La lettre juridique n°276 du 11 octobre 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La subvention de fonctionnement dans les entreprises à établissements multiples

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-44.246, Société Compagnie IBM France, F-P (N° Lexbase : A5957DYB)

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N6086BCE

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



Lorsqu'une entreprise comporte des comités d'établissement et un comité central d'entreprise, la subvention de fonctionnement dont est redevable l'employeur, en application de la loi, doit être versée aux premiers, qui bénéficient à son égard d'un droit propre. L'employeur qui ne respecterait pas une telle obligation s'expose, outre à une sanction pénale pour délit d'entrave, à devoir verser de lourdes sommes aux comités d'établissement dans la mesure où la créance en cause est soumise à la prescription trentenaire.



Résumé

Un accord qui ne fait état que de la seule contribution de l'employeur aux activités sociales et culturelles et de la répartition de celle-ci entre les comités d'établissement et le comité central d'entreprise, ne peut pas faire obstacle à la demande d'un comité d'établissement tendant à ce que lui soit versée la subvention de fonctionnement en application de l'article L. 434-8 du Code du travail (N° Lexbase : L6440ACI).

Après avoir exactement retenu que la prescription prévue par l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L5385G7L) ne s'applique pas lorsque la créance dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et souverainement constaté que la masse salariale déterminant le montant de l'obligation de l'employeur était inconnue du comité d'établissement, c'est à bon droit que la cour d'appel a écarté la prescription quinquennale. Par ailleurs, la subvention de fonctionnement que tout employeur doit verser au comité d'entreprise n'étant pas une obligation née à l'occasion de son commerce, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la prescription trentenaire était applicable.

1. Répartition de la subvention entre comités d'établissement et comité central d'entreprise

  • Le droit propre des comités d'établissement à la subvention de fonctionnement

Aux termes de l'article L. 434-8 du Code du travail, "le chef d'entreprise verse au comité une subvention de fonctionnement d'un montant annuel équivalent à 0,2 % de la masse salariale brute ; ce montant s'ajoute à la subvention destinée aux activités sociales et culturelles, sauf si l'employeur fait déjà bénéficier le comité d'entreprise d'une somme ou de moyens en personnel équivalents à 0,2 % de la masse salariale brute".

Il faut, ainsi, comprendre que le comité d'entreprise peut être amené à gérer deux budgets : celui des activités sociales et culturelles et celui de "fonctionnement" (1). Ce dernier sert à financer, outre le fonctionnement administratif du comité, ses nombreuses activités dans le domaine économique.

Si le débiteur de la subvention de fonctionnement est aisé à identifier (2), il n'en va pas de même de son créancier, lorsque l'entreprise compte des établissements distincts et un comité central d'entreprise. L'article L. 434-8, qui se borne à viser le "comité", n'étant d'aucun secours, la Cour de cassation a été appelée à combler, en la matière, la regrettable lacune du législateur.

Il est, aujourd'hui, de jurisprudence constante que la subvention de fonctionnement doit, en principe, être versée directement aux comités d'établissement, qui ont un droit propre sur celle-ci. D'abord énoncée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (3), cette règle de principe a, ensuite, été reprise par la Chambre sociale dans un important arrêt en date du 15 mai 2001 (4). Cette solution trouve à se justifier par l'application de l'article L. 435-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6446ACQ), qui dispose que les comités d'établissements ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise. La Chambre criminelle a logiquement précisé, par la suite, que, tant l'abstention volontaire de verser la subvention de fonctionnement que le refus de communiquer au comité d'établissement le montant de la masse salariale brute sur laquelle sont assises les subventions versées aux comités d'établissement, sont constitutives du délit d'entrave au fonctionnement du comité d'établissement (5).

Soucieuse de ne pas laisser le comité central d'entreprise dans un état de dénuement complet, la Cour de cassation a précisé, dès 2001, que ce dernier "ayant lui-même des frais de fonctionnement, et la loi ne lui accordant pas un droit propre, il est légitime que les comités d'établissement lui rétrocèdent une partie de leur subvention de fonctionnement" (6). Ainsi que l'ont relevé, à juste titre, certains auteurs autorisés, le terme "légitime" peut vouloir dire "conforme au droit", c'est-à-dire "obligatoire" (7). Il n'en reste pas moins que, pour être obligatoire, cette rétrocession ne peut procéder que d'un accord conclu entre le comité central d'entreprise et les comités d'établissement. C'est, au demeurant, ce qu'avait décidé la Chambre sociale dans l'arrêt du 15 mai 2001, en affirmant que "les comités d'établissement n'ayant pu trouver un accord avec le comité central d'entreprise sur le montant de cette rétrocession, il appartenait au juge judiciaire d'arbitrer le différend en fixant lui-même le montant de la rétrocession".

  • Les possibilités de dérogation

Pour en venir à l'espèce sous examen, un accord avait été conclu en 1984 au sein de la société IBM. Cet accord, dit "Accord de partage des compétences entre les comités d'établissement et le comité central d'entreprise dans le domaine des activités sociales et culturelles", comportait une définition de la masse salariale et des modalités de calcul déterminant une clef de répartition des sommes entre les différents comités et concernant un nouveau partage, dans le cadre de la loi du 28 octobre 1982, des compétences dans le domaine des activités sociales et culturelles.

Cet accord, signé entre la société IBM et diverses organisations syndicales, avait été ratifié par le comité d'établissement de l'usine de Montpellier et avait été appliqué jusqu'à sa dénonciation en 1996. Ce comité a, alors, saisi le tribunal de grande instance d'une demande tendant au versement de la subvention de fonctionnement à compter de l'année 1983, en soutenant que l'accord du 25 juin 1984 ne le concernait pas.

Pour confirmer l'arrêt attaqué, la Chambre sociale décide "qu'abstraction faite du motif surabondant relatif à l'accord du 25 juin 1984, la cour d'appel, qui n'était saisie que de sa portée, a exactement retenu que l'accord, qui ne faisait état que de la seule contribution de l'employeur aux activités sociales et culturelles et de la répartition de celle-ci entre les comités d'établissement et le comité central d'entreprise, ne pouvait pas faire obstacle à la demande du comité d'établissement de l'usine de Montpellier tendant à ce que lui soit versée la subvention de fonctionnement en application de l'article L. 434-8 du Code du travail".

Cette décision doit être entièrement approuvée. En effet, si un accord peut organiser la répartition de la subvention de fonctionnement entre les comités d'établissement et le comité central d'entreprise (8), encore faut-il, à l'évidence, que l'accord conclu ait bien un tel objet. Or, tel n'est pas le cas d'un acte juridique relatif à la contribution patronale aux activités sociales et culturelles des comités, dont on a vu, ci-dessus, qu'elle doit être soigneusement distinguée de la subvention de fonctionnement. Par suite, un accord de ce type est impuissant à enlever à un comité d'établissement son droit propre à la subvention de fonctionnement de 0,2 % (9).

On relèvera, pour conclure sur ce point, que seul un accord avec les comités d'établissement intéressés peut permettre une rétrocession partielle de la subvention de fonctionnement au comité central d'entreprise. Un accord conclu avec les syndicats, serait-il unanime, ne saurait, en effet, avoir un quelconque effet sur un droit appartenant en propre à un groupement doté, faut-il le rappeler, de la personnalité juridique (10).

Il résulte de tout cela que le comité d'établissement était en droit de prétendre à la subvention de fonctionnement à compter de 1983, ce qui, on le devine, devait correspondre à une somme importante. Aussi, la société employeur soutenait-elle que cette créance était en partie prescrite.

2. La prescription applicable à la subvention de fonctionnement

  • Rejet de la prescription quinquennale

L'article 2277 du Code civil soumet à la prescription quinquennale les salaires, les arrérages de rentes et de pensions alimentaires, les loyers, fermages et charges locatives, les intérêts des sommes prêtées "et généralement [...] tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts". Il s'agissait, en l'espèce, de déterminer si le paiement de la subvention de fonctionnement relevait de cette dernière catégorie.

La Cour de cassation ayant fini par abandonner la condition de fixité de la créance, il suffit, aujourd'hui, que cette dernière soit périodique (11) et déterminable au moment de son échéance, pour relever de la prescription quinquennale (12). Plus précisément, et ainsi que le rappelle la Chambre sociale dans l'arrêt rapporté, la prescription de l'article 2277 "ne s'applique pas lorsque la créance dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier" (13). Or, dans la mesure où la masse salariale déterminant le montant de l'obligation de l'employeur était inconnue du comité d'établissement, la subvention de fonctionnement ne pouvait relever de la catégorie précitée. Certains pourront juger cette solution bien sévère dans la mesure où il n'est pas impossible au comité d'établissement de déterminer cette masse salariale. On doit, toutefois, rappeler que c'est à l'employeur de communiquer régulièrement cette information au comité d'établissement, sous peine de délit d'entrave (14).

  • Rejet de la prescription décennale

Faisant flèche de tout bois, la société employeur soutenait que la subvention de fonctionnement, faute de relever de la prescription quinquennale, était à tout le moins soumise à la prescription décennale, dont on sait qu'elle s'applique aux obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes (C. com., art. L. 110-4 N° Lexbase : L5548AIC).

Une telle argumentation avait fort peu de chances de prospérer car, ainsi que le relève la Cour de cassation, "la subvention de fonctionnement que tout employeur doit verser au comité d'entreprise par application de l'article L. 434-8 du Code du travail n'est pas une obligation née à l'occasion de son commerce".

On l'aura donc compris aux termes de ces développements, c'est la prescription trentenaire de droit commun qui était ici applicable, imposant par là-même à l'employeur de verser la subvention de fonctionnement à compter de l'année 1983.


(1) Budgets dont on sait qu'ils sont nettement séparés et qu'ils s'apparentent, de ce fait, à des patrimoines d'affectation (v. sur la question, G. Couturier, Les budgets du comité d'entreprise, Dr. soc. 1983, p. 376).
(2) Encore que la notion de "chef d'entreprise" puisse prêter à confusion.
(3) Cass. crim., 31 mars 1992, n° 90-83.938, Lepoutre Stanislas et autres, publié (N° Lexbase : A0358ABU) ; Bull. crim., n° 134 ; JCP éd. E, 1993, II, 409, note O. Godard : "aucun des textes applicables au comité central d'entreprise ne fait obligation au chef d'entreprise de verser une subvention de fonctionnement au comité central ni ne précise dans quelles conditions une partie des subventions allouées aux comités d'établissement en vertu des articles L. 434-8 et L. 435-2 du Code du travail pourrait être reversée au comité central".
(4) Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-10.127, Société Rhodia, publié (N° Lexbase : A4679ATH) : "en principe la subvention de fonctionnement [est] due aux comités d'établissement". Adde, M. Cohen, Les ressources respectives des comités d'établissement et du comité central d'entreprise, RJS 12/01, p. 934.
(5) Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-88.650, Dufau Bernard, publié (N° Lexbase : A0019A7T) ; RJS 7/03, n° 905. Lire aussi notre chron., Rappels et précisions autour des attributions respectives du comité central d'entreprise et des comités d'établissement, Lexbase Hebdo n° 69 du 1er mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7141AAQ).
(6) Cass. soc., 15 mai 2001, préc..
(7) V. en ce sens ; M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 8ème éd., 2005, p. 440.
(8) Il importe peu que l'accord ait été conclu antérieurement à la décision du 15 mai 2001, celle-ci ne venant que confirmer une telle possibilité au regard des textes issus de la loi du 28 octobre 1982.
(9) Les termes de l'accord paraissaient, en l'espèce, fort clairs quant à la contribution concernée. Il était, par suite, difficile aux juges du fond de lui faire produire un autre effet dans leur travail d'interprétation.
(10) V., dans le même sens, M. Cohen, ouvrage préc., p. 441.
(11) Cette condition était ici remplie, la subvention de 0,2 % étant annuelle.
(12) V., sur la question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, pp. 1395-1396 et la jurisprudence citée. La Chambre sociale a admis avec retard cet abandon (Cass. soc., 10 octobre 1985, n° 83-42.110, Mme Poinot c/ Société anonyme ''Les maisons Gaston Dreux'', publié N° Lexbase : A5449AA3).
(13) V., par ex., Cass. soc., 26 janvier 1989, n° 86-43.081, Société Portrex c/ M. Ginestière, publié (N° Lexbase : A1350AAA) ; Cass. civ. 1, 13 juin 1995, n° 93-12.872, Monsieur Brunel c/ Groupe des Assurances Nationales (GAN), publié (N° Lexbase : A7648ABU).
(14) Cass. crim., 11 février 2003, préc..
Décision

Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-44.246, Société Compagnie IBM France, F-P (N° Lexbase : A5957DYB)

Rejet (CA Toulouse, 4ème chambre, section 1 - chambre sociale, 11 mai 2006)

Textes concernés : C. trav., art. L. 434-8 (N° Lexbase : L6440ACI) ; C. civ., art. 2277 (N° Lexbase : L5385G7L) ; C. com., art. L. 110-4 (N° Lexbase : L5548AIC).

Mots-clefs : comités d'établissement ; comité central d'entreprise ; subvention de fonctionnement ; répartition ; prescription.

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