En effet, rappelons qu'il n'y a violation du principe sus-évoqué que dans la mesure où les salariés percevant une rémunération différente sont dans la même situation (12). Or, et ainsi que l'avaient retenu les juges du fond, on peut avancer que tel n'est pas le cas ici. Les salariés embauchés après la dénonciation de l'engagement unilatéral n'en ont, par définition, jamais bénéficié. Bien plus, on peut considérer que c'est en pleine connaissance de cause, qu'ils ont accepté d'entrer au service de l'employeur. Objectivement, leur situation n'est donc pas la même que celle de leurs collègues qui ont, peut-être pendant de longues années, bénéficier de l'avantage dénoncé. On admettra qu'une telle différenciation n'est, sans doute, pas facteur de paix sociale dans l'entreprise. Cela étant, il faut, à rebours, considérer que l'employeur averti de la solution retenue dans le présent arrêt sera certainement enclin à supprimer purement et simplement l'avantage objet de son engagement unilatéral. Faut-il s'en satisfaire ?
Décision
Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.397 à 06-45.401 (jonction), M. Stéphane Lietaer et a. c/ Société la Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A9277D4D) Cassation partielle de CA Riom, 4ème ch. soc., 12 septembre 2006 Mots-clefs : principe "à travail égal, salaire égal" ; engagement unilatéral ; dénonciation ; date d'embauche des salariés. Liens base : |
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