La lettre juridique n°276 du 11 octobre 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'employeur peut-il contraindre les sections syndicales à changer de locaux ?

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-13.810, Syndicat CFDT Servair 1, FS-P+B (N° Lexbase : A5806DYP)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


L'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) n'en finit pas d'étendre son champ d'application à tous les secteurs du droit du travail. C'est, désormais, la liberté syndicale, reconnue tant au niveau constitutionnel qu'européen, qui se trouve englobée dans la protection accordée par ce texte, mais aussi enserrée dans les limites qu'il met en place. Il s'agissait de savoir, dans une affaire tranchée par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 septembre 2007, si le transfert forcé par l'employeur des locaux syndicaux constituait une atteinte à la liberté syndicale. En répondant à cette question, la Chambre sociale précise les règles gouvernant le déménagement du local syndical (1) et fait entrer la liberté syndicale dans le giron du contrôle de justification et de proportionnalité de l'article L. 120-2 du Code du travail (2).

Résumé

L'employeur ne peut apporter des restrictions aux libertés individuelles et collectives des salariés et de leurs représentants qui ne seraient justifiées par un motif légitime et proportionné au but recherché.

En conséquence, le déménagement des locaux syndicaux, imposé par l'employeur et induisant, pour accéder aux nouveaux locaux, l'obligation de passer un portique électronique, de présenter un badge, voire de subir une fouille, sans que cela soit rendu nécessaire par des impératifs de sécurité, ni ne soit proportionné au but recherché, constitue une atteinte à la liberté syndicale.

1. Des règles gouvernant le déménagement du local syndical

  • L'obligation de fournir un local aux sections syndicales

Lorsque l'entreprise remplit les conditions autorisant les syndicats représentatifs à désigner, parmi les salariés, un délégué syndical et, partant, à créer une section syndicale, l'employeur se trouve dans l'obligation de fournir à cette entité un certain nombre de moyens matériels.

Parmi ces moyens, les représentants syndicaux peuvent, parfois, bénéficier d'un local syndical, selon les termes de l'article L. 412-9 du Code du travail (N° Lexbase : L6347AC3). Si l'entreprise comporte un effectif supérieur à 200 salariés, un seul local commun "convenant à l'exercice de la mission de leurs délégués" est fourni pour l'ensemble des sections syndicales. Si l'effectif dépasse 1 000 salariés, chaque section bénéficiera de son propre local, "convenable, aménagé et doté du matériel nécessaire à son fonctionnement". Au contraire, si l'effectif ne dépasse pas 200 salariés, l'employeur n'est pas tenu de mettre à leur disposition un local spécifique, à moins qu'un accord collectif n'en décide autrement.

On déduit, également, de ce texte que le local doit être situé au sein de l'entreprise ou de l'établissement. Cette question ne posait guère difficulté dans l'arrêt commenté. En effet, si les anciens locaux étaient situés dans le bâtiment principal de l'entreprise, les nouveaux locaux avaient été aménagés dans des locaux sis sur le parking, mais demeurant dans "l'enceinte de l'entreprise".

Reste à savoir si l'employeur pouvait légitimement imposer un déménagement aux sections syndicales.

  • La possibilité de contraindre les sections syndicales à déménager

L'article L. 412-9 du Code du travail demeure laconique quant aux règles précises s'appliquant au fonctionnement du local syndical. Spécialement, rien n'est prévu s'agissant du déménagement des sections dans d'autres locaux.

A l'évidence, tout déménagement doit impliquer que la situation du nouveau local remplisse les conditions initiales, c'est-à-dire qu'il soit situé dans l'enceinte de l'entreprise ou de l'établissement et qu'il mette à disposition des sections des moyens convenables de fonctionnement.

Les juges du fond ont, parfois, eu à connaître de cette hypothèse. Ils ont, le plus souvent, estimé qu'une telle mesure était envisageable (1). Ils exigent, néanmoins, de l'employeur qu'il présente un motif sérieux pour que ce déménagement puisse être imposé (2). Si l'on raisonne par analogie avec les décisions tranchant des litiges relatifs au déménagement du local du comité d'entreprise, on peut alors conclure à l'obligation, pour l'employeur, de s'assurer que les nouveaux locaux présentent des avantages équivalents à ceux que connaissaient les anciens (3).

Il ne s'agit, cependant, que de solutions sporadiques n'ayant jamais été assises par une décision de la Cour de cassation. L'arrêt commenté apporte, sur ce point, quelques précisions.

  • En l'espèce

L'employeur avait pris la précaution, devant le refus des organisations syndicales, de demander en référé l'autorisation de procéder au transfert des locaux vers le nouveau site, autorisation qui lui avait été refusée. Bravant ce refus, il avait, néanmoins, procédé au déménagement forcé. La Cour de cassation estime donc, logiquement, que ce transfert s'étant réalisé sans titre exécutoire, il caractérisait une voie de fait constitutive d'un trouble manifestement illicite et justifiant la décision de la cour d'appel d'imposer une remise en état.

Sur le fond, la décision de la Cour de cassation apporte de véritables précisions aux décisions déjà rendues par les différentes juridictions du fond. Ainsi, sans toutefois préciser si le motif invoqué de "mise en oeuvre de réduction des coûts" constituait un motif suffisamment légitime pour imposer le déménagement, elle exige, tout de même, qu'un "motif légitime et proportionné au but recherché" soit invoqué pour qu'une telle mesure soit prise. Elle reste, cependant, muette quant à l'appréciation du caractère convenable et équivalent des nouveaux locaux.

En réalité, pour déterminer si le déménagement des locaux pouvait être imposé, la Cour de cassation porte une appréciation sur l'atteinte à la liberté syndicale constituée par cette contrainte.

2. L'application de l'article L. 120-2 du Code du travail à la liberté syndicale

  • La protection de la liberté syndicale dans l'entreprise

La liberté syndicale est garantie constitutionnellement par l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6815BHU). En outre, plusieurs textes visés dans cet arrêt par la Chambre sociale mettent en application cette liberté, notamment, les articles L. 412-1 (N° Lexbase : L6326ACB) et L. 412-17 (N° Lexbase : L6337ACP) du Code du travail.

S'agissant, plus spécifiquement, du local syndical, la liberté syndicale emporte différentes conséquences. Ainsi, par exemple, la privation de local syndical est une atteinte "grave et manifestement illégale" à la liberté syndicale (4). De la même manière, l'entrée de l'employeur dans les locaux syndicaux sans y avoir été autorisé par les représentants syndicaux ou par le juge constitue une violation de la liberté syndicale et peut être sanctionnée sur le fondement d'un délit d'entrave (5).

Si les deux textes issus du Code du travail sont visés par la Chambre sociale, l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 est délaissé au profit d'un autre fondement dont le visa comporte une symbolique forte.

  • Le rattachement de la liberté syndicale à l'article L. 120-2 du Code du travail

L'article L. 120-2 du Code du travail dispose que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

La Chambre sociale, par un attendu de principe, reprend cette formule mais l'amende sérieusement. En effet, elle précise que les titulaires de ces libertés sont les salariés, mais aussi leurs représentants. Elle ajoute, en outre, à la lettre du texte puisqu'elle remplace la mention d'une restriction "justifiée par la nature de la tâche à accomplir" et "proportionnée au but recherché" par celle d'une atteinte justifiée par "un motif légitime et proportionnée au but recherché".

Elle apporte donc un nouveau soutien textuel à la liberté syndicale. Ce fondement est justifié puisque la liberté syndicale est bien une liberté individuelle, voire, parfois, collective, des salariés.

Ce texte est, pourtant, probablement moins protecteur que le Préambule de la Constitution de 1946. En effet, il permet implicitement à l'employeur d'apporter des limites aux libertés des salariés, à la condition que celles-ci soient justifiées et proportionnées. Cela ne va pas sans rappeler la formulation de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4744AQR), dont le second alinéa permet, lui aussi, de porter des atteintes aux droits syndicaux lorsque ces atteintes sont nécessaires et proportionnées (6).

En filigrane, on peut donc lire derrière cette motivation une possibilité parfois reconnue à l'employeur de procéder au déménagement forcé des locaux syndicaux. L'arrêt commenté nous fournit un exemple de ce qui ne constitue pas un motif suffisamment légitime, ni suffisamment proportionné au but recherché.

  • L'exigence d'un motif légitime et d'une mesure proportionnée au but recherché

Il aurait été éventuellement possible d'envisager que la mesure soit fondée sur un motif légitime, la rationalisation des coûts pouvant être un objectif louable dans l'entreprise. Mais, outre qu'une telle considération semble déjà avoir été rejetée par les juges de référé ayant refusé d'autoriser l'employeur à transférer de force les locaux, la motivation de la Cour de cassation se concentre plus précisément sur le caractère proportionné de la mesure.

La cour d'appel avait décidé que le transfert des locaux dans un bâtiment annexe ne nuisait pas à l'exercice des activités syndicales et ne caractérisait pas une volonté de l'employeur de marginaliser l'activité syndicale en rendant l'accès à leurs locaux plus difficile.

Cette argumentation est vigoureusement contestée par la Cour de cassation, au motif que l'accès au bâtiment annexe était soumis à une identification par badge, au passage sous un portique électronique et, éventuellement, à la soumission à une fouille corporelle. De telles mesures correspondent, de manière plus classique, à celles qui sont en général évaluées par le juge afin de déterminer si l'atteinte à la liberté des salariés est ou non justifiée et proportionnée au but recherché (7). On comprend, d'ailleurs, bien mieux le visa de l'article L. 412-17 du Code du travail, dont le troisième alinéa vise la liberté des représentants syndicaux à se déplacer librement dans l'entreprise. Cette liberté serait clairement entravée si l'employeur pouvait, grâce au système de "badgeage", connaître leurs entrées et sorties de leurs locaux. Dans un même ordre d'idée, la Cour de cassation avait déjà estimé que l'employeur ne devait pas être en mesure d'intercepter les communications téléphoniques ou l'identification des correspondants des représentants syndicaux (8). En outre, ce ne se sont pas seulement les représentants syndicaux qui verraient leur liberté restreinte par ce procédé. On peut, en effet, légitimement penser que les salariés hésiteraient à se rendre dans les locaux syndicaux, tout en sachant que l'employeur a les moyens d'avoir connaissance de cette visite.

Pour conclure, il y avait donc là une atteinte à la liberté de circulation des représentants syndicaux et des salariés en tant que composante de la liberté syndicale. Cette restriction était obtenue indirectement par le transfert de leurs locaux, ce qui rendait cette mesure non proportionnée à la volonté de rationalisation des coûts dans l'entreprise. Mais, a contrario, on peut penser que le déménagement forcé aurait pu intervenir si le bâtiment annexe n'avait pas été aussi sécurisé.

L'application de l'article L. 120-2 du Code du travail, en rendant effective la conciliation d'intérêts exigée à l'endroit de la liberté syndicale par la CESDH, gagne donc du terrain en droit du travail et s'affirme comme une disposition majeure du droit du travail à venir.


(1) V., par ex., CA Paris, 14 janvier 1994, RJS 1994, n° 351.
(2) CA Versailles, 9 février 1982, RPDS 1982, somm., p. 218.
(3) TGI Saint Etienne, 4 juin 1987, RPDS 1987, somm. p. 381.
(4) CE 1° et 6° s-s-r., 31 mai 2007, n° 298293, Syndicat CFDT Interco 28 (N° Lexbase : A5282DWK).
(5) V., par ex., Trib. Corr., Limoges, 25 juin 1980, Dr. ouvrier 1980, p. 174.
(6) Sur l'application de ce texte par la Cour européenne des droits de l'Homme, lire nos obs., L'évolution de l'action collective des salariés sous l'influence de la Cour européenne des droits de l'Homme, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2733BC9).
(7) V., par ex., au sujet d'un système de "badgeage" biométrique, TGI Paris, 19 avril 2005, n° RG 05/00382, Comité d'entreprise d'Effia Services c/ Fédération des Syndicats Sud Rail (N° Lexbase : A0577DI9) et les obs. de G. Auzero, De l'illicéité d'un système de "badgeage" par empreintes digitales, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4025AIW) ; Petites affiches, 3 octobre 2006 n° 197, p. 9.
(8) Cass. soc., 6 avril 2004, n° 02-40.498, M. Jean X c/ Société BDI constructions SA, publié (N° Lexbase : A8005DB4) et les obs. de G. Auzero, Exercice des mandats de représentants du personnel et confidentialité des communications téléphoniques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1221ABT).
Décision

Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-13.810, Syndicat CFDT Servair 1, FS-P+B (N° Lexbase : A5806DYP)

Cassation (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 13 janvier 2006, n° 05/23341, Compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens c/ Syndicat des copropriétaires CGT des salariés de la Servair N° Lexbase : A0953DNM)

Textes visés : C. trav., art. L. 412-1 (N° Lexbase : L6326ACB), L. 412-17 (N° Lexbase : L6337ACP), L. 412-9 (N° Lexbase : L6347AC3) et L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI).

Mots-clés : liberté syndicale ; restrictions ; local syndical ; déménagement ; justification ; caractère proportionné.

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