Réf. : CAA Bordeaux, 1ère ch., 31 août 2006, n° 04BX00807, Société arboricole et fruitière de l'Agenais (N° Lexbase : A9451DQ4)
Lecture: 12 min
N4114ALX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
Sur la première partie de cet article, "L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux se situe dans le prolongement des deux avis par lesquels le Conseil d'Etat a estimé que les plans de prévention des risques naturels constituaient des documents et des dispositions d'urbanisme bien que ceux-ci aient une portée bien plus large que ceux-là", voir (N° Lexbase : N4113ALW).
Seconde partie : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en assimilant les plans de prévention des risques naturels prévisibles à des plans locaux d'urbanisme, s'inscrit dans la logique très contestable des avis rendus par le Conseil d'Etat tout en laissant ouverte la question de la qualification des servitudes instituées en application de ces plans.
I. La cour administrative d'appel de Bordeaux, en se prononçant sur l'applicabilité des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme aux PPRNP, est allée plus loin que l'assimilation générale de ces plans à des documents d'urbanisme
1) Les conséquences de l'applicabilité des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme aux plans de prévention des risques naturels prévisibles
Pour éviter de trop nombreuses constatations d'illégalité tardives qui ne seraient pas justifiées au fond, les dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7650ACC), issues de la loi n° 94-112 du 9 février 1994 (N° Lexbase : L8040HHA) et reprises par la loi "SRU" n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 (N° Lexbase : L9087ARY), contiennent des mesures restrictives. En effet, au bout de six mois, l'exception d'illégalité soulevée contre un document d'urbanisme ne peut, sauf les exceptions prévues au texte, se fonder que sur des moyens tirés de l'incompétence ou l'illégalité interne.
Dans l'arrêt du 31 août 2006, la cour administrative d'appel de Bordeaux a considéré que les plans de prévention des risques naturels constituaient "des documents d'urbanisme tenant lieu de plan d'occupation des sols ou de plan local d'urbanisme au sens des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme". Cela a pour conséquence qu'après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la prise d'effet d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, un requérant ne peut plus invoquer par voie d'exception, c'est-à-dire à l'appui de sa contestation d'une décision d'octroi ou de refus d'occupation ou d'utilisation du sol prise sur le fondement du plan de prévention des risques naturels, l'illégalité de ce plan à raison du vice de forme ou de procédure dont il serait entaché (17). Cela a également pour conséquence que les moyens tirés de "la méconnaissance substantielle ou la violation des règles de l'enquête publique" sont, en revanche, invocables par voie d'exception sans condition de délai. C'est pourquoi la cour a examiné au fond le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'enquête publique préalable à l'adoption du plan de prévention des risques naturels prévisibles.
Plus généralement, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte et tous les moyens de légalité interne peuvent donc être invoqués par voie d'exception, sans limite de délai, à l'encontre des PPRNP et à l'appui de la contestation d'une décision d'octroi ou de refus d'occupation ou d'utilisation du sol prise sur le fondement du plan. En tout état de cause, dans la mesure où le PPRNP a pour objet de protéger contre un danger, la limitation de son invocabilité par voie d'exception nous paraît tout aussi contestable que son inopposabilité à l'encontre d'un pétitionnaire tentant d'obtenir une autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol après avoir essuyé un premier refus et obtenu l'annulation de cette décision devant le juge administratif (18) (C. urb., art. L. 600-2).
Par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux poursuit le processus d'application des règles de procédure contentieuse issues du Code de l'urbanisme à la contestation des plans de prévention des risques naturels prévisibles ou des décisions d'urbanisme prises sur leur fondement. Sous réserve que cette solution soit confirmée par le Conseil d'Etat, ce qui est probable étant donné la "ligne" jurisprudentielle adoptée par ce dernier depuis l'avis du 3 décembre 2001, elle pourrait conduire le juge administratif à parachever ce processus en considérant que le PPRNP constitue "un acte intervenu en matière d'urbanisme" au sens des dispositions de l'article L. 600-4-1 (N° Lexbase : L2399ATZ) issues des dispositions de l'article 37 de la loi "SRU" n° 2000-1208 du 13 décembre 2000. Le champ d'application matériel de ces dispositions est, en effet, très vaste et paraît simplement limité par la "matière d'urbanisme", c'est-à-dire qu'il inclut non seulement les actes pris sur le fondement du Code de l'urbanisme mais encore les actes issus de textes codifiés ou insérés dans d'autres codes comme le PPRNP. Or, ces dispositions, qui imposent au juge administratif, lorsqu'il annule ou suspend un acte pris en matière d'urbanisme, de se prononcer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder, en l'état du dossier, sa décision, c'est-à-dire qui imposent au juge administratif de renoncer à la règle de "l'économie des moyens", ces dispositions, donc, sont d'un intérêt contestable au regard de la sécurité juridique qu'elles sont destinées à apporter dans la mesure où le juge ne peut se prononcer qu'au vu des moyens dont il est saisi et non au vu de l'ensemble des moyens susceptibles d'entraîner l'illégalité de l'acte (19).
2) Les plans de prévention des risques naturels prévisibles sont désormais assimilés, de manière contestable, à des POS ou des PLU
Alors que les deux avis précités du Conseil d'Etat s'étaient bornés à qualifier les plans de prévention des risques naturels prévisibles de "documents d'urbanisme" en général (ce, du fait, certes, de la rédaction plus générale des articles L. 600-2 et R. 600-1 du Code de l'urbanisme comparée à la rédaction de l'article L. 600-1 du même code), la cour administrative d'appel de Bordeaux qualifie les PPRNP de "documents d'urbanisme tenant lieu de plan d'occupation des sols ou de plan local d'urbanisme". Même si la cour ajoute que cette qualification est opérée "au sens des dispositions de l'article L. 600-1 du Code de l'urbanisme", il y a là un pas de fait vers l'assimilation du PPRNP à un document contenant des règles d'urbanisme. Autrement dit, le PPRNP est désormais assimilé à un document d'urbanisme bien identifié et non plus à la catégorie générale des documents d'urbanisme.
Cette solution est contestable dans la mesure où, nous l'avons vu, les PPRNP ne comportent, contrairement aux POS et aux PLU, aucun projet d'aménagement global et ne réglementent pas le secteur auquel ils s'appliquent dans toutes ses composantes d'urbanisme. La problématique particulière ou ponctuelle à laquelle répondent les PPRNP est bien différente de la problématique globale et complexe qui fonde la mise en oeuvre des POS et des PLU (20).
Par ailleurs, il faut rappeler que les documents d'urbanisme, en tant que documents de synthèse pour les administrés, servent de procédé de publicité obligatoire en ce qui concerne les diverses servitudes d'utilité publique (21), notamment celles instituées par les PPRNP. Ces servitudes, pour être opposables aux demandes d'autorisation individuelles d'occupation ou d'utilisation du sol, doivent être préalablement annexées au PLU. Toutefois, cette annexion n'emporte aucune confusion entre la servitude d'utilité publique et les dispositions du PLU, et donc aucun changement de la nature juridique de cette dernière, dans la mesure où il n'appartient pas à un document d'urbanisme d'instituer une telle servitude (22). Or, par son arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux introduit un paradoxe tenant à ce que le PPRNP tient lieu de POS ou de PLU tout en étant intégré (via les servitudes d'utilité publique qu'il institue) au PLU. L'on pourrait même se demander si la règle relative à l'annexion des servitudes d'utilité publique au PLU doit continuer à s'appliquer aux servitudes d'utilité publique instituées par le PPRNP : en effet, dans la mesure où ce dernier document "tient lieu de PLU", les servitudes en cause n'auraient pas à figurer dans un "autre PLU" quand bien même il serait le "véritable" PLU.
Pour autant, il nous semble que l'application de la règle relative à l'annexion des servitudes d'utilité publique au PLU, même si elle peut désormais être formellement contestée en ce qui concerne les servitudes d'utilité publique instituées par le PPRNP, est toujours justifiée par la raison de fond tenant au caractère synthétique du PLU et à la plus grande connaissance qu'en ont les administrés. Autrement, même si, pour le juge administratif, le PPRNP "tient lieu" de PLU, cela est loin d'être évident et compréhensible par ces derniers dans la mesure où le PLU reste le document de référence ou du moins le document le plus "visible" en matière d'urbanisme, de sorte qu'il ne serait pas opportun de porter atteinte au caractère synthétique de ce document en s'abstenant d'y annexer la liste des servitudes d'utilité publique instituées par le PPRNP.
II. La cour administrative d'appel de Bordeaux rappelle la nature de servitudes d'utilité publique des "contraintes d'urbanisme" s'appliquant dans les zones délimitées par les plans de prévention des risques naturels prévisibles et fait prévaloir ces contraintes sur le classement issu du POS ou du PLU
1) La confirmation de la jurisprudence antérieure
Dans son arrêt, la cour reprend les termes des deux avis précités du Conseil d'Etat en considérant que "les contraintes d'urbanisme s'appliquant dans les zones délimitées par les plans de prévention des risques naturels s'imposent directement aux personnes publiques ainsi qu'aux personnes privées et peuvent notamment fonder l'octroi ou le refus d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol". Ce faisant, elle confirme la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nancy dans l'arrêt précité du 10 avril 2003 et fondée sur la distinction entre servitudes issues du PPRNP et servitudes d'urbanisme n'ouvrant droit à aucune indemnisation.
Pour autant, il est vraisemblable, toujours dans la ligne de la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nancy, que cette distinction n'ouvrira pas pour autant un droit à indemnisation en faveur des requérants. En effet, ainsi que l'a considéré cette dernière, "le plan d'exposition aux risques naturels de mouvements de terrain ne poursuit pas un simple objectif de régulation économique en évitant d'éventuels litiges entre lotisseurs et acquéreurs, mais vise à préserver la sécurité des populations exposées à ces risques", de sorte que "le législateur doit, en l'absence de dispositions expresses en sens contraire, être regardé comme ayant entendu exclure la responsabilité de l'Etat à raison des conséquences dommageables" que les dispositions de la loi créant les PPRNP et de ses textes d'application "ont pu comporter pour les lotisseurs mis dans l'impossibilité de commercialiser les parcelles situées dans les zones déclarées inconstructibles par les plans de prévention".
2) Les contraintes d'urbanisme issues du PPRNP s'imposent aux POS et aux PLU
Dans son arrêt, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, enfin, fait prévaloir le caractère inconstructible de la parcelle litigieuse sur le classement de cette parcelle en zone "NALi" du POS de la commune. Rappelons à cet égard qu'en ce qui concerne les grandes catégories de classement, il faut distinguer les zones U, comme Urbaines, des zones N, comme Naturelles. Cette distinction de base est accompagnée d'indices qui recèlent les nombreuses nuances. Par ailleurs, le classement en zone "NA", que l'on appelle aussi zone d'urbanisation future, est un véritable sas entre le non-constructible et le constructible. Le principe général est que la zone peut devenir constructible à condition qu'il y ait un plan d'aménagement d'ensemble de la zone, présenté par le ou les propriétaires, privés ou publics. L'ouverture à l'urbanisation des zones NA passe par la modification du POS après enquête publique (23). Précisons que ces zones NA sont désormais appelées zones "AU", c'est-à-dire zones à urbaniser, et prévues par les dispositions de l'article R. 123-6 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2919DZ7).
Plus précisément, la zone "NAL", à vocation d'accueil d'activités sportives, de loisirs, de tourisme, sociales et éducatives, comprend un secteur "NALi" dans lequel des dispositions spécifiques sont applicables au titre du PPRNP. En tout état de cause, la cour a jugé que le caractère de zone à urbaniser au titre du POS devait s'effacer devant le caractère de zone inconstructible (car inondable) au sens du PPRNP. Autrement, selon la Cour, les dispositions des PPRNP prévalent sur les dispositions des POS, cette solution valant donc également en ce qui concerne les dispositions des PLU. Ici se manifeste le sens de l'expression, en ce qui concerne les PPRNP, de "documents d'urbanisme tenant lieu de plan d'occupation des sols ou de plan local d'urbanisme" : il s'avère en effet que dans les zones délimitées par les PPRNP, les contraintes qu'ils instituent ont vocation à se substituer aux autorisations de construire prévues par les POS et les PLU.
Conclusion
Avec l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 31 août 2006 se confirme le caractère attractif de la notion de document d'urbanisme et plus généralement le caractère attractif du droit de l'urbanisme tel qu'issu du Code de l'urbanisme. En bref, les règles procédurales issues du Code de l'urbanisme ont désormais vocation à s'appliquer à tout dispositif élaboré sur le modèle des documents régis par ce code en tant que ce dispositif contient des prescriptions relatives à l'utilisation de l'espace.
La situation aujourd'hui est donc la suivante : les plans de prévention des risques naturels prévisibles sont des documents d'urbanisme au sens des dispositions de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme qui contiennent des dispositions d'urbanisme au sens des dispositions de l'article L. 600-2 de ce code et tiennent lieu de POS ou de PLU au sens des dispositions de l'article L. 600-1 du même code tout en ne créant pas de servitudes d'urbanisme soumises à l'article L. 160-5 (N° Lexbase : L7364ACQ) du même code.
Il n'en reste pas moins étrange de considérer qu'un document univoque tel que le PPRNP, qui a pour seul objet de protéger contre un certain type de danger, soit assimilé à un document aussi complexe que le PLU dont la principale mission est de parvenir à un équilibre entre urbanisation et développement durable.
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:94114