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le 07 Octobre 2010
A ce titre, ces obstacles réglementaires sont apparus suffisamment importants pour qu'une commission, chargée de les évaluer ait vu le jour à l'initiative des cinq régulateurs européens concernés par la fusion (6). Pour notre part, il apparaît que, dans un cadre strictement juridique, deux séries de problèmes surgissent : les uns tenant à la nature et au fonctionnement des marchés réglementés (I) tels qu'ils sont appréhendés en droit communautaire, les autres, tenant à la nécessité d'envisager une forme particulière d'harmonisation pour le droit des sociétés cotées (II).
I - La notion de marché réglementé au coeur du débat
Le premier problème relatif à la fusion tient à l'existence, depuis l'adoption de la Directive sur les services d'investissement (Directive 93/22 du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP), d'un nouveau type de marché, dit réglementé, concept issu de la transformation des anciennes bourses étatiques (A). La gestion de ces marchés par des entreprises de marché a été l'enjeu de rapprochements entre ces dernières aux fins d'une modernisation de la gestion des opérations (B).
A - L'évolution de l'encadrement étatique de la bourse
La définition que les juristes donnaient naguère de la bourse illustre le chemin parcouru depuis une décennie, lorsqu'on ne pouvait y voir qu'un "marché public" (7), tant en raison de son fonctionnement que dans son encadrement par la puissance publique. Le fonctionnement de la bourse, comme ancêtre administratif du marché a, ainsi, été, en premier lieu, rattaché par la jurisprudence à une activité relevant du service public (8). Son encadrement a, en second lieu, fait l'objet d'une évolution dont l'historique est complexe, avec ses flux et ses reflux vers le plus ou moins d'Etat, mais dont le mouvement général a, jusqu'à la période contemporaine, toujours abouti à la restauration de la tutelle de l'administration.
Pour n'en résumer que les étapes essentielles, ces modifications se sont successivement traduites par des mutations quant à la nature des institutions chargées de la surveillance et de l'encadrement des transactions. A l'origine, la bourse est officiellement établie par un arrêt du Conseil du Roi du 28 septembre 1724, dans un contexte troublé par la crise financière de 1721 qui suit la faillite du système de Law. Ce contexte de crise impose l'idée de la nécessité d'un contrôle administratif des opérations boursières. Le statut d'agent de change apparaît à cette occasion, mais ce dernier ne deviendra un monopole que lors de l'édiction du Code de commerce en 1807 (9). C'est ainsi que le contrôle de la bourse, administratif, passe sous une emprise corporatiste. Celle-ci se renforcera grâce à l'ordonnance royale de 1816 qui emportera l'établissement de la Compagnie nationale et de la Chambre syndicale des agents de change, les dotera de compétences disciplinaires et de la faculté d'organiser les marchés. Un décret du 7 octobre 1870 parachèvera le dispositif. Toutefois, le contrôle étatique demeure présent en raison de la nature administrative de la réglementation boursière. Ainsi, la loi du 14 février 1942 instituera le Conseil des bourses de valeur, mais toujours dans le cadre étroit d'une tutelle administrative, la création de la COB par l'ordonnance du 28 septembre 1967 renforçant encore l'aspect administratif du contrôle.
L'époque moderne, en définitive, débutera avec la loi du 22 janvier 1998 (10) qui mettra fin au statut des agents de change et supprimera les structures corporatives, les fonctions de la chambre syndicale étant, désormais, assumées par une société commerciale. C'est, enfin, avec la construction européenne que l'idée de la division de la tutelle technique et administrative des marchés s'imposera réellement (une autorité de marché d'un côté, un gestionnaire de l'autre). Elle ne le sera, d'ailleurs, que pour des raisons extrinsèques au fonctionnement de la bourse puisque cette évolution a eu pour origine la mise en oeuvre de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services financiers. Dans cet espace financier unique que devenait l'Europe des marchés de capitaux, ces derniers ont, en effet, été conçus comme pouvant rentrer en concurrence et leur gestion a été confiée, à cette fin, à des entreprises de marché indépendantes des Etats (11). Dans le même temps, toujours en raison de la nécessité de mettre tous les espaces de transaction en concurrence, l'encadrement et la mise en oeuvre des opérations sont devenus des activités purement privées, perdant, de la sorte, leurs qualités de services publics (12).
Que reste-t-il donc de l'encadrement étatique de la bourse, qui pourrait empêcher la fusion entre Euronext N.V et le NYSE ? Beaucoup de choses, en dépit de l'affirmation de l'existence d'une libre concurrence entre marchés de l'Union et au-delà des manifestations -un peu désuètes- d'une certaine forme de patriotisme économique. Sur ce point, le fond mérite d'être distingué de la forme.
Sur le fond, une compétence essentielle est demeurée la prérogative des Etats membres : la protection de l'investisseur. Activité relevant de l'intérêt général, cette protection, focalisée sur le consommateur de produit financier, davantage que sur l'investisseur professionnel, justifie le maintien de certaines prérogatives de puissance publique relevant d'une sorte d'ordre public économique de protection. Institutionnellement, cette protection, initialement assurée par la Commission des opérations de bourse, l'est désormais par l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui l'a remplacée dans cette mission.
Sur la forme, et nous nous en sommes déjà expliqué amplement dans ces colonnes (13), la notion de bourse, avec toutes ses ambiguïtés, était destinée à disparaître avec l'avènement de la Directive sur les services d'investissement, mais la négociation de ce texte a donné lieu à un compromis qui a débouché sur l'émergence d'un nouveau concept, celui de marché réglementé. Ce dernier est, cependant, défini d'une façon plus que succincte puisque ces marchés consistent, aux termes de l'article L. 421-3 du Code monétaire et financier (14), en des espaces de transaction présentant un fonctionnement régulier, fixé par des règles de marché, règles qui sont elles-mêmes approuvées par l'autorité de régulation ; or, l'importance des marchés réglementés ne peut être mesurée à l'aune de cette approche strictement procédurale. D'une part, leur existence garantit les investisseurs et permet la défense de l'épargne publique. Ils sont donc placés directement sous le contrôle de l'autorité de régulation au titre de la protection des consommateurs de produits financiers. Ces marchés ne peuvent être créés, d'autre part, qu'avec l'autorisation de la puissance publique et, en définitive, leur fonctionnement doit être garant de la possibilité, pour un consommateur sans expérience particulière de la bourse, de bénéficier d'un traitement en tout point conforme à celui qui est réservé aux autres opérateurs particuliers, et ce, dans des conditions de sécurité et d'information maximales.
Quelle différence, alors, entre l'encadrement des opérations sous l'ancien régime boursier et celui qui prévaut sous l'égide des marchés financiers ? Les éléments de réponse figurent essentiellement dans les aspects institutionnels que nous avons évoqués précédemment : la gestion de ces marchés est confiée à des personnes privées dont les liens avec la puissance publique sont beaucoup plus ténus que par le passé. Autrement dit, c'est la nature de l'opérateur qui change mais non sa mission. Utilisant cette situation privilégiée, les entreprises de marché vont jouer à plein, en termes de développement, des possibilités qui leur étaient offertes par leur statut privé même si leur statut en faisait des relais de la puissance publique quant à la protection des épargnants.
B - La concentration des gestionnaires de marchés
La réforme des marchés financiers à peine achevée, le mouvement de concentration des opérateurs sur les marchés réglementés s'entame vers la fin des années quatre-vingt-dix. Initié d'abord en droit interne par le regroupement des chambres de compensation, il s'est poursuivi au plan international alors qu'une seule entreprise de marché française gérait les marchés et avait été reconnue es qualité. L'ancienne Société des bourses françaises (SBF), seul gestionnaire privé de la bourse depuis la réforme de 1988, s'est donc transformée pour devenir l'unique entreprise de marché française. Le particularisme de la gestion des marchés réglementés est apparu dès lors, puisque cette gestion était réalisée par une société privée placée par l'Etat en situation de monopole, quand bien même elle ne pouvait plus prétendre être titulaire de la gestion du service public boursier.
Cette situation, fruit de l'évolution des prestations de services financiers, se retrouvant dans la plupart des autres Etats membres, certains gestionnaires de marchés ont pu envisager leur réunion sous une forme juridique unique afin de constituer ce qui a vite été décrit comme le marché "pan-européen". Avec cette dénomination, ambitieuse comme une bannière : Euronext, ce dernier naît le 22 septembre 2000 de la fusion économique des trois bourses européennes de Paris, de Bruxelles et d'Amsterdam (15) -l'entité absorbera par la suite Lisbonne ainsi que le Liffe (marché de dérivés) Londonien (16)-. Il introduit, au plan juridique, un nouvel agencement des entreprises de marché puisque ce sont les gestionnaires des marchés domestiques de ces Etats membres qui sont désormais sociétés-filles d'une mère de droit néerlandais : Euronext N.V. En droit interne, c'est, en principe, la filiale de la place, Euronext Paris SA, qui est en charge de l'élaboration de la réglementation propre aux marchés réglementés. C'est, en revanche, au sein de la mère néerlandaise que les règles de marché dites "harmonisées", en date du 20 juillet 2001 (17), vont être établies pour unifier les opérations.
La protection de l'investisseur, qui demeure au coeur de la préoccupation du législateur communautaire, n'en est pas moins préservée, ne serait-ce que par l'application des mécanismes de hiérarchie des normes : les réglementations locales des opérations découlent de textes de lois nationaux, eux même issus de la Directive communautaire sur les services d'investissement. On pourrait, en revanche, être plus réservé, sur l'innocuité du regroupement au regard du droit de la concurrence car les rédacteurs de la Directive avaient ouvertement souligné qu'ils attendaient de la réforme européenne des marchés financiers l'apparition d'une concurrence entre entreprises de marché. Dans les faits, on a surtout assisté à une concurrence involontaire entre Etats par entreprises de marché interposées, et la concurrence s'est déplacée vers un petit nombre de pôles boursiers, autour des places principales que constituaient Londres, Francfort et Paris.
Ces pôles eux mêmes, ont rapidement été tentés par des opérations de croissance externe, croissance d'autant plus facilitée que les entreprises de marché, en tant qu'entités privées, étaient elles-mêmes cotées sur les marchés et, donc, vulnérables aux mécanismes d'offre publique. Difficile, dans ce cas, de voir dans l'entreprise de marché un organisme susceptible de garantir la protection de l'investisseur alors qu'elle est en situation de faire l'objet d'offres publiques, avec les menaces de discontinuité dans l'exploitation et de perte de sécurité qui seraient susceptibles d'en résulter. Rien d'étonnant, alors, que, durant cette période caractérisée par la croissance externe de certains gestionnaires de marché, le rôle des autorités de régulation, comme celui de l'AMF pour la France, ait été accru de façon significative face aux risques qui pesaient sur les entreprises de marché.
La période qui a suivi la constitution d'Euronext a, également, été fertile en tentative de rapprochement, de rachat ou de prise de participation entre les entreprises de marché. Pour des raisons diverses, mais auxquelles certaines considérations politiques n'étaient pas étrangères, ces regroupements ont cependant échoué. Dernier en date, la tentative de rachat du London Stock Exchange (LES) par Euronext n'a pas non plus abouti. Toutefois, le problème évoqué dans ces colonnes l'année dernière (18) ne venait pas, en l'espèce, d'un souci de défendre des marchés réglementés car cette notion semble définitivement restreinte aux bourses continentales, mais bien de l'appréciation par les autorités de la concurrence du Royaume-Uni de la position concurrentielle d'Euronext sur les marchés boursiers locaux.
Le problème du respect de la libre concurrence ne se pose pas, toutefois, de façon aussi aiguë que pour les autres secteurs économiques : le point a été souligné auparavant, les marchés financiers ont longtemps constitué le pré carré de la puissance publique au point d'en faire des bourses placées, dans certains ordres juridiques -et notamment le nôtre- sous un régime administratif. L'adaptation de leur fonctionnement à une économie de marché est ainsi trop récente pour qu'on puisse estimer que, par rapport à la situation qui prévalait encore il y a une dizaine d'années, la fusion puisse être envisagée comme ayant un effet anti-concurrentiel. On peut, par ailleurs, attendre de cette dernière une amélioration du coût des prestations pour les investisseurs, ainsi que des gains technologiques, toutes évolutions censées compenser la disparition d'un opérateur sur le marché. Enfin, la question de la pertinence de l'application du droit de la concurrence aux marchés financiers mérite, incidemment, d'être soulevée. Pourquoi tenter, en effet, d'appliquer un droit conçu dès l'origine pour pallier aux dysfonctionnements de marchés imparfaits alors que la constitution d'une bourse a pour seule vocation de créer un marché sinon parfait, du moins affranchi de la plupart des imperfections que le droit de la concurrence est destiné corriger ?
Toute hypothèse d'atteinte à la concurrence étant, ainsi, délicate à apprécier dans le cadre des marchés financiers en raison de leur globalisation et surtout des avantages dont les investisseurs seraient susceptibles de bénéficier, reste seule en lice la question épineuse de la défense des investisseurs. En effet, si, dans un contexte de construction d'un marché multinational mais placé sous l'égide du seul droit communautaire, l'intérêt de l'épargnant est susceptible d'être préservé ; rien ne permet d'obtenir de telles garanties en cas de fusion de l'entreprise de marché avec une entité ne relevant pas du droit européen.
C'est sans doute dans cette optique de préservation des intérêts des épargnants que l'adoption d'une structure originale a été proposée pour finaliser la fusion avec le NYSE. Ainsi, la création d'un trust est une voie qui vient d'être envisagée afin de protéger Euronext -qui obéit, du fait de son origine européenne, à des règles particulières- des investigations de la Securities Exchange Comission (SEC), le gendarme américain de la bourse. Ce mécanisme, qui avait été imaginé par Euronext lors de sa tentative de rachat avorté avec le LSE, afin d'éviter que l'un des partenaires "ne puisse vider l'autre de sa substance", constitue une voie nouvelle que les initiateurs du projet viennent de proposer afin de parer aux critiques qui peuvent leur être faites. C'est ainsi que le trust envisagé pourrait détenir les droits de vote et les autorisations obtenues sur les places de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne, c'est-à-dire, essentiellement les droits relatifs à l'encadrement des marchés réglementés, mais ne pourrait prétendre à la détention d'aucun actif économique au sens strict. Le communiqué, annonçant cette modification des conditions juridiques du rapprochement ajoutant, par ailleurs, qu'il pouvait être envisagé "la mise en place d'une clause de sauvegarde qui permettrait d'opérer, si besoin, un découplage temporaire des structures européenne et internationale du groupe" (19).
Une autre solution pourrait être envisagée, consistant à adopter une réglementation boursière dualiste, et plus précisément, américaine et communautaire. Mais, si cette approche est envisageable au plan juridique, elle paraît illusoire au plan économique où les fusions ont principalement pour objectif de déboucher sur une certaine forme de standardisation. En l'espèce, le droit des marchés financiers n'échapperait pas à la règle sous peine de priver l'opération projetée de l'essentiel de ses avantages. Cette remarque renvoie, ainsi, directement à la deuxième série d'obstacles susceptibles d'entraver la fusion entre le NYSE et Euronext N.V. : les difficultés à harmoniser le droit des sociétés cotées.
II - L'harmonisation du droit des sociétés cotées en question
S'il est bien une difficulté réglementaire dont la presse économique s'est fait l'écho, c'est celle de l'adaptation des entreprises cotées sur Euronext à la loi "Sarbanes-Oxley" (A). Pourtant, derrière cet obstacle, qui semble loin d'être insurmontable, s'en dessine un autre, plus considérable, qui tient aux enjeux de la création d'un véritable circuit global de financement des entreprises : l'impossibilité -à court terme- de réaliser une harmonisation mondiale du droit des sociétés (B).
A - L'obstacle réglementaire médiatisé : la loi "Sarbanes-Oxley"
L'une des difficultés présentées par la presse économique comme pouvant ralentir la fusion transatlantique était le risque que les sociétés cotées sur les marchés Euronext soient contraintes de s'adapter aux normes comptables et juridiques applicables aux sociétés cotées aux Etats-Unis d'Amérique. Or, cet obstacle est plus supposé que réel, pour deux séries de raisons.
La première est d'ordre pratique et concerne les contraintes qui s'imposent aux sociétés majeures, dites parfois globales qui commercialisent leurs produits et services sur la plupart des marchés internationaux. Ces sociétés, en effet, sont déjà fortement internationalisées, et la plupart d'entre elles assurent une part de leur activité sur le marché nord-américain, leur exploitation commandant, par ailleurs, l'internationalisation de leurs sources de financement. Dès lors, la soumission aux règles de droit des sociétés (et non plus de droit boursier américain) constitue une contrainte que les entreprises qui prétendent -ou peuvent prétendre- à une globalisation de leur activité ont déjà intégré dans leur stratégie. Le problème ne se poserait donc, éventuellement, que pour les sociétés dont l'activité est destinée à demeurer locale, c'est-à-dire soit nationale soit européenne.
Pour ces dernières, toutefois, -et c'est là la seconde remarque qui peut être faite quant à la neutralité de la loi "Sarbanes-Oxley"- le projet de rapprochement contenait, dès l'origine, un certain nombre de données susceptibles de permettre de conclure au maintien du cloisonnement juridique et au respect du droit interne des Etats membres concernés par la fusion d'Euronext. A ce titre, le communiqué de presse du 1er juin 2006 établissait l'organisation suivante : "Chacun des marchés gérés par NYSE Euronext [la nouvelle société issue du projet de fusion] continuera d'être régulé conformément aux exigences et règles locales. Plus spécifiquement, les marchés européens de NYSE Euronext continueront à être régulés par leurs régulateurs actuels, et la SEC continuera quant à elle à réguler exclusivement les marchés situés aux Etats-Unis" (20).
Ainsi, l'organisation des différents marchés a été conçue comme une réplique de celle qui a été adoptée par Euronext N.V. afin d'éviter les problèmes liés à la gestion des marchés réglementés, eux-mêmes issus du maintien du privilège étatique de défense de l'épargne publique. La solution a consisté à filialiser les anciens gestionnaires de marchés nationaux (Euronext Paris, par exemple, pour la place nationale) et l'intégration future de ces filiales au sein d'une nouvelle holding pourrait, de la sorte, fonctionner selon les mêmes contraintes. En l'espèce, les disparités normatives locales n'ont pas empêché des sociétés obéissant à des régimes juridiques aussi divers que ceux qui régissent les entreprises portugaises, néerlandaises et françaises, d'intégrer, sans subir de contraintes excessives, les différents espaces de cotation qui leur étaient propres. C'est d'ailleurs un point que soulignait déjà le communiqué de presse commun d'Euronext N.V. et du NYSE : le développement d'Euronext N.V. "et le modèle d'intégration d'Euronext génèrent des synergies par l'incorporation des forces et des atouts individuels de chaque marché local, démontrant que la meilleure manière de fusionner les bourses européennes est d'appliquer une vision globale à un niveau local" (21).
B - L'obstacle réel : la création d'un nouveau droit des sociétés cotées
La viabilité de la fusion des gestionnaires de marché semble donc démontrée par cette adaptation. Pourtant, si le droit des marchés financiers évolue à une rapidité que d'aucuns pourront juger proprement déconcertante, il n'en va pas de même de ceux qui constituent des "droits-socle", et en particulier le droit des sociétés qui, en raison de sa diversité, impose des sujétions variables aux sociétés selon les places boursières auxquelles elles souhaitent être rattachées.
A l'heure ou l'harmonisation comptable des sociétés cotées est devenue une réalité, on se demande, ainsi, si la prochaine étape de l'évolution du droit des affaires en général ne viendra pas, par la voie boursière, de l'introduction d'un droit des sociétés dual. L'un serait ancré dans le droit national (ou régional pour les économies juridiquement intégrées comme celle de l'Europe) pour les sociétés non cotées ; l'autre serait, en revanche, assujetti à un noyau de règles internationales pour les sociétés souhaitant avoir accès aux marchés de capitaux.
Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
(1) G. Farjat, La notion de droit économique in, Droit et économie, Archives de philosophie du droit, t. 37, Sirey 1992, p. 48, la mondialisation constitue un "universalisme planétaire de l'économie de marché".
(2) L'expression, qui a fait florès, est de Mac Luhan, qui l'a développé, il y a une trentaine d'années à l'occasion de la rédaction de La Galaxie Gutenberg (pour la France), Gallimard 1977.
(3) L'intitulé exact du titre du communiqué de presse était le suivant : "Euronext N.V. et le groupe NYSE annoncent avoir signé un accord en vue d'une fusion entre égaux. La fusion donnera naissance à la première bourse mondiale".
(4) Le Président de la République française devait déclarer, le 6 juin dernier, lors d'une de ses rencontres, en Allemagne, avec la chancelière Angela Merkel "Pour ma part, je ne vous cache pas que je privilégie la solution franco-allemande". Monsieur Chirac d'ajouter "Je souhaite pour ma part qu'un accord puisse être trouvé entre Francfort et Euronext, un accord qui soit aussi équilibré que possible".
(5) L'agence France presse transmettait, en effet, le 4 juillet 2006, à 12h34, le message dont la teneur ne laissait aucun doute sur la possibilité d'une solution alternative à la fusion avec le NYSE. Elle annonçait, ainsi, que Henri Lachmann, chargé de la mission de mesurer les conséquences de la fusion avec la bourse de New York ou celle de Francfort par cinq régulateurs européens, déclarait que le jeu restait "ouvert entre les deux alternatives".
(6) Les cinq autorités européennes de régulation, qui sont en charge de la surveillance des marchés sur lesquelles opèrent les filiales nationales d'Euronext (i.e "la place pan-européenne" à savoir les autorités de France, du Portugal, du Royaume-Uni, de Belgique et des Pays-Bas), ont créé une commission chargée d'étudier ce projet de fusion. Celle-ci ne pourra se prononcer sur la viabilité de la concentration qu'au début de l'année 2007. Extrait, du communiqué de presse de l'AMF, du 29 juin 2006 (N° Lexbase : L1278HKK): "Le Comité des présidents des autorités de contrôle d'Euronext (ci-après le 'Comité des présidents'), qui comprend les autorités de marché participant à la réglementation, au contrôle et à la surveillance du Groupe Euronext -à savoir l'AFM, l'AMF, la CBFA, le CMVM et la FSA (ci-après 'les autorités de contrôle')- ont constitué un groupe de travail interne afin d'étudier et d'analyser les questions juridiques et réglementaires que soulève l'accord de rapprochement (Combination Agreement) signé entre Euronext et le NYSE Group le 1er juin 2006".
(7) Ainsi, pour certains auteurs, la bourse est "en principe, un marché public" : G. Ripert, R. Roblot par M. Germain, L. Vogel, Droit commercial, t.1, LGDJ., 17ème éd., 1998, n° 1844.
(8) Cass. civ. 21 juin 1943, D.A. 1944 ; T. conf., 2 mai 1988, Société Georges Maurer, n° 02507 (N° Lexbase : A8053BDM), Rec. Lebon, p. 488.
(9) Article 76 ancien du Code de commerce.
(10) Loi n° 88-70, 22 janvier 1988, sur les bourses de valeur (N° Lexbase : L1818DNN).
(11) Instituées, en France, selon les termes de l'article L. 441-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3163G9Z).
(12) P. Delvolvé, Droit public de l'économie, Dalloz, 1998, n° 408, "la loi de 1996 paraît avoir conçu les entreprises de marché comme des organismes professionnels qui, s'ils encadrent l'exercice d'une activité ne sont pas chargé d'un service public ni dotés de prérogatives de puissance publique. Les règles qu'elles adoptent rejoindraient alors les règlements professionnels auxquels le Conseil d'Etat a dénié la qualité d'acte administratif".
(13) J.-B. Lenhof, Euronext : la croissance face aux autorités de la concurrence, Lexbase Hebdo n° 176 du 13 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6521AID).
(14) C. mon. fin., art. L. 421-3 (N° Lexbase : L6380DI7) : "pour être reconnu comme marché réglementé, un marché d'instruments financiers doit garantir un fonctionnement régulier des négociations. Doivent notamment être fixées par les règles de ce marché, établies par l'entreprise de marché définie à l'article L. 441-1, les conditions d'accès au marché et d'admission à la cotation, les dispositions d'organisation des transactions, les conditions de suspension des négociations d'un ou plusieurs instruments financiers, les règles relatives à l'enregistrement et à la publicité des négociations. Ces règles sont approuvées par le conseil des marchés financiers".
(15) Th. Bonneau, De la fusion des bourses (à propos d'Euronext) mythes ou réalités ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, novembre-décembre 2000, p. 539 et s. ; J.-J. Daigre, Euronext, en route vers le futur, Rev. Dr. bancaire et financier, mars-avril 2001, p. 215 et s.; N. Rontchevsky, Constitution d'Euronext : vers la création d'un marché financier unifié en Europe ?, RTDcom., janvier-mars 2001, p. 174 et s..
(16) La BVLP (Bolsa de Valores de Lisboa e Porto) a rejoint Euronext le 6 février 2002 : communiqué de presse Euronext du 6 février 2002, le LIFFE a fait l'objet d'une acquisition le 8 janvier 2002.
(17) J.-J. Daigre, Les nouvelles règles de marché, Rev. Dr. Bancaire et financier, juillet-août 2001, p. 213, "Les nouvelles règles de marché d'Euronext ont été approuvées par le Conseil des marchés financiers le 25 avril 2001 et sont entrées en vigueur le 21 mai 2001".
(18) J.-B. Lenhof, Lexbase Hebdo n° 176, préc..
(19) Source Euronext
(20) "La régulation applicable aux marchés sur lesquels opérera NYSE Euronext obéira au principe de compétence locale : ce principe est celui aujourd'hui pratiqué par Euronext depuis sa création et il a démontré son efficacité au travers du concert des régulateurs européens. L'agrément des régulateurs auquel est soumise la mise en jeu de notre accord garantira dans le temps le respect de ce principe fondateur d'Euronext auquel le NYSE souscrit entièrement : les régulateurs européens conserveront une responsabilité exclusive sur les activités européennes du nouvel ensemble. Il en sera de même aux Etats-Unis pour la SEC". (communiqué de presse Euronext du 1er juin 2006, p. 2 et 3)
(21) Ibid., p. 5.
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