Réf. : CE Contentieux, 13 décembre 2006, n° 287845, Mme Lacroix N° Lexbase : A8911DST
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le 07 Octobre 2010
Le Conseil d'Etat fait droit aux prétentions de la requérante, mais pas au titre du nouveau principe de sécurité juridique, comme on aurait pu s'y attendre, mais plutôt au titre du principe classique d'applicabilité immédiate des nouvelles normes. Il conviendra de traiter, en première partie, de cette application classique du principe d'applicabilité immédiate de nouvelles normes (I) pour voir, en seconde partie, l'application limitée du nouveau principe de sécurité juridique (II).
I. Une application classique du principe d'applicabilité immédiate de nouvelles normes
A. Une application immédiate dans le respect du principe de non-rétroactivité
L'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante.
Les nouvelles normes qui ont été édictées ont, en ce sens, vocation à s'appliquer immédiatement dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. De même que "la loi ne dispose que pour l'avenir [et] n'a point d'effet rétroactif" (C. civ., art. 2 N° Lexbase : L2227AB4), l'acte administratif ne saurait régir des situations constituées antérieurement à son entrée en vigueur, sous peine d'être entaché de rétroactivité. Cette règle a été érigée en principe général de droit qui s'impose aux autorités administratives (1) et aux administrés, lesquels ne peuvent utilement réclamer l'application d'une décision rétroactive (2).
Mais, s'il interdit d'appliquer des mesures nouvelles à des situations passées, le principe de non-rétroactivité ne fait pas obstacle à l'application immédiate des règlements (3). La difficulté est qu'il arrive souvent que des situations présentes tiennent leur origine du passé, il faut alors se poser la question de savoir si l'application immédiate, dans ce cas, ne comporte pas d'effet rétroactif.
Tel est le cas, en l'espèce, où est en cause une procédure de radiation de la liste des commissaires aux comptes de la cour d'appel de Paris, dont les facteurs déclencheurs ont plus ou moins été modifiés par les nouvelles dispositions réglementaires, en l'occurrence le non-paiement de cotisations professionnelles au titre, non plus de deux années consécutives, mais de la seule année écoulée. Qu'advient-il des procédures déjà mises en oeuvre ?
B. Une application immédiate à une activité commencée dans le passé
Lorsque des situations présentes tiennent leur origine du passé, il faut distinguer deux cas de figure. Si la situation présente a été définitivement constituée dans le passé, l'application de mesures nouvelles relatives à la constitution même de cette activité ne constituerait pas une application immédiate, mais comporterait rétroactivité (4). Si la nouvelle réglementation se rapporte, non pas à la constitution d'une situation, mais à sa prolongation, il importe peu que cette activité ait pu commencer dans le passé, les mesures relatives à sa continuation ont tout lieu de s'appliquer à elle sans qu'il y ait pour autant rétroactivité. Ainsi, un décret est applicable aux demandes formulées avant son entrée en vigueur, dès lors que la décision qui en résulte est née postérieurement à cette date (5).
En l'espèce, le Conseil d'Etat reprend cette argumentation et rappelle que la régularité d'une décision administrative s'apprécie en fonction des dispositions applicables à la date à laquelle celle-ci intervient. Même si des actes de procédure ont été régulièrement accomplis, ils doivent être repris en cas de changement des dispositions de fond ou de forme. Il en irait autrement si des dispositions expresses prévoyaient qu'il n' y avait pas lieu de réitérer de tels actes. En l'absence de ces dispositions expresses contraires, la nouvelle règle de procédure en cause, en l'occurrence la prise en compte par le Haut conseil des commissaires aux comptes de la possibilité de convoquer l'intéressée pour procéder à son audition, le cas échéant, en présence d'un conseil, était applicable immédiatement.
II. Une application limitée du nouveau principe de sécurité juridique
A. Un rappel à la reconnaissance du nouveau principe
Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles.
Pour autant, si la sécurité juridique fait partie des principes élémentaires qui régissent le droit, lequel, nécessairement, a pour finalité la stabilisation des situations à un moment donné, elle reste néanmoins absente des textes et ne figurait ni dans notre droit administratif jusqu'à une date récente, ni dans notre corpus constitutionnel.
Elle ne fait l'objet d'aucune mention en droit constitutionnel (ni la Déclaration des droits de l'homme, ni les préambules, ni la Constitution ne la mentionne). En revanche, si le Conseil constitutionnel n'a jamais expressément consacré cette exigence de sécurité juridique, il n'en reste pas moins qu'il la met régulièrement en oeuvre au travers de ses exigences dérivées, à savoir, principalement, le principe de clarté de la loi, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ou le principe de liberté contractuelle. La sécurité juridique semble, ainsi, matériellement constitutionnalisée, à défaut de l'être formellement.
De même, le fait que le juge administratif ne se référait pas à ce principe ne signifiait pas qu'il n'y prêtait aucune attention. Bien au contraire, de nombreuses constructions jurisprudentielles reposaient sur des exigences de sécurité juridique (règles sur le retrait, sur la non-rétroactivité des actes administratifs, application du principe en tant que juge communautaire...). Aujourd'hui, le pas a, toutefois, été franchi par le Conseil d'Etat dans la décision du 24 mars 2006 (6) qui donne, enfin, son plein effet au principe de sécurité juridique. Le juge administratif ne se contente pas de poser la solution, il en fait directement une application positive.
Le Conseil d'Etat y pose, au nom de la sécurité juridique, le principe selon lequel il incombe au pouvoir réglementaire de prévoir les mesures transitoires rendues nécessaires pour l'application d'une réglementation nouvelle et annule, pour ce motif, le décret en cause. L'affirmation ainsi consacrée par la jurisprudence est riche de potentialités, non seulement, elle peut connaître, outre les mesures transitoires, de multiples autres applications concrètes (clarté de la règle applicable, respect de la liberté contractuelle...), mais c'est en fonction de la contrainte concrètement imposée au pouvoir réglementaire que l'on pourra apprécier le succès de la notion et, notamment, quant à savoir dans quels cas les mesures transitoires sont-elles indispensables, l'arrêt d'espèce permettant, en partie, de répondre à cette question.
B. Une confirmation de la reconnaissance non extensive du nouveau principe
L'exigence de dispositions transitoires permet, aujourd'hui, au Conseil d'Etat de donner une réponse graduée au désordre normatif. Cette réponse permet, ainsi, d'abord, de sortir du choix classique entre rétroactivité illégale et application immédiate, mais il faut aussi tenir compte du lien existant entre la nature du dispositif en cause et le moment de son entrée en vigueur. Un dispositif pénalisant ou renforçant une prohibition, ce qui est le cas avec l'arrêt "KPMG", se prête, dans l'intérêt du justiciable, à la solution dégagée par le Conseil d'Etat. En revanche, elle perd sa justification lorsque le dispositif en cause améliore une situation ou a été créateur de droits, ce qui est le cas dans l'arrêt commenté.
Le juge administratif a bien précisé que, si la sécurité juridique peut, maintenant, être directement invoquée par les requérants à travers l'obligation de mesures transitoires, il en va ainsi, simplement, lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Lorsqu'il n'y a pas d'atteintes excessives, il n'y a pas d'obligation de mesures transitoires. En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé que l'atteinte n'était pas excessive, qu'il n'était pas nécessaire d'établir des dispositions transitoires compte tenu de la date à laquelle la règle avait été édictée. Ne s'appliquant pas aux situations déjà constituées sous l'empire d'anciennes règles, la nouvelle règle, qui s'appliquait aux cotisations dues au titre de l'année 2005 et qui était édictée le 27 mai, laissait aux personnes concernées un temps suffisant pour s'acquitter de leurs obligations. Dans ces conditions, la nouvelle règle de procédure en cause ne nécessitait aucune mesure transitoire.
Aussi, si la Haute juridiction administrative avait ouvert la voie ainsi déjà tracée par le Conseil constitutionnel, en se plaçant en censeur de la complexité de la "norme" et en se proposant, désormais, d'annuler les textes de niveau réglementaire qui ne respecteraient pas l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité, elle s'en garde bien d'en faire une application extensive et laisse à prévoir que les cas de censure, au titre du principe de sécurité juridique, demeureront exceptionnels, même s'il ne faudra pas exclure, dans certaines hypothèses, des annulations. Le juge met un frein aux validations juridictionnelles, tout en incitant à la réflexion sur la légitimité de l'extension des pouvoirs du juge du fait de la diversité des applications possibles de la sécurité juridique, notamment, par rapport aux autorités investies du pouvoir normatif.
Christophe De Bernardinis
Maître de conférences à l'université de Metz
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