Réf. : Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, n° 05-10.855, Société Atelier 2M, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0878DTP)
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le 07 Octobre 2010
- En premier lieu, il convient de remarquer, très rapidement tant la solution ne fait sur cette question depuis longtemps déjà plus aucun doute, que la Cour de cassation rejette fermement toute considération subjective dans la détermination du fondement de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage, de telle sorte que l'argument du pourvoi qui faisait valoir l'absence de faute des constructeurs n'avait aucune chance de prospérer : la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage n'est pas une responsabilité fondée, subjectivement, sur la faute, mais, objectivement, sur la constatation du dépassement de la mesure normale des inconvénients du voisinage (voir, sur cette question, la jurisprudence citée supra).
- En deuxième lieu, l'arrêt confirme indiscutablement la compréhension très extensive que fait la jurisprudence du domaine de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage. On se souvient que, dans une affaire ayant donné lieu à un important arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 juin 2005, le célèbre hôtel parisien George V avait fait procéder à la rénovation totale du bâtiment avec le concours de deux sociétés, l'une chargée de la gestion du projet, l'autre en tant qu'entrepreneur. Or, les travaux avaient occasionné des nuisances aux immeubles voisins. L'un des constructeurs reprochait aux juges du fond de l'avoir condamné à payer certaines sommes aux sociétés exploitant les hôtels voisins, alors que, selon lui, la responsabilité sans faute déduite du principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ne peut être engagée que contre des personnes liées au demandeur par une relation stable de voisinage, ce qui ne serait pas le cas par hypothèse, en l'espèce, le constructeur étant seulement chargé par le propriétaire d'une mission temporaire de rénovation de son immeuble. En clair, le pourvoi faisait valoir l'idée que l'action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage ne saurait être engagée contre ceux que l'on pourrait appeler un "voisin temporaire", de surcroît chargé par le propriétaire, voisin habituel, de divers travaux. Toujours est-il que la Cour de cassation ne l'avait pas entendu ainsi et avait affirmé que "la cour d'appel a retenu à bon droit que le propriétaire de l'immeuble auteur des nuisances et les constructeurs à l'origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels de propriétaires lésés" (3). La solution de l'arrêt 20 décembre dernier confirme cette volonté de la jurisprudence de faire rayonner aussi largement que possible la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage et la compréhension purement objective de celle-ci : doit être considéré comme responsable celui qui, par son fait, cause objectivement un préjudice à un tiers. L'action en responsabilité est ainsi recevable lorsqu'elle est intentée contre l'architecte maître d'oeuvre et/ou contre l'entrepreneur effectuant des travaux pour le compte d'un propriétaire voisin (4). Et, par suite, en l'absence de faute de leur part, l'architecte et l'entrepreneur contribuent, par parts égales, à la dette, ce qu'affirme explicitement l'arrêt. On sait, en effet, classiquement, que la question de la contribution à la dette entre co-obligés est réglée en fonction du fondement de la responsabilité : répartition en fonction de la gravité des fautes respectives s'il s'agit de fautes prouvées ; dans la mesure des responsabilités ou, à défaut de précisions, par parts viriles, donc de manière purement objective, s'il s'agit de responsabilités de plein droit (5).
- En dernier lieu, il convient d'insister sur l'importance, du point de vue de sa portée, de la solution. Alors, en effet, que la responsabilité de l'entrepreneur, déjà critiquée en doctrine lorsqu'il est auteur de la nuisance résultant du chantier, l'est davantage encore lorsque le trouble résulte de l'ouvrage et est donc imputable à la décision de construire du maître de l'ouvrage, l'arrêt témoigne de la volonté de la Cour de cassation de ne pas faire marche arrière, alors même d'ailleurs que l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription n'a pas repris cette responsabilité et a choisi de réduire le domaine, quant aux personnes responsables, de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage. Ainsi, l'article 1361 proposé du Code civil, qui n'inclut pas l'entrepreneur parmi les responsables possibles de troubles de voisinage, pas plus d'ailleurs semble-t-il que l'architecte, dispose en effet que "le propriétaire, le détenteur ou l'exploitant d'un fonds, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, est de plein droit responsable des conséquences de ce trouble".
David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit
(1) Cass. civ., 27 novembre 1844, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, n° 74.
(2) Voir, notamment, Cass. civ. 3, 4 février 1971, n° 69-12.528, Epoux Vullion (N° Lexbase : A9758CE7) et n° 69-13.889, Geoffroy c/ Mille (N° Lexbase : A0426C9N), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 75 ; adde., énonçant, sous la forme d'un principe général, que "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage", Cass. civ. 2, 19 novembre 1986, n° 84-16.379, M. Miller c/ Epoux Haye (N° Lexbase : A6163AAI), Bull. civ. II, n° 172 ; Cass. civ. 3, 11 février 1998, n° 96-10.257, Epoux Lang c/ Mme Porre (N° Lexbase : A2603ACE), Bull. civ. III, n° 34, D. 1999, jur., p. 529, note S. Beaugendre.
(3) Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 03-20.068, Société Duminvest c/ Société Hôtel Georges V, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7982DIH) Bull. civ. III, n° 136 et nos obs., La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage du "voisin occasionnel", Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6465AIB).
(4) Cass. civ. 3, 30 juin 1998, n° 96-13.039, Société Intrafor c/ Consorts Chaudouet-Delmas et autres (N° Lexbase : A5432AC8), Bull. civ. III, n° 144, JCP éd. G., 1999, I, 120, obs. H. Périnet-Marquet, RTD Civ. 1999, p. 114, obs. P. Jourdain.
(5) Sur la question, voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 890 et s..
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