La lettre juridique n°245 du 25 janvier 2007 : Collectivités territoriales

[Textes] Le contrôle des cendres funéraires au mépris des libertés

Réf. : Proposition de loi n° 375 de M. Jean-Pierre Sueur relative à la législation funéraire, adoptée par le Sénat le 22 juin 2006

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N7754A93

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le 07 Octobre 2010

La fête des défunts de 2006 a été l'occasion pour la presse d'annoncer l'imminence d'une réforme législative en matière de droit funéraire, notamment, en ce qui concerne le sort des cendres provenant de la crémation du défunt. Mais, nul journaliste ne s'est indigné des restrictions apportées aux libertés par cette proposition sénatoriale (proposition de loi n° 464 et proposition de loi n° 375 de M. Jean-Pierre Sueur relative à la législation funéraire, adoptée par le Sénat le 22 juin 2006 ; Un parlement en cendres, J.-P. Feldman, D. 2006, 92). Ce texte ne s'intéresse pas qu'aux cendres et propose d'autres modifications de la législation funéraire. Ainsi, des dispositions soumettent à une condition de diplôme l'exercice de la profession d'opérateur funéraire, instaurent des devis-types, réduisent le nombre d'opérations funéraires soumises à surveillance policière, créent un schéma régional des crématoriums et permettent aux communes d'intervenir pour assurer la mise en valeur architecturale et paysagère des cimetières et sites cinéraires. Mais, ce sont les règles concernant le sort des cendres qui posent problème au regard de la défense des libertés, comme l'a signalé d'ailleurs M. Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, lors de son intervention au Sénat. Ce sont donc ces propositions concernant les cendres qui doivent être étudiées après qu'aura été retracé le régime libéral actuel pour rendre possible la comparaison. I. Le régime actuel de la crémation

Les opérations touchant à la crémation s'inscrivent dans le cadre général de la législation sur les pompes funèbres (CGCT, L. 2223-19 et s. N° Lexbase : L7918HBU), mais les règles concernant le sort des cendres sont particulièrement libérales.

A. Le cadre général des funérailles

Le monopole communal des pompes funèbres a été supprimé par la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, modifiant le titre VI du livre III du Code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire (N° Lexbase : L9730A9A). Désormais le service public communal des pompes funèbres, qui est un service public industriel et commercial, est assuré par les régies, entreprises et associations habilitées par le préfet. Ce service public comprend les diverses prestations nécessaires aux funérailles et, notamment, la fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux crémations (CGCT, art. L. 2223-19 précité). En raison de la disparition du monopole, les personnes qui pourvoient aux funérailles peuvent fournir, elle-mêmes, les services et objets funéraires, tels que l'urne.

La commune a des prérogatives de puissance publique importantes en matière funéraire. Le maire exerce la police spéciale des funérailles et des cimetières (CGCT, L. 2213-7 et s. N° Lexbase : L8718AA7 et R. 2213-2 et s. N° Lexbase : L2128HPI). A ce titre, il délivre aux personnes qui pourvoient aux funérailles diverses autorisations, notamment, l'autorisation de fermeture du cercueil, l'autorisation de crémation, l'autorisation de dépôt de l'urne dans le cimetière, ou le site cinéraire, et l'autorisation de dispersion des cendres dans le lieu communal affecté à cet effet. La plupart des opérations funéraires, par exemple, les crémations, donnent lieu à une surveillance qui est exercée, soit par la police nationale, soit par un garde champêtre ou un agent de police municipale. Les familles doivent payer des vacations funéraires pour cette assistance. Indépendamment de ces redevances, les personnes qui pourvoient aux funérailles doivent, également, payer les taxes sur les convois, les inhumations et les crémations si les communes les ont instituées. Les obsèques sont, en revanche, gratuites pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. Soit la commune a organisé le service public et celui-ci prend en charge de telles funérailles, soit c'est la commune qui, au titre de ses devoirs de police, passe un marché public pour pourvoir aux obsèques des personnes sans ressources.

Le monopole a disparu pour les pompes funèbres, mais il subsiste, au profit des communes et des établissements de coopération intercommunale, pour les cimetières, les sites cinéraires (espaces consacrés à l'accueil des cendres) et les crématoriums.

La description du régime administratif des obsèques ne suffit pas à établir leur régime juridique. Les funérailles sont, également, régies par une grande liberté, la liberté des funérailles qui résulte de la loi du 15 novembre 1887. Cette loi, complétée par une jurisprudence abondante, permet aux majeurs et aux mineurs émancipés d'exprimer leur choix quant aux conditions des funérailles et aux modes de sépulture. Ils peuvent, notamment, choisir la crémation et décider du sort de leurs cendres. Lorsque le défunt n'a exprimé aucune volonté, il appartient au juge, éventuellement saisi d'un désaccord, de désigner la personne la plus apte à pourvoir aux funérailles, c'est-à-dire celle qui est la meilleure interprète des volontés du défunt ; c'est généralement le conjoint ou le concubin qui est le plus qualifié pour exprimer la volonté du défunt. La loi ne prend pas en compte la volonté du mineur quant à ses funérailles et le juge ne peut se baser sur ce texte pour régler le litige entre des parents divorcés sur la question du partage des cendres de leur enfant (CA Montpellier, 23 novembre 2001, Gaz. Pal. 4 au 6 mai 2003, p.20). La Convention européenne des droits de l'homme ne reconnaît pas la liberté des funérailles en tant que telle, mais son article 8 sur la protection de la vie privée (N° Lexbase : L4798AQR) peut être utilisé pour défendre la liberté de choix du mode de sépulture, car ce choix est intimement lié à la vie privée (CE, 6 janvier 2006, n° 260307, Martinot N° Lexbase : A1813DM4, AJDA 2006, 757 et note L. Burgorgue-Larsen). Le Conseil d'Etat reconnaît cependant dans cet arrêt que des limites, tenant au respect des usages et à la protection de la santé publique, peuvent être mises à cette liberté.

Des menaces pèsent aujourd'hui sur la liberté des funérailles du fait d'une jurisprudence, encore minoritaire, qui reconnaît un droit de copropriété familiale inviolable et sacrée sur la dépouille humaine et les cendres. Selon cette thèse, pour prendre les décisions concernant le défunt, quand celui-ci n'a pas pris de décision expresse, il faut un accord unanime des membres de la famille ou, à défaut, l'arbitrage du juge et il n'y a pas lieu de rechercher quelle est la personne qui était la plus proche du défunt et qui est la meilleure représentante de ses volontés (A. Debet, Le cadavre et le droit au respect de la vie familiale, Cahiers du Credho, 2002, n° 8, p.153, www.credho.org ; F. melin, La crémation. A propos de quelques aspects juridiques, JCP, éd. N., 12 janvier 2001, p. 56).

B. La libre disposition des cendres

Après la crémation, les cendres sont recueillies dans une urne cinéraire qui est remise à toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles. Diverses possibilités s'offrent, alors, pour le sort des cendres (CGCT, art. R. 2213-39 N° Lexbase : L2165HPU). Le recours à un site cinéraire public est une première solution quand la commune en possède un. Ce site permet la dispersion des cendres, l'inhumation des urnes ou le dépôt dans un columbarium, après autorisation du maire. Un décret doit paraître pour fixer les règles selon lesquelles les emplacements dans les sites cinéraires sont accordés et repris (CGCT, art. L. 2223-18 N° Lexbase : L7917HBT). Les sites cinéraires peuvent être situés hors des cimetières et, dans ce cas, ils peuvent être gérés par un délégataire de service public. La solution de la délégation de service public peut être une heureuse alternative quand la commune éprouve des besoins d'équipements cinéraires et qu'elle n'a pas les moyens de réaliser des ouvrages dotés d'une certaine qualité architecturale. Cette solution n'est pas contraignante pour les usagers puisqu'ils disposent d'une très grande liberté quant au sort de l'urne. Une deuxième solution consiste à inhumer l'urne dans une sépulture ou à la sceller sur un monument funéraire, après autorisation du maire. Une troisième solution permet de ne pas recourir aux espaces publics et de se dispenser d'autorisations du maire ; il est possible, en effet, de déposer l'urne dans une propriété privée ou de disperser les cendres en pleine nature.

Lorsque l'urne a été déposée dans une sépulture, il est nécessaire de suivre la procédure de l'exhumation si la famille veut récupérer l'urne. L'article R. 2213-40 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2166HPW) indique que le maire autorise l'exhumation sur demande du plus proche parent du défunt. Par analogie, et faute de texte particulier et de jurisprudence réglant la question, c'est, également, sur demande du plus proche parent que l'administration autorise le retrait de l'urne du columbarium ou d'une sépulture (il faut, de plus, l'accord du titulaire de la concession funéraire ou de la case du columbarium). La notion de "plus proche parent" est une donnée objective qui évite que l'administration puisse s'immiscer dans la vie privée des personnes. Elle n'a pas à rechercher quelle était la volonté du défunt ou quelle est la personne la plus à même d'exprimer cette volonté. Une telle recherche, fondée sur la loi du 15 novembre 1987 relative à la liberté des funérailles, ne peut être menée que par le juge judiciaire en cas de litige sur l'opération projetée. Pour empêcher que le plus proche parent procède à une exhumation ou à un retrait d'urne non souhaité par le défunt, les personnes concernées, même si elles ne font pas partie des plus proches parents, peuvent faire connaître à la commune la volonté du défunt, par exemple en lui écrivant à l'avance. Dans ce cas, la commune n'autorisera l'exhumation que sur production d'une décision de justice réglant le conflit d'ordre privé. L'article 433-21-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2026AMY) prévoit, en effet, des sanctions pour ceux qui donnent aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt. Enfin, s'il y a plusieurs personnes au même degré de parenté qui constituent les parents les plus proches, le pétitionnaire doit attester qu'aucun d'eux n'est susceptible de s'opposer à l'exhumation. Le maire ne peut pas autoriser l'exhumation si l'un s'y oppose, il doit attendre, le cas échéant, que l'autorité judiciaire se prononce. Le plus proche parent qui s'oppose à l'exhumation n'a pas besoin de faire valoir devant le maire le respect de la volonté du défunt puisque l'administration ne peut accorder l'exhumation que si tous les plus proches parents sont d'accord (CE, 9 mai 2005, n° 262977, M. Rabau N° Lexbase : A2142DI8, Publié au recueil Lebon). La cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 22 juin 2006, n° 05DA00712, Mme Janine Soury et a. N° Lexbase : A7584DQX, Mentionné aux tables Lebon) a rajouté une condition supplémentaire à l'octroi de l'autorisation d'exhumation. Il faut que le plus proche parent qui demande l'exhumation atteste sur l'honneur que le défunt n'a pas exprimé une volonté qui s'opposerait à cette opération.

Il est vraisemblable que les attestations concernant la position des plus proches parents et la volonté du défunt devront, également, être produites pour la demande de crémation de restes exhumés prévue à l'article R. 2213-37 du CGCT (N° Lexbase : L2163HPS). Toute cette procédure peut sembler un peu lourde, mais la France a, pourtant, un régime plus libéral que la plupart des autres pays européens. La Cour européenne a, d'ailleurs, tenu compte des régimes restrictifs des autres pays et a décidé de laisser aux Etats une grande marge d'appréciation quand ils mettent en balance l'intérêt d'un particulier au transfert d'une dépouille ou de cendres et celui de la société au respect du caractère sacré de la tombe (CEDH, 17 janvier 2006, req. 61564/00, Elli Poluhas Dösdo c/Suède N° Lexbase : A3720DMQ). Dans l'affaire tranchée par la Cour, une veuve, qui était partie vivre auprès de ses enfants, voulait récupérer l'urne de son mari qui était inhumée dans la commune où ils vivaient autrefois pour la transférer dans la concession familiale où elle désirait que ses propres cendres soient un jour déposées. L'administration suédoise n'a pas fait droit à sa demande et la Cour n'a pas condamné cette dernière. Elle a estimé qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR) car, même s'il y a eu ingérence dans la vie privée ou familiale de la requérante, les autorités suédoises pouvaient légitimement considérer que le refus de transfert de l'urne était nécessaire pour la défense de l'ordre, la protection de la morale et/ou des droits d'autrui. La solution est regrettable car le couple vivait en bonne intelligence et les juges auraient dû comprendre que la volonté du défunt, que la Cour cherche à respecter, n'était pas de s'opposer au désir de son conjoint survivant de pouvoir continuer à se recueillir auprès de ses restes et que son choix du lieu de sa sépulture, fait plusieurs décennies auparavant, dans l'ignorance des contingences futures, n'était vraisemblablement gouverné que par des considérations pratiques et non par un attachement particulier à sa ville de domicile. Cet arrêt montre qu'il ne faut guère compter sur l'aide de la Cour européenne pour combattre les lois qui restreignent les libertés en matière funéraire.

II. La réduction des libertés par le Sénat

La petite loi votée par le Sénat interdit la libre disposition des cendres et donne cinq ans aux communes pour reprendre en gestion directe les sites cinéraires dont la gestion a été donnée à un délégataire. Les explications données à de telles atteintes aux libertés sont totalement insuffisantes et relèvent de la logorrhée parlementaire.

A. Le verbiage sénatorial

La proposition votée par le Sénat tend à modifier le Code civil. Elle crée un article 16-1-1 indiquant : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence". L'article 16-2 du Code civil (N° Lexbase : L1689AB8) est, également, complété pour que le juge puisse intervenir en cas d'atteinte illicite aux restes des personnes des personnes décédées. L'article 225-17 du Code pénal (N° Lexbase : L2070AMM) est lui aussi modifié pour que la sanction de la violation de sépulture puisse s'appliquer pour l'urne cinéraire. Ces dispositions manquent de clarté. On ne sait pas ce que signifie "traiter les cendres avec respect, dignité et décence", ni quelle est la différence entre chacun de ces termes. Ce flou est inquiétant car l'auteur de la proposition de loi s'est indigné que l'on puisse utiliser une partie des cendres pour faire une bague ou créer un tableau (rapport d'information n° 372 (2005-2006) de MM. Sueur et Lecerf, Bilan et perspectives de la législation funéraire. Sérénité des vivants et respect des défunts). La façon d'aimer les morts et de les honorer n'est pas, à notre époque, uniforme et le législateur devrait s'abstenir de donner au juge les moyens d'imposer ses propres conceptions.

B. La fin de la libre disposition des cendres

Le Sénat a voté un texte qui interdit le partage des cendres et la conservation de l'urne hors des cimetières et sites funéraires. C'est un obstacle mis à des pratiques courantes puisque les crémations représentent 25 % des funérailles et que 71 % des familles qui ont fait incinérer leur défunt récupèrent l'urne après la crémation. Ces propositions de réformes ont été justifiées au Sénat par le manque de respect des urnes. Il est vrai que, passée la période de deuil, les familles veulent, parfois, se débarrasser d'une urne qui se révèle encombrante et c'est ainsi que des urnes, qui ne sont pas toujours vides, sont retrouvées sur les plages, dans les décharges et autres lieux incongrus. Un tel problème ne relève pas de la loi, mais de l'information des familles et de la responsabilisation des opérateurs funéraires qui sont chargés d'une mission de service public. Un décret n° 98-447 du 2 juin 1998 (N° Lexbase : L1015HU7) avait d'ailleurs modifié le Règlement national des pompes funèbres pour obliger les opérateurs funéraires à informer les familles, mais cette disposition du Règlement national n'a pas été codifiée dans le Code général des collectivités territoriales et le décret portant Règlement national des pompes funèbres a été abrogé par le décret de codification n° 2000-318 du 7 avril 2000 (N° Lexbase : L1014HU4). Cette obligation d'information a donc disparu alors qu'elle était indispensable. Les familles ignorent, souvent, que l'on peut ouvrir l'urne et disperser ou enterrer les cendres. De plus, les opérateurs funéraires vendent souvent des urnes inadaptées à l'usage que veut en faire la famille. Très souvent, les urnes ne peuvent pas être ouvertes facilement et ne peuvent pas être brisées, elles devraient alors être réservées au scellement sur les monuments funéraires et non pas vendues sans avertissement à la famille. Dans la culture française dominante, les urnes font peur et la familiarité avec elles est exclue. C'est pourquoi les familles devraient pouvoir acheter des urnes qui, une fois vidées, peuvent être brisées puis jetées, ou des urnes qu'il est possible de brûler ou de dissoudre dans l'eau (même si les cendres elles-mêmes n'ont pas été immergées). Enfin, mieux vaut conseiller aux familles de ne pas enterrer l'urne avec les cendres car un jour il y aura trop d'urnes dans le sous-sol dont on ne saura que faire. La petite loi a raté l'occasion d'imposer l'information des familles, mais la commune peut agir en exigeant que les opérateurs funéraires délivrent une documentation sur la question. Le conseil municipal peut, en effet, arrêter un règlement municipal des pompes funèbres que doivent respecter les opérateurs funéraires (CGCT, art. L. 2223-21 N° Lexbase : L8782AAI).

Le Sénat a choisi la solution la plus radicale, qui ne correspond nullement aux voeux des français, en interdisant le partage des cendres et le dépôt de l'urne dans une propriété privée. La personne qui pourvoit aux funérailles doit, désormais, utiliser les équipements cinéraires publics ou disperser les cendres en pleine nature. Ce qui signifie, en pratique, qu'elle a le choix entre faire des dépenses pour le dépôt de l'urne ou prendre, pour les membres de la famille, un risque psychologique en dispersant les cendres. La plupart des familles ont déjà le plus grand mal à faire face aux frais très élevés des funérailles et seront obligées de subir un traumatisme psychique si la dispersion n'est pas souhaitée et que leurs faibles moyens financiers les contraignent à ce choix.

La petite loi du Sénat restreint la liberté des funérailles mais, plus grave encore, elle nuit gravement au respect dû à la loi car les dispositions interdisant le partage des cendres et le dépôt de l'urne dans une propriété privée risquent fort de ne pas être respectées.

Les dispositions votées par le Sénat portent, également, atteinte au respect de la vie privée et à ses secrets. Il est prévu qu'en cas de dispersion des cendres en pleine nature, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie du lieu du décès et que l'identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre. Ces règles n'ont aucune utilité et n'empêchent nullement les déclarations mensongères. Surtout elles ne respectent pas la vie privée qui est protégée, tant par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, que par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (N° Lexbase : L1366A9H) auquel est rattaché le droit au respect de la vie privée (Cons. const., 23 juillet 1999, n° 99-416 DC N° Lexbase : A8782ACA). Une autre idée de la petite loi peut être contestée au regard de la protection de la vie privée. Il est prévu que l'espace aménagé pour la dispersion des cendres dans les sites cinéraires est doté d'un équipement mentionnant l'identité des défunts. L'accord pour cet affichage de la personne qui pourvoit aux funérailles n'est nullement exigé et c'est une atteinte au secret de la vie privée qui peut être d'autant plus gênante que diverses religions prohibent la pratique de la crémation.

La liberté religieuse est elle aussi malmenée car la proposition de loi interdit la conservation privée des urnes et sanctionne pénalement le fait d'utiliser ou de gérer, à titre onéreux ou gratuit, tout lieu collectif destiné au dépôt des urnes. Une telle contrainte prohibe les pratiques de certains courants bouddhistes et cela peut conduire au constat de la violation de l'article 9 de la CEDH sur la liberté religieuse (N° Lexbase : L4799AQS). La Cour européenne a déjà décidé que la manière d'enterrer les morts et d'aménager les cimetières pouvaient représenter un élément essentiel de la pratique religieuse (CEDH, décision du 10 juillet 2001, req. 41754/98, Johannische Kirche et Peters c/Allemagne).

C. L'atteinte à la liberté contractuelle

Le texte voté par le Sénat oblige les communes, et certains établissements publics de coopération intercommunale, de plus de 10 000 habitants à disposer d'un site cinéraire dans leurs cimetières. D'autre part, la délégation d'un site cinéraire n'est possible que s'il est contigu d'un crématorium. La proposition de loi prévoit, aussi, que les communes qui, en vertu des textes en vigueur, ont délégué un site cinéraire hors des cimetières et des crématoriums ont cinq ans pour en assurer la gestion directe. Elle exige, donc, la fin anticipée de certains contrats de délégation de service public en cours et malmène, ainsi, la liberté contractuelle. Cette disposition semble inconstitutionnelle car le Conseil constitutionnel exige que l'atteinte portée aux contrats légalement conclus soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sauf à ce que soient méconnues les exigences résultant des articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Cons. const., 13 janvier 2003, n° 2002-465 DC N° Lexbase : A6295A4W). Les impératifs de liberté et de sécurité juridique interdisent, donc, au législateur la modification inutile des contrats en cours telle qu'envisagée par le Sénat dans sa petite loi. Cette intervention du législateur sur la durée des contrats est, également, constitutive d'un non-respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Marie-Thérèse Viel
Maître de conférences à l'université Montesquieu-Bordeaux IV
Auteur de Droit funéraire et gestion des cimetières, Berger-Levrault 1999
Ancien membre du Conseil national des opérations funéraires

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