Réf. : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-13.461, Société Natexis banques populaires, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9940DSX)
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N8132A93
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le 07 Octobre 2010
La position de la Cour de cassation n'est pas dépourvue de paradoxe. Rapprochant la garantie autonome du cautionnement à travers la question de la naissance du recours personnel du garant (I), elle les oppose nettement quant à la question de la compensation pour dettes connexes intervenant postérieurement à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre du donneur d'ordre (II).
I - La naissance de la créance de recours du garant ou le rapprochement de la garantie autonome et du cautionnement
Nul besoin de rappeler, ici, que la date de naissance d'une créance présente un intérêt majeur en droit des entreprises en difficulté. La distinction entre les créances antérieures et postérieures conditionne très largement les chances, pour un créancier, d'obtenir un paiement (3). A ce titre, la question du fait générateur de la créance de recours d'un garant autonome suscite une controverse que la Cour de cassation tranche, pour la première fois à notre connaissance, à travers cet arrêt. La créance de recours naît-elle au moment de la conclusion du contrat de garantie ou au contraire à l'occasion du paiement fait par le garant au bénéficiaire ? C'est à cette question que répond la Cour de cassation, prenant très nettement partie pour la première hypothèse. Ce faisant, la Cour opère un rapprochement significatif entre la garantie autonome et le cautionnement.
A - Le paiement n'est pas le fait générateur de la créance de recours du garant
Au même titre que la caution, le garant autonome dispose, après paiement, d'un double recours : personnel et subrogatoire. En l'absence de texte et malgré les difficultés posées par l'autonomie de la garantie (4), la doctrine s'accorde très largement sur cette possibilité (5). Dès lors que le garant exécute son obligation postérieurement au jugement d'ouverture, la question de la date de naissance de sa créance de recours devient déterminante. Si l'on considère que le paiement fait naître sa créance de recours, alors le garant est éligible au rang des créanciers privilégiés de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L6884AIS) (6). C'est, en l'espèce, le raisonnement du pourvoi : "en décidant que la créance prenait naissance au jour de la conclusion du contrat, et en privant la banque dont elle constatait qu'elle avait effectué des paiements à titre de garant pendant la période d'observation, du bénéfice de l'article L. 621-32 du Code de commerce, la cour d'appel a violé les articles 2028 du Code civil et L. 621-32 du Code de commerce" (7).
A titre liminaire, soulignons que la controverse relative à la date de naissance de la créance de recours du garant ne se justifie qu'en matière de recours personnel. Dès lors qu'est en cause le recours subrogatoire, la question ne soulève guère de difficulté. Le recours subrogatoire de la caution s'appuie sur les règles du droit commun de la subrogation. Ainsi, l'effet translatif de la subrogation a-t-il pour effet de transférer la créance du subrogeant sur la tête du subrogé. Comme le souligne une doctrine avisée, la subrogation "a pour objet la créance même du subrogeant avec son caractère, sa date [souligné par nos soins], ses accessoires et tous ses effets" (8). Dès lors, le fait générateur de la créance ne saurait être autre que la date de naissance de la créance garantie (9). Or, dans notre espèce, celle-ci étant manifestement antérieure au jugement d'ouverture, toute discussion sur la date de naissance de la créance subrogatoire eut été vaine. On ne sera donc pas étonné que le demandeur au pourvoi plaide sur le terrain du "recours personnel" du garant autonome.
La question prend, alors, une toute autre envergure. Alors que le subrogé recueille dans son patrimoine une créance existante, le recours personnel constitue une créance nouvelle et autonome de la précédente. Les apparences portent, ainsi, à croire que c'est le paiement par le garant au bénéficiaire qui fait naître la créance de recours dans son patrimoine. C'est d'ailleurs une tentation à laquelle ont cédé certains juges du fond, au moins en matière de cautionnement (10). C'est, également, le raisonnement du pourvoi qui affirme que "la créance de recours personnel du garant naît de son paiement". L'argument semble s'appuyer sur le bon sens. Le garant, qu'il soit accessoire ou non, n'est en mesure d'exercer son recours personnel qu'après paiement. C'est donc l'exécution de son obligation qui paraît être le fait générateur de la créance de recours. Cette hypothèse est, pourtant, clairement rejetée par la Cour de cassation qui approuve les juges du fond d'avoir retenu que "la créance de recours du garant contre le donneur d'ordre prenait naissance à la date à laquelle l'engagement à première demande autonome avait été souscrit". La solution, inédite en matière de garantie autonome, n'est pourtant pas nouvelle, la Cour de cassation l'avait, en effet, affirmé à propos du cautionnement (11).
B - Le paiement au bénéficiaire, fait "révélateur" de la créance de recours
Au vu de l'arrêt rapporté, c'est la date de conclusion du contrat de garantie qui constitue le fait générateur de la créance. La conséquence est que le garant qui a payé postérieurement au jugement d'ouverture reste un créancier antérieur dès lors que le contrat de garantie a été conclu avant cette date. La solution ne semble pas faire l'unanimité en doctrine. Déjà, à l'occasion des arrêts rendus en matière de cautionnement, certains auteurs n'hésitaient pas à marquer leur désaccord avec une telle solution. Le professeur Pierre-Michel Le Corre a relevé le paradoxe d'un tel raisonnement : "voilà un recours personnel après paiement qui prend naissance...avant paiement" (12). A l'inverse, certains auteurs militaient en faveur de l'adoption d'une telle solution (13). La créance du garant prendrait, selon eux, naissance dans le contrat de garantie. Il existerait, au jour de la conclusion du contrat de garantie, une créance latente de recours.
Il faut souligner que la solution était justifiée par le recours avant paiement de la caution : "peut être pourrait-on considérer [...] que la créance de la caution contre le débiteur principal existe virtuellement dès le jour de son engagement, puisqu'elle a, dans certains cas, un recours contre ce débiteur même avant d'avoir payé" (14). Que l'on soit ou non convaincu par l'analyse, force est d'admettre que ce recours avant paiement est inexistant en matière de garantie autonome (15) et qu'il faut ainsi rechercher ailleurs la justification de la solution de la Cour de cassation.
Sans doute l'opportunité a-t-elle guidé la solution. Le contexte des procédures d'insolvabilité se nourrit d'antagonismes. Admettre le paiement du garant comme fait générateur de la créance aurait inévitablement conduit à aggraver la situation du débiteur. En pratique, les garants auraient retardé le paiement après l'ouverture de la procédure pour bénéficier des dispositions de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce. En droit, l'analyse de la créance de recours faite, en l'espèce, par la Cour de cassation entretient une certaine parenté avec le mécanisme de la condition. La créance du garant apparaît comme suspendu à cet évènement futur et incertain qu'est le paiement. Faute d'être fait générateur de la créance, le paiement apparaît ainsi comme "révélateur" de l'existence de celle-ci.
Une telle solution renforce, sans aucun doute, le traitement unitaire de la garantie autonome et du cautionnement. On observe, en effet, un alignement progressif du régime du recours de ces deux garanties personnelles. Cependant, le rejet de la connexité, en l'espèce, tempère une telle lecture. La Cour de cassation n'hésite pas à tirer argument du caractère autonome de la garantie pour faire échec au remboursement du garant solvens (II).
II - Le remboursement du garant ou l'opposition de la garantie autonome au cautionnement
La Cour de cassation ne se prononce pas seulement sur la naissance de la créance de recours. Elle profite de l'espèce pour souligner que l'autonomie de la garantie ne permet pas au garant d'invoquer la compensation de dettes connexes mise en pratique par une inscription au compte courant du donneur d'ordre après ouverture à son encontre d'une procédure de redressement (A). Cette approche est en rupture avec l'élan unitaire décrit précédemment et tend à éloigner la garantie autonome du cautionnement. Cela favorise nécessairement les besoins de la procédure de redressement judiciaire du donneur d'ordre (B).
A - L'autonomie de la garantie exclusive de toute compensation pour dettes connexes
Le deuxième apport de l'arrêt se trouve dans le refus de la connexité des créances et dettes réciproques entre le garant autonome et le donneur d'ordre en raison, précisément, de l'autonomie de l'engagement. Cette solution n'est pas nouvelle. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 6 mars 2001 déclarait (16) que "le caractère autonome de la contre-garantie à première demande excluait la connexité". La solution confirmée par notre décision fait donc jurisprudence.
La connexité était, jusqu'ici, une notion appréhendée de façon assez souple (17). En effet, pour apprécier la connexité, il fallait, au départ, considérer les créances nées de l'exécution du contrat ou de son inexécution. La connexité s'est étendue aux créances réciproques qui se rattachent à une même convention-cadre et plus encore, par la suite, aux créances issues de contrats différents mais qui s'insèrent dans un ensemble contractuel unique. Une telle connexité lato sensu aurait pu se retrouver en l'espèce. En effet, la présence d'un compte courant entre le garant et le donneur d'ordre comprenant une clause de fusion de comptes provoquait cette connexité. Cette connexité reposerait sur une particularité du mécanisme du compte courant, le principe de l'affection générale des créances. Par ce dernier, les parties conviennent d'affecter au compte leurs créances respectives à venir en vue de leur transformation en un solde nouveau... Il apparaissait, ainsi, logique que la banque garante inscrive au débit de ce compte le montant de la créance payée au tiers bénéficiaire.
La garantie autonome marque son originalité en ce qu'elle ne permet plus ce que, jusqu'ici, -malgré certaines réticences (18)- on accordait par voie d'exception (19). L'ouverture d'une procédure collective gelait, et gèle encore (20), les paiements des créances antérieures et donc, dans notre espèce, le paiement du garant par le donneur d'ordre. De sorte qu'une compensation légale intervenant après le jugement d'ouverture n'est pas possible. Seule exception : la compensation de dettes connexes. La solution de la Cour de cassation met fin à cette exception à l'encontre des garanties autonomes, alors qu'elle demeurera pour le cautionnement (21). C'est, en effet, le "caractère autonome" de la garantie qui justifie, selon la Cour de cassation, l'exclusion de la connexité.
Le garant devra à l'avenir, s'il veut jouer par voie d'inscription au débit du compte courant, s'assurer que les dettes et créances réciproques sont certaines, liquides et exigibles avant le jugement d'ouverture. Et c'est précisément là que peut être portée un instant la discussion. En l'espèce, seule la condition de l'exigibilité est réunie après le jugement. Le mécanisme de la compensation légale ne peut donc pas jouer. Pour autant, n'est-il pas possible, l'espace d'un instant, d'introduire l'idée -bien qu'elle semble définitivement condamnée dans l'appréciation actuelle de la cessation des paiements (22)- de ce que l'exigibilité se différencie du moment où la créance certaine, liquide et exigible est réellement ou plutôt effectivement exigée. Ce qui pourrait laisser une marge de manoeuvre en faveur du banquier garant. Telle n'est apparemment pas la tendance de la Cour de cassation.
Au demeurant, le banquier garant, demandeur au pourvoi, semble avoir fait sienne les autres traits de caractère de la garantie à première demande et, ce faisant, accepté son triste sort. Son éloignement du contrat principal entraîne pour le garant autonome l'impossibilité d'opposer quelque exception au tiers bénéficiaire que ce soit (23). Rigueur de la première demande oblige. En l'espèce, le garant a réglé à première demande les deux créanciers. Il n'a pas opposé d'exceptions qui n'auraient pu, en tout état de cause, être validées.
Il a, également, fait sienne une jurisprudence relativement ancienne (24) qui veut qu'en cas de continuation du contrat, ce dernier le soit sans aucune modification de la part de l'administrateur à la procédure collective. Ce qui n'était, selon lui, pas le cas ici puisque les administrateurs auraient mis fin au caractère courant du compte pour s'en servir de simple réceptacle des sommes inscrites au profit du donneur d'ordre. Et non plus des crédits et des débits... Raison pour laquelle la première branche du second moyen est en ce sens.
Les conseils de la banque garante ont été avisés de lui faire déclarer en temps et en heure la créance à la procédure en vue d'une compensation de dettes connexes (25).
Tous les éléments pour permettre la compensation de dettes connexes étaient réunis. Le double rejet auquel conduit la solution de la Cour de cassation, s'il peine à être justifié, marque d'autant plus l'écart entre le mécanisme de la garantie à première demande et son frère ennemi, le cautionnement. Sans doute cela conduit à favoriser l'entreprise -le donneur d'ordre- en redressement.
B - L'autonomie de la garantie au secours de la procédure...
La solution est d'autant rigoureuse pour le garant que la situation présentait quelques caractéristiques spécifiques. D'une part, le compte était un compte courant et de ce fait une inscription en compte fait disparaître la dette au profit du solde. La créance en question est fondue dans le solde. Ce dernier n'est exigible en vue de la compensation invoquée qu'à la clôture. D'où l'argument, semble-t-il, de la deuxième branche du second moyen, de faire constater par lettre l'antériorité au jugement d'ouverture de la clôture du compte.
D'autre part, la demande du garant solvens vise son remboursement par le donneur d'ordre après s'être acquitté à première demande au profit du tiers bénéficiaire. Il s'agit, non plus du mécanisme de la garantie autonome stricto sensu -qui a été respecté-, mais de faire application des règles relatives à la répartition de la charge définitive de la dette. Or, celle-ci repose sur les épaules, fragiles ici, du donneur d'ordre. Ce qui est identique au fonctionnement du cautionnement pour la caution solvens. La question, à ce stade de l'analyse, conduit à se demander s'il est pertinent de maintenir artificiellement une différence de régime entre la garantie à première demande et le cautionnement au stade de la contribution à la dette...
La conséquence principale de cette solution est, dans les faits, de ne pas permettre au garant d'obtenir le remboursement des sommes payées en raison précisément d'une procédure collective ouverte à l'encontre du donneur d'ordre. La Cour de cassation se retrouvait à devoir départager deux branches du droit. Le droit du crédit, qui a pour but de financer l'activité économique d'une part, et le droit des entreprises en difficulté, qui a pour principal objectif d'assurer le redressement de l'entreprise, d'autre part. Elle tranche le dilemme en faveur des entreprises en difficulté. Cette solution n'est-elle pas une vision à court terme ? En effet, le droit des entreprises en difficulté dépend étroitement et pour une portion substantielle du crédit -donc du droit du crédit-. De sorte qu'en ne permettant pas à la banque garante de percevoir son remboursement, le risque est grand de voir décliner l'intérêt du mécanisme ou à tout le moins l'intérêt que lui portent les banquiers. Ce qui, en termes de résultat, se mesure -se mesurera ?- de la même façon. L'idée peut être renforcée par le fait que la procédure emporte, non pas liquidation judiciaire, mais cession de l'entité en cause. La situation n'est-elle pas trop favorable au débiteur en redressement ?
La solution laisse perplexe, l'autonomie devient -comme le fut le caractère accessoire du cautionnement- une notion fonctionnelle qui vise uniquement à assurer les objectifs de la procédure. A vrai dire, une telle position jurisprudentielle trouve un "précédent législatif". La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 n'a pas hésité, elle aussi, à instrumentaliser l'autonomie de la garantie. On notera, à titre d'exemple, que les garants autonomes bénéficient, au même titre que les cautions, des mesures prévues par l'accord homologué dans le cadre d'une procédure de conciliation (26).
Antoine Ricard
ATER à l'Université d'Evry Val d'Essonne
Géraud Mégret
Moniteur-Allocataire à l'Université Paris I
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