La lettre juridique n°282 du 22 novembre 2007 : Sociétés

[Jurisprudence] L'annulation de la convention de cession de parts sociales non soumise à la consultation préalable du conseil de surveillance

Réf. : CA Paris, 3ème ch., sect. A, 12 juin 2007, n° 07/05264, M. Thierry Gisserot et autres c/ SA Caceis Bank (N° Lexbase : A1652DYT)

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par Deen Gibirila, Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse I

le 07 Octobre 2010

Eu égard à l'opposition directe ou indirecte d'intérêts pouvant naître à l'occasion de conventions conclues par une société, proches du "contrat avec soi-même", la position privilégiée occupée par le dirigeant agissant pour le compte de ladite société peut l'amener à faire prévaloir son propre intérêt aux dépens de l'intérêt social. Ainsi, peut-il être tenté de conclure des contrats onéreux ou exorbitants avec une autre société dans laquelle il est intéressé. Il n'est pas rare, en effet, qu'interviennent des tractations entre sociétés dotées de dirigeants communs enclins à favoriser l'une d'elles au détriment des autres. Le dirigeant peut, également, être incité à utiliser les crédits sociaux afin de garantir ses engagements personnels.
Le risque de voir des considérations d'ordre personnel l'emporter sur l'intérêt de la société demeure d'autant plus important que l'organe de direction ou de gestion est investi des pouvoirs les plus étendus et que l'adhésion à l'entreprise sociale est sous-tendue par la préoccupation de participer avec efficacité à la vie des affaires, sans que soit prise en considération la personnalité des autres membres et les liens particuliers d'estime ou de confiance pouvant exister entre eux.
Quelle que soit la forme sociétaire, qu'il s'agisse d'une société commerciale ou d'une personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique, les conventions dites réglementées obéissent à une procédure fondée sur des conceptions identiques. Seules les modalités d'application connaissent des divergences liées à la spécificité de l'organisation de chaque société. En la matière, les différences ne se situent pas seulement au niveau de la procédure de contrôle des conventions réglementées. Elles se rencontrent, également, en ce qui concerne la sanction de l'inobservation des prescriptions légales et même statutaires. C'est à propos de ces deux questions mettant en cause une société par actions simplifiées, qu'a statué la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 12 juin 2007.

I - Le litige, objet de l'espèce, a pour origine des faits qui peuvent être exposés comme suit.
Une société (CDC EC), constituée en 1994 sous la forme d'une société anonyme à directoire et conseil de surveillance, a été transformée, en avril 2003, en société par actions simplifiée dotée de ces mêmes organes de gestion et de contrôle, dont les attributions et les pouvoirs sont statutairement déterminés : d'une part, le directoire a compétence exclusive pour gérer l'activité d'investissement pour le compte des fonds dont ladite société assure la gestion ; d'autre part, le conseil de surveillance est compétent pour autoriser préalablement toutes conventions, autres que celles courantes et conclues dans des conditions normales, en particulier tout contrat de travail entre la société et tout membre du directoire.

Par ailleurs, les contrats de travail de directeurs d'investissement de cinq personnes, embauchées en 1998 et 1999 par une société du groupe CDC, ont été transférés en 2000 à la société CDC EC, dont ils sont devenus membres du directoire le 31 mars 2000. L'une d'elles a occupé le poste de président du directoire jusqu'à son remplacement en février 2004 par l'une des quatre autres personnes. Ces différentes personnes ont conclu, le 27 avril 2001, un engagement irrévocable de souscrire une quote-part de droits sociaux qu'ils ont acquis définitivement au terme de la période de souscription fixée au 30 juin 2002. En outre, des parts restantes, non distribuées en raison du défaut de création d'un cinquième poste de directeur d'investissement prévue en 2003, ont été acquises par les cinq personnes, par conventions datées du 9 juillet 2004 conclues entre elles et la société CDC EC. L'opération a été réalisée en dépit de la clause statutaire stipulant la soumission d'un tel accord à l'autorisation du conseil de surveillance.

Toutes ces personnes ont été révoquées de leurs fonctions de membres du directoire le 15 septembre 2004. Le nouveau directoire a procédé à leur mise à pied immédiate au titre de leurs fonctions de salariés, puis à leur licenciement pour faute lourde le 6 octobre 2004.

En définitive, le différend a trait à la cession de parts sociales qui est contestée par la société. Celle-ci a saisi, avec succès, aux fins d'en obtenir l'annulation, le tribunal de grande instance qui lui a accordé gain de cause par un jugement du 11 octobre 2005. Les appelants, cessionnaires desdites parts, sont déboutés, en l'espèce, par la cour d'appel de Paris, de leur demande tendant au virement en leur faveur des parts litigieuses inscrites au nom de la société CDC EC dans les livres de la société Caceis Bank.

II - Tout comme en première instance, les appelants invoquent, à l'appui de leurs prétentions, le pouvoir du directoire de répartir librement entre les membres de l'équipe de gestion les parts dont la société CDC EC s'est engagée à leur rétrocéder par une convention de portage conclue le 27 avril 2001. Selon eux, également, les cessions litigieuses ne constituent pas des conventions nouvelles, mais de simples modalités de mise en oeuvre d'accords préalables, tout à fait valables. De surcroît, ces cessions, bien que devant subir l'autorisation du conseil de surveillance, ne sont pas nulles pour autant. En effet, la sanction de l'inobservation par un représentant légal des dispositions statutaires limitatives des pouvoirs est la réparation du préjudice subi du fait de l'acte accompli en dépassement des pouvoirs, et non la nullité ou l'inopposabilité. Par ailleurs, ils ne se sont pas rendus coupables de "manoeuvres frauduleuses" ; bien au contraire, ils ont systématiquement informé le conseil de surveillance, notamment par une note du 14 mai 2004 et par un rapport du directoire du 15 juin 2004, du dénouement de l'opération de portage ; dès lors, l'autorisation de ce conseil n'était pas requise et une information s'avérait suffisante.

Cette argumentation n'emporte pas la conviction du tribunal de grande instance, ni celle de la cour d'appel. Selon cette dernière, ces conventions n'étant pas courantes et conclues dans des conditions normales, une simple information préalable ne suffit pas ; il faut, encore, une réelle autorisation préalable donnée par le conseil de surveillance.

Certes, la procédure de contrôle s'inspire, en principe, de celle applicable dans la société anonyme, mais, contrairement à celle-ci, il n'existe pas, dans la SAS, d'autorisation préalable analogue à celle donnée par le conseil. Néanmoins, en présence, comme en l'espèce, d'une SAS dotée, notamment, d'un conseil de surveillance, cet organe doit, avant le contrôle légal de l'assemblée générale des associés, autoriser toute convention réglementée, comme le précisent bien les statuts de la société CDC EC. Cette stipulation statutaire est corroborée par l'article L. 227-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L6169AIC), qui confère aux statuts la possibilité de subordonner toute cession d'actions à l'agrément préalable de la société, en l'occurrence, le consentement préalable du conseil de surveillance traduisant l'approbation de la société.

Cela n'a, bien évidemment, pas été le cas en l'espèce dans la mesure où les intéressés, se contentant d'informer l'organe de contrôle de l'existence de la convention, n'ont pas sollicité son adhésion. Cette simple connaissance par les membres du conseil de surveillance ne saurait valoir approbation préalable de leur part. Pareille autorisation suppose une véritable délibération dudit conseil, à laquelle ne pourrait se substituer l'accord donné individuellement par chaque membre de cet organe. Il a même été jugé, à propos du conseil d'administration d'une société anonyme, mais transposable au conseil de surveillance de la SAS, que l'autorisation doit être précédée d'une discussion contradictoire suivie d'un vote exprès, le tout formellement indiqué dans le procès-verbal de la réunion (1).

S'agissant de la sanction applicable, l'article L. 227-10, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6165AI8) énonce qu'une convention non approuvée produit tout de même ses effets, à charge pour la personne intéressée, et le cas échéant pour le président et les autres dirigeants, d'en supporter les conséquences dommageables pour la société. Cette disposition ne s'applique, toutefois, que dans la mesure où la procédure d'autorisation a été effectivement respectée et que, passant outre le refus d'approbation, en l'occurrence celui du conseil de surveillance, le ou les intéressés ont exécuté la convention.

Cette situation n'est pas celle rencontrée dans la présente affaire. Exclut-elle pour autant la nullité comme sanction ? De plus, qu'en est-il lorsque, comme en l'espèce, le conseil de surveillance n'a pas été convié à débattre sur la convention ?

Par analogie avec le régime applicable à la société anonyme, en vertu de l'article L. 225-42, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L5913AIT), les conventions conclues sans autorisation préalable du conseil de surveillance, parce qu'il n'a pas été consulté, ce qui est ici le cas, ou parce qu'il n'a pas donné son autorisation, peuvent être annulées, mais seulement si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société (2). C'est dire le caractère facultatif de la nullité, qui n'est pas de plein droit, et que le juge a le loisir de prononcer ou non (3). La convention conserve toute sa validité jusqu'à la décision du tribunal (4). Il s'ensuit que le juge ne peut annuler la convention sans constater que celle-ci a eu des conséquences dommageables pour la société, en l'absence desquelles la nullité doit être écartée (5).

Reste à savoir si ces dispositions valent pour la société par actions simplifiée. Il ne le semble pas, à en croire le sens de l'article L. 227-1, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6156AIT), aux termes duquel sont applicables à la SAS, dès lors qu'elles sont compatibles avec les dispositions particulières relative à cette structure sociétaire, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des articles L. 225-17 (N° Lexbase : L5888AIW) à L. 225-126 et L. 225-243 (N° Lexbase : L6114AIB) du Code de commerce, ce qui exclut l'article L. 225-42 précité.

Aussi, est-ce sur un tout autre terrain, celui du droit commun, que se placent, ici, les juges d'appel pour prononcer l'annulation des conventions critiquées. D'une part, ils se fondent sur l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), en vertu duquel la validité d'une convention tient, entre autres, au "consentement de la partie qui s'oblige", la société ayant fait de l'autorisation du conseil de surveillance "un élément constitutif de son consentement auxdits actes, nécessaire à l'émission d'une volonté juridiquement efficace". D'autre part, ils s'appuient sur la notion de fraude, en ce que les membres du directoire, agissant de concert, ne pouvaient ignorer la nécessité d'obtenir l'autorisation préalable du conseil de surveillance afin de valider les cessions de parts contestées dans lesquelles les membres du directoire étaient directement intéressés.

Par ailleurs, en dépit de l'inopposabilité aux tiers des dispositions statutaires limitatives des pouvoirs du président de la SAS, posée par l'article L. 227-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6161AIZ), ce dernier, ainsi que les autres membres du directoire qui ne sont pas des tiers, ont l'obligation de veiller à l'application des statuts auxquels ils ont accepté de se soumettre.

Bien que louable, l'annulation des conventions réglementées, en application du droit commun, apparaît comme une solution quelque peu curieuse, voire discutable. En réalité, il suffirait d'alléguer les dispositions de l'article L. 227-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L6170AID), qui rendent nulle toute cession effectuée en violation des stipulations statutaires, même en l'absence de clause frauduleuse entre les parties. Outre la conformité à un texte spécifique du droit spécial des sociétés par actions simplifiée, cette solution s'avèrerait d'autant plus judicieuse qu'elle permettrait de faire l'économie du recours à la notion de fraude.


(1) CA Paris, 23 octobre 1965 ; D., 1966, jurispr., p. 199, note P. Didier ; JCP, 1966, II, 14491, note P. L..
(2) Cass. com., 19 mai 1998, n° 95-12.649, Société des nouvelles techniques automobiles c/ Société Adia France et autres (N° Lexbase : A2352AC4) ; RJDA, 8-9/1998, n° 996.
(3) Cass. com., 22 novembre 1977, n° 75-15.481, SA Laitière du Littoral c/ Union régionale des coopératives agricoles laitières, publié (N° Lexbase : A9849AGU) ; Bull. civ. IV, n° 276.
(4) Cass. com., 3 mai 2000, n° 97-10.960, Société Arco Plast, anciennement NSA Barbazange c/ Société Eurobarket (N° Lexbase : A8213AHN) ; BRDA, 11/2000, p. 4 ; RJDA, 9-10/2000, n° 881 ; Bull. Joly Sociétés, 2000, p. 947, note P. Scholer ; Dr. Sociétés, juillet 2000, n° 109, obs. D. Vidal.
(5) CA Paris, 25ème ch., sect. B, 17 octobre 2003, n° 2002/03107, SA Sydelis ingenierie c/ M. Thierry Luthi (N° Lexbase : A1452DAZ) ; RJDA, 3/2004, n° 314. V. aussi, pour l'exclusion de la nullité d'une convention profitable à la société, CA Paris, 21 mars 1990 ; Bull. Joly Sociétés, 1990, p. 527, note M. Jeantin et CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 7 juin 2001, n° 98/5924, Société Ingenia c/ M. Jean-Frédéric Mognetti (N° Lexbase : A9287A74) ; JCP éd. E, 2001, n° 42, p. 1649 ; RJDA, 2/2002, n° 167 ; Bull. Joly Sociétés, 2002, p. 115, note A. Constantin.

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