Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)
Lecture: 12 min
N7263AK9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
Au plan communautaire, on ne peut qu'être saisi, devant la propagation de réflexes nationaux défensifs perceptibles ici et là, du résultat paradoxal auquel aboutit une Directive conçue originellement dans un esprit et une perspective d'ouverture et de désarmement multilatéral. Manifestement, les hautes ambitions initiales ont en partie sombré en 2001 avec la proposition qu'elles portaient, et le compromis de secours trouvé deux ans plus tard n'a fait qu'entériner le profond désaccord européen, dont les conséquences sont aujourd'hui payées au prix fort, par l'élévation de barrières en tous genres aux acquisitions transfrontières. Le mouvement se trouve en partie justifié par les réactions des pays voisins, selon une application inattendue du principe de réciprocité, qui alimente ainsi une sorte de spirale négative pour la construction communautaire, par voie de contagion défensive. On peut, dans ces conditions, être pris d'inquiétude, face aux actuelles manifestations de "néoprotectionnisme", pour l'édification du marché intérieur (trop récente encore, sans doute, pour susciter l'élan patriotique ?), ce dont n'a pas manqué de s'émouvoir la Commission de Bruxelles (12). Où prennent une résonnance particulière les doutes exprimés en son temps par le commissaire Bolkestein quant à l'opportunité d'adopter cette bien étrange Directive d'harmonisation qui procède par voie d'interdictions facultatives, d'obligations optionnelles !
Au plan national, on aurait pu, dans le concert (pour ne pas dire cacophonie) actuel, attendre la France dans un rôle un peu moins crispé, compte tenu du dynamisme de ses entreprises sur le marché européen et international du contrôle (13). Position susceptible de lui éviter de se poser, après sa démonstration de patriotisme politique du 29 mai dernier, en grand défenseur du "patriotisme" -ou "nationalisme", selon les sensibilités- "économique". On pensait acculturé le phénomène des offres publiques non négociées avec la société visée, et l'on donne à penser qu'il s'agit en vérité d'une acculturation sélective, la seule "hostilité" tolérable étant d'origine nationale. Mais à cela, et fort des opérations en cours, le gouvernement français a pu répondre en soulignant la vulnérabilité capitalistique des grandes entreprises françaises, faute en particulier de fonds de pension locaux, et témoigner de sa volonté de ne pas transformer celles-ci en forteresses imprenables mais, repoussant les discours angéliques, de leur permettre simplement de jouer à armes égales sur le terrain juridique et économique (14).
Du caractère équilibré, de l'opportunité, voire parfois de la légalité communautaire et internationale, des options ainsi retenues, chacun se fera une opinion et appréciera selon ses inclinations ou ses intérêts. Sur les deux premiers points, il apparaît en tous cas difficile voire hasardeux de tenir des propos définitifs alors que l'encre du texte est à peine sèche et que, pour une part essentielle, les dispositions nouvelles renvoient à la liberté de décision des sociétés concernées. L'on sait la distance qu'il y a, en ces domaines, de la coupe aux lèvres. Si des facultés nouvelles sont accordées aux entreprises nationales pour assurer leur défense face à des offres qualifiées d'"hostiles", l'avenir renseignera sur leur usage et leur efficacité.
On se contentera, dans le cadre de cette étude, de présenter une vue synthétique de l'économie générale des options exercées par la France en vertu de l'article 12 de la Directive OPA. En bref et en clair -si tant est que cela soit possible-, on retiendra que les choix inscrits dans la loi du 31 mars 2006 donnent naissance à un système de solutions complexe reposant, d'une part, sur une transposition totale, mais avec réserve de réciprocité, de l'article 9 de la Directive, en vue de neutraliser l'action défensive des dirigeants d'une société cible (I) ; et d'autre part, sur une transposition partielle, mais sans réserve de réciprocité cette fois, de l'article 11 de la Directive, relatif aux restrictions apportées au transfert de titres et à l'exercice du droit de vote de leurs titulaires en assemblée générale (II). Une combinaison originale, on le voit, que seuls s'apprêtent à retenir à l'heure actuelle et selon nos informations : la Belgique, la Hongrie, le Portugal et la Slovaquie.
I. Transposition totale, mais avec réserve de réciprocité, de l'article 9 de la Directive
Suivant en cela les recommandations du "groupe Lepetit", la France a fait le choix d'une application obligatoire des dispositions de l'article 9 de la Directive, assortie d'une option de réciprocité. Chemin qu'envisagent également d'emprunter, en sus des quatre pays précités, la Grèce et la Lituanie. Inspirée de la "board passivity rule", en vigueur outre-Manche, la solution consiste à brider la capacité défensive, préventive ou réactive, des dirigeants sociaux (A), pour la déposer, à titre de principe, entre les mains de l'assemblée générale des actionnaires (B). Ce gain recherché de légitimité des mesures anti-OPA, qui dépendra, néanmoins, de la réalité de la maîtrise exercée sur elles par la collectivité des actionnaires, passait nécessairement par un glissement vers le bas des compétences décisionnelles, au sein des sociétés par actions cotées, dont l'équilibre organique se trouve en conséquence profondément affecté en temps d'offre publique.
A - Une neutralisation directoriale en trois règles
La première règle figure au nouvel article L. 233-32-I du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4) :"pendant la période d'offre publique visant une société dont des actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, le conseil d'administration, le conseil de surveillance, à l'exception de leur pouvoir de nomination, le directoire, le directeur général ou l'un des directeurs généraux délégués de la société visée doivent obtenir l'approbation préalable de l'assemblée générale pour prendre toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre, hormis la recherche d'autres offres".
Cette disposition principale, qui transpose l'article 9 § 2 de la Directive, entend encadrer strictement l'action des organes d'administration, de surveillance et de direction de la société cible d'une offre publique. Elle emporte une contraction temporaire des compétences de ces derniers, frappés d'une forme d'incapacité spéciale destinée à les empêcher d'influer significativement et négativement sur le sort des destinataires de l'offre. La justification implicite de cette mesure de dépossession résiderait dans la méfiance qu'inspire la sévérité du conflit d'intérêts dans lequel les dirigeants d'une société cible d'une offre publique peuvent se trouver placés (15). Une défiance que l'on pourra juger excessive et décalée, eu égard aux récents progrès du corporate governance. Mais on peut aussi, plus positivement, considérer qu'il appartient, essentiellement, aux actionnaires, et à eux seuls, de décider souverainement des mérites d'une offre publique dont ils sont les destinataires exclusifs, en dépit des limites inhérentes à l'intelligence et à l'efficience de leur action collective.
Cet assaut de "démocratie directe", qui met à mal notre système de séparation légale des pouvoirs, dont l'arrêt "Motte" fut une auguste expression, trouve à s'appliquer largement. Hormis le pouvoir de nomination du conseil d'administration, ou du conseil de surveillance, et la recherche d'autres offres, auquel on ajoutera celui d'émettre un avis motivé sur l'offre (16), les dirigeants se voient interdire l'adoption de "toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" et qui n'aurait pas obtenu l'approbation préalable de l'assemblée générale. Ainsi, par exemple, une contre-offre publique (défense "pac-man") ne pourrait plus désormais être mise en place par les seuls dirigeants de la société cible, la gouvernance de l'offrant étant, ici, exceptionnellement réglementée en raison de la double qualité de la société concernée (cible-initiatrice). La formule légale paraît, en tous cas, assez lâche et, on l'imagine, en raison, notamment, de son libellé peu juridique, d'appréhension malaisée pour les dirigeants concernés, encore que la référence à la possibilité d'une mise en échec de l'offre puisse autoriser une certaine souplesse. Doit-elle être comprise comme allant jusqu'à interdire d'engager, sans l'aval des actionnaires, un recours judiciaire contre une décision autorisant ou facilitant l'offre initiée ? Seule certitude, le texte, par construction, ne devrait pas remettre en cause la faculté, pour les organes concernés, de procéder à la convocation d'une assemblée générale à l'effet de décider des mesures de défense.
Ample matériellement, cette amputation des compétences directoriales demeure cependant bornée dans le temps, puisqu'elle ne trouve à s'appliquer que "pendant la période d'offre publique". La détermination du dies a quo prend, en conséquence, une importance stratégique considérable. Le début de ladite période est actuellement fixé, par l'article 231-15 du règlement général de l'AMF(17), au moment de la publication par celle-ci des principales dispositions du projet d'offre. Combiné au nouveau dispositif "anti-rumeur" de l'article L. 433-1 du Code monétaire et financier, sur le modèle britannique des "put up or shut up orders", destiné à révéler tôt les intentions "prédatrices", ce point de départ peut paraître, désormais, relativement tardif et ouvrir une fenêtre défensive aux dirigeants de la société convoitée. On observera, à ce propos, le choix fait par le législateur de ne pas exploiter la faculté ouverte par la Directive d'avancer le début de la période de référence au moment par exemple où "l'organe d'administration ou de direction de la société visée a connaissance de l'imminence de l'offre".
Les deux autres règles de neutralisation sont étroitement liées. La seconde, énoncée à L. 233-32-III, alinéa 1er, du Code de commerce, dispose que "toute délégation d'une mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre, hormis la recherche d'autres offres, accordée par l'assemblée générale avant la période d'offres, est suspendue en période d'offre publique". La troisième, inscrite au second alinéa du même paragraphe, ajoute que "toute décision du conseil d'administration, du conseil de surveillance, du directoire, du directeur général ou de l'un des directeurs généraux délégués, prise avant la période d'offre, qui n'est pas totalement ou partiellement mise en oeuvre, qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de la société et dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre doit faire l'objet d'une approbation ou d'une confirmation par l'assemblée générale".
D'inspiration commune, ces deux règles secondaires viennent compléter la précédente en neutralisant, comme le requiert l'article 9 § 3 de la Directive, les mesures à effet -et vraisemblablement à objet- défensif, adoptées préventivement. La neutralisation frappe tant les mesures décidées en leur capacité propre par les dirigeants sociaux, que celles votées par l'assemblée générale des actionnaires, dès lors qu'elles emportent délégation au profit de ces derniers, toutes soumises, désormais, à la ratification de l'assemblée générale des actionnaires réunie en période d'offre.
La transposition recherchée de l'article 9 § 3 de la Directive est, cependant, réalisée d'une manière un peu particulière, dans la mesure où celui-ci ne distingue pas entre les deux cas de figure présentés, pour se contenter de soumettre à approbation ou confirmation de l'assemblée générale toutes décisions antérieures non encore partiellement ou totalement mises en oeuvre, qui ne s'inscrivent pas dans le cours normal des activités de la société et susceptibles de faire échouer l'offre.
La loi française apparaît, en conséquence, plus restrictive que la Directive en n'englobant pas l'ensemble des décisions sociales antérieures concernées. Mais, s'agissant en particulier des résolutions votées par l'assemblée générale, le paragraphe 3 de l'article 9 de la Directive relatif, rappelons-le, aux "obligations de l'organe d'administration ou de direction", devrait pouvoir s'interpréter comme contemplant les seules délégations de pouvoir ou de compétence au profit des dirigeants de la société cible.
Telle qu'opérée, la scission en deux alinéas présente, en tous cas, l'inconvénient d'introduire une dualité de régimes entre les décisions de l'assemblée générale, déclarées par la loi suspendues, et celles émanant des dirigeants sociaux, soumises à approbation ou confirmation de l'assemblée générale réunie en période d'offre.
Plus généralement, outre ce qui peut passer pour des maladresses de plume, comme lorsqu'il est fait référence à des mesures "non totalement ou partiellement" mises en oeuvre, sans doute pour insister sur le fait que sont incluses toutes les mesures antérieures, qu'elles aient ou non connu un début d'exécution, on regrettera la formulation et la construction juridiquement approximatives de ces dispositions (à l'instar de l'impropriété juridique du terme "confirmation"), que l'on s'est contenté de reprendre directement de la Directive.
Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier
Pour la deuxième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N7294AKD).
(1) L'article paraîtra, avec l'aimable autorisation de Lexbase, dans le premier numéro de la Revue trimestrielle de droit financier / Corporate Finance and Capital Markets Law Review, en mai prochain.
(2) Journal officiel du 1er avril 2006, p. 4882.
(3) Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).
(4) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin. sept.-oct. 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avr. 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier et F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse 2004, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(5) Rapport du groupe de travail sur la transposition de la Directive concernant les offres publiques d'acquisition, J.-F. Lepetit, 27 juin 2005.
(6) V. e.g. pour la Grande-Bretagne, Implementation of the EU Directive on Takeover Bids Guidance on changes to the rules on company takeovers, Department of Trade and Industry, march 2006.
(7) Décret n° 2005-1739, du 30 décembre 2005, réglementant les relations financières avec l'étranger et portant application de l'article L. 151-3 du Code monétaire et financier, (N° Lexbase : L6440HEA).
(8) C. mon. et fin., art. L. 433-3 IV réécrit par l'article 2 IV de la présente loi.
(9) V. C. mon. et fin., art. L. 433-1 V introduit par l'article 1er de la présente loi.
(10) V. not. la modif. de l'art. L. 432-1 C. trav. par l'article 7 de la présente loi ; P. Lagesse, S. Miara, Le projet de loi transposant la directive européenne sur les OPA renforce l'obligation d'information pesant sur l'auteur de l'offre, Les Échos, 23 fév. 2006, p. 14.
(11) V. les propos tenus par le ministre de l'Economie et des Finances lors des débats à l'Assemblée nationale, deuxième lecture, séance du 6 mars 2006.
(12) Libre circulation des capitaux: la Commission examine la loi française établissant une procédure d'autorisation pour les investissements étrangers dans certains secteurs, Bruxelles, IP/06/438, 4 avr. 2006 ; W. Maxwell, France criticized for new foreign investment rules, IFLR, March 2006, p. 44.
(13) La France figurait ainsi, au 21 septembre 2005, au premier rang des fusions-acquisitions sur des entreprises européennes, v. Ph. Marini, rapport fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, Sénat, 1ère lecture, Annexe au procès-verbal de la séance du 13 octobre 2005, n° 20, p. 14.
(14) "Que les choses soient claires ! Mon intention n'est certainement pas de transformer les entreprises françaises en forteresses dont la stratégie ne serait jamais remise en cause. Elle est de rendre la partie plus égale dans les cas où les entreprises françaises ont une gouvernance ouverte, et de les autoriser à appliquer les mêmes clauses, dans les mêmes conditions que les autres", propos du ministre de l'Economie et des Finances, Sénat, 2ème lecture, séance du 21 février 2006.
(15) V. A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, éd. Transactive, 2000, et Droit21.com, n° 1605 et s.
(16) Directive n° 2004/25 du 21 avril 2004, art. 9 § 5.
(17) Règlement général AMF, version du 30 décembre 2005 .
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:87263