Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 06-14.074, Syndicat CGT / La Fédération nationale énergie, FS-D (N° Lexbase : A5867DZC)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
N'engage pas sa responsabilité civile le syndicat qui se borne à donner des directives pour la journée de grève, alors que les agissements fautifs ont été accomplis après la fin de la grève. |
1. Le cadre de la responsabilité civile des syndicats
La responsabilité civile des syndicats dans les conflits collectifs se trouve régie par les dispositions du Code civil, et, singulièrement, par ses articles 1382 et suivants (N° Lexbase : L1488ABQ) (1).
Les conditions posées par la jurisprudence, pour que cette responsabilité soit engagée, ont été dégagées de longue date, et ce de manière extrêmement restrictive, afin de garantir aux syndicats une certaine sérénité à l'occasion de la gestion des conflits collectifs. En 1982, dans deux arrêts "Dubigeon Normandie" et "Trailor", la Cour de cassation a posé deux principes (2).
En premier lieu, un syndicat n'est jamais responsable que de ses propres fautes, et jamais des fautes commises par ses membres (3) ; le principe, dégagé à l'époque dans le cadre de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, a été dernièrement confirmé sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), consacrant un "principe" de responsabilité du fait d'autrui (4).
En second lieu, la responsabilité du syndicat n'est engagée que s'il a "effectivement participé à des agissements constitutifs d'infractions pénales ou à des faits ne pouvant se rattacher à l'exercice normal du droit de grève" (5). Le rôle de la Cour de cassation a, alors, été de préciser quels étaient ces faits susceptibles de se rattacher, ou de se détacher, de l'exercice normal du droit de grève. La Cour a, par la suite, adopté la formule selon laquelle "la responsabilité civile d'un syndicat, même s'il a soutenu une grève, ne peut être engagée que s'il a activement participé aux actes illicites commis à l'occasion de cette grève ou s'il en a été l'instigateur" (6).
La Cour de cassation a toujours refusé de condamner des syndicats pour des actes qu'il n'avait pas formellement incité les salariés à accomplir (7), ou en l'absence de rôle actif (8). Ainsi, n'a pas été considéré comme fautif "le tract [...] qui se borne à protester contre l'expulsion des grévistes [sans] aucune participation du syndicat aux obstacles apportés à la liberté du travail et à la résistance opposée à l'ordonnance d'expulsion" (9). En revanche, le syndicat qui donne des consignes précises aux grévistes engagera sa responsabilité civile (10), qu'il s'agisse d'appeler à déclencher une grève politique (11), de ne pas respecter l'exigence légale du préavis (12), d'exécuter de manière défectueuse leur contrat de travail (13) ou d'ériger des barrages routiers (14).
2. La confirmation des conditions très strictes de mise en cause de la responsabilité civile des syndicats
C'est dans ce cadre jurisprudentiel qu'intervient l'arrêt inédit rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 14 novembre 2007.
Dans cette affaire, le syndicat CGT et la Fédération nationale énergie avaient incité les salariés grévistes à procéder à des coupures ciblées d'électricité. La cour d'appel de Versailles avait fait droit aux demandes en réparation engagées par la direction d'EDF et condamné in solidum les deux syndicats à lui payer une somme correspondant aux frais d'intervention de remise en gaz et en électricité, après avoir relevé, d'une part, que, si les syndicats reconnaissent avoir appelé les agents grévistes à effectuer diverses actions, dont des coupures sur les réseaux de gaz et d'électricité, la preuve n'est pas rapportée qu'ils leur ont demandé d'effectuer de tels actes durant la nuit en dehors des périodes de grève, la faute invoquée à leur encontre n'étant pas démontrée et, d'autre part, que les coupures sauvages perpétrées dans la nuit s'analysaient comme des actes illicites, la responsabilité des syndicats devant être, dès lors, retenue pour avoir incité, en donnant des directives, à l'accomplissement des faits fautifs.
C'est cet arrêt qui se trouve ici cassé sans renvoi, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant, au visa de l'article 1382 du Code civil, "qu'il résultait de ses propres constatations que le syndicat s'était borné à donner des directives pour la journée de grève et que les agissements fautifs avaient été accomplis après la fin de la grève".
Le moins que l'on puisse dire de cette décision est qu'elle s'inscrit délibérément dans un courant visant à protéger, autant que possible, l'exercice du droit syndical, singulièrement à l'occasion des conflits collectifs (15).
Même si le syndicat avait formellement donné des consignes aux grévistes pendant la durée des arrêts de travail, il ne faisait guère de doute que ces derniers avaient trouvé dans ces consignes syndicales la légitimité nécessaire pour procéder aux coupures illicites, le fait que celles-ci aient été opérées de nuit, à un moment où les salariés étaient censés être rentrés paisiblement chez eux, ne semblant pas de nature à atténuer l'implication des syndicats dans ces actes répréhensibles.
La référence à la notion juridique de grève, qui postule que les salariés soient sur leur temps de travail effectif (16), semblait écarter les actes commis sur le temps de repos des salariés, dont la nuit faisait ici partie. Mais, cette distinction entre grève et conflit masque, bien entendu volontairement, la mission réelle des syndicats qui est de guider le comportement des salariés pendant l'intégralité du conflit, dont la grève n'est que l'une des manifestations juridiques possibles. Il est, d'ailleurs, paradoxal que les syndicats, qui revendiquent généralement la paternité des conflits dans les entreprises, singulièrement lorsqu'elles gèrent un service public, minimisent avec une telle humilité l'influence qu'ils exercent réellement sur les salariés dès que certains d'entre eux commettent des exactions.
Dans ces conditions, on comprendra que la mise en cause de la responsabilité civile des syndicats, et plus généralement des grévistes, n'apparaisse pas comme un véritable outil de règlement des conflits collectifs qui doivent se dénouer dans le dialogue, et pas dans les palais de justice. La Cour européenne des droits de l'Homme a, d'ailleurs, dernièrement, statué autrement en affirmant "que l'engagement de la responsabilité civile" de grévistes défendant pacifiquement leurs conditions de travail n'était pas "nécessaire dans une société démocratique" (17).
Décision
Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 06-14.074, Syndicat CGT / La Fédération nationale énergie, FS-D (N° Lexbase : A5867DZC) Cassation sans renvoi (CA Versailles, 1ère chambre civile, 7 février 2006) Texte visé : C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) Mots-clefs : conflits collectifs ; syndicats ; responsabilité civile. Lien bases : |
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