Réf. : CA Paris, 9ème ch., sect. B, 14 septembre 2007, n° 07/01477, Dumont Séverine, Elisabeth, Maria épouse Chapellier e.a. c/ Association des petits porteurs actifs e.a. (N° Lexbase : A6174DYC)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
C'est ainsi que les poursuites concernent différents intervenants, investisseurs directs ou indirects, tous touchés par les fraudes, car celles-ci se sont avérées avoir un impact important sur la société mère. La société LV Capital, appartenant au groupe LVMH, actionnaire de la holding de la société cotée, est la première à déposer plainte avec constitution de partie civile. La société Montaigne fashion group, repreneur de la société cotée, fera de même, ainsi qu'un ensemble de petits porteurs.
La diversité des parties en cause, directement ou indirectement touchées par les manipulations comptables opérées au sein du groupe, pose, en l'espèce, au-delà des sanctions pénales (I), la question de l'évolution de l'indemnisation, au plan civil, des différentes catégories de victimes d'infractions financières (II).
I - Les infractions pénales, source du préjudice des actionnaires
Les faits, constatés par les juges du fond, permettent d'établir que, dès l'introduction en bourse de la société Régina Rubens SA, une stratégie de fraude comptable, faussant l'information sur le nouveau marché, avait été mise en place (A), les deux principaux dirigeants de la société y ayant diversement pris part (B).
A - Une stratégie de fraude à l'information sur le nouveau marché
Il ressort, tant de la décision de première instance que de l'arrêt d'appel, que les fraudes concernant le groupe Rubens ont été sciemment organisées, pendant une période couvrant l'épisode de moins de trois ans durant lequel le groupe a été coté. Le juge de première instance, dans sa décision du 22 janvier 2007, établira, ainsi, la naissance, puis, le renforcement d'une stratégie de manipulation de l'information, au sens large, entre les mois de septembre 1998 et de septembre 2000, durée correspondant à deux exercices, l'un clos le 31 décembre 1998, l'autre le 31 décembre 2000. Durant ce laps de temps, la représentation comptable de l'activité de la société Régina Rubens SA a été affectée par cinq types de malversations.
- La création d'un compte "d'attente", compte pivot permettant d'assurer le suivi et le contrôle de fausses facturations de clients et de fournisseurs -et leurs écritures correspondantes-, et ce, afin de gonfler artificiellement le chiffre d'affaires, jusqu'au 1er avril 2000. Ces mouvements fictifs se sont élevés à 23,7 millions de francs (4 161 858 euros) et ont eu une incidence de 6,681 millions de francs (1 018 511 euros) sur le résultat.
- La production de fausses factures clients, en dehors de ce compte, parfois crédibilisées par l'édition de bons de livraison fictifs, le tout pour 6,962 millions de francs (1 061 350 euros).
- La pratique du décalage de l'enregistrement des factures fournisseurs, afin de majorer le résultat, ce décalage ayant eu un impact significatif sur les résultats : 6,5 millions de francs (990 918 euros) pour l'exercice clos au 31 mars 2000 et 3,748 millions de francs (571 378 euros) pour l'état semestriel au 30 septembre 2000.
- L'absence de comptabilisation de provisions pour dépréciation des créances douteuses pour un montant global de 5,58 millions de francs (850 665 euros), ainsi que la surévaluation des stocks pour 6,9 millions de francs (1 051 898 euros).
- Enfin, l'absence de comptabilisation des avoirs en retour de marchandise, ce qui a abouti à une majoration de 944 000 francs (143 911 euros) pour l'exercice clos au 31 mars 2000 et de 1,56 millions de francs (237 820 euros) pour la situation semestrielle au 30 septembre 2000.
Ainsi, les commissaires aux comptes relèveront que les différentes fraudes comptables ont majoré le chiffre d'affaires de 41,15 millions de francs et que les résultats ont été augmentés de 36,6 millions de francs de septembre 1998 à septembre 2000, soit une distorsion de, respectivement, 6,26 millions et 5,58 millions d'euros.
A la suite des différentes plaintes et, notamment, de celle de la société LV Capital qui détenait des parts dans la société-mère, Mmes Rubens et Chapellier sont mises en examen des chefs de :
- faux et usage de faux, pour l'émission de fausses factures clients et fournisseurs ;
- publication ou présentation de comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine d'une société anonyme ;
- diffusion dans le public d'informations fausses et trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur, à l'occasion de la publication de comptes annuels et de situations comptables semestrielles, ainsi qu'à l'occasion de l'établissement d'une note d'opération visée par la COB et relative à une augmentation de capital ;
- escroquerie par appel public à l'épargne à propos de la diffusion d'une note d'opération indiquant que : "la société n'avait pas connaissance de faits exceptionnels ou litiges susceptibles d'avoir une incidence significative sur ses activités, sa situation financière et ses résultats".
B - Le partage des responsabilités pénales entre les dirigeants
Mmes Rubens et Chapellier seront, ainsi, condamnées en première instance pour : "altération frauduleuse de la vérité dans un écrit", "usage de faux en écriture", "présentation de comptes annuels inexacts pour dissimuler la situation d'une société par actions", "diffusion d'information fausse et trompeuse pour agir sur le cours des titres négociés sur un marché réglementé" et "escroquerie avec appel au public en vue de l'émission de titres". Les condamnations, prononcées à l'audience du 22 janvier 2007 par la 11ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, emporteront une peine d'emprisonnement de 18 mois pour chacune des prévenues, assortie d'un sursis total. Les amendes, en revanche, seront respectivement fixées à 250 000 euros pour Mme Rubens et 160 000 euros pour Mme Chapellier, sous réserve de ce que, en application de l'article L. 621-16 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3132G9U), cette sanction pécuniaire s'impute totalement sur la sanction prononcée par la COB.
Mmes Rubens et Chapellier interjettent, alors, appel, Mme Rubens ne faisant, toutefois, porter son recours que contre le volet civil de la décision. A ce titre, c'est, donc, la seule demande de Mme Chapellier qui va être examinée au regard du droit pénal, l'appelante ne reconnaissant que partiellement les faits et excluant, notamment, toute implication dans les délits commis à l'occasion de l'exercice clos au 31 décembre 1998. Sur ce plan, l'examen des faits, selon les termes même de la cour d'appel, fait apparaître l'aspect contradictoire, -"contraire" nous dit-on- des éléments de fait. Ainsi, il est loisible au juge de relever, à charge, d'une part, que Mme Chapellier avait bien été embauchée par la SA Régina Rubens dès 1997 en qualité de directeur administratif et financier, d'autre part, qu'elle était devenue directrice générale de cette même société (devenue Régina Rubens SA) après la restructuration qui devait donner naissance au groupe et, enfin, qu'elle avait directement été mise en cause par Mme Regina Rubens, elle-même, ainsi que par la chef comptable comme étant l'instigatrice du système de fausses facturations.
En revanche, l'arrêt relève, à décharge, que la chef comptable n'avait, dans une première audition, mise en cause que la seule Mme Rubens à propos des fraudes concernant l'arrêté des comptes de 1998. L'arrêt constate, par ailleurs, l'état de grossesse pathologique de Mme Chapellier durant cette période, état qui l'a rendue pratiquement indisponible entre le début décembre 1998 et le mois d'avril 1999. Cette situation sera confirmée par les commissaires aux comptes, qui établiront son absence lors de l'établissement des comptes de l'exercice 1998. Enfin, un certain nombre de témoignages, dont celui de la co-prévenue, viendront confirmer que Mme Chapellier n'est intervenue que sur l'exercice 1999.
Statuant au bénéfice du doute le juge d'appel va, donc, renvoyer Mme Chapellier des fins de prévention en matière de faux et usage de faux, présentation de comptes inexacts, diffusion d'informations trompeuses sur le marché, pour l'année 1999. Il retiendra, en revanche, sa participation aux autres fraudes, même si elle n'en était pas l'instigatrice, notant, au surplus, que c'est à compter de la situation semestrielle du 30 juin 1999 que de nouveaux procédés de falsification des comptes ont été mis en place et, qu'en définitive, les manipulations comptables de l'exercice 1998 n'ont eu que peu d'influence sur le résultat du groupe Régina Rubens. Le juge réduira donc la peine d'emprisonnement de trois mois en la ramenant de 18 mois à 15 mois avec sursis.
II - L'évolution de l'évaluation du préjudice des actionnaires
C'est sur le fondement de ces décisions pénales que le juge d'appel va avoir à apprécier les modalités de calcul de l'indemnisation, dans un contexte peu favorable aux co-prévenues (A), mais qui n'influencera pas la cour d'appel, le juge s'attachant, au contraire, à opérer une analyse particulièrement précise du dommage subi par les différentes catégories d'actionnaires (B).
A - Un contexte peu favorable aux co-prévenues
Ces condamnations s'inscrivent, ainsi, dans un contexte particulier, que nous rappellerons, marqué à la fois par l'existence d'une double sanction, déjà infligée par la COB aux prévenues, et par la formation de recours contre ces décisions. En effet, la Commission avait prononcé, le 4 mars 2003 (1), à l'encontre de Mmes Rubens et Chapellier, des sanctions pécuniaires de, respectivement, 250 000 et 160 000 euros, la condamnation pécuniaire, prononcée en appel au pénal, correspondant exactement à la sanction financière prononcée par l'autorité boursière. Elle a donc pu s'imputer, en application de l'article L. 621-16 du Code monétaire et financier, sur la sanction prononcée par la COB.
Il demeure que cette sanction était encore contestée au moment où la cour d'appel rendait sa décision, puisqu'un recours dirigé contre la sanction de la COB avait été formé, parallèlement à l'affaire pénale à l'occasion de laquelle les actionnaires de la société s'étaient constitués partie civile. Dès l'origine, en effet, les prévenues avaient demandé l'annulation de la décision de sanction, la cour d'appel de Paris leur donnant partiellement gain de cause, puisqu'elle devait, le 27 avril 2004 (2), d'une part, déclarer d'office irrecevables les recours formés par Mme Rubens, et, d'autre part, annuler la procédure conduite à l'encontre de Mme Chapellier.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, saisie ensuite de l'affaire, a, cependant, cassé l'arrêt de la cour d'appel, par un arrêt du 14 juin 2005 (3), et renvoyé devant la même juridiction autrement constituée. C'est ainsi que, le 30 mai 2006, la cour d'appel de Paris, statuant une nouvelle fois, mais, sur renvoi après cassation, devait déclarer mal fondés les recours en annulation de la décision de sanction formés par Mmes Chapellier et Rubens, et rejeter leurs demandes (4).
Ces dernières formèrent, alors, un nouveau pourvoi en cassation, à l'encontre du second arrêt de la cour d'appel, pourvoi essentiellement fondé sur la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), en référence, notamment, à l'irrégularité supposée de la consultation des commissaires aux comptes par la COB. Cette fois, en revanche, la Cour de cassation rejettera la demande, clôturant, de la sorte, la procédure de façon définitive et confirmant la validité de l'ensemble des actes le 25 septembre 2007, soit 15 jours après l'arrêt commenté (5).
Le contexte, évoqué plus avant, fait, ainsi, référence au dynamisme procédural exceptionnel des co-prévenues, qu'on mesurera d'autant mieux, qu'en marge de l'aspect purement boursier de l'affaire (la demande d'annulation de la décision de la COB) la société Régina Rubens holding, dotée des mêmes dirigeantes, était, également, engagée dans un autre recours. Elle avait, en effet, sollicité une expertise aux fins de mettre en cause les insuffisances supposées des commissaires aux comptes de la société Régina Rubens SA, et, faute d'avoir obtenu gain de cause au fond, elle avait formé un recours en cassation que la deuxième chambre civile avait rejeté le 8 septembre 2005.
A l'inverse, les demandes des actionnaires semblaient devoir prospérer, à l'aune des échecs judiciaires successifs subis par les anciennes dirigeantes du groupe.
C'est ainsi qu'en première instance, la société Montaigne fashion group (MFG), venant au droit de la société Regina Rubens SA, demandait 500 000 euros au titre du préjudice moral, en raison des atteintes portées à sa marque et à son image, subies après la reprise des activités de la société cotée, la perte étant estimée à la moitié de la valeur de la marque. Le juge de première instance, toutefois, rejettera cette demande, au motif de l'absence de constatation du préjudice, la marque en question étant valorisée dans les comptes de la société à un montant sensiblement égal, après la découverte de fraudes comptables, qu'au moment de son acquisition.
La société LV Capital, elle, touchée à travers les résultats de la holding, par les manipulations des co-prévenues, réclamait en première instance la somme de 3 millions d'euros, au titre des dommages résultant de la souscription à l'augmentation de capital dans la société holding (Régina Rubens Holding), souscription déterminée par des résultats faussés et aboutissant à l'impossibilité de réaliser l'investissement de façon favorable. Sur ce point, le tribunal relèvera qu'au 30 juin 1999, date de la souscription à l'augmentation de capital, les fraudes s'étaient accélérées, au point de cumuler plus de 4 millions de francs (609 796 euros), pour un chiffre d'affaires, pour l'année 1998, d'environ 46 millions de francs (7 012 654 euros). Le juge établit, donc, que l'influence des fraudes sur la décision d'investissement de la société LV Capital a été très importante, mais que cet investissement revêtait, par ailleurs, un aspect stratégique, et non uniquement financier. Il estimera, ainsi, le préjudice subi à la somme de 1 500 000 euros, soit la moitié de la réparation demandée.
Quant aux petits porteurs, ces derniers seront indemnisés par le juge de première instance sur deux bases différentes : après avoir fait le constat que, d'une façon générale, les acheteurs n'auraient pas acquis les titres au même prix s'ils avaient eu connaissance des actes frauduleux, il décide que, pour les investisseurs ayant acheté leurs actions avant la publication et la diffusion des comptes arrêtés le 31 mars 2002, le préjudice correspondra à la moitié du prix d'acquisition. Pour ceux qui, en revanche, ont investi "en plein coeur des fraudes" c'est-à-dire après cette date, l'indemnisation correspondra à la différence entre le prix d'achat et la valeur de l'action au 20 octobre 2006.
Les trois premiers actionnaires concernés, acheteurs durant la première période, recevront ainsi, au total, la somme de 3 818 euros, alors que les seconds, au nombre de deux, se verront allouer la somme de 3 451,82 euros. Indépendamment, l'association des petits porteurs actifs (l'APPAC) se verra allouer 1 euro de dommages-intérêts, au titre du préjudice moral. Le juge, en outre, condamnera les deux co-accusées à verser la somme de 250 euros à chacun des plaignants personnes physiques, ainsi que 10 000 euros chacune à la société LV Capital.
B - La différenciation de l'analyse du dommage en fonction de la situation de l'investisseur
Ce sont, accessoirement, ces aspects civils de la décision de première instance que les co-prévenues demandaient au juge d'appel de réformer, le ministère public ayant, par ailleurs, interjeté appel, ainsi que les sociétés LV Capital et MFG. Les petits porteurs, en revanche, étaient tous demeurés non appelants. C'est, donc, sur la fixation du préjudice subi par les personnes morales que la cour d'appel va adopter un raisonnement différent de celui du premier juge, appréciant le préjudice subi par les deux sociétés sur un plan plus subjectif que celui qui avait été retenu en première instance.
S'agissant, en premier lieu, de l'action civile de la société MFG, le juge d'appel va relever que la dépréciation de la marque Régina Rubens, bien qu'étant comptabilisée dans le bilan de la société au 31 septembre 2006, était intervenue 4 ans après l'homologation, par le tribunal de commerce, du plan de continuation de Régina Rubens SA, et n'apparaissait pas résulter directement des infractions commises. Divers facteurs, dont des changements de stratégie, la suppression de nom de marques, des pertes d'exploitation des magasins à enseigne "Régina Rubens", expliquent, ainsi, selon la cour d'appel, la dépréciation comptable constatée. Toutefois, le juge retiendra que la révélation des anomalies comptables avait entraîné une perte de confiance des partenaires économiques de la société, qui avait accéléré sa mise en règlement judiciaire ultérieure. L'atteinte au crédit ainsi constatée justifiait, en conséquence, l'allocation de dommages-intérêts à hauteur de 100 000 euros.
Pour la société LV capital, en revanche, le juge relèvera que cette société avait acquis, à deux occasions, des titres de la société holding, d'abord auprès des co-prévenues en 1999, acquisition pour laquelle elle invoque, par ailleurs, le dol des cédantes devant la juridiction civile et, ensuite, à l'occasion de l'augmentation de capital. C'est cette seconde acquisition qui faisait l'objet du recours, la société invoquant un préjudice résultant de l'absence de sincérité des comptes, pourtant attestée dans la convention de garantie de passif, souscrite par Mmes Rubens et Chapellier. Ces éléments ayant déterminé, selon elle, sa décision d'acquérir, la situation véritable des affaires lui aurait, par ailleurs, toujours été dissimulée. La société LV Capital estimant, ainsi, que son investissement représentant 3 % du capital de Régina Rubens SA, les dommages-intérêts devaient s'apprécier à hauteur de 3 millions de francs (457 347 euros), soit la différence entre le prix payé et la valorisation actuelle de l'action.
Sur ce point, le juge d'appel va répondre en plusieurs temps. D'une part, il rappelle que l'existence de fraudes est avérée et que, même si leur impact financier peut paraître réduit, notamment pour l'année 1998, il n'en est pas moins significatif. C'est sur ce fondement que la société investisseur, en foi du potentiel annoncé, avait été convaincue de souscrire à l'augmentation de capital, le système de "compte pivot", mis en place durant le dernier trimestre de 1998, ne permettant pas de déceler les fraudes. Il souligne, d'autre part, qu'en l'espèce, le préjudice invoqué consistait, essentiellement, en une perte de chance d'investir sur un support plus judicieux et de renoncer plus rapidement à celui qui avait été effectué.
L'arrêt tient ainsi compte, en premier lieu, du faible impact des manipulations comptables au moment de l'acquisition et, en second lieu, du fait que, si les manipulations comptables avaient eu pour but de masquer les pertes d'exploitation, elles n'étaient pas directement à l'origine de ces pertes, qui résultaient à l'époque -partiellement, en tous cas- d'une conjoncture peu favorable pour le secteur d'activité considéré. Il ajoute, en second lieu, que LV capital n'aurait pu, en toute hypothèse, céder aisément sa participation dans la société cotée, sa logique d'investissement dépassant l'aspect comptable pour prendre une dimension stratégique. Il conclut, donc, à l'estimation de la perte de chance à 10 % des sommes investies et, ainsi, à l'allocation d'une somme de 300 000 euros à titre de dommages-intérêt, à comparer à la somme de 1 500 000 euros allouée en première instance.
Concernant les autres parties civiles, le juge d'appel confirme, en revanche, la décision des juges du fond et l'indemnisation quasi-totale du préjudice subi par les petits porteurs.
Le rééquilibrage de l'indemnisation au plan civil semble, ainsi, riche d'enseignement, lorsqu'il se trouve replacé dans la perspective de l'évolution de la réparation des préjudices subis par les petits investisseurs. Il nous semble, en effet, que la cour d'appel de Paris tente d'imposer une logique d'indemnisation extrêmement précise, mesurée en fonction de deux paramètres : la qualité de l'investisseur et l'appréciation de ses motivations au moment de l'investissement. Matériellement, en effet, le juge d'appel recherche, lorsqu'il établit le préjudice d'une société partenaire, les intentions de l'investisseur, la qualité des informations relatives aux pertes et des gains susceptibles d'être réalisés, ainsi que le véritable impact sur les comptes. A l'inverse, il se retranche derrière une logique strictement comptable lorsqu'il apprécie le préjudice subi par les petits porteurs.
Ainsi, cet arrêt laisse augurer d'une nouvelle évolution en faveur des petits actionnaires. Après "l'affaire Sidel" (6), dans laquelle le juge avait laissé la porte ouverte à la reconnaissance prétorienne d'une action collective des actionnaires, et au moment où la question de l'institution d'une procédure de class-actions à la française semble devoir ressurgir (7), la question se pose, une nouvelle fois, de la protection des petits investisseurs. Elle se traduit, en l'espèce, par l'application, en matière boursière, de l'indemnisation fondée sur le principe, de droit commun, de réparation de l'entier dommage. De ce fait, l'aléa boursier lié au risque de perte inhérent à tout investissement ne semble pas être pris en considération.
Sur ce plan, cette décision mérite confirmation, mais on peut, toutefois, mesurer son impact potentiel sur le comportement des dirigeants. En effet, là où, parfois, le droit des marchés financiers semble devoir échouer, faute de l'existence de peines suffisamment dissuasives (du moins eu égard aux profits escomptés), la mise en oeuvre d'une indemnisation au plan civil, fondée sur les règles de droit commun, prend une double dimension. Elle peut permettre, d'une part, de garantir, comme en l'espèce, la juste réparation des préjudices subis par les victimes d'une infraction pénale et, d'autre part, de donner un "signal" aux dirigeants des sociétés cotées quant à l'étendue du droit à réparation dont sont susceptibles de disposer tous les petits actionnaires.
(1) Rapport annuel AMF, 2003, p. 154.
(2) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 27 avril 2004, n° 2003/08952, Madame Chapellier Séverine (N° Lexbase : A7234DCW) ; revue mensuelle AMF, n° 4, juin 2004, p. 97 à 101 et rapport annuel AMF, 2004, p. 199.
(3) Cass. com., 14 juin 2005, n° 04-14.329, Mme Régina Rubens, F-P+B (N° Lexbase : A7609DIN) ; F. Leplat, Le droit d'ester en justice de l'AMF, Lexbase Hebdo n° 174 du 29 juin 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6058AI9) ; revue mensuelle AMF, n° 6, juillet-août 2005, p. 107 à 110 et rapport annuel AMF 2005, p. 269 à 270.
(4) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 30 mai 2006, n° 2005/21197, Mme Séverine Chapellier (N° Lexbase : A5057DQD) ; rapport annuel AMF, 2006, p. 250.
(5) Cass. com., 25 septembre 2007, n° 06-17.476, Mme Régina Rubens, F-D (N° Lexbase : A5855DYI).
(6) TGI Paris, 12 septembre 2006, n° RG 0018992026, Ministère public c/ Francis Olivier (N° Lexbase : A7599DRU), J.-B. Lenhof, L'affaire du groupe d'emballage "Sidel", "class actions" en paquet en correctionnelle (1ère partie) (N° Lexbase : N3807ALL) et (2nde partie) (N° Lexbase : N3835ALM), Lexbase Hebdo n° 231 du 12 octobre 2006 - édition privée générale.
(7) Précision apportée par la ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi à l'occasion de trois réponses ministérielles (QE n° 281 de M. Lachaud Yvan, JOANQ du 10 juillet 2007 p. 4814, Economie, finances et emploi, réponse publ. le 4 septembre 2007 p. 5453 N° Lexbase : L6372HYN ; QE n° 1452 de M. Cuvillier Frédéric, JOANQ du 24 juillet 2007 p. 4954, Economie, finances et emploi, réponse publ. le 4 septembre 2007 p. 5453 N° Lexbase : L6370HYL ; QE n° 1853 de Mme Aurillac Martine, JOANQ du 31 juillet 2007 p. 5021, Economie, finances et emploi, réponse publ. le 4 septembre 2007 p. 5453 N° Lexbase : L6371HYM).
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