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N1963BD3
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
On se souvient qu'entre avril 1994, date à laquelle les fabricants de tabac américains témoignaient devant le Congrès pour défendre l'usage de la cigarette, affirmant qu'il n'y avait aucun risque de dépendance, et le 14 juillet 2000, date à laquelle un jury de Floride a condamné cinq fabricants de tabac à verser 145 milliards de dollars en dommages et intérêts à 500 000 plaignants réunis dans une plainte collective, le droit états-unien avait nettement évolué en défaveur des industriels du secteur, jusqu'à leur interdire, récemment, d'employer le vocable "light" sur les paquets de cigarettes. Et des films, comme Tabac de Nadia Collot ou Thank You for Smoking de Jason Reitman, marquent, désormais, sans concession, l'engagement cinématographique dans la dénonciation de pratiques promotionnelles des industriels du tabac.
La France que l'on accuse, pourtant, d'un américanisme renaissant, ne suit toujours pas cette voie de mise en cause de la responsabilité civile des fabricants de tabac ; la Cour de cassation exonérant, une nouvelle fois, un fabricant de cigarettes de sa responsabilité dans le développement d'une maladie liée au tabac, aux termes d'un arrêt rendu le 8 novembre dernier. Comme le souligne, cette semaine, David Bakouche, Professeur agrégé des facultés de droit, la Haute juridiction fait ici écho à une jurisprudence établie depuis 2003 et se place délibérément sur le terrain de la causalité. Le fumeur, victime d'une maladie liée à la prise de tabac, semblait parfaitement averti des conséquences de cette prise nocive. Et c'est cet acte de volonté clair et répété, malgré les campagnes de santé publique orchestrées depuis 1976, qui constitue la cause directe du développement de la maladie. Le fondement juridique est difficilement contestable ; sur le plan judiciaire, cette décision porte un coup d'arrêt à toutes les actions individuelles (et futures actions collectives, sans doute) qui viendraient engorger les tribunaux français. Pour autant, sur un plan social, la décision ici rapportée a de quoi surprendre, tant l'hallali sur le tabac est fort retentissant et la lutte anti-tabac porte même sur les lieux publics. Sans doute qu'une décision en faveur de la responsabilité des fabricants de tabac ouvrirait la boîte de Pandore, et mettrait à mal l'ensemble des acteurs du secteur, dont l'Etat français lui-même accusé, parfois, de financer l'action publique grâce à la consommation du tabac (environ 12 milliards d'euros de recettes fiscales annuelles). Mais, il n'est pas le lieu d'évoquer, ici, le principe de réalité fiscale qui ne conduit, en rien, à promouvoir une activité commerciale, en particulier, mais uniquement à tirer les conséquences du principe d'égalité devant la charge publique pour taxer toute activité économique fût-elle licite, morale ou non.
"L'Ancien Régime, pour quelques-uns c'est une tabatière d'argent, une prise de tabac et une pichenette au jabot" (Jules Renard, Extrait de son Journal 1893-1898) : est-ce là, la marque de la différence entre le Nouveau monde et le Vieux continent ?
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