Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, Société centrale pour le financement de l'immobilier (Socfim), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
La prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur. |
Décision
Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, Société centrale pour le financement de l'immobilier (Socfim), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 14 décembre 2004, n° 04/34663, Mme Hélène Bonnet c/ Société Centrale pour le financement de l'immobilier, 33, avenue du Maine N° Lexbase : A9333DEE) Texte concerné : C. civ., art. 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) Mots-clés : contrat de travail ; résiliation judiciaire ; prise d'effet. Lien bases : |
Faits
Mme Bonnet, employée de la société Socfim, est intervenue en 1999 auprès de son employeur pour dénoncer le harcèlement moral qu'elle aurait subi de la part d'un supérieur hiérarchique. En avril 2001, l'intéressée n'a pas repris son travail pour cause de maladie. Elle a saisi le conseil de prud'hommes, par requête de 21 février 2003, d'une demande de résiliation du contrat de travail en invoquant le harcèlement moral et a réclamé des indemnités calculées à la date de l'audience de la plaidoirie. Il était reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fait prendre effet à la résiliation du contrat de travail de la salariée à la date de son prononcé et d'avoir condamné l'employeur à verser à la salariée diverses sommes au titre de cette rupture. Il était, notamment, argué que le juge qui prononce la résiliation judiciaire d'un contrat de travail aux torts d'un employeur ne peut en fixer la date qu'au jour où l'employeur a manqué à ses obligations ou au jour où la demande de résiliation a été formée. |
Solution
"Mais attendu qu'en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, sa prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur". Rejet du pourvoi. |
Observations
1. Les divergences quant à la date d'effet de la résiliation judiciaire
Parce qu'un contrat résolu est considéré comme n'ayant jamais été conclu, il est anéanti rétroactivement. Il en résulte que, si les obligations nées du contrat ont été exécutées totalement ou partiellement, chacun doit restituer ce qu'il a reçu (v., sur la question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 9ème éd., 2005, §§ 653 et s.). On sait, toutefois, qu'il est apporté un fort tempérament à cette règle pour les contrats à exécution successive. A leur égard, en effet, la résolution ne produit pas son effet d'anéantissement rétroactif et on ne revient donc pas sur l'exécution passée. En d'autres termes, ces contrats ne sont pas résolus mais résiliés pour l'avenir. Il en va ainsi des contrats de travail qui ne peuvent faire l'objet que d'une résiliation judiciaire. Cette solution étant acquise, reste à déterminer le moment précis de cet anéantissement partiel.
Faute, pour le Code civil, de comporter la moindre précision quant à la date d'effet de la résiliation judiciaire, c'est à la jurisprudence qu'est revenu le rôle de la déterminer. Or, il convient de constater que l'unanimité ne règne pas en la matière, puisque ont été retenus la date à laquelle le débiteur a cessé de remplir ses obligations (Cass. civ. 3ème, 28 janvier 1975, n° 73-13.420, SA Ent. Labbé et Cie c/ Société San Remo, publié N° Lexbase : A2689CKS), le jour de la demande en justice (Cass. com., 12 octobre 1993, n° 91-17.621, Société Locafrance et autre c/ Mme Moins et autres, publié N° Lexbase : A6474ABE) ou, encore, le jour où a été rendu l'arrêt qui la prononce (Cass. civ. 3, 13 mai 1998, n° 96-18.358, M. Hervais et autre c/ M. Inizan, publié N° Lexbase : A2811AC4). Jusqu'à l'arrêt commenté, la Chambre sociale n'avait pas véritablement adopté une position tranchée sur la question. Toutefois, et s'agissant du cas particulier de la résiliation judiciaire d'un contrat d'apprentissage, il avait été décidé que "le juge qui prononce la résiliation judiciaire du contrat d'apprentissage peut en fixer la date au jour où l'une des parties a manqué à ses obligations ou au jour où la demande de résiliation a été formée" (Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-40.125, FS-P N° Lexbase : A6587C9T ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, L'extension des sommes garanties par l'AGS, Lexbase Hebdo n° 90 du 16 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9088AAT). Sans doute, cette décision n'avait-elle pas échappé à la partie requérante qui reprochait, précisément, à la cour d'appel d'avoir fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du prononcé de l'arrêt, alors qu'elle ne pouvait en fixer la date qu'au jour où l'employeur a manqué à ses obligations ou au jour où la demande en résiliation a été formée. Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation fait produire effet à la résiliation au jour de la date de la décision judiciaire, dès lors qu'à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur. Cette solution ne s'explique que par des considérations très pragmatiques. 2. Une solution dictée par des considérations pratiques
Ainsi que nous l'avons vu précédemment, trois options sont offertes quant à la date d'effet de la résiliation judiciaire. Or, aucun argument juridique ne permet de faire véritablement pencher la balance d'un côté ou de l'autre. On pourrait, toutefois, avancer que la date à partir de laquelle l'un des cocontractants n'a plus rempli ses obligations doit être privilégiée, dans la mesure où c'est à partir de cette inexécution que l'équilibre voulu entre les parties entre leurs obligations interdépendantes a disparu (v., en ce sens, L. Leveneur, obs. ss. Cass. civ. 3, 13 mai 1998, préc. : Contrats, conc., consom. 1998, n° 113). Cette solution, comme celle consistant à faire remonter la date d'effet de la résiliation au jour où la demande en résiliation est formée, n'est cependant pas sans poser d'importantes difficultés pratiques, lorsque le salarié est toujours au service de son employeur le jour où le juge prononce la résiliation. En effet, ainsi qu'il est relevé dans le communiqué accompagnant la décision sous examen, "le contrat de travail, à la différence des autres contrats à exécution successive, comporte [...], au-delà de la prestation de travail proprement dite, une série d'autres droits concernant la personne du salarié et sa famille : couverture sociale de base, complémentaire, régimes de prévoyance, droit à la retraite de base et complémentaire, droits au titre de diverses allocations, etc. Une application rétroactive de la résiliation du contrat de travail est de nature à remettre en cause tellement d'éléments qu'elle relève donc de ce qu'un arrêt de la première chambre civile du 7 juin 1995 qualifiait 'd'impossibilité pratique' (Cass. civ. 1, 7 juin 1995, n° 93-15.485, Editions Glénat c/ Monsieur Bourgeon, publié N° Lexbase : A7814ABZ). Au surplus, dans un nombre non négligeable de cas, notamment lorsque la résiliation prononcée par le premier juge a fait l'objet d'un appel, ou lorsque c'est la cour d'appel qui la prononce, les effets de la résiliation pourraient remonter loin dans le temps, aggravant encore les effets pervers de la rétroactivité". On l'aura donc compris, c'est au regard de ces considérations très pragmatiques que la Chambre sociale décide que la date de prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être que celle de son prononcé par le juge, dès lors qu'au jour de ce prononcé, le salarié est toujours au service de son employeur. Il est difficile de ne pas approuver cette solution qui, en fin de compte, préserve la règle selon laquelle la résiliation n'a d'effet que pour l'avenir et n'oblige pas à revenir sur l'exécution passée de la relation contractuelle.
En premier lieu, et ainsi que l'indique très clairement la Cour de cassation, la solution retenue ne vaut que dans la mesure où le salarié est toujours au service de son employeur au jour du prononcé de la décision judiciaire prononçant la résiliation du contrat. Dans le cas contraire, le juge se retrouvera à nouveau confronté à la nécessité de choisir entre les trois options évoquées précédemment. A notre sens, la date à laquelle l'employeur a manqué à ses obligations devrait alors être privilégiée, sauf à ce que cette solution se retourne contre le salarié victime de l'inexécution. En second lieu, et compte tenu des termes du motif de principe de l'arrêt sous examen ("en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail"), on peut penser que la solution retenue vaut pour tous les contrats de travail. En d'autres termes, il en ira, également, ainsi pour la résiliation judiciaire des contrats d'apprentissage, dès lors que l'apprenti est toujours au service de son employeur à la date de la décision prononçant celle-ci.
Gilles Auzero (1) Ainsi qu'il a été relevé (T. Grumbach et J. Pélissier, Rev. dr. trav. 2007, p. 28), la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu 17 arrêts concernant la résiliation judiciaire au cours des mois d'octobre et novembre 2006 (23 pendant la période septembre-novembre 2006). A cela, il convient, encore, d'ajouter l'important arrêt rendu le 20 décembre dernier (Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.539, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0561DTX ; lire les obs. de Ch. Radé, Licenciement et résiliation judiciaire du contrat de travail : mode d'emploi (suite... et certainement pas fin !), Lexbase Hebdo n° 243 du 11 janvier 2007 - édition sociale N° Lexbase : N7200A9K). |
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