La lettre juridique n°282 du 22 novembre 2007 : Social général

[Textes] L'entrée en vigueur d'une protection du salarié donneur d'alerte en matière de corruption

Réf. : Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X)

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N1892BDG

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption, a été publiée au Journal officiel le 14 novembre suivant. Dans la ligne de la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000, modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L0648AIT), qui incrimine les pratiques de corruption d'agents publics étrangers dans certaines hypothèses, le nouveau texte permet d'achever d'adapter notre droit aux engagements internationaux de la France en matière de lutte contre la corruption. Parmi ses nombreux articles, deux intéressent directement le droit du travail. L'article 6 de la loi organise, en effet, les renvois des règles travaillistes aux dispositions nouvelles ou simplement renouvelées au Code pénal, qui définissent et sanctionnent les faits de corruption. L'article 9, pour sa part, introduit, dans le livre 1er de la première partie du Code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (N° Lexbase : L6603HU4), un nouveau titre VI intitulé "Corruption". Ce nouveau titre met la France en conformité avec les dispositions internationales et, singulièrement, l'article 9 de la Convention civile du Conseil de l'Europe du 4 novembre 1999 qui obligeait les Etats signataires à protéger, contre toute sanction, les salariés ayant révélé des faits de corruption. Il permet, également, à la France de répondre aux recommandations formulées par le Groupe d'Etats contre la corruption (Greco) au sein du conseil de l'Europe et par le groupe de travail permanent de l'OCDE. Cette nouvelle section du Code du travail permet, désormais, à tout salarié qui, de bonne foi, relate à son employeur ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait pu avoir connaissance dans l'exercice de ses fonctions, de bénéficier d'une protection légale. Aucun salarié ne pourra plus faire l'objet de rétorsion pour avoir dénoncé des faits de corruption. Cette disposition protectrice des salariés n'existait pas à l'origine, ce sont les députés qui ont permis son introduction.

Le dispositif est équilibré. S'il protège, en effet, le salarié, il tend à éviter les dénonciations abusives. Pour toutes ces raisons, le nouveau titre doit recevoir un accueil favorable.

1. Protection de toute personne dénonciatrice de bonne foi de faits de corruption

L'article 9 introduit dans le Code du travail un nouvel article L. 1161-1 qui, dans son premier alinéa, dispose qu'"aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait connaissance dans l'exercice de ses fonctions".

Cet alinéa fixe, tout à la fois, le champ et l'objet de la protection nouvelle accordée aux salariés.

1.1. Champ d'application de la protection

La protection offerte par le législateur à la personne attachée à l'entreprise ayant donné l'alerte est complète. Elle permet, non seulement au salarié, mais également à tout candidat à un emploi, voire, de manière plus générale, à toute personne participant ou souhaitant participer en quelque qualité que ce soit à l'activité de l'entreprise (candidat, stagiaire, personne en formation...), d'être protégé.

Le champ de la protection ici instituée n'est pas sans rappeler celui prévu en matière de discrimination (C. trav., art. L. 122-45 N° Lexbase : L3114HI8), matière disposant d'un champ de protection optimal. Il convient, sur ce point, de souligner que le premier alinéa de l'article L. 1161 du Code du travail est, dans sa première partie, identique à la première partie de l'alinéa 1er de l'article L. 122-45 du Code du travail.

Le champ d'application territorial de la protection est, également, total. La réforme s'applique à l'ensemble du territoire de la République. L'article 9 contient, à cet effet, un II et III qui rendent applicable la protection à Mayotte, où le titre préliminaire du Code du travail se voit complété par un nouvel article L. 000-5, identique à l'article L. 1161 du Code du travail métropolitain, ainsi que dans les Iles Wallis et Futuna et dans les terres australes et antarctiques françaises (nouvel article 30 bis de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un Code du travail dans les territoires et territoires associés relevant du ministère de la France d'outre mer N° Lexbase : L6236HXA).

1.2. Objet de la protection

La protection garantie par le législateur s'applique lorsque la personne attachée à l'entreprise relate ou témoigne, de bonne foi, à son employeur ou aux autorités judiciaire ou administrative, des faits de corruption dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Toute dénonciation ou alerte donnée est protégée, quel que soit son destinataire.

Plusieurs conditions doivent, néanmoins, être réunies. Il faut que la connaissance de ces faits ait eu lieu dans l'exercice des fonctions et qu'il ait donné l'alerte de bonne foi. Cette dernière condition constitue une limite au champ de la protection. Le fait que l'article L. 1161 du Code du travail précise que "la personne attachée à l'entreprise aura relaté ou témoigné, de bonne foi" signifie, a contrario, que, dans le cas contraire, il ne pourra bénéficier de la protection instituée par le législateur. Ceci semble être parfaitement normal, le législateur ayant, en effet, entendu éviter les dénonciations abusives.

Néanmoins, il convient de s'interroger sur les modalités de détermination de la bonne ou mauvaise foi du salarié et, singulièrement, sur les critères qui seront ou pourront être retenus. Qui devra, en outre, prouver cette bonne ou mauvaise foi ? L'employeur ou le salarié ? Le législateur n'a rien précisé sur ce point.

2. Sanction de la violation des dispositions protectrices du salarié

L'article L. 1161 nouveau du Code du travail contient deux autres alinéas. Le premier alinéa fixe les sanctions applicables en cas de non-respect des dispositions protectrices prévues dans le premier alinéa. Le troisième alinéa, notamment, résout les questions de preuve en cas de litige relatif à une sanction appliquée à un salarié ayant dénoncé des faits de corruption.

2.1. Sanctions applicables en cas de non-respect des dispositions protectrices du salarié

Le deuxième alinéa dispose que "toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit". Le législateur a prévu une sanction forte, identique à celle applicable en cas de non-respect par l'employeur d'un droit ou d'une liberté individuelle. La nullité de l'acte est la sanction retenue et applicable à tout acte effectué en contravention des dispositions protectrices de la personne attachée à l'entreprise et ayant dénoncé des faits de corruption. Cette nullité entraîne des conséquences.

En matière de rupture du contrat de travail, la nullité emporte l'obligation pour l'employeur de réintégrer le salarié, avec toutes les difficultés pratiques que cela peut occasionner. L'employeur devra, de la même manière, revenir sur toute sanction qu'il aura appliquée à l'un de ses salariés, laquelle sera présumée ne jamais avoir existé.

Cette nullité nous semble difficilement applicable lorsque la personne concernée est, par exemple, un candidat au recrutement. Des difficultés matérielles et de preuve se posent dans ce cas. Comment le candidat pourra-t-il prouver qu'il a été écarté d'une procédure de recrutement parce qu'il s'est avéré qu'il avait dénoncé des faits de corruption ? Il en va de même pour le candidat à un stage ou à une formation.

Pourra-t-il, en outre, obtenir l'annulation du recrutement ? Une telle nullité nous semble difficile à mettre en oeuvre et particulièrement injuste pour la personne qui aura été recrutée à l'issue de la procédure de recrutement.

L'employeur ne se trouve, toutefois, pas privé du droit de licencier ou d'écarter du recrutement ou d'un stage une personne ayant dénoncé des faits de corruption. Il faut, dans ce cas, qu'il établisse que la rupture ou le défaut d'embauche est extérieur à l'alerte donnée.

2.2. Limite à la nullité

La nullité de l'acte touchant une personne ayant dénoncé des faits de corruption n'est pas absolue. Le recours à des éléments objectifs extérieurs ou étrangers aux faits protégés est repris, comme dans beaucoup d'hypothèses en droit du travail (voir le licenciement du salarié malade, voir, également, C. trav., art. L. 122-45, dernier al.).

Le troisième alinéa dispose, ainsi, qu'"en cas de litige relatif à l'application des deux premiers alinéas, dès lors que le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise établit des faits qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de faits de corruption, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers aux déclarations ou au témoignage du salarié. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d 'instruction qu'il estime utile".

Toute personne ayant relaté ou témoigné de faits de corruption peut se prévaloir des dispositions protectrices. Afin d'éviter que cette nullité ne soit systématique, et donc les discriminations positives au profit des "donneurs d'alertes", le législateur permet à l'employeur, auteur de l'acte contesté, d'établir que la mise à l'écart du salarié, la rupture, le défaut de recrutement du candidat ou du stagiaire est extérieure aux dénonciations auxquelles il a procédé.

La personne bénéficiaire de la protection n'est donc pas intouchable, elle reste un salarié, un candidat, un stagiaire comme les autres, qui bénéficie des mêmes règles de droit que les autres. Si l'employeur peut établir qu'il a traité cette personne comme il aurait traité toute autre personne de l'entreprise ou souhaitant y accéder, et que la rupture, le refus d'embauche ou de stage est fondé sur des éléments objectifs extérieurs aux dénonciations auxquelles a procédé le salarié, il n'y aura pas de nullité des actes effectués.

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