La lettre juridique n°245 du 25 janvier 2007 : Procédures fiscales

[Textes] Le recours de l'administration à des conseils extérieurs

Réf. : Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006, art. 99 (N° Lexbase : L9270HTI)

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

L'article 99 de la loi de finances rectificative pour 2006 (loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 N° Lexbase : L9270HTI ; JO n° 303 du 31 décembre 2006, p. 20228) insère, après l'article L. 103 du Livre des procédures fiscales (LPF) (N° Lexbase : L8485AEY), un nouvel article L. 103 A aux termes duquel, à compter du 1er janvier 2007, "L'administration des impôts peut solliciter toute personne dont l'expertise est susceptible de l'éclairer pour l'exercice de ses missions d'étude, de contrôle, d'établissement de l'impôt ou d'instruction des réclamations, lorsque ces missions requièrent des connaissances ou des compétences particulières". Ce même article poursuit en précisant que "l'administration peut communiquer à cette personne, sans méconnaître la règle du secret professionnel, les renseignements destinés à lui permettre de remplir sa mission" étant observé que "les personnes consultées sont tenues au secret professionnel dans les conditions prévues par l'article L. 103".

Jusqu'à l'intervention de cette disposition, l'administration fiscale ne pouvait faire appel qu'à des experts du secteur public pour certaines activités strictement définies dans le cadre d'une procédure de contrôle fiscal (LPF, art. L. 45 A N° Lexbase : L5589G4R) ou d'une procédure contentieuse (LPF, art. L. 198 A N° Lexbase : L8479AER).

Ces articles sont abrogés par l'article 99 de la loi de finances rectificative pour 2006. Il sera, toutefois, rappelé, pour mémoire, le champ d'application et la portée de ces dernières dispositions.

- En premier lieu, l'article L. 45 A du LPF prévoyait, dans son premier alinéa, que l'administration pouvait faire appel à des conseils techniques d'agents de l'Etat ou des établissements publics figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé du Budget, lorsqu'une vérification de comptabilité ou une procédure de rectification requiert des connaissances particulières. La liste, figurant dans un arrêté du 9 janvier 1984 modifié (JO NC, 29 janvier 1984 ; instruction du 22 mai 1984, BOI n° 13 L-2-84), déterminait les agents de l'Etat ou des établissements publics auxquels l'administration fiscale pouvait faire appel pour recueillir des conseils techniques.

Cette procédure se trouvait très encadrée, puisqu'elle nécessitait la prise d'un arrêté ministériel pour inscrire une nouvelle personne sur la liste, ce qui constituait un frein à sa mise en oeuvre. Par ailleurs, elle ne s'appliquait que dans le cadre du contrôle. En outre, le deuxième alinéa de l'article L. 45 A précisait que ce recours à des agents externes n'était applicable qu'aux entreprises, et à leurs sociétés mères et filiales, le cas échéant, dont le chiffre d'affaires total dépassait trois millions d'euros. Cette restriction ne valait, toutefois, pas pour l'appréciation du caractère brevetable d'une invention (CGI, art. 39 terdecies-1 N° Lexbase : L1451HLC).

Les agents de l'Etat et des établissements publics désignés pour cette procédure se trouvaient tenus au secret professionnel dans les termes de l'article L. 103 du LPF précité.

- En second lieu, l'article L. 198 A du LPF étendait cette possibilité, dans les mêmes conditions restrictives, aux instructions d'une réclamation formulée par le contribuable qui requièrent des connaissances techniques particulières.

Ces dispositions portant sur le recours exclusif de l'administration fiscale à "des conseils techniques d'agents de l'Etat ou des établissements publics" sont à rapprocher de celles des articles L. 45 B (N° Lexbase : L5590G4S) et R. 45 B-1 (N° Lexbase : L2041AEC) du LPF portant sur la vérification de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses pises en compte pour la détermination du crédit impôt recherche (CGI, art. 244 quater B N° Lexbase : L3415HNS) par des agents du ministère chargé de la Recherche, des articles L. 45 D (N° Lexbase : L5591G4T) et R. 45 D-1 du LPF (N° Lexbase : L7757AEZ) portant sur le contrôle de la réalité et le bien-fondé des dépenses de formation exposées par les employeurs au titre de crédit impôt-formation (CGI, art. 244 quater C N° Lexbase : L5076HLL) par les agents commissionnés par l'autorité administrative de l'Etat chargée de la formation professionnelle.

Elles en diffèrent par le fait que les premières visent le recours à une expertise, alors que les secondes visent la participation d'agents de ministères techniques pour des opérations de contrôle dans les domaines spécifiques de la recherche ou de la formation.

Il convient d'observer que, lors de l'examen du texte, figurant à l'origine du projet sous l'article 31 (projet de Loi de finances rectificative pour 2006, art. 31), devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, des positions extrêmes ont été soutenues par les parlementaires, les uns souhaitant sa suppression, les autre souhaitant, au contraire, au nom du principe de cohérence et d'efficacité, son élargissement en permettant tant aux parlementaires qu'au contribuable de solliciter à leurs frais une expertise externe.

Ainsi, il est apparu pour certains (M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera), à travers la rédaction de ce texte, une remise en cause de la compétence des agents du ministère des Finances qui ne seraient pas en mesure de procéder à l'expertise de la législation et ont, en conséquence, proposé sa suppression par voie d'amendement.

Pour d'autres, en revanche, (MM. Fourgous, Dassault, Giscard d'Estaing et Novelli), l'aspect novateur du texte les a conduit à proposer de compléter, par voie d'amendement, le IV de l'article 164 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 (N° Lexbase : L8064AII) par un alinéa étendant au profit des présidents, des rapporteurs généraux et des rapporteurs spéciaux des commissions en charge des affaires budgétaires les facilités accordées à l'administration fiscale pour recourir, également, à des expertises extérieures.

Ainsi, "Pour l'exercice des missions mentionnées au sixième alinéa ci-dessus, les présidents, les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux des commissions en charge des affaires budgétaires peuvent, pour des enquêtes à caractère technique, se faire assister, sous leur autorité et sous leur contrôle, par des agents des assemblées du Parlement ainsi que par tout organisme ou personne indépendante et qualifiée dans le domaine du contrôle et de l'évaluation, figurant sur une liste établie par le bureau de la commission des finances de chaque assemblée".

Enfin, les derniers (M.M. Charles de Courson et Philippe Marini), revenant à des considérations plus fiscales, ont proposé par voie d'amendement une modification du texte tendant à obliger l'administration fiscale, sur la demande de tout contribuable, à recourir à un expert extérieur pour l'évaluation des éléments des entreprises servant d'assiette aux droits d'enregistrement ou à l'impôt de solidarité sur la fortune.

M. Charles de Courson a, en effet, exposé que "l'article 31 du projet de loi de finances rectificative prévoit la possibilité pour l'administration de faire appel à un expert extérieur pour l'exercice de ses missions. Cette possibilité pourrait se révéler particulièrement intéressante en matière d'évaluation des entreprises, opération nécessaire en différentes circonstances (successions, donations, ventes, etc.) et qui conditionne souvent la pérennité desdites entreprises. L'évaluation doit donc être réalisée dans des conditions de sécurité juridique maximum. Or, elle nécessite de grandes compétences techniques et une bonne connaissance des spécificités et de l'environnement de chaque entreprise. Afin d'obtenir la valorisation la moins contestable et d'offrir une véritable sécurité juridique, il est souhaitable que le recours par l'administration à un expert extérieur puisse être demandé par le contribuable lui-même".

Toutefois, le Rapporteur général a estimé que cette extension du texte n'était pas opportune dans la mesure où "l'administration doit rester libre de juger de sa propre compétence et qu'il n'est donc pas souhaitable de lui imposer de répondre à toute sollicitation d'un contribuable, ce qui engendrerait en outre des coûts non maîtrisés".

Devant la commission des finances du Sénat, la même extension fut reprise au motif que le recours à une expertise extérieure "à la demande du redevable", et à ses frais, s'avèrerait plus particulièrement utile dans les secteurs de l'impôt où les contentieux sont les plus nombreux.

C'est ainsi que son Rapporteur général a proposé un amendement ouvrant la faculté pour le redevable de demander à l'administration fiscale "une expertise externe dans les conditions fixées par l'article L. 103 A du Livre des procédures fiscales, dans le cadre d'une transmission à titre gratuit ou onéreux, ou de l'impôt de solidarité sur la fortune, à des fins d'évaluation des parts ou des actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ou d'évaluation de l'ensemble des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels affectés à l'exploitation d'une entreprise ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale agricole ou libérale".

Toutefois, ces amendements seront retirés et le texte d'origine du projet sera adopté sans aucune modification. Ce texte, qui se voulait novateur en instaurant le recours à des experts extérieurs, indépendants venant du secteur privé et apportant une valeur ajoutée au travail de l'administration pour remédier à des dispositions existantes d'utilisation marginale et aux potentialités limitées, trouve donc sa portée réduite en laissant à la seule initiative de l'administration la faculté de recueillir un éclairage extérieur pour l'exercice de ses missions d'étude, de contrôle, d'établissement de l'impôt ou d'instruction des réclamations, lorsque ces missions requièrent des connaissances ou des compétences particulières.

Il n'en demeure pas moins, en l'état, une avancée non négligeable en soumettant l'expertise de l'administration et donc le champ de compétence de ses activités "au défi de la complexité et du caractère changeant de la vie des affaires" dans le cadre de ses relations avec les entreprises.

L'article L. 103 A, en autorisant ce recours d'expertise à "toute personne" vise aussi bien les personnes physiques que les personnes morales et va, donc, bien au-delà des agents de l'Etat ou des établissements publics, même s'ils sont aussi concernés. Il sera rappelé que si l'expertise est motivée et a pour objet d'"éclairer" l'administration couvrant potentiellement l'ensemble des activités qu'elle exerce, celle-ci n'est aucunement liée par les travaux et résultats de l'expertise.

Le texte, en prévoyant que le recours à l'expertise extérieure sera autorisé lorsque les missions "requièrent des connaissances ou des compétences particulières", fait référence aussi bien "au savoir qu'au savoir-faire" et va bien au-delà des "connaissances techniques particulières" visées par les dispositions abrogées pour laisser à l'administration le soin d'apprécier si le recours à une personne externe est justifié compte tenu de ses besoins.

Les nouvelles dispositions constituent donc une "révolution culturelle pour l'administration fiscale qui pourra désormais travailler en liaison avec une expertise extérieure privée".

Ce texte se situe dans le cadre d'une politique visant à améliorer les relations entre les contribuables et l'administration fiscale, avec l'objectif affiché "d'inciter les redevables à l'accomplissement volontaire de leurs obligations fiscales et de réduire le champ des contentieux avec les usagers de bonne foi. La transparence doit être de mise dans le travail de liquidation de l'impôt".

Mais, cet objectif ne pourra être atteint que si l'administration exerce pleinement ses prérogatives en utilisant pleinement le nouveau texte, lequel se veut être source de sécurité juridique pour le contribuable et d'harmonisation des pratiques d'évaluation des services fiscaux par une amélioration de l'expertise de l'administration fiscale entrant dans le champ économique.

En effet, l'expertise demandée ne lie pas l'administration, qui, selon la volonté du législateur "en vertu du droit souverain pour l'Etat de lever l'impôt, doit rester maître de la définition de l'assiette de l'impôt" et le recours à cette dernière, à défaut d'exercer cette faculté, pourrait demeurer lettre morte si les agents de l'administration des impôts font preuve de résistance vis-à-vis de cette novation.

Le recours à l'expertise extérieure constitue, selon le rapport fait au nom de la Commission des Finances de l'assemblée Nationale, "un axe d'amélioration important pour améliorer la performance de l'administration fiscale puisqu'elle permet pour la collectivité, de résorber l'asymétrie d'expertise entre les administrations fiscales et le monde économique".

Le champ d'application du recours à l'expertise est, donc, a priori très vaste et il sera évoqué seulement quelques domaines (sans aucune exhaustivité) dans lesquels il pourra être exercé à la discrétion de l'administration et dans certaines circonstances sur les suggestions du contribuable dans le cadre du débat oral et contradictoire.

En premier lieu, il est un domaine qui pose de façon récurrente des difficultés, pour les contribuables comme pour l'administration : celui de l'évaluation en général des biens et, plus particulièrement, des entreprises du secteur non coté, notamment, dans le cadre des donations, pour lesquelles a été mise en place la procédure de rescrit valeur (instruction du 8 janvier 1998, BOI n° 13 L-2-98 N° Lexbase : X6187AAE ; instruction du 20 octobre 2005, BOI n° 13 L-4-05 N° Lexbase : X4031ADN ; instruction du 11 septembre 2006, BOI n° 13 L-5-06 N° Lexbase : X7307ADY), notamment, pour les petites et moyennes entreprises.

En second lieu, dans le domaine de la détermination des bases imposables des groupes de sociétés transnationaux qui repose sur des dossiers qui présentent une forte technicité, le recours à des personnes extérieures à l'administration fiscale devrait pouvoir être utilisé. En effet, il sera observé que ces experts sont, rarement, des agents de l'Etat ou d'un établissement public, notamment, dans les procédures qui suivent :

- celle afférente à la garantie de ne pas disposer en France d'un établissement stable ou d'une base fixe au sens de la convention fiscale liant la France à l'Etat dans lequel ce contribuable est résident (LPF, art. L. 80 B, 6° N° Lexbase : L8733G8X) ;

- celle afférente à la mise au point des accords préalables en matière de prix de transfert (avec l'autorité étrangère compétente) ou des accords unilatéraux en matière de prix de transfert (avec la société concernée).

En troisième lieu, enfin, on notera que d'autres domaines sont susceptibles de profiter d'un recours à des connaissances ou compétences extérieures, "tels que les droits de propriété intellectuelle, l'évaluation des objets d'art ou des friches industrielles avec prise en compte des coûts de dépollution, ou encore la production de simulations avancées nécessitant la mise à disposition d'informations nominatives à des tiers".

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