Réf. : Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, M. Jean-François X, agissant en qualité de liquidateur de la société Arlanc productions SARL c/ M. Jean-Claude Y, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pierre d'Arlanc, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR)
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N1220ALR
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le 07 Octobre 2010
Résumé
La clause de la convention de cession d'une entité économique autonome, qui ne prévoit que la reprise d'une partie des salariés, contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, doit être réputée non écrite, sans qu'en soit affectée entre les parties la validité de la convention de cession. |
Décision
Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, M. Jean-François X, agissant en qualité de liquidateur de la société Arlanc productions SARL c/ M. Jean-Claude Y, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pierre d'Arlanc, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR) Rejet (CA Riom, 24 mars 2004) Textes visés : C. trav., article L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY), C. civ., articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8) et 1131 (N° Lexbase : L1231AB9), C. com., article L. 622-17 (N° Lexbase : L3876HB8). Mots-clés : liquidation judiciaire, cession d'une unité de production, transfert des contrats de travail, licenciements économiques Liens base : ; |
Faits
La SA Pierre d'Arlanc, entreprise de textile employant une centaine de salariés, a été mise en liquidation judiciaire le 16 juillet 1999. Au mois d'août suivant, son liquidateur a procédé au licenciement économique à titre collectif des salariés. Par la suite, le juge-commissaire a autorisé la cession d'une unité de production de ladite société à la société Arlanc productions, avec reprise de vingt-cinq salariés. La cession a été réalisée au mois de février et mars 2000. Un arrêt de la cour d'appel de Riom, rendu le 5 juin 2001, a décidé que les contrats de travail de onze salariés non repris par le cessionnaire s'étaient poursuivis de plein droit avec celui-ci en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail et que leur licenciement était dépourvu d'effet. La société Arlanc productions, soutenant que cette décision modifiait les engagements qu'elle avait pris dans l'acte de cession en a demandé la nullité pour absence d'objet et de cause. En sa première branche, le moyen soutient que la cession d'une unité de production faite en violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12 du Code du travail est sans effet, et qu'en rejetant l'action en nullité de la convention de cession du fonds de commerce qui ne prévoyait que la reprise partielle du personnel de l'unité de production cédée, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil, ensemble les articles L. 122-12 du Code du travail et L. 622-17 du Code de commerce. En sa seconde branche, le moyen fait valoir que l'acte de cession litigieux ayant été conclu conformément à l'ordonnance du juge-commissaire, confirmée par jugement du tribunal de commerce, qui prévoyait une reprise partielle de salariés, la cour d'appel, qui aurait dû rechercher si l'erreur commise par le cessionnaire sur l'étendue de ses obligations n'était pas légitime au regard des décisions de justice rendues et n'entachait pas de nullité l'acte conclu, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1108 et 1131 du Code civil. |
Solution
"La clause de la convention de cession d'une entité économique autonome, qui ne prévoit que la reprise d'une partie des salariés, contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, doit être réputée non écrite, sans qu'en soit affectée entre les parties la validité de la convention de cession". |
Observations
I - Cession d'unité de production et maintien des contrats de travail
Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 122-12 du Code du travail, "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise" (1). Ainsi que l'affirme avec constance la Cour de cassation depuis 1990, la disposition précitée s'applique "à tout transfert d'une entité économique, conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise" (Cass. Ass. plén, 16 mars 1990, n° 89-45.730, Procureur général près la Cour de Cassation c/ M Appart et autres N° Lexbase : A9499AA3 ; D. 1990, p. 306, note A. Lyon-Caen). En outre, "constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre" (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-21.451, Caisse primaire d'assurance maladie de Paris et autres N° Lexbase : A5565AC4) (2). Dès lors que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, telles que précisées par la jurisprudence sont réunies, les contrats de travail continuent de produire effet en la personne du cessionnaire. Par suite, les licenciements qui auraient été prononcés avant l'opération de transfert pour éluder l'application de l'article L. 122-12 sont privés d'effet et le contrat de travail subsiste avec le nouvel employeur (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-40.812, Monsieur Guermonprez c/ Monsieur d'Abrigeon, publié N° Lexbase : A2504ACQ).
Il n'a jamais été contesté que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail devaient s'appliquer dans le contexte des procédures collectives, que l'entreprise défaillante fasse l'objet d'un plan de redressement par voie de cession ou d'une liquidation judiciaire (V., sur la question, l'importante étude de L. Moreuil et P. Morvan, Cession d'unité de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : un revirement ou une réforme s'impose, JCP éd. E 2004, n° 1897). Cela étant, dans les procédures régies par les textes antérieurs à l'application de la loi du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises (sur cette réforme, v. infra), la mise en oeuvre de l'article L. 122-12 du Code du travail est appréciée différemment selon que l'on se trouve en présence d'une cession de l'entreprise intervenant lors d'un redressement judiciaire ou lors d'une liquidation. Si l'article L. 122-12, alinéa 2, s'applique de plein droit à une cession d'entreprise, même partielle, intervenue dans le cadre d'un plan de redressement judiciaire, il ne saurait concerner les salariés dont le licenciement a été autorisé par le plan de cession sur la base de l'ancien article L. 621-64 du Code de commerce (N° Lexbase : L6916AIY). En d'autres termes, leur contrat de travail ne saurait être transféré au cessionnaire (3). "L'article L. 621-64 du Code de commerce permet donc d'évincer l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail chaque fois que le jugement arrêtant le plan de cession indique le nombre des licenciements autorisés ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées" (L. Moreuil et P. Morvan, art. préc., p. 2061). Curieusement, aucune disposition de ce type n'est prévue lorsque la cession de l'entreprise intervient lors de la liquidation judiciaire. Plus précisément, au cours de cette phase le juge-commissaire peut autoriser la cession "d'unités de production" (C. com., art. L. 622-17, ancien N° Lexbase : L7012AIK). Or, et ainsi que le juge avec constance la Cour de cassation, "la cession d'une unité de production composée de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier d'une entreprise en liquidation judiciaire réalisée en vertu d'une autorisation du juge-commissaire entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique autonome et, par voie de conséquence, la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés de l'unité transférée, peu important qu'ils aient été licenciés auparavant par le mandataire-liquidateur" (Cass. soc., 21 février 2006, n° 03-48.243, M. Bernard Brunet-Beaumel, agissant ès qualités de liquidateur de la société Nouvelle Chavagnas N° Lexbase : A1746DNY. V. aussi, Cass. soc., 19 avril 2005, n° 03-43.240, Mme Olivia Biard c/ Société ACEB Electronique et autres N° Lexbase : A9680DHY et notre chron., Cession d'unités de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : la Cour de cassation maintien le cap !, Lexbase Hebdo n° 166 du 5 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3804AIQ). Il faut, ainsi, comprendre que la cession d'une unité de production peut entraîner de plein droit la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail de l'unité de production cédée et rendre sans effet les licenciements prononcés par le mandataire liquidateur avant la cession. Cette solution a pu, à très juste titre, être critiquée en ce qu'elle conduit à imposer au cessionnaire de reprendre tout le personnel de l'entité cédée, ce qui n'est guère conforme aux réalités économiques (en ce sens, L. Moreuil et P. Morvan, art. préc.) (4). Nonobstant leur pertinence, les arguments développés par ces derniers auteurs n'ont visiblement pas convaincu la Cour de cassation qui, réunie en Chambre mixte, vient confirmer la solution précitée. En fait de confirmation, celle-ci est en réalité, et si l'on peut dire, indirecte puisque cette Chambre mixte vient surtout condamner la clause de la convention de cession prévoyant la reprise d'une partie seulement des salariés. Mais cette condamnation n'est que la conséquence de la contrariété de la stipulation litigieuse aux dispositions de l'article L. 122-12 qui s'appliquait donc en l'espèce. II - Nullité partielle de la convention de cession contraire à la règle du maintien des contrats de travail
Contraint, en application de la jurisprudence précitée, de reprendre les salariés licenciés antérieurement à la cession de l'unité de production, le cessionnaire avait développé dans son pourvoi une argumentation audacieuse pour échapper à cette issue. Selon le moyen, en effet, il ne peut être dérogé par des conventions particulières aux dispositions d'ordre public, comme celles de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, de telles conventions étant nulles et sans effet. Or, en ne prévoyant que la reprise partielle de vingt-cinq personnes, la convention de cession était nulle car contraire aux dispositions du texte précité. On admettra, avec l'auteur du pourvoi, qu'une convention de cession d'une entité économique autonome ne prévoyant que la reprise d'une partie des salariés est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Est-ce à dire pour autant que cette convention est nulle ? C'est, on le devine, toute l'épineuse question de l'étendue de la nullité qui se trouve ici posée (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, § 419 et s.). Pour aller à l'essentiel, on sait que la jurisprudence, à partir d'une interprétation large des articles 1172 (N° Lexbase : L1274ABS) et 900 (N° Lexbase : L3541ABR) du Code civil, admet que l'ensemble du contrat peut être atteint lorsque la clause critiquée a été "impulsive et déterminante" pour la volonté des parties ou lorsqu'elle a un caractère "indivisible". Toutefois, et ainsi que le relève à juste titre l'avocat général dans son avis précité "on voit mal comment le cessionnaire pourrait être fondé à invoquer la nullité de l'ensemble de la convention de cession en arguant du caractère impulsif et déterminant d'une clause illicite dont il ne pouvait ignorer l'absence de validité lorsqu'il a consenti à l'opération". Pour cette seule raison, on doit approuver la Cour de cassation d'avoir ici opté pour la nullité partielle, en déclarant simplement non écrite la clause de la convention de cession qui ne prévoyait que la reprise d'une partie des salariés.
Certains pourront être tentés, à la lecture de l'arrêt commenté, d'avancer qu'il s'agit "de beaucoup de bruit pour rien". En effet, et ainsi que nous l'avons laissé entendre précédemment, la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 a unifié le régime des cessions dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Plus précisément, cette réforme rend applicables à la liquidation comme au règlement judiciaires, les dispositions qui prévoient la possibilité de licenciements économiques en cas de cession de l'entreprise (C. com., art. L. 642-5 nouveau N° Lexbase : L3912HBI) (5). Désormais, le juge ne peut donc plus remettre en cause les licenciements sur le fondement de l'article L. 122-12 du Code du travail lorsque la cession de l'entreprise intervient durant la phase de liquidation judiciaire. Si l'on comprend ainsi que la Cour de cassation n'ait pas souhaité procéder à un revirement de jurisprudence qui, en tout état de cause, aurait été bien tardif, il faut également souligner que la solution retenue dans l'arrêt rendu le 7 juillet 2006 conserve un intérêt pratique évident. Il convient, en effet, de rappeler que les dispositions de la loi du 26 juillet 2005 intéressant la cession de l'entreprise ne régissent que les procédures collectives ouvertes à compter du 1er janvier 2006. En conséquence, toutes les procédures ouvertes antérieurement à cette date restent soumises à la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) et à la critiquable jurisprudence de la Cour de cassation dont l'arrêt sous examen ne constitue au fond qu'un simple rappel.
Gilles Auzero
(1) Sur l'ensemble de la question, v. par ex., J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème éd., 2004, pp. 425 et s. |
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