La lettre juridique n°232 du 19 octobre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Mention du lieu de travail dans le contrat : une clause manuscrite ne suffit pas

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 04-46.734, Société Comazzi industrie, F-D (N° Lexbase : A3431DRI)

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N4070ALC

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Difficile pour un salarié d'imposer son lieu de travail comme un élément déterminant la conclusion de son contrat de travail, et corrélativement, d'en faire un élément du contrat de travail insusceptible de modification unilatérale par l'employeur. La jurisprudence exige, en effet, que, non seulement ce lieu soit mentionné expressément dans le contrat mais encore qu'il fasse l'objet d'une clause claire et précise stipulant que le salarié exécutera son contrat exclusivement dans ce lieu. C'est l'exclusivité du lieu mentionné qui faisait défaut dans l'espèce commentée. Pour la Haute juridiction, en effet, le fait que le lieu de travail ait fait l'objet d'une clause manuscrite ne suffisait pas à caractériser son exclusivité. Cette solution, qui se situe dans la droit ligne de la jurisprudence antérieure dont elle ne fait que reprendre le principe, reste à notre avis, pour l'espèce commentée, à plusieurs titres contestable.
Résumé

La mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu.

Décision

Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 04-46.734, Société Comazzi industrie, F-D (N° Lexbase : A3431DRI)

Cassation de CA Lyon (chambre sociale A), 28 juin 2004

Mots clefs : clause du contrat, lieu de travail, clause manuscrite, insuffisance, exigence d'une clause claire et précise montrant l'exclusivité du lieu de travail

Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

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Faits

Un salarié avait été engagé en qualité de dessinateur suivant un contrat stipulant que son lieu de travail serait Lyon ou sa banlieue (limitrophe Courly). La société ayant déménagé à Grigny, le salarié estimait que l'employeur avait modifié son contrat de travail et avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'indemnités afférentes à la rupture de son contrat de travail.

La cour d'appel, infirmant la décision des juges du premier degré, avait imputé la rupture à l'employeur et l'avait condamné à verser diverses sommes au salarié au titre de la rupture du contrat de travail. Pour ce faire, elle avait décidé que le contrat de travail contenait une clause claire et précise précisant que le lieu de travail serait Lyon et sa banlieue (limitrophe Courly), que les parties avaient pris soin d'ajouter cette clause à la main, qu'il ne pouvait donc s'agir d'une simple clause à vocation informative qui aurait permis à l'employeur de modifier unilatéralement le lieu d'exécution du contrat de travail. La commune de la nouvelle société n'étant pas une commune limitrophe de Courly, il appartenait à l'employeur en application de l'article 1134 du Code civil de recueillir l'accord du salarié.

Solution

1° Cassation sans renvoi.

2° "En statuant ainsi, alors que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Commentaire

I - Un principe d'application stricte

  • Modification du contrat et simple changement des conditions de travail

Depuis 1996, la Cour de cassation distingue les modifications du contrat de travail, du simple changement des conditions de travail (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ GAN, publié N° Lexbase : A2054AAC). Dans le premier cas, un élément contractuel est modifié, l'employeur est tenu de demander l'accord du salarié, lequel est en droit de refuser cette modification sans commettre de faute. Dans le second cas, l'élément modifié ne fait pas partie du socle contractuel, il s'agit d'un simple changement des conditions de travail que le salarié ne peut qu'accepter. La frontière des deux domaines n'est pas toujours aisée à tracer. Certains éléments, même lorsqu'ils font l'objet d'une clause expresse dans le contrat de travail, ont une simple vocation informative, ce qui interdit d'y voir une véritable contractualisation, et une modification lorsque l'employeur décide d'y toucher. Tel est, notamment, le cas du lieu de travail.

  • Modification et lieu de travail

Dans ce domaine, depuis quelques années maintenant la jurisprudence se réfère au secteur géographique (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.576, M. Hczyszyn c/ Société Paul Jacottet, publié N° Lexbase : A4696AGZ ; voir sur ce point Ch. Radé, L'employeur peut-il sanctionner le salarié qui refuse une mutation géographique ?, Lexbase Hebdo n° 58 du 13 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5982AAS). Singulièrement, elle considère que si le salarié est muté dans un même secteur géographique, le changement de lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail ; si au contraire, le nouveau lieu de travail est dans un secteur différent de celui initialement fixé, il s'agit d'une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié. Ce critère du secteur géographique se voit assortir trois atténuations.

Il peut, en premier lieu, exister une clause de mobilité qui permet à l'employeur, à l'intérieur du secteur défini par cette clause, de modifier le lieu de travail du salarié sans que son contrat de travail ne se trouve modifié (sur les clauses de mobilité, voir Charlotte d'Artigue, La mobilité avec clause : l'article 1134 du Code civil sur le devant de la scène, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5778AAA).

Les déplacements occasionnels imposés au salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement font, en deuxième lieu, l'objet d'un traitement particulier. Lorsque la mission est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique une certaine mobilité géographique, il n'y a pas modification du contrat de travail (Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-43.826, Société Travaux hydrauliques et bâtiments (THB) c/ M. Antoine Tavarès, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7010A4E).

L'insertion, dans le contrat de travail, d'une clause de stabilité précisant que le salarié exécutera son contrat de travail dans un lieu ou un secteur déterminé vient, en troisième lieu, porter atteinte au critère principal du secteur géographique. Par l'insertion d'une telle clause, les parties décident de faire du lieu de travail un élément déterminant de la relation de travail qui devient intangible et donc que l'employeur ne peut modifier sans recueillir l'accord du salarié..

L'existence d'une clause contractuelle précisant que le contrat de travail s'exécutera dans telle ville ou tel secteur géographique, suffit-elle à contractualiser le lieu de travail ?

  • Singularité du lieu de travail

Depuis 2003, la Cour de cassation vient apporter une réponse négative à cette question (Cass. soc. , 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 et les obs. de S. Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur informative, Lexbase Hebdo n° 76 du 18 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX ; Egalement Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, FP-P+B N° Lexbase : A8593DAI, et les obs. de S. Koleck-Desautel, Confirmation de la simple valeur informative de la mention du lieu de travail dans le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 106 du 5 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0337AB4).

Elle considère, en effet, que la simple référence au lieu de travail dans le contrat de travail n'a qu'une valeur d'information, sauf s'il existe une clause claire et précise mentionnant expressément que le salarié exécutera son contrat de travail exclusivement dans ce lieu. C'est ce principe que vient une nouvelle fois affirmer la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

A la cour d'appel qui avait cru pouvoir se réfugier derrière la clause manuscrite mentionnant le lieu de travail pour imputer à l'employeur un changement du lieu de travail de son salarié, elle vient rappeler que "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu". Il manquait donc, dans la clause contractuelle ajoutée par les parties, le qualificatif "exclusivement" pour que cette clause puisse être considérée comme une clause contractuelle, et partant, que sa modification constitue une modification du contrat de travail. Comme cela n'était pas le cas, la clause avait une simple valeur informative pour le salarié. Ce dernier ne pouvait donc s'opposer au changement de lieu de travail imposé par la modification du siège de la société.

Cette décision, qui se fonde sur un principe désormais acquis, pêche à notre sens par trop de rigueur.

II - Une application trop rigoureuse

  • Une solution pratiquement contestable

Imaginons, comme dans l'espère commentée, un salarié qui conclut un contrat de travail et considère son lieu de travail comme déterminant la conclusion de ce contrat. Plusieurs raisons peuvent être à la source de cet impératif de lieu, des difficultés de circulations depuis son domicile (surtout dans une grande ville comme Lyon où le temps de trajet peut aller de 10 minutes à plus de 2 heures), l'absence de transports en communs, l'obligation d'acheter un véhicule personnel ou de passer le permis de conduire... Lors de la conclusion du contrat, les parties insèrent donc une clause manuscrite en vertu de laquelle le salarié ne travaillera que sur Lyon et sa banlieue (de surcroît limitée à Courly)... et quelques temps plus tard, l'entreprise déménage...

Le salarié se croit dans son droit du fait de la présence d'une clause précisant le lieu de travail et refuse de se rendre sur le nouveau site. Il assigne son employeur en justice et perd son procès simplement parce qu'il manque, dans la clause manuscrite, le terme "exclusivement".

L'exclusivité ne doit-elle pas simplement ressortir de la clarté et la précision de la clause ?

Aucune obligation d'insérer le qualificatif exclusivement ne résulte en effet de l'attendu de principe rappelé dans la décision commentée. Comme l'affirme la Haute juridiction : "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu". C'est donc bien le contenu de la clause qui devrait permettre de déterminer l'intention des parties, indépendamment de toute référence expresse à la notion d'exclusivité.

  • Une solution peu respectueuse de la lettre du principe dégagé

Si l'on suit la lettre de l'attendu de principe, on s'aperçoit, en effet, que ce qu'exigent les juges c'est simplement l'existence d'une clause claire et précise stipulant que le salarié exécutera son contrat de travail exclusivement dans un lieu déterminé.

Si la présence de clauses standard dactylographiées ne permet pas de reconnaître au lieu de travail auquel elles font référence un caractère exclusif, tel n'est pas le cas d'une clause manuscrite. Le fait qu'une clause manuscrite ait été ajoutée devrait, à notre sens, permettre, notamment lorsqu'elles viennent limiter l'exécution du contrat à un secteur particulier d'une ville, de reconnaître l'exclusivité de ce secteur... Qu'attend-t-on en effet de cette mention claire et précise ? Qu'elle montre la volonté des parties de faire du secteur auquel elles se réfèrent le lieu d'exécution du contrat de travail à l'exclusion de tout autre.

La mention manuscrite insérée dans le contrat de travail dans l'espèce commentée était, à notre sens, suffisante. Elle était claire puisque le contrat devait s'exécuter dans le lieu qu'il mentionnait. Cette clause était, en outre, précise puisqu'elle ne se limitait pas à mentionner Lyon et sa banlieue mais réduisait expressément le secteur à la portion limitrophe à Courly.

La solution retenue dans l'arrêt commentée, est ici d'autant plus contestable que si le contrat n'avait contenu aucune référence au lieu de travail, la jurisprudence sur le secteur géographique se serait alors appliquée et il est possible que, considérant le changement de secteur géographique, les juges auraient fait de la modification du siège de l'entreprise une modification du contrat de travail... Difficile donc d'adhérer à la solution rendue dans l'espèce commentée.

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