Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.663, Société Courriers de Seine et Oise (CSO), FS-P+B (N° Lexbase : A4829DTZ)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Les salariés qui se mettent en grève sans respecter le préavis de 5 jours francs de l'article L. 521-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6608ACQ) commettent une faute lourde que l'employeur est en droit de sanctionner, dès lors que ce dernier les avait informés du caractère illicite du préavis. |
Décision
Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.663, Société Courriers de Seine et Oise (CSO), FS-P+B (N° Lexbase : A4829DTZ) Cassation partielle sans renvoi (CA Versailles, 6ème chambre civile, 23 novembre 2004) Texte visé : C. trav., art. L. 521-3 (N° Lexbase : L6609ACR) Mots-clefs : grève ; secteur public ; préavis. Lien bases : |
Faits
1. Un préavis fixant le déclenchement d'une grève au 1er décembre 2002 est parvenu le 26 novembre à la société Courriers de Seine et Oise, qui est chargée de la gestion d'un service public de transports de personnes. Mme Fauconnier, conducteur-receveur, a cessé le travail le 2 décembre 2002. La sanction de la mise à pied d'une durée de 4 jours pour ne pas avoir pris son service à cette date lui a été notifiée le 31 janvier 2003. 2. Elle en a demandé l'annulation judiciaire. Pour décider que la salariée n'avait commis aucune faute en participant au mouvement de grève à partir du 2 décembre 2002 et annuler la sanction, l'arrêt infirmatif relève qu'elle était de repos le 1er décembre et que peu importait que le préavis ait été irrégulier, dès lors qu'elle avait, elle-même, respecté le délai de prévenance de 5 jours francs après la notification du préavis. |
Solution
1. "Vu l'article L. 521-3 du Code du travail" ; "Attendu que, selon ce texte, lorsque les personnes mentionnées à l'article L. 521-2 du Code du travail font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d'un préavis qui émane de l'organisation ou d'une des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national et qui doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité hiérarchique, ou à la direction de l'établissement ; il en résulte que la grève déclenchée moins de cinq jours francs avant la réception du préavis est illégale et que les salariés qui s'y associent, même après l'expiration de ce délai en dépit d'une notification de l'employeur attirant leur attention sur l'obligation de préavis, commettent une faute disciplinaire que l'employeur est en droit de sanctionner". 2. "En statuant ainsi, alors qu'il résultait du jugement qui lui était déféré que, par une note du 28 novembre 2002, l'employeur avait informé l'ensemble des salariés de l'entreprise du caractère illégal de la grève en raison du non-respect du délai légal de préavis et que l'existence de cette notification, invoquée devant elle par l'employeur n'était pas discutée par la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé". 4. "Et attendu que la Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée en application de l'article 627 du Nouveau code de procédure civile" (N° Lexbase : L2884AD8) ; "Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a annulé la mise à pied notifiée le 31 janvier 2003 et condamné la société les Courriers de Seine et Oise à payer à Mme Fauconnier le salaire de la mise à pied et les congés payés afférents et une somme sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL) , l'arrêt rendu le 23 novembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; dit n'y avoir lieu à renvoi ; confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Poissy le 23 janvier 2004 ; condamne Mme Fauconnier aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes". |
Commentaire
1. Rappel du caractère collectif du préavis de grève dans les services publics
Si les salariés du secteur privé ne sont légalement astreints à aucune obligation de préavis, il en va différemment dans les entreprises en charge d'un service public. L'article L. 521-3 du Code du travail dispose, en effet, que "lorsque les personnels mentionnés à l'article L. 521-2 font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d'un préavis". Ce texte détermine à la fois les mentions qui doivent figurer sur le préavis ainsi que le délai de 5 jours francs qui doit séparer son dépôt du déclenchement de la grève (lire P. Waquet, La grève dans les services publics, RJS 2003, p. 275). La jurisprudence a été conduite à préciser l'objet du préavis, qui peut "porter sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours" (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-17.116, Société lyonnaise des transports en commun (SLTC), FS-P+B N° Lexbase : A8444DPG ; lire notre chron., Grève et services publics : le dépôt de préavis 'en liasses' est licite, Lexbase Hebdo n° 220 du 22 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9860AKE). Elle a, également, affirmé qu'"aucune disposition légale n'interdit à plusieurs organisations syndicales représentatives de présenter chacune un préavis de grève ; qu'il en résulte que chacune peut prévoir une date de cessation du travail différente" (Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-15.709, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1308DB3 ; lire notre chron., Grève et services publics : ne confondez pas grèves tournantes et préavis tournants !, Lexbase Hebdo n° 107 du 12 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0498AB3). Les salariés ne peuvent se mettre en grève sans respecter les termes du préavis. Plus exactement, les salariés doivent tous cesser et reprendre le travail collectivement, comme l'exige l'article L. 521-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6610ACS) (Cass. soc., 3 février 1998, n° 95-21.735, Société CGFTE c/ Syndicat CGT et autre, publié N° Lexbase : A2483ACX ; Dr. soc. 1998, p. 294, obs. J.-E. Ray ; JCP éd. G, 1998, II, 10030, rapp. P. Waquet ; D. 1998, p. 169, note Y. Saint-Jours). Ils peuvent, en revanche, parfaitement différer le déclenchement de la grève et reprendre le travail plus tôt, dès lors que les périodes où le travail a cessé sont bien comprises dans le préavis (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-45.659, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Allias et autres, publié N° Lexbase : A6658C84 ; Cass. soc., 29 février 2000, n° 98-43.145, Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) c/ M. Joseph Alberton et autres, inédit N° Lexbase : A8978C4B ; Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-22.328, Société Semvat c/ M. Jean-Luc Rueff, F-D N° Lexbase : A7498BSI).
Cet arrêt apporte une précision inédite et intéressante concernant les obligations qui pèsent sur les salariés lorsque le préavis de grève ne respecte pas le principe du délai de 5 jours francs. Dans cette affaire, en effet, le préavis n'avait laissé qu'un délai de 5 jours non francs entre le dépôt et le jour du déclenchement, c'est-à-dire que le jour du dépôt avait, à tort, été pris en compte par le syndicat. Le chef d'entreprise en avait immédiatement averti les salariés, par note de service, mais l'une d'entre-elles avait décidé de se mettre tout de même en grève en respectant individuellement le délai légal de préavis de 5 jours francs. Son employeur lui avait infligé une mise à pied disciplinaire de 4 jours, ce que l'intéressée contestait judiciairement. La cour d'appel de Versailles lui avait donné raison et considéré que la salariée n'avait commis aucune faute, dans la mesure où elle avait bien respecté l'exigence légale de 5 jours francs. L'arrêt est cassé, la Cour de cassation considérant que "la grève déclenchée moins de cinq jours francs avant la réception du préavis est illégale et que les salariés qui s'y associent, même après l'expiration de ce délai en dépit d'une notification de l'employeur attirant leur attention sur l'obligation de préavis, commettent une faute disciplinaire que l'employeur est en droit de sanctionner".
La solution retenue est parfaitement logique. En premier lieu, il convient de rappeler que le préavis de grève constitue, pour les salariés, une condition préalable de l'exercice du droit de grève. Sans préavis syndical, le droit de grève demeure une simple prérogative sans aucune effectivité. Le préavis fait donc écran entre le droit de grève et les salariés. Permettre à ces derniers de faire valablement grève alors que le préavis serait irrégulier équivaudrait alors à nier l'exigence même du préavis, et donc à violer purement et simplement l'article L. 521-3 du Code du travail. En second lieu, le caractère "collectif" de la grève est fortement prononcé dans les services publics, comme en témoigne l'article L. 521-4 du Code du travail qui impose un déclenchement et une cessation du mouvement simultanée, et donc collective. Il n'y a donc pas lieu d'individualiser l'analyse du caractère licite ou illicite du comportement des salariés qui doit, au contraire, s'apprécier collectivement. 2. Les sanctions applicables aux grévistes La solution semble, également, parfaitement justifiée et en tout point conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
On rappellera, tout d'abord, que la faute lourde du salarié gréviste s'analyse comme une faute volontaire, si ce n'est intentionnelle. La jurisprudence exige, en effet, classiquement, que la preuve de la conscience de violer les dispositions légales en matière de préavis soit rapportée par l'employeur pour que la faute lourde soit établie et que des sanctions puissent valablement être prononcées (Cass. soc., 5 juin 1984, n° 81-42.229, SA Softranet c/ Abdelahi, Draa, Zarouzi, Benchekour, Bendoudhou, Smaali et autres N° Lexbase : A2322AZZ : "les salariés, dont l'attention n'avait pas été appelée sur l'obligation de préavis incombant en cas de grève au personnel des entreprises privées lorsqu'elles sont chargées de la gestion d'un service public, n'avaient pas enfreint sciemment les dispositions de l'article L. 521-3 du Code du travail ; qu'aucune faute lourde ne pouvant dès lors leur être imputée dans l 'exercice du droit de grève" ; Cass. crim., 10 mai 1994, n° 93-82.603, Lussiez Georges, inédit N° Lexbase : A8488CQG ; D. 1995, somm. P. 371, obs. Debord : "tout manquement au délai de préavis étant imputable à ceux qui l'ont donné, une faute lourde ne pourrait être reprochée aux autres salariés que si leur attention avait été attirée sur l'obligation de respecter le préavis incombant au personnel des entreprises privées chargées de la gestion d'un service public" ; Cass. soc., 8 octobre 2003, n° 01-43.220, F-D N° Lexbase : A7173C9K ; même solution pour le Conseil d'Etat : CE Contentieux, 8 janvier 1992, n° 90634, Ciejka N° Lexbase : A5349ARK ; Dr. soc. 1992, p. 469, concl. M. Pochard). Or, tel avait bien été le cas en l'espèce, dans la mesure où l'employeur avait rapidement adressé une note de service aux salariés pour attirer leur attention sur l'irrégularité affectant le préavis, circonstance qui a, d'ailleurs, été relevée par la Cour dans l'arrêt : "il résultait du jugement qui lui était déféré que, par une note du 28 novembre 2002, l'employeur avait informé l'ensemble des salariés de l'entreprise du caractère illégal de la grève en raison du non-respect du délai légal de préavis et que l'existence de cette notification, invoquée devant elle par l'employeur n'était pas discutée par la salariée".
Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser, en 2003, que toutes les irrégularités affectant le préavis ne permettent pas de caractériser l'existence d'une faute lourde et, singulièrement, pas les simples irrégularités de forme (Cass. soc., 25 février 2003, n° 00-44.339, FS-P N° Lexbase : A3037A7M ; Dr. soc. 2003, p. 554, et les obs.). Nous avions, à l'époque, relevé qu'a contrario le principe du préavis, ainsi que le délai de 5 jours francs, constituaient des exigences substantielles permettant de mettre en cause la responsabilité disciplinaire du gréviste en cas de non-respect. C'est bien ce que confirme cet arrêt. |
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