Réf. : Cass. civ. 1, 3 octobre 2006, n° 04-13.198, M. Christian Goupil, FS-P+B (N° Lexbase : A4944DRK)
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N4044ALD
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
La conclusion d'un contrat de travail étant un acte engageant le patrimoine, le majeur sous curatelle renforcée ne peut embaucher un salarié sans l'assistance de son curateur ou, à défaut, sans l'autorisation supplétive du juge des tutelles. |
Décision
Cass. civ. 1, 3 octobre 2006, n° 04-13.198, M. Christian Goupil, FS-P+B (N° Lexbase : A4944DRK) Rejet (TGI Perpignan, 10 février 2004) Textes cités : C. civ., art. 508 (N° Lexbase : L3077ABL), 510 (N° Lexbase : L3082ABR) et 512 (N° Lexbase : L3088ABY) du Code civil Mots-clés : capacité ; validité du contrat de travail ; employeur sous curatelle renforcée. Liens base : |
Faits
1. Placé sous curatelle renforcée le 14 février 2000, M. Goupil souhaite embaucher une salariée. Devant le refus de son curateur de l'assister dans cette démarche, il saisit le juge des tutelles afin d'obtenir une autorisation supplétive, autorisation qui lui est refusée par ordonnance du 10 juillet 2003. 2. M. Goupil saisit le tribunal de grande instance de Perpignan afin de voir ce refus réformé. Les juges, statuant en dernier ressort, confirment la décision du juge des tutelles. M. Goupil se pourvoit en cassation. |
Solution
1. "S'agissant d'un acte engageant le patrimoine, le contrat de travail conclu par un majeur sous curatelle renforcée, en qualité d'employeur, constitue un acte pour lequel l'assistance du curateur est nécessaire". 2. Rejet. |
Commentaire
I - De la capacité de conclure un contrat de travail
L'article L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL) soumet, faut-il le rappeler, le contrat de travail aux règles du droit commun des contrats. Or, parmi ces règles, figurent celles relatives à la validité des conventions (C. civ., art. 1108 et s. N° Lexbase : L1014AB8). Il faut, ainsi, pour pouvoir conclure un contrat de travail, avoir la capacité de contracter au sens des articles 488 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L3042ABB). Bien entendu, ces règles concernent tant l'employeur que le salarié, même si les questions se posant à leurs égards sont parfois différentes. Ainsi, pour le salarié, des règles spéciales s'ajoutent aux règles générales du Code civil. Le droit commun des contrats interdit au mineur de conclure seul un contrat, mais il peut toujours être représenté par ses parents ou, le cas échéant, par son tuteur. Mais le droit du travail pose des conditions d'âge supplémentaires. Jusqu'à récemment, le mineur de moins de 16 ans ne pouvait conclure un contrat de travail que dans des situations bien spécifiques et très encadrées correspondant aux travaux légers pendant les périodes scolaires et au mannequinat. On se souviendra, néanmoins, que la loi sur l'égalité des chances a rapporté cette limite d'âge à 14 ans concernant les contrats d'apprentissage (loi n° 2006-396, 31 mars 2006, pour l'égalité des chances, art. 1 à 7 N° Lexbase : L9534HHL, et les obs. sur cette question de S. Martin-Cuenot, Le contrat d'apprentissage junior, Lexbase Hebdo n° 210 du 13 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6913AKA). La question de la minorité reste beaucoup plus théorique du côté de l'employeur, pour des raisons qui s'expliquent, au moins pour partie, du fait de l'incapacité globale du mineur en matière de droit commercial. Rappelons que le mineur, même émancipé, ne peut avoir le statut de commerçant (C. com., art. L. 121-2 N° Lexbase : L5550AIE). Une différence importante sépare encore les règles relatives à la capacité du salarié et de l'employeur. En effet, si le salarié est toujours une personne physique, l'employeur est souvent une personne morale, qu'il s'agisse d'une société, d'une fondation ou encore d'une association.
En dehors donc des rares hypothèses dans lesquelles l'employeur est un mineur, deux hypothèses d'incapacité peuvent théoriquement empêcher l'employeur d'avoir la capacité de conclure un contrat de travail. La première relève de l'incapacité de la personne morale. La jurisprudence reste le plus souvent assez souple en la matière puisqu'elle considère que l'entreprise en formation a la capacité de conclure un contrat de travail (Cass. soc., 28 novembre 1974, n° 73-40.680, Société industrielle de transports automobile SITA c/ Deswarte N° Lexbase : A9164AAN). En revanche, appliquant l'article L. 621-107.2° du Code de commerce, les juges ont pu décider que les contrats de travail conclus pendant la période suspecte précédant la mise en oeuvre d'une procédure collective devaient être annulés, à condition que "les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie" (v. en la matière les observations de G. Auzero, Nullité d'un contrat de travail conclu pendant la période suspecte, Lexbase Hebdo n° 127 du 30 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2099ABD) ; v. également, Ch. Radé, La nullité du contrat de travail conclu pendant la période suspecte et ses conséquences, Lexbase Hebdo n° 71 du 14 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7324AAI). La seconde hypothèse est celle de l'employeur personne physique soumis à une incapacité du majeur, c'est-à-dire au régime d'une tutelle ou d'une curatelle.
Pour le majeur sous tutelle, la règle est simple. Celui-ci devant être représenté "d'une manière continue dans les actes de la vie civile" (C. civ., art. 492 N° Lexbase : L3057ABT), seul le tuteur peut conclure pour lui un contrat de travail. En revanche, les choses se compliquent lorsque la mesure est une curatelle. En effet, l'incapable peut alors conclure lui-même tous les actes que pourrait conclure seul le tuteur d'un majeur sous tutelle, à condition toutefois que l'acte ne constitue pas une réception ou un emploi de capitaux (C. civ, art. 510 N° Lexbase : L3082ABR). Cela sans compter que le juge des tutelles peut, à l'ouverture de la curatelle, faire varier les pouvoirs de l'incapable, lui autorisant des actes supplémentaires ou, au contraire et comme en l'espèce, lui restreignant un peu plus son champ de compétence. Il s'agit alors d'une curatelle renforcée. L'arrêt commenté ne fournit aucune information sur l'étendue du renforcement de la curatelle. En revanche, il décide que, dans le cadre d'une telle mesure de renforcement, le contrat de travail ne fait pas partie des actes que l'incapable peut conclure sans l'assistance de son tuteur, et ce en raison de sa nature "d'acte engageant le patrimoine" du majeur protégé. Il semble que ce soit la première fois que la Cour de cassation ait l'occasion de se prononcer sur une telle hypothèse. Seule la cour d'appel de Dijon avait déjà statué sur des faits similaires (CA Dijon, 7 mai 1996, BICC 15 mars 1997, n° 229 ; RTD civ. 1997, p. 397, obs. J. Hauser). La cour avait alors conclu à la capacité du majeur sous curatelle renforcée de conclure un contrat de travail en tant qu'employeur. La première chambre civile apporte donc un désaveu à la cour de Dijon en la matière. Cette prise de position porte à s'interroger sur la qualification de l'engagement d'un employeur dans une relation de travail : est-ce un acte conservatoire, d'administration ou de disposition ? II - De l'engagement du patrimoine par le contrat de travail
Lorsque la curatelle n'a pas été aménagée par le juge, on considère que le majeur incapable peut effectuer seul tous les actes que le tuteur d'un majeur protégé pourrait accomplir sans l'assentiment du conseil de famille. On enseigne traditionnellement (V. F. Terré, D. Fenouillet, Les personnes, la famille, les incapacités, Dalloz, 7e éd., 2005, p. 1310) que la césure entre les actes autorisés et les actes nécessitant assistance se trouve entre les actes de disposition, d'une part, et les actes d'administration ou les actes conservatoires, d'autre part. Or, la détermination de la frontière entre ces différents types d'actes est parfois malaisée, en témoigne la question du contrat de travail. S'agit-il d'un acte d'administration, destiné seulement "à faire fructifier un bien sans en compromettre la valeur en capital " ou d'un acte qui " porte atteinte ou risque de porter atteinte à la valeur d'un bien considéré comme un capital" ? (sur la distinction entre les actes de différentes natures, v. F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 5ème éd., 2000, p. 301). La réponse instinctive que l'on est tenté d'apporter à cette question est la suivante : la conclusion d'un contrat de travail relève de la catégorie des actes d'administration puisqu'elle vise à développer et à accroître l'entreprise et sa capacité à produire des richesses. Seulement, ce raisonnement ne se tient qu'en présence d'une véritable entreprise. Que penser de la situation, comme celle qui avait fait l'objet de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon (V. arrêt préc.), dans laquelle le majeur sous curatelle est une personne âgée qui souhaite embaucher un garde-malade ? Il ne s'agit là bien évidemment plus de faire fructifier une entreprise, d'ailleurs inexistante en l'occurrence. La première chambre civile de la Cour de cassation, devant l'inopérabilité de la distinction habituelle, se place donc sur un autre terrain, celui de l'engagement du patrimoine du majeur protégé.
Des auteurs avaient déjà fait remarquer, à l'occasion de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon (V. F. Terré, D. Fenouillet, préc., spéc. note n° 5 ; J. Hauser, préc.), que la qualification du contrat de travail d'acte d'administration opérée par les juges à cette occasion s'avérait hasardeuse. Le contrat de travail, par sa durée et par les droits accordés au salarié en application du droit du travail, emporte des conséquences qui peuvent s'avérer être particulièrement lourdes. On pourrait comparer cette situation à celle de l'entrepreneur individuel qui, décidant d'embaucher un salarié, passe au statut d'employeur. Quoique celles-ci soient le plus souvent justifiées, ce changement de statut génère de nombreuses charges nouvelles pour l'employeur. La conclusion d'un contrat de travail est un acte important d'un point de vue patrimonial, et par lequel le majeur protégé peut être amené à s'appauvrir. Ce doit donc logiquement être un acte réfléchi pour lequel l'assistance du curateur paraît bienvenue. Le contrat de travail qui avait déjà été conclu sans l'accord ni du curateur, ni du juge des tutelles, tombera sous le coup d'une nullité relative (C. civ., art. 510-1 N° Lexbase : L3084ABT) avec toutes les difficultés inhérentes à la nullité du contrat de travail... Restent alors au moins deux questions en suspens. Tout d'abord, la solution aurait-elle été la même si la curatelle n'avait pas été renforcée par le juge des tutelles ? Il est difficile de répondre à cette question puisque l'on ne sait pas dans quelles mesures le juge des tutelles avait aggravé l'incapacité du majeur. Ensuite, la distinction entre le majeur protégé employant un salarié dans le cadre des "services à la personne" et le majeur protégé dirigeant une véritable entreprise doit-elle conduire à des nuances ? Il est en tout cas certain que, si le patrimoine du majeur sous curatelle est, dans les deux cas, engagé, seul le premier d'entre eux le mènera nécessairement à s'appauvrir, ce qui requiert alors une attention accrue du curateur. |
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