Pour tout un chacun, le droit de la responsabilité civile est dualiste : il est soit d'essence contractuelle, soit d'essence extra-contractuelle. Cette distinction des fondements de l'engagement de la responsabilité civile a plus de 200 ans ; elle est commandée par les principes de l'autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle, chers au code de 1804. De manière traditionnelle, dans la jurisprudence française, les responsabilités contractuelle et extra-contractuelle (ou délictuelle) sont totalement exclusives l'une de l'autre ; il faut voir, ici, l'application du principe de l'autonomie de la faute contractuelle et délictuelle. Toutefois, force est de constater qu'un double mouvement s'opère : non seulement, la responsabilité contractuelle appréhende de plus en plus de situations dont le caractère conventionnel peut paraître discutable, élargissant ainsi l'objet du contrat et le champ d'application de la force obligatoire y afférente ; mais encore, la responsabilité délictuelle tend à empiéter davantage dans le domaine des conventions, en permettant aux tiers de se prévaloir : qui de l'effet relatif des contrats, qui de l'inopposabilité des contrats, qui, et dernièrement, de la défaillance du débiteur lorsque celle-ci leur cause un préjudice. En permettant aux tiers de se prévaloir de la seule faute contractuelle de l'une des parties pour fonder son action en responsabilité délictuelle, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation apporte certes une réponse très attendue sur la question à la suite des divergences exprimées par la première chambre civile (favorable à l'assimilation des fautes) et de la Chambre commerciale (plus encline au respect de l'autonomie contractuelle), mais ne rend pas moins les frontières du champ contractuel plus imprécises et incertaines, vidant, progressivement, le principe de l'effet relatif des contrats de toute substance (cf. Carole Degonse,
Approche critique du concept de responsabilité contractuelle, thèse soutenue en juillet 2001). Aussi, peut-être doit-on voir, ici, l'influence de la "perfide"
common law ? En effet, le dualisme des fondements de la responsabilité civile a moins d'importance dans les pays anglo-saxons. La consécration des notions de dommages et intérêts exemplaires ou punitifs (
exemplary damages ou
punitive damages), versés en cas de comportement "antisocial", tel que la fraude ou tout acte intentionnellement abusif ou délictueux, et réclamés dans le cadre d'une action en responsabilité délictuelle ou contractuelle (certes, pour de rares exceptions), en est un symptôme. En droit anglo-saxon, ce n'est pas la nature de l'action en responsabilité qui importe, ni, par là même, le fondement contractuel ou extra-contractuel qui commande l'octroi de dommages et intérêts, mais l'appréciation par le juge d'un préjudice de nature plus ou moins répréhensible "socialement", causé au cocontractant ou aux tiers. Chacun entrevoit, ici, les répercussions importantes de cet arrêt rendu le 6 octobre dernier et promis à un maximum de publicité : on savait qu'il était possible de rendre inopposable aux tiers une convention, notamment en cas de fraude (par le recours à l'action paulienne), désormais, il est possible d'obtenir des dommages et intérêts sur le fondement d'une faute contractuelle au préjudice d'autrui (partie au contrat)... Les éditions juridiques Lexbase vous invitent, ainsi, à revenir sur cette importante décision, avec le commentaire de
David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit,
Responsabilité délictuelle du débiteur contractuel : l'Assemblée plénière tranche la question de l'assimilation ou de l'autonomie des fautes contractuelle et délictuelle. Mais enfin, en porte à faux avec les développements qui précèdent, gageons que la bicéphalité de notre responsabilité civile a toujours de beaux jours devant elle ; et l'on en veut pour exemple, l'arrêt rendu par la même formation, le 9 octobre dernier, afférent à l'affaire "Adidas". Sans entrer dans les détails de cette décision, exposés cette semaine, dans nos colonnes, par
Richard Routier, Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var -lire
Affaire "Adidas" : rappel des principes par l'Assemblée plénière-, la Haute assemblée rappelle "simplement" que ne peut engager sa responsabilité contractuelle une banque non partie au contrat litigieux ! Aussi, outre la nullité du mandat pour réticence dolosive, la seule issue favorable pour le mandant requérant demeure l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société mère du mandataire ; or, pour entrer sur le terrain délictuel, il faudra montrer que cette société mère "tirait les cordons" de l'ensemble de l'opération... bref, qu'elle était le "véritable" cocontractant, du moins dans tous les esprits... Ainsi, sort-on vraiment de l'assimilation progressive des fautes contractuelles et délictuelles, et de l'empiètement de la seconde sur la première ?
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