La lettre juridique n°232 du 19 octobre 2006 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Principe de fictivité et de fraude à la loi et abus de droit

Réf. : CE Contentieux, 27 septembre 2006, n° 260050, Société Janfin (N° Lexbase : A3224DRT) et CJCE, 12 septembre 2006, C-196/04, Cadbury Schweppes plc, Cadbury Schweppes Overseas Ltd (N° Lexbase : A9641DQ7)

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

1. La question de procédure posée dans une affaire rendue le 27 septembre dernier, par le Haut conseil, aux conclusions de M. le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon, a trait au point de savoir si la procédure de répression de l'abus de droit visée par les dispositions de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U ; cf. instruction du 14 juin 1988 BOI n° 13 L-8-88), pouvait valablement ou non être appliquée à l'utilisation d'un avoir fiscal en paiement de l'impôt sur les sociétés et, en cas de réponse négative, si les principes généraux du droit, la fictivité et la fraude à la loi, pouvaient à défaut être substitués au texte.

2. Aux termes de ces dispositions "ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses :
a) qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ;
b) ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ;
c) ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention
".

Les dispositions de l'article L. 64 A du LPF (N° Lexbase : L8231DN8) étendent à l'impôt de solidarité sur la fortune et à la taxe professionnelle la procédure de répression des abus de droit.
Le texte de l'article L. 64 du LPF poursuit en précisant que "L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse" et "en cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit" (CGI, art. 1653 C N° Lexbase : L1895HM7 et LPF, art. R. 64-1 N° Lexbase : L5877HII à R. 64-2).

Il est à noter enfin que "l'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité [...]" et "si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification".

Les rehaussements notifiés selon la procédure de l'abus de droit sont assortis d'une majoration de 80 % (CGI, art. 1729 b N° Lexbase : L1716HNU).

Les dispositions de l'article 1754 V 1 du CGI (N° Lexbase : L1746HNY) précisent en outre qu'en cas d'abus de droit, l'intérêt de retard et la majoration prévue à l'article 1729 du CGI sont dus par toutes les parties à l'acte ou à la convention qui sont solidairement tenues à leur paiement.

On notera, enfin, que la procédure de répression des abus de droit n'est pas applicable aux termes de l'article L. 64 B du LPF (N° Lexbase : L8182AER), lorsque le contribuable, préalablement à la conclusion d'un contrat ou d'une convention, a consulté par écrit l'administration centrale en lui fournissant tous les éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ses opérations et que l'administration n'a pas répondu dans un délai de six mois à compter de la demande.

3. Le cas d'espèce examiné par les magistrats du Palais-Royal concernait une société qui après avoir acquis, en fin d'année 1994, des titres de diverses sociétés puis perçu les dividendes y afférents, avait cédé quelques jours après les titres ainsi acquis, faisant ressortir des moins-values pour un montant égal à celui des dividendes encaissés hors avoirs fiscaux, ces derniers ayant permis à la société de régler la totalité de l'impôt sur les sociétés dont elle se déclarait redevable au titre de l'exercice clos en 1994.

4. Le Conseil d'Etat dans sa décision a considéré que l'utilisation par une société, en paiement de l'impôt sur les sociétés, d'avoirs fiscaux résultant d'opérations d'achat et de revente de titres à proximité de la date de détachement du coupon, n'était pas susceptible d'être critiquée par l'administration à l'appui de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du LPF dans la mesure où "cette utilisation ne déguise ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus" (LPF, art. L. 64 b).

En revanche, selon le Haut conseil, il appartient à l'administration, "lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé".

Selon toujours le Haut conseil, ce principe est applicable en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 64 du LPF, en sorte que l'administration peut écarter comme ne lui étant pas opposables les actes qui "ont un caractère fictif" ou qui "recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles".

5. Le Conseil d'Etat juge donc que les principes généraux du droit de "fictivité" et de "fraude à la loi" se substituent à l'article L. 64 du LPF, lorsque les conditions d'application de ce dernier font défaut.

La répression de l'abus de droit sans texte est, par conséquent, rendue possible par application de ces principes généraux, dès lors que les dispositions de l'article L. 64 du LPF ne peuvent être utilisées.

Elle reprend donc, dans sa décision, suivant en cela les conclusions de son commissaire du Gouvernement, les deux cas d'abus de droit constitués par la "fictivité" et la "fraude à la loi", en tant que principes généraux du droit constituant une base légale distincte de celle de l'article L. 64 du LPF.

Il doit être rappelé que la notion fiscale d'abus de droit visée par l'article L. 64 du LPF recouvre, en effet, outre le cas de "fictivité" expressément visé par le texte (CE, 23 février 1979, n° 06688, Gamon N° Lexbase : A5806B8K ; CAA Bordeaux, 2 février 2006, n° 02BX01398, M. Philippe Simon N° Lexbase : A6539DNI) et par extension de la jurisprudence du Haut conseil, l'hypothèse de "la fraude à la loi" (CE, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ xxxxx N° Lexbase : A7572AKN : RJF 9/81, n° 787).

Selon le commissaire du Gouvernement, la lettre du texte "montre [...] que le législateur a voulu inscrire les redressements couverts par ces dispositions dans le cadre d'une procédure spéciale : il n'a [...] aucunement entendu laisser le choix à l'administration de poursuivre le redressement soit sur le fondement de l'article L. 64, soit sur celui de la théorie jurisprudentielle de l'abus de droit".

On notera que l'article L. 64 du LPF revêt "un caractère mixte" étant "à la fois un article de procédure d'imposition et un article d'assiette".

Il vise les infractions de "fictivité" et de "fraude à la loi", devant bénéficier spécifiquement d'une procédure protectrice (par la saisine du Comité consultatif pour la répression des abus de droit), voulue par le législateur, afférentes à la détermination de l'assiette non seulement de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, des droits d'enregistrement et des taxes sur le chiffre d'affaires, mais aussi, par extension législative, de l'impôt de solidarité sur la fortune (LPF, art. L. 64 A) et de la taxe professionnelle (LPF, art. L. 64 B).

Il s'ensuit que le texte n'écarte que les actes visant à minorer l'assiette de l'impôt excluant, notamment, les taxes locales autres que la taxe professionnelle, la taxe sur les salaires (CAA Nancy, 20 mai 1998, n° 94NC01609, SA Desoss N° Lexbase : A0103AX4) et les questions afférentes au moyen de paiement de l'impôt comme au cas d'espèce.

La question risque de se poser également dans l'avenir pour les crédits d'impôts ainsi que, d'une manière plus générale, le cas échéant, pour le recouvrement de l'impôt.

S'agissant de l'avoir fiscal, dès lors que celui-ci se trouve inclus dans l'assiette de l'impôt avec les dividendes auxquels il se trouve attaché, la question se posait de savoir si son utilisation par le contribuable relevait de l'assiette ou d'un moyen de paiement de l'impôt.

Mais, dans la mesure où il était constaté qu'il ne participait pas à la réduction de l'assiette, mais tout au contraire, à son accroissement, l'administration ne pouvait se placer sur le terrain de l'article L. 64 du LPF ; et il lui appartenait d'apprécier l'utilisation qui en était faite au regard du principe de "fictivité" et de "la fraude à la loi".

6. Il sera observé, incidemment, que bien que la question au fond n'ait pas été tranchée par le Haut conseil parce que le ministre n'avait pas soulevé à titre subsidiaire le moyen tiré de "la fraude à la loi", le commissaire du Gouvernement a jugé utile d'émettre l'avis qu'au cas d'espèce les infractions de "fictivité" et de "fraude à la loi" ne se trouvaient pas constituées.

En ce qui concerne la "fictivité", celle-ci n'est pas, selon lui, constituée en l'absence de montage artificiel au sens "d'une construction juridique traduisant un minimum de complexité" dans la mesure où le contribuable s'est livré à "une pratique usuelle" d'achat de titres suivie de la perception de dividendes et d'avoirs fiscaux attachés à ces derniers et de vente de ces mêmes titres nonobstant le "délai très court dans lequel ces opérations se sont déroulées".

En ce qui concerne "la fraude à la loi", celle-ci n'est pas, également, à son sens, constituée dans la mesure où il "n'y a pas eu création artificielle d'un avoir fiscal, mais seulement changement de bénéficiaire [...] remplissant les conditions légales", étant observé qu'il ne voit pas en quoi l'opération "constitue un détournement de la finalité du dispositif, de la raison d'être de l'avoir fiscal [traduisant] cet excès d'habilité, pour reprendre l'expression du Professeur Cozian".

En conséquence, sur ce dernier point, l'élément intentionnel (l'intention de l'auteur de l'acte) et l'élément objectif (l'usage anormal ou excessif d'un droit) ne se trouvaient pas constitués.

7. Le Haut conseil entend par fraude appliquée à la matière fiscale celle "commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, [....] même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé" reprenant ainsi un considérant de principe tiré de son avis de section du 9 octobre 1992 (CE, 9 octobre 1992, n° 137342, M. Abihilali N° Lexbase : A7982AR3 ; cf. également, CE, 20 janvier 1989, n° 102993, Commission nationale de la communication et des libertés c/ Société "La Cinq" N° Lexbase : A1562AQW).

On rapprochera de cette définition celle antérieurement donnée pour l'abus de droit auquel la fraude se confond, défini comme "l'usage d'un droit avec une fin contraire à celle définie par le législateur" (Traité de droit civil de MM. Colin, Capitant, et de La Morandière, 1953, T. II, P. 237)

Le Professeur R. Odent, dans son cours de droit administratif (p. 1921), rappelait en ce sens que "les administrés peuvent violer l'esprit de la loi si, à seule fin d'obtenir les avantages attachés à une situation qui, en vertu d'un texte, y ouvre droit, ils se placent dans cette situation et en revendiquent le bénéfice tout en refusant d'accepter la contrepartie que le législateur avait en vue lorsqu'il a prévu les avantages correspondants".

La Cour de cassation, très tôt, s'était positionnée sur le sujet en considérant que l'administration pouvait procéder à la requalification d'un acte lorsque sa "substance [...] aussi bien que ses conséquences nécessaires et immédiates protestent contre la qualification que les contractants lui ont donnée, et qu'il ressort de l'économie de ses dispositions qu'elles ont été combinées en vue de dissimuler une autre nature de contrat qu'on voulait soustraire au droit déterminé par la loi fiscale" (Cass. civ., 20 août 1867 : D.P. 1867, 1, 337).

Elle le justifiait par le fait que "l'administration a le droit et le devoir de rechercher et de constater le véritable caractère des stipulations contenues dans les contrats pour arriver à asseoir, d'une manière conforme à la loi, les droits dus par les parties contractantes à raison des contrats".

La Cour de cassation a ultérieurement confirmé sa jurisprudence en ce sens (C. cass., 19 avril 1932) faisant ainsi une application sans texte de la "fictivité" ou de "la fraude à la loi" adoptée ensuite par le Conseil d'Etat en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés (CE, 15 février 1923 : DP 1923, 3, 9 ; CE, 23 décembre 1935 : Rec. Lebon, p. 1220 ; CE, 12 décembre 1930 : Rec. Lebon, p. 1063 ; CE, 25 avril 1938 : Rec. Lebon, p. 165), avant l'intervention d'un texte spécifique le 13 janvier 1941 autorisant l'administration à "écarter un acte juridique quelconque visant à dissimuler un revenu ou un bénéfice et [à] restituer à l'opération son véritable caractère" à l'origine de l'article L. 64 du LPF, dans sa version ultime. Le Conseil d'Etat interprétait ledit texte littéralement en considérant que l'abus de droit ne pouvait être opposé au contribuable par l'administration si l'acte ou l'opération critiqué ne soulevait aucune "fictivité" (CE, 23 février 1979, n° 06688, Gamon, déjà cité), interprétant ainsi d'une manière très restrictive lesdites dispositions avant d'opérer un revirement prétorien de jurisprudence par un arrêt du 10 juin 1981 (CE, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ xxxxx, déjà cité) intégrant la notion de "fraude à la loi" suivi, en cela, par la Cour de cassation qui a fait siennes de la définition de l'abus de droit ainsi retenue (Cass. com., 19 avril 1988, n° 86-19.079, Madame Dozinel N° Lexbase : A7796AAY : RJF 2/89, n° 259).

8. La question se pose de savoir pourquoi le Haut conseil dans sa décision du 27 septembre 2006 a amorcé une telle évolution alors que sa jurisprudence depuis des décennies n'a jamais saisi les occasions qui lui ont été données dans plusieurs affaires d'envisager la répression de l'abus de droit sans texte (CE, 5 novembre 1955, n° 22322, Sieur B. : Dr. Fisc. 1956, n° 1, p. 5 ; CE, 25 février 1966, n° 64228 : Dr. fisc. 1966, n° 12, com. 330).

En effet, il convient de rappeler que, lorsqu'il s'est agi de savoir si la procédure de répression de l'abus de droit était applicable aux impôts locaux et plus particulièrement à la taxe professionnelle, sur le fondement du texte de l'article L. 64 du LPF, le Haut conseil a répondu par la négative, sans aller plus avant, notamment sur le terrain de "la fraude à loi" (CE Contentieux, 10 juin 1992, n° 90466, Société à responsabilité limitée Gournac-Thomas N° Lexbase : A6935ARB) ; cette jurisprudence ayant conduit le législateur par sécurité à adopter un texte (LPF, art. L. 64 B issue de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 N° Lexbase : L6330DME).

Pour le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon, l'interprétation à donner à cette situation ne permet pas de prétendre que le Haut conseil, se soit réellement positionné sur la possibilité d'une application de la répression de l'abus de droit sans texte nonobstant une partie de la doctrine considérant que le texte est la "seule source de pouvoirs de l'administration en pareille matière" ou que "le concept de l'abus de droit [étant] devenu, à partir de 1941, un concept purement législatif", ce dernier interdisait à l'administration de se placer sur le terrain de "la fraude" à la loi hors du champ d'application d'un texte.

Au contraire, le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon observe dans ces conclusions qu'une autre partie de la doctrine animée par le Professeur M. Cozian rappelle qu'historiquement le support légal faisait défaut et que l'intervention du texte de 1941 qui avait placé hors de son champ d'application les droits d'enregistrement n'avait pas empêché le juge de l'impôt de faire application de l'abus de droit en cette matière.

En ce sens, il rappelle "que si l'article L. 64 du LPF et les textes qui l'ont précédé définissent le champ d'application de la procédure spéciale, ils ne disent mot de ce qui demeure en dehors de ce champ, et ne traduisent nullement la volonté du législateur d'interdire à l'administration de réprimer d'éventuels abus de droit hors du champ d'application de ces dispositions" faisant ainsi échos à la règle rappelée par le Professeur M. Cozian selon laquelle "l'incidence d'une loi spéciale nouvelle sur le droit antérieur" doit être appréciée à la lumière du principe specialia generalibus derogant.

Mais c'est probablement l'évolution récente de la jurisprudence communautaire qui, comme le souligne dans ses conclusions le commissaire du Gouvernement Laurent Olléon, "commande fortement la position" que le Haut conseil doit prendre aujourd'hui et ce plus particulièrement au regard de l'arrêt "Halifax Plc.", du 21 février 2006 rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A0045DNY).

La Cour de justice a, en effet, en matière de taxe sur le chiffre d'affaires, dit pour droit, après avoir rappelé que, si au sens de la sixième Directive "des opérations [...] constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de la sixième Directive dès lors qu'elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, même lorsqu'elles sont effectuées dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique", cette même Directive "doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose au droit de l'assujetti de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d'une pratique abusive".

La Cour de justice souligne dans son arrêt que "la constatation de l'existence d'une pratique abusive exige, d'une part, que les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième Directive et de la législation nationale transposant cette Directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif de ces dispositions" et que "d'autre part, il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal".

Elle a conclu que "lorsque l'existence d'une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu'elle aurait existé en l'absence des opérations constitutives de cette pratique abusive".

Cet arrêt a donc inspiré la décision du Conseil d'Etat, étant observé que la Cour de justice avait déjà formulé, hors du champ fiscal, la condamnation de "l'usage abusif des dispositions du droit communautaire" (CJCE, 14 décembre 2000, aff. C-110/99, Emsland-Stärke GmbH c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas N° Lexbase : A1844AW9). Un auteur, dans ces mêmes colonnes, le Professeur Yolande Sérandour, il y a quelques mois, commentant l'arrêt "Halifax plc." (voir Y. Sérandour, Abus de droit et TVA, Lexbase Hebdo n° 205, du 9 mars 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N5453AK8 et N° Lexbase : N5994AK9 ; L'abus de droit selon la CJCE, à propos de l'arrêt Halifax, Dr. fisc. 2006, n° 16, p. 846) avait d'une manière prémonitoire posé la question de "l'éventuelle extension de cette jurisprudence communautaire à la fiscalité directe". Elle rappelait que, si tel devait être le cas, le Conseil d'Etat devrait exiger de "l'administration qu'elle désigne précisément les auteurs de l'abus de droit et qu'elle caractérise l'abus par les deux critères posés par le juge communautaire". Elle poursuivait encore en observant que le respect de la philosophie de l'arrêt "Halifax plc." devrait conduire le juge de l'impôt français à rechercher précisément "le contenu et la signification réels des opérations en cause, la distinction française entre mensonge juridique et mensonge économique important peu". Ce même juge ira-t-il jusqu'à remettre en cause l'approche de "la conception française de l'abus de droit par fraude [qui] se caractérise par le but exclusivement fiscal" au profit de celle "du but essentiellement fiscal" retenue par la Cour de justice ! La décision "Janfin" et les conclusions éclairées du commissaire du Gouvernement n'apportent aucune réponse à ces questions qui mettent en opposition la conception communautaire de l'abus de droit dégagée par l'arrêt "Halifax plc." et la conception française de cette même notion.

Sur le même sujet on notera, également, l'intervention, cette même année, après l'arrêt "Halifax plc.", d'un autre arrêt de la Cour de justice, le 12 septembre 2006, l'arrêt "Cadbury Schweppes plc.", aux termes duquel la Cour a dit pour droit que les articles 43 CE (liberté d'établissement) et 48 CE (liberté d'exercer une activité) doivent être interprétés en ce sens qu'ils "s'opposent à l'incorporation, dans l'assiette imposable d'une société résidente établie dans un Etat membre, des bénéfices réalisés par une société étrangère contrôlée dans un autre Etat membre lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d'imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat, à moins qu'une telle incorporation ne concerne que les montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt national normalement dû". Il s'ensuit selon la Cour de justice que l'application d'une telle mesure d'imposition "doit par conséquent être écartée lorsqu'il s'avère, sur la base d'éléments objectifs et vérifiables par des tiers, que, nonobstant l'existence de motivations de nature fiscale, ladite société contrôlée est réellement implantée dans l'Etat membre d'accueil et y exerce des activités économiques effectives".

On y trouvera là les éléments de réflexion sur le contenu et la signification des opérations en cause devant ou non conduire à la répression des abus de droit.

C'est dans ce contexte jurisprudentiel et fourni qu'intervient la décision "Janfin" du Conseil d'Etat, lequel, il y a à peine un peu plus d'an, avait abordé le sujet de la conformité de l'article L. 64 du LPF au Traité communautaire et notamment à la liberté d'établissement de l'article 43 (CE, 18 mai 2005, n° 267087, Société Sagal N° Lexbase : A3517DI4 : Procédures 2005, comm. 245, note J.-L. Pierre ; voir également Procédures 2006 déc. commentaires J.-L. Pierre à paraître sur l'arrêt "Janfin").

En effet, était posée au Haut conseil la question de savoir si les dispositions de l'article L. 64 du LPF étaient de nature à restreindre l'exercice de la liberté d'établissement, en exerçant un effet dissuasif à l'égard des contribuables qui souhaitent s'installer dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, notamment, lorsque ce projet d'établissement est inspiré par un motif fiscal.

Il a apporté une réponse négative, en rappelant au préalable que les dispositions en question étaient strictement limitées, "aux cas où l'administration apporte la preuve que l'acte par lequel un contribuable s'établit à l'étranger revêt un caractère fictif ou simulé, ou bien, à défaut, n'a pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé cet acte, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles".

Il s'ensuivait, par conséquent, pour le Haut conseil "qu'eu égard à l'objectif ainsi poursuivi, qui consiste spécifiquement à exclure du bénéfice de dispositions fiscales favorables les montages purement artificiels dont le seul objet est de contourner la législation fiscale française, ainsi qu'aux conditions de leur mise en oeuvre, les dispositions précitées de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales ne peuvent être regardées comme apportant une restriction à la liberté d'établissement incompatible avec les stipulations susmentionnées du Traité instituant la Communauté européenne".

9. Reste à savoir maintenant la manière dont vont coexister les deux procédures de répression de l'abus de droit, la première fondée sur l'article L. 64 du LPF et, la seconde hors du champ d'application de ce texte.

On notera au préalable l'observation du commissaire du Gouvernement Laurent Olléon au sujet de la décision de 1981, sur les conditions d'application des dispositions de l'article L. 64 du LPF, envisageant non seulement le cas de "fictivité", mais également celui de "fraude à la loi" qui selon lui s'écarte fortement "de la lettre du texte", ne visant que le seul cas de "fictivité".

Est-ce à dire que la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat serait susceptible d'évoluer dans le sens d'un revirement revenant sur la lettre du texte.

En effet, il rappelle que les dispositions de l'article L. 64 du LPF doivent être interprétées strictement dans la mesure "où la mise en oeuvre de la pénalité de 80 %" (CGI, art. 1729) revêt le caractère "d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise"(CE, Ass., 8 avril 1998, n° 192539, Sté Distribution de Chaleur de Meudon et Orléans SDMO N° Lexbase : A7848ASH : RJF 1998, n° 593, concl. Goulard, p. 378).

Cette hypothèse semble difficilement envisageable car elle conduirait l'administration à appliquer le principe général de "fraude à la loi" à des redressements qui perdraient le bénéfice de la garantie constituée par la faculté de saisir le Comité consultatif pour la répression des abus de droit.

Il s'agit là de l'application du principe d'interprétation stricte des textes à caractère pénal dès lors qu'effectivement la pénalité de 80 % prévue à l'article 1729 du CGI se trouve automatiquement applicable en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF (voir CE, avis, 31 mars 1995, n° 164008, SARL Auto-Industrie Meric N° Lexbase : A3250ANP).

Sur ce dernier point, s'agissant de son éventuelle application hors du champ d'application du texte sur l'abus de droit, le commissaire du Gouvernement l'écarte, en mettant en avant la spécificité de la procédure tenant à l'application des principes de "fictivité" et de "fraude à la loi", distincte de celle du texte de l'article L. 64 du LPF et hors champ d'application de ce dernier précisant que la majoration de 80 % propre à l'abus de droit (CGI, 1729 b) ne peut trouver à s'appliquer en l'absence d'automaticité liée à l'existence d'un texte.

Il s'ensuit que les pénalités pour manoeuvres frauduleuses de 80 % (CGI, art. 1729 b) caractérisées par la création d'une apparence de nature à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle tout comme celles pour "manquement délibéré" (CGI, art. 1729 a) caractérisées par la dissimulation volontaire, seront susceptibles d'être infligées par l'administration sans aucune obligation spécifique, "seul le comportement fautif d'une fraude à la loi" justifiant l'application des pénalités.

Il s'ensuit que, suivant la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat, l'administration qui entendra fonder ses rehaussements sur "la fraude à la loi", faute de pouvoir se positionner son redressement dans le champ d'application de la répression de l'abus de droit de l'article L. 64 du LPF, se trouvera placée de facto dans le champ d'application de la procédure de rectification contradictoire visée à l'article L. 55 du LPF (N° Lexbase : L5587G4P), supportant ainsi pleinement la charge de la preuve qui sera insusceptible de basculer sur la tête du contribuable. En effet, dans cette hypothèse en l'absence de saisine du Comité consultatif pour la répression des abus de droit soit à l'initiative de l'administration soit à celle du contribuable, le risque d'un renversement de la charge de la preuve sur la tête de ce dernier, en cas d'avis défavorable du Comité, ne sera pas couru.

Toutefois, le risque peut être grand pour l'administration de se placer hors du champ d'application du texte de l'article L. 64 du LPF en procédant soit à des redressements qui seraient qualifiés "d'abus de droit rampant" (CE, 17 novembre 1986, n° 30465, Paugam et Ministre du Budget N° Lexbase : A4499AML : RJF 1/87 n° 78 ; CE Contentieux, 21 juillet 1989, n° 59970, Ministre du Budget c/ Bendjador N° Lexbase : A0784AQ4 : RJF 8-9/89 n° 998 ; Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-17.843, F-D N° Lexbase : A2976DRN), soit à des redressements qui seraient fondés sur le principe de "fraude à la loi", mais qui s'avéreraient a posteriori entrer dans le champ d'application de l'article L. 64 du LPF. Dans cette dernière hypothèse, l'administration ne pourra ultérieurement opérer devant le juge de l'impôt une substitution de base légale dans la mesure où ne s'étant pas située dans le champ d'application du texte elle a privé le contribuable d'une garantie essentielle. En revanche, dans l'hypothèse inverse, où se situant par erreur dans le champ d'application du texte sur l'abus de droit, il s'avérerait qu'au regard des faits de l'espèce, elle ne pouvait s'y placer et que son redressement ne pouvait qu'être envisagé hors du champ d'application du texte de l'article L. 64 du LPF (sous le principe de "la fraude à la loi"), l'administration devrait pouvoir, valablement, devant le juge de l'impôt, demander à opérer une substitution de base légale sans qu'aucune atteinte aux principes fondamentaux ou garanties du contribuable ne lui soient opposée en l'absence de dispositions spécifiques afférentes à la saisine de commissions ou d'un comité.

Mais la question se pose de savoir, si le principe général "des droits de la défense" ne pourrait pas être opposé, comme il l'a été fait en matière de taxe professionnelle (CE, 5 juin 2002, n° 219840, M. Simoens N° Lexbase : A8663AYI : RJF 8-9/02, n° 934) et de taxe foncière (CE, 29 juin 2005, n° 271893, Société Sud-Ouest Bail N° Lexbase : A0248DKE : RJF 10/05, n° 1038) sur la possibilité pour le contribuable de présenter ses observations nonobstant l'inapplication de la procédure de redressement contradictoire, dans l'hypothèse où le contribuable souhaiterait saisir pour avis, tout comme l'administration d'ailleurs, le Comité consultatif pour la répression des abus de droit.

10. La reconnaissance par le Conseil d'Etat de l'existence de deux fondements à l'abus de droit, le premier d'ordre textuel et d'interprétation jurisprudentielle et, le second relevant des principes généraux du droit de la "fictivité" et de "la fraude à la loi", peut, un instant donné, semer la confusion dans les esprits dans leur manière de coexister laquelle appellera, probablement dans l'avenir, de la part du Haut conseil des précisions sur leur portée respective en droit interne dans le cadre de l'évolution de la jurisprudence communautaire dont l'arrêt "Sagal" s'était fait l'écho "en faisant tomber", comme le précise le Commissaire Laurent Olléon dans ses conclusions, "sous le coup des dispositions de l'article L. 64 du LPF les montages purement artificiels". Reste maintenant à la Cour de cassation à se prononcer sur le sujet dans le même sens, elle, qui ironie du sort s'était déjà, il y a plus d'un siècle, prononcée la première sur le principe de "la fraude à la loi" sans texte.

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