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N6253BCL
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le 07 Octobre 2010
La procédure devant le tribunal paritaire des baux ruraux présente cette particularité de comporter une phase de conciliation préalable obligatoire. Ainsi, la conciliation, qui constitue un principe directeur du procès civil prend, en matière de baux ruraux, une connotation particulière (1).
Dans l'espèce étudiée, le propriétaire d'un terrain agricole avait agi contre le locataire en vue de voir constater en justice la résiliation du bail. Pour autant, le demandeur à l'action ne s'était pas présenté en personne devant le juge au jour indiqué pour la tentative de conciliation, contrairement aux dispositions de l'article 883 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3186ADD). La question se posait alors de savoir quelles étaient les conséquences juridiques du refus d'une partie de se soumettre au préalable de conciliation. Le demandeur au pourvoi invoquait l'existence d'une fin de non-recevoir à l'action. Cette thèse est intéressante, car elle repose sur un arrêt de principe rendu en matière de clause de conciliation dans lequel la Chambre mixte a considéré que le non-respect par un contractant du préalable de conciliation imposé par le contrat constitue une fin de non-recevoir (2).
Pour autant, cette argumentation n'a pas convaincu la Cour de cassation dans la mesure où le Nouveau Code de procédure civile aménage spécifiquement l'hypothèse de la non-comparution d'une partie devant le tribunal paritaire des baux ruraux. Ainsi, l'article 888 du NCPC (N° Lexbase : L3191ADK) prévoit-il qu'en cas de non-conciliation ou de non-comparution d'une partie, l'affaire est renvoyée pour être jugée. En d'autres termes, le code traite le défaut de comparution comme un refus de conciliation.
S'il entre dans la mission du juge de concilier les parties, le préalable obligatoire de conciliation ne les oblige pas à s'entendre, mais simplement à tenter la conciliation. Il faut reconnaître que le Nouveau Code de procédure civile est bien peu exigeant en la matière, lorsqu'il assimile l'absence d'une partie à un refus de se concilier. A l'évidence, c'est considérer la conciliation comme une phase accessoire de l'instance.
II - Transmission de l'action en justice et disparition d'une copropriété
Dans cette affaire, une copropriété était en conflit avec plusieurs acteurs de la construction d'un immeuble (constructeur, bureau d'études...) en raison d'un certain nombre de désordres apparus au cours des travaux. Par la suite, l'ensemble des parts sociales avait été réuni en une seule main par l'effet d'une cession d'action, de sorte que la copropriété avait disparu, laissant un propriétaire unique face aux différents professionnels de la construction.
Ces derniers invoquaient, dans leur pourvoi en cassation, l'irrecevabilité de l'action du nouveau propriétaire pour les dommages survenus avant la cession des parts. Selon cette argumentation, la transmission de l'action en justice portant sur les dommages antérieurs à la cession était soumise à l'existence d'une "clause contractuelle de transfert de l'action en réparation" stipulée dans le contrat de vente. Les auteurs du pourvoi arguaient encore que le syndicat de copropriété, s'il devait disparaître avec la copropriété, survivait tout de même pour les besoins de la liquidation et possédait seul l'intérêt pour agir en justice.
Assez logiquement, la Cour de cassation n'a pas retenu cette double argumentation, laquelle reposait sur des fondements juridiques plus que fragiles. Au contraire, elle a jugé que la réunion de la totalité des lots composant la copropriété en une seule main avait eu pour effet la disparition de la copropriété et du syndicat de copropriété et avait entraîné, dans le même temps, la transmission à l'acquéreur des lots de la totalité des actions dont disposait le syndicat avant la cession.
Cette solution est conforme à la règle selon laquelle la transmission d'une action en justice suit le droit substantiel supporté par cette action. Dès lors, si le droit à réparation est transmis d'un propriétaire à l'autre, l'action en réparation suit, elle aussi, la chaîne du transfert de propriété (sur cet arrêt lire également, Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualités jurisprudentielles - Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés - Octobre 2007, Lexbase Hebdo n° 275 du 4 octobre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N5797BCP).
III - Intérêt pour former appel dans une instance en divorce
L'intérêt pour agir doit être apprécié par les juges d'appel selon des considérations spécifiques vis-à-vis de l'action devant les premiers juges. Ainsi, celui qui a obtenu pleinement satisfaction devant les premiers juges perd son intérêt à former un appel. Cette notion de "pleine satisfaction" fait parfois débat.
En l'espèce, un divorce avait été prononcé aux torts partagés en première instance avec attribution d'une prestation compensatoire pour l'épouse. Le mari forma un appel tant sur la forme du divorce que sur la prestation compensatoire. Il demandait, notamment, que la cour prononce le divorce aux torts exclusifs de sa conjointe.
La cour d'appel crut pouvoir déclarer l'appel irrecevable pour défaut d'intérêt à agir en ce qui concerne la forme du divorce. Implicitement, elle considérait que la demande de l'époux (3) à ce que le divorce soit prononcé aux torts de l'épouse était totalement satisfaite dès lors que les juges de première instance avaient relevé des fautes commises par les deux parties et en avait déduit l'existence de torts partagés.
Les juges du second degré assimilaient ainsi la demande en divorce aux torts exclusifs et celle aux torts partagés. C'était ignorer le fait que ces deux formes de divorces ne suivent pas exactement le même régime juridique. Notamment, l'article 266 du Code civil (N° Lexbase : L2833DZX) octroie le bénéfice de dommages et intérêts à l'époux dont le divorce a été prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.
La Cour de cassation s'est ainsi écartée de la confusion opérée par la cour d'appel et a considéré que "les prétentions de M. Y n'avaient pas été complètement accueillies, de telle sorte qu'il avait intérêt à interjeter un appel".
On peut en déduire que n'obtient pas pleine satisfaction, celui qui demande à ce que soient reconnus, "à titre exclusif ", les torts de la partie adverse, sans que, pour autant, il ne lui soit reproché de torts personnels. La solution semblait tomber sous le sens, mais, étonnamment, la cour d'appel en avait jugé autrement.
IV - Le juge de l'exécution et la décision au fond
Le juge de l'exécution intervient à l'issue d'une procédure qui a, en principe, résolu le litige dans sa totalité. Pour autant, il existe des hypothèses dans lesquelles, malgré la décision rendue par les juges du fond, les parties conservent des prétentions qui n'ont pas été tranchées. Tel était le cas dans l'espèce commentée. Un litige avait opposé le vendeur et l'acheteur d'un véhicule automobile. Les juges du fond avaient prononcé la résolution de la vente et condamné le vendeur au remboursement du prix sous condition que le véhicule soit rendu par l'acheteur.
Le litige semblait donc solutionné, mais une difficulté supplémentaire se présenta au moment de mettre en oeuvre la résolution de la vente. En effet, l'acheteur réclamait encore au vendeur des frais de gardiennage du véhicule, frais sur lesquels les juges du fond n'avaient pas statué.
Le vendeur délivra alors un commandement de payer dont l'annulation fut demandée au juge de l'exécution. Une nouvelle instance débuta alors principalement sur la question de l'exécution, mais aussi, accessoirement, sur les frais de gardiennage. Le litige fut porté devant la cour d'appel qui décida que ces frais devaient être supportés par le vendeur du véhicule dont "le comportement et la mauvaise foi" avaient été à l'origine de la résolution de la vente. C'était oublié que la cour statuait sur l'appel d'une décision du juge de l'exécution et qu'elle avait excédé sa compétence.
C'est ce que rappelle la Cour de cassation dans une formulation de principe : "Attendu que le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites, ni remettre en cause la validité des droits ou obligations qu'il constate". En d'autres termes, le juge de l'exécution doit se contenter de trancher les difficultés liées à l'exécution d'une décision sans pouvoir y apporter aucune modification ni aucun complément. Il y avait là un motif évident pour retenir l'excès de pouvoir du juge (4).
On pourrait alors se poser la question du devenir des frais de gardiennage dans cette espèce. A l'évidence, il s'agit d'une prétention nouvelle qui aurait dû donner lieu à une nouvelle instance au fond sans que puisse lui être opposée l'autorité de la chose jugée.
V - La procédure d'assistance éducative face à l'article 6 de la CESDH
La procédure d'assistance éducative a soulevé de nombreuses difficultés s'agissant des parties qui ne sont pas assistées d'un avocat. Sous l'effet de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'Homme, le décret n° 2002-361 du 15 mars 2002 (N° Lexbase : L6369HYK) a conféré aux parties non assistées de nouveaux droits, notamment d'accès au dossier de la procédure.
La question qui se posait dans l'espèce étudiée était inversée. Il s'agissait de savoir quels étaient les droits d'une partie non-comparante, mais dont l'avocat était présent à l'audience. Une telle question pourrait paraître extravagante, tant il est convenu, en matière civile, que la comparution personnelle d'une partie n'est pas un élément indispensable à l'exercice des droits de la défense. Pour autant, on se trouvait ici dans une procédure très particulière, qui est celle de l'assistance éducative et le Nouveau Code de procédure civile n'est pas clair sur la question de la représentation des parties dans une telle procédure. Tout au plus, l'article 1186 du NCPC (N° Lexbase : L2026ADE) indique-t-il que les parties "peuvent faire le choix d'un conseil ou demander au juge que le bâtonnier leur en désigne un d'office".
La cour d'appel avait ainsi jugé que l'appel d'une partie qui avait été convoquée, mais ne s'était pas présentée devant les juges, n'avait pas été soutenu, alors même que l'avocat de cette partie était présent à l'audience. Les juges du second degré exigeaient ainsi une comparution personnelle là où le code ne dit rien d'aussi précis.
La Cour de cassation aurait pu se contenter de casser l'arrêt d'appel comme ayant créé une condition qui n'était prévue par aucun texte, mais elle est allée plus loin, se référant au droit commun de la procédure devant la cour d'appel (NCPC, art. 931 N° Lexbase : L3237ADA) et surtout à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).
La Haute juridiction a, ainsi, affirmé dans un motif de principe que "le droit à un procès équitable exige que soit donné à chacun l'accès au juge chargé de statuer sur sa demande" et qu'"en matière d'assistance éducative, les parties se défendent elles-mêmes et ont la faculté de se faire assister " (5). Dès lors, la cour d'appel ne pouvait considérer que l'appel n'avait pas été soutenu, alors même que l'avocat de l'appelante était présent à l'audience et qu'il avait été entendu en ses observations.
Dans les procédures sans représentation obligatoire, le choix des parties de se défendre seules ou de se faire représenter semble donc se hisser au rang de véritable principe directeur du procès.
Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II
(1) A l'instar de la procédure prud'homale. Voir sur ce point, par ex., E. Vergès, Procédure civile, PUG, 2007, p. 63.
(2) Cass. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, M. Daniel Poiré c/ M. Daniel Tripier, P (N° Lexbase : A1830A7W), D. 2003, Juris. , p. 1386-1391, note P. Ancel et M. Cottin.
(3) Qui n'est pas précisée en détail dans l'arrêt de la Cour de cassation.
(4) Ce que la Cour de cassation ne fait pas, se contentant de constater "Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
(5) La Cour aurait dû ajouter "et de se faire représenter" conformément à l'article 931 du NCPC.
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