La lettre juridique n°211 du 20 avril 2006 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Résiliation du bail commercial : précision importante sur la notion de créancier antérieurement inscrit

Réf. : Cass. civ. 3, 22 mars 2006, n° 04-16.747, Société Gelied c/ Société civile immobilière (SCI) Les Chênes rouges, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7948DNP)

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par Julien Prigent - SGR Droit commercial

le 07 Octobre 2010

Le bailleur qui entend poursuivre en justice la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire doit notifier sa demande à tous les créanciers inscrits à la date de celle-ci. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 26 mars 2006 qui apporte une précision importante, devant attirer l'attention des praticiens sur la notion de créancier antérieurement inscrit auquel une demande de résiliation de bail commercial doit être notifiée. Par acte du 3 février 1995, une société propriétaire de locaux à usage commercial sur lesquels elle avait consenti un bail avait délivré à sa locataire dernière un commandement de payer une certaine somme à titre d'arriéré de loyers. La locataire avait formé opposition à ce commandement et avait assigné sa bailleresse pour en obtenir l'annulation. Cette dernière avait demandé reconventionnellement que soit constatée l'acquisition de la clause résolutoire et ordonné l'expulsion de la locataire. Un jugement du 20 février 1997, confirmé par un arrêt du 27 septembre 1999, avait accueilli cette demande reconventionnelle. Une société, qui avait consenti à la société locataire diverses avances de fonds garanties par deux nantissements inscrits sur son fonds de commerce les 18 avril 1995 et 26 mars 1997, avait alors assigné la propriétaire en paiement de dommages-intérêts, lui reprochant d'avoir commis une faute en s'abstenant de lui notifier la procédure de résiliation judiciaire du bail.

Les juges du fond ayant débouté le créancier inscrit de sa demande, il s'est pourvu en cassation.

L'article L. 143-2, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L5694AIQ) impose, en effet, au propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l'immeuble dans lequel s'exploite un fonds de commerce grevé d'inscriptions de notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, au domicile élu par eux dans leurs inscriptions. Dans ce cas, le jugement ne peut intervenir qu'après un mois écoulé depuis la notification.

L'alinéa 2 de ce même texte prévoit des dispositions analogues en présence d'une résiliation amiable du bail qui ne devient définitive qu'un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits, aux domiciles élus.

Le but de la notification est "de réserver aux créanciers bénéficiant d'une inscription de nantissement ou de privilèges un moyen de sauvegarder leur gage dont le droit au bail est un des principaux éléments, en leur permettant d'accomplir ou de faire accomplir le cas échéant par leur débiteur les obligations nées du contrat de location" (P.-H. Brault, J-Cl. Bail à loyer, Fin du bail, Résiliation judiciaire ou amiable, Fasc. 1282, n° 13. Voir également, pour une formulation de la finalité de la règle par les tribunaux, Cass. civ. 3, 13 avril 1976, n° 74-11.774, Lamy c / Coffy, SARL Couleurs mon Soleil N° Lexbase : A9745AGZ et Cass. civ. 3, 4 mars 1998, n° 94-12.977, Union de banques à Paris c/ Compagnie La Mondiale et autre N° Lexbase : A2324AC3).

La détermination du champ d'application de l'obligation de notification aux créanciers inscrits est essentielle au regard de la sanction encourue en cas de violation de cette obligation. La jurisprudence a précisé, en effet, en raison du silence de l'article L. 143-2 du Code de commerce sur ce point, qu'à défaut de notification de la résiliation du bail à un créancier inscrit, cette dernière lui est inopposable (Cass. com., 17 juillet 1965, n° 62-11.443, Plée c/ Santoni N° Lexbase : A2729AUM). Il peut, en conséquence, former tierce opposition contre la décision constatant la résiliation et en obtenir la rétractation (Cass. civ. 3, 22 mars 1989, n° 87-19.019, M. Aiello c/ Mme Tahar N° Lexbase : A3159AHH) à l'égard de toutes les parties (Cass. civ. 3, 15 décembre 1976, n° 75-14.898, Société Hôtel Britannique c/ Société Somar N° Lexbase : A9672A4Y) et sans qu'il puisse être suppléé ultérieurement au défaut de notification (Cass. civ. 3, 6 décembre 1995, n° 94-11.068, Grand café de Gassendi c/ Crédit lyonnais N° Lexbase : A8490AB3).

Surtout, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), le bailleur sera condamné au paiement de dommages et intérêts dont le montant pourra être égal à celui de la créance du créancier inscrit non averti (Cass. com., 13 novembre 1969, n° 67-13.425, Société civile immobilière de la route de Brienne c/ Camus N° Lexbase : A9247AHX), même si la résiliation est obtenue pour la violation par le preneur d'une obligation à l'exécution de laquelle le créancier ne pourrait personnellement se substituer (Cass. civ. 3, 14 décembre 1988, n° 87-10.620, Bordereau c/ Bajeux N° Lexbase : A7775AG3 ; en l'espèce, défaut d'exploitation du fonds).

La jurisprudence a, par ailleurs, assimilé à la résiliation amiable la résiliation de plein droit d'un bail par application de la clause résolutoire (Cass. civ. 3, 27 juin 1990, n° 88-20.294, Epoux Delrieu c/ Société UFIPRO N° Lexbase : A7842AGK et Cass. civ. 3, 4 mars 1998, n° 95-18.900, Caisse régionale de Crédit mutuel d'Ile-de-France et autres N° Lexbase : A2416ACH). La mise en jeu de la clause résolutoire est, en effet, une variété de résiliation amiable puisque qu'elle repose sur un accord contractuel des parties sur la résiliation du bail en cas de non-respect de ses obligations par le locataire.

La particularité du mécanisme de la résiliation du bail commercial par l'effet d'une clause résolutoire pose de manière particulière la question de la détermination du créancier inscrit au regard de la date de l'inscription, question à laquelle l'arrêt commenté apporte une réponse.

En effet, l'alinéa 2 de l'article L. 143-2 du Code de commerce, qui envisage la résiliation amiable, dispose que cette dernière ne devient définitive qu'un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits.

En matière de bail commercial, l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII), disposition d'ordre public, dispose que la clause résolutoire d'un bail commercial ne peut produire effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux.

Le créancier inscrit auquel la notification doit être effectuée est-il celui inscrit à la date de la délivrance du commandement, à la date d'acquisition de la clause résolutoire nécessairement postérieure d'au moins un mois à la date de la délivrance du commandement ou à celle de la délivrance de l'assignation tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire, voire de la demande reconventionnelle tendant aux mêmes fins si le locataire a saisi au préalable le juge, par exemple, en opposition à commandement ?

La question n'est pas théorique dans l'hypothèse où une inscription serait prise entre la date de délivrance du commandement et celle de l'expiration du délai de un mois, ou entre cette dernière date et l'assignation en constat d'acquisition de la clause résolutoire.

La date de la délivrance du commandement paraît prématurée.

A cette date, en effet, la résiliation n'est qu'éventuelle pour trois raisons :

1. le locataire peut déférer au commandement dans le délai de un mois ;
2. la clause résolutoire du bail peut stipuler au profit du bailleur le choix de se prévaloir ou non de la résiliation ;
3. le juge peut toujours suspendre les effets de la clause résolutoire en accordant des délais au locataire pour exécuter l'obligation violée (C. com., art. L. 145-41, al. 2).

Cette date ne saurait donc être retenue et les créanciers inscrits postérieurement à la délivrance du commandement doivent se voir notifier la résiliation (en ce sens, voir Cass. civ. 3, 13 mai 1980, n° 79-10.775, SCI Somar c/ SARL Hôtel Britannique N° Lexbase : A7422AGY).

L'hésitation reste permise en ce qui concerne les créanciers inscrits entre la date d'effet du commandement et l'assignation.

En effet, l'article L. 143-2, alinéa 2, du Code de commerce impose de notifier aux créanciers inscrits la résiliation amiable. La jurisprudence ayant assimilé la résiliation par l'effet de la clause résolutoire à la résiliation amiable, et la résiliation ayant lieu à l'expiration du délai du commandement, il pourrait être considéré que seuls les créanciers inscrits antérieurement à la date d'effet du commandement doivent être pris en considération.

Cependant, il est vrai qu'il subsiste un doute sur la résiliation effective du bail dans l'hypothèse où le bailleur peut disposer de la faculté contractuelle de se prévaloir ou non de la clause résolutoire et, qu'en tout état de cause, tant qu'il n'a pas saisi un juge, un doute subsiste sur la résiliation effective.

Surtout, l'alinéa 1er de l'article L. 143-2 du Code de commerce impose au bailleur, de manière générale, "de notifier sa demande aux créanciers inscrits antérieurement". Le point de référence de l'antériorité semble donc être la demande et rien ne permet de dire que ces dispositions doivent être écartées en présence d'une résiliation fondée sur la clause résolutoire.

C'est en ce sens que se prononce la Cour de cassation dans cet arrêt du 22 mars 2006. Elle affirme, en effet, que, lorsque le bailleur entend poursuivre en justice la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, il doit notifier sa demande à tous les créanciers inscrits à la date de celle-ci. Elle vise, à cette fin, l'ensemble des dispositions de l'article L. 143-2 du Code de commerce et pas seulement le second alinéa.

C'est donc la date de la demande, c'est-à-dire, la date de l'assignation ou de la demande reconventionnelle, qui constitue la date de référence de la détermination des créanciers antérieurement inscrits : ceux de ces derniers qui se sont inscrits avant cette date devront se voir notifier l'assignation, tandis que ceux des créanciers inscrits après cette date ne pourront se prévaloir de l'absence de notification.

La solution semble justifiée au regard du but de cette notification qui est de permettre aux créanciers inscrits de sauvegarder leur gage. Ils pourront, en effet, exécuter ou faire exécuter les obligations dont le manquement avait été reproché au commandement. La résiliation pourra être évitée, même si elle est a priori acquise, par la suspension des effets de la clause résolutoire prévue à l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII), à la condition d'accepter qu'elle puisse être demandée par une autre partie que le locataire, ce qui paraît souhaitable. Dans le cas contraire, il ne serait d'aucun intérêt de notifier à un créancier inscrit une demande de constat d'acquisition de clause résolutoire.

Sur un plan pratique, il conviendra donc d'opérer les vérifications nécessaires auprès du greffe du tribunal de commerce compétent, pour vérifier l'existence de créanciers inscrits, à une date la plus proche possible de l'assignation ou de la demande reconventionnelle.

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