Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2007, 3 arrêts, n° 05-42.599, ADIJ, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5778DYN) ; Cass. soc., n° 06-40.039, Entraide universitaire, FS-P+B (N° Lexbase : A5880DYG) ; Cass. soc., n° 05-45.665, L'Aurore Mas Les Tourelles, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5784DYU)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumés
Pourvoi n° 05-42.599 : si l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ne résulte pas, en soi, de l'annulation de l'autorisation de licenciement, la décision du juge administratif se prononçant sur les faits fautifs invoqués par l'employeur ayant retenu que ces faits n'étaient pas établis ou ne justifiaient pas la mesure de licenciement, celle-ci s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement. Pourvoi n° 06-40.039 : selon l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles, l'employeur ne peut, pour décider d'un licenciement, prendre en considération le fait, pour un salarié, de témoigner de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ; le pouvoir reconnu, par ce texte, au juge, de prononcer la réintégration du salarié licencié implique nécessairement que le licenciement est nul. Pourvoi n° 05-45.665 : les articles L. 425-3 et L. 436-3 du Code du travail ne sont pas applicables quand la décision administrative autorisant le licenciement, sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, est déclarée illégale par le juge administratif. |
Par le premier arrêt, la Cour décide que, si l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ne résulte pas, en soi, de l'annulation de l'autorisation de licenciement, la décision du juge administratif se prononçant sur les faits fautifs invoqués par l'employeur ayant retenu que ces faits n'étaient pas établis ou ne justifiaient pas la mesure de licenciement, celle-ci s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 05-42.599, Association départementale d'insertion et de jeunesse (ADIJ), FS-P+B+R). Par le second, la Cour se prononce sur l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5632HDX), selon lequel l'employeur ne peut, pour décider d'un licenciement, prendre en considération le fait pour un salarié de témoigner de mauvais traitements ou privation infligés à une personne accueillie : la Cour en tire la conséquence que le pouvoir reconnu, par ce texte, au juge, de prononcer la réintégration du salarié licencié implique nécessairement que le licenciement est nul (Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-40.039, Association Entraide universitaire, FS-P+B). Enfin, le troisième arrêt vise les articles L. 425-3 (N° Lexbase : L6390ACN) et L. 436-3 (N° Lexbase : L6454ACZ) du Code du travail, qui, selon la Cour de cassation, ne sont pas applicables quand la décision administrative autorisant le licenciement, sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, est déclarée illégale par le juge administratif (Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 05-45.665, Association L'Aurore Mas Les Tourelles, FS-P+B+R).
1. Pouvoir judiciaire de contrôler la cause réelle et sérieuse
La question du régime de l'indemnisation du salarié protégé, licencié alors que l'autorisation administrative est annulée, n'est pas récente et donne lieu à un contentieux récurrent et une production doctrinale assez riche (1) (pourvoi n° 05-42.599). En l'espèce, M. M., salarié de l'Association départementale d'insertion pour la jeunesse et délégué du personnel, a été licencié pour faute grave par lettre du 11 décembre 1998, après autorisation donnée par l'inspecteur du travail le 8 décembre 1998, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité ayant implicitement rejeté le recours hiérarchique de l'intéressé le 5 juin 1998. Le tribunal administratif de Besançon a annulé ces décisions (jugement du 19 décembre 2002). Le salarié, qui avait fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er mai 2002, n'a pas demandé sa réintégration et a saisi la juridiction prud'homale, notamment, de demandes en paiement des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre l'indemnité spéciale (C. trav., art. L. 425-3, dernier alinéa).
L'employeur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir qualifié le licenciement de M. M. de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir, en conséquence, condamné au paiement des indemnités de rupture et d'une somme à ce titre. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
La solution retenue montre toute la difficulté du contrôle par le juge de la cause réelle et sérieuse du licenciement d'un salarié protégé dont la décision d'autorisation administrative a été annulée par le juge administratif. La solution se compose de deux propositions qu'il faut présenter séparément.
Premièrement, l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ne résulte pas, en soi, de l'annulation de l'autorisation de licenciement.
Deuxièmement, la décision du juge administratif se prononçant sur les faits fautifs invoqués par l'employeur ayant retenu que ces faits n'étaient pas établis ou ne justifiaient pas la mesure de licenciement, s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Ce contrôle de la cause réelle et sérieuse du licenciement s'explique par une demande du salarié protégé de bénéficier de l'indemnité de licenciement pour défaut de cause réelle et sérieuse, dont la jurisprudence admet le cumul avec l'indemnité spéciale prévue pour le licenciement d'un salarié protégé n'ayant pas demandé sa réintégration. En effet, la jurisprudence a admis le cumul entre les deux indemnisations. La question qui peut faire difficulté est de savoir si le salarié licencié suivant une autorisation annulée peut bénéficier, au titre de l'indemnisation prévue par la loi, qu'il ait souhaité ou non être réintégré, des indemnités de rupture et, éventuellement, d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié protégé, qu'il ait ou non demandé sa réintégration, peut prétendre au paiement des indemnités de rupture, s'il n'en a pas bénéficié au moment du licenciement et s'il remplit les conditions pour y prétendre, ainsi qu'au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74), s'il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 5 février 2002, n° 99-43.896, FS-P+B+R N° Lexbase : A0047AYE).
2. Pouvoir judiciaire de prononcer la réintégration du salarié
Le pouvoir judiciaire de prononcer la réintégration du salarié a été apprécié par la Cour de cassation (pourvoi n° 06-40.039), dans l'hypothèse très particulière visée à l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles, selon lequel, dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, le fait qu'un salarié ait témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie, ou relaté de tels agissements, ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d'embauche, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire. Surtout, en cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande.
En l'espèce, M. F., employé par l'association Entraide universitaire en qualité de directeur adjoint du Centre d'aide par le travail "Les ateliers de Jemmapes" accueillant des travailleurs handicapés, a été licencié pour faute grave le 11 février 2002. Le salarié a contesté cette décision et demandé sa réintégration. Le conseil de prud'hommes a, le 23 octobre 2003, dit le licenciement illicite et ordonné sa réintégration sous astreinte. Par un second jugement du 3 juin 2003, le conseil de prud'hommes a liquidé l'astreinte. Enfin, par arrêt du 2 février 2005, la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision. L'association Entraide universitaire fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le licenciement de M. F. était nul, de l'avoir condamnée à lui payer diverses sommes au titre du préavis, des congés payés afférents, de rappel de salaires, d'indemnités conventionnelles de licenciement et pour licenciement nul à défaut de réintégration. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur.
En effet, selon l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles, l'employeur ne peut, pour décider d'un licenciement, prendre en considération le fait pour un salarié de témoigner de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie. La Cour en déduit que le pouvoir reconnu par ce texte, au juge, de prononcer la réintégration du salarié licencié implique nécessairement que le licenciement est nul. Dans la lettre de licenciement, l'employeur reprochait au salarié d'avoir dénoncé des actes de maltraitance : la cour d'appel en a exactement déduit que le licenciement était nul.
Cette jurisprudence évoque la polémique soulevée par les arrêts "La Samaritaine" (Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié N° Lexbase : A4174AAT), selon lesquels la procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement des salariés s'intégrant au plan social n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés : il en résulte que la nullité qui affecte le plan social s'étend à tous les actes subséquents et, en particulier, les licenciements prononcés par l'employeur, qui constituent la suite et la conséquence de la procédure de licenciement collectif suivie par application de l'article L. 321-4-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8926G7Q), sont eux-mêmes nuls. Certains auteurs avaient critiqué cette jurisprudence, en s'appuyant sur le principe de la nullité, qui doit nécessairement reposer sur un fondement textuel, échappant à l'office du juge, incompétent pour la constater ou la déclarer (2).
L'arrêt rapporté relève de la même configuration, au sens où l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles organise une réintégration du salarié licencié alors qu'il aurait témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie. A la différence de l'article L. 321-4-1, qui prévoyait un cas de nullité mais dont la rédaction était précise et limitée à une seule hypothèse (donnant ainsi toute sa portée à l'arrêt de la Cour de cassation, "La Samaritaine", qui s'était affranchi de cette portée limitée), l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles est rédigé de manière maladroite, ce qui explique sans doute la solution de l'arrêt rapporté : qui dit réintégration dit nullité du licenciement.
Le législateur avait omis de mentionner cette nullité : le juge est passé outre cette négligence rédactionnelle (loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant l'action sociale et médico-sociale N° Lexbase : L1438AW8).
3. Pouvoir judiciaire de réparer le préjudice subi par le salarié
L'hypothèse visée porte précisément sur le licenciement du salarié protégé. En l'espèce, Mme G., employée de l'association "Les Tourelles" et salariée protégée en qualité de candidate aux élections professionnelles, a été licenciée le 6 juin 1996, après autorisation de licenciement pour motif économique de l'inspection du travail du 5 juin 1996. La salariée, qui n'a pas attaqué cette décision, a saisi le conseil de prud'hommes le 18 mars 1997 de diverses demandes relatives au licenciement. Par arrêt du 5 septembre 2001, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a renvoyé l'appréciation de la légalité de l'autorisation administrative du 5 juin 1996 devant le tribunal administratif, lequel, par jugement du 4 novembre 2003, a déclaré la décision administrative illégale. Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation tranche deux questions (pourvoi n° 05-45.665).
- La première, finalement la moins délicate, porte sur le contrôle de la cause réelle et sérieuse.
Selon la Cour, la lettre de licenciement ne pouvait être motivée par une autorisation administrative déclarée illégale. Cette lettre de licenciement pour motif économique se bornait à invoquer le refus par la salariée d'accomplir les nouveaux horaires mis en place pour créer deux unités et ne comportait, donc, pas l'énonciation des raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié : à défaut d'énonciation du motif économique de licenciement, celui-ci était sans cause réelle et sérieuse.
- Le second point paraît plus délicat. La salariée avait été licenciée en vertu d'une autorisation administrative déclarée illégale.
Les juges du fond ont condamné l'employeur au paiement d'une somme au titre de l'indemnisation pour la période s'étendant du licenciement jusqu'à l'expiration du délai de 2 mois à compter de la notification de la décision du juge administratif, conformément aux articles L. 425-3 et L. 436-3 du Code du travail. Cependant, ces dispositions ne sont pas applicables, selon la Cour de cassation, quand la décision administrative autorisant le licenciement, sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, est déclarée illégale par le juge administratif. Il appartient, dans ce cas, au juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse de licenciement, de réparer le préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur.
Aussi, alors que la décision administrative définitive avait été déclarée illégale par jugement du tribunal administratif, la cour d'appel a violé les articles L. 425-3 et L. 436-3 du Code du travail : la Cour prononce la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel, mais seulement en ce qu'il a condamné l'employeur à payer à la salariée une indemnité pour la période s'étendant du licenciement jusqu'à l'expiration du délai de 2 mois à compter de la notification de la décision du tribunal administratif de Marseille (4 novembre 2003).
Lorsque l'annulation de la décision d'autorisation est devenue définitive, le représentant du personnel a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il l'a demandée dans le délai de 2 mois, ou à l'expiration de ce délai, dans le cas contraire (C. trav., art. L. 412-19 N° Lexbase : L6339ACR, L. 425-3 N° Lexbase : L6390ACN et L. 436-3 N° Lexbase : L6454ACZ) (3). Le salarié licencié irrégulièrement peut alors, s'il demande sa réintégration pendant la période de protection, prétendre à l'indemnisation des salaires perdus entre la date de son licenciement et celle de sa réintégration (Cass. soc., 10 décembre 1997, n° 94-45.532, M. Coracin c/ Société de gérance du Moulin de Sauveterre, publié N° Lexbase : A1686ACG).
De cette jurisprudence, on croit donc comprendre qu'il faut distinguer deux hypothèses d'indemnisation du salarié protégé illégalement licencié : soit l'annulation de la décision d'autorisation est devenue définitive, le représentant du personnel a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il l'a demandée dans le délai de 2 mois, ou à l'expiration de ce délai, dans le cas contraire (C. trav., art. L. 412-19, art. L. 425-3 et art. L. 436-3, préc.) ; soit la décision administrative autorisant le licenciement, sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, est déclarée illégale par le juge administratif.
Le juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse de licenciement, ordonne la réparation du préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur (arrêt rapporté).
Mais, il faut mettre en perspective cette décision avec une jurisprudence de 2001, selon laquelle l'indemnisation prévue par l'article L. 425-3 du Code du travail est acquise au salarié, indépendamment d'une faute de l'employeur ou d'une demande de réintégration du salarié, dès l'instant qu'une décision d'annulation de l'autorisation administrative est devenue définitive (Cass. soc., 12 décembre 2001, n° 99-46.304, F-D N° Lexbase : A6589AXC).
Décisions
Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 05-42.599, Association départementale d'insertion et de jeunesse (ADIJ), FS-P+B+R (N° Lexbase : A5778DYN) Rejet (CA de Besançon, chambre sociale, 22 mars 2005) Textes concernés : C. trav., art. L. 425-3 (N° Lexbase : L6390ACN) Mots-clefs : cause réelle et sérieuse de licenciement ; annulation de l'autorisation de licenciement. Lien bases : . Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-40.039, Association Entraide universitaire, FS-P+B (N° Lexbase : A5880DYG) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 18 novembre 2005) Textes concernés : C. act. soc. fam., art. L. 313-24 (N° Lexbase : L5632HDX) Mots-clefs : établissements et services sociaux et médico-sociaux ; licenciement ; nullité. Lien bases : . Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 05-45.665, Association L'Aurore Mas Les Tourelles, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5784DYU) Cassation partielle (CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. B, 12 octobre 2005) Textes visés : C. trav., art. L. 425-3 (N° Lexbase : L6390ACN) et L. 436-3 (N° Lexbase : L6454ACZ). Mots-clefs : décision administrative autorisant le licenciement ; juge judiciaire ; juge administratif. Liens bases : ; . |
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