Réf. : Cass. soc., 14 mars 2006, n° 04-43.119, Société Défense conseil international (DCI) c/ M. Jean Yves Chuiton, FS-P (N° Lexbase : A6126DN9)
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par Nadia Chekli, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Confirmation de jurisprudence
Lorsque les parties n'ont fait le choix d'aucune loi pour régir leurs rapports, que les relations de travail sont établies depuis un premier contrat conclu le 1er février 1990 en France entre une personne morale de droit français et un français, que le salaire de l'intéressé est libellé en francs français et déterminé par référence à la convention collective Syntec, que les bulletins de salaire portent la mention de cette convention, que seules les indemnités journalières destinées à couvrir les frais exceptionnels de vie en Arabie saoudite sont libellées en devises étrangères, que le salarié bénéficie de la couverture sociale française et que l'employeur cotise à la caisse de sécurité sociale des français à l'étranger, au régime de retraite complémentaire des cadres et au régime de l'assurance chômage, alors les contrats de travail successifs présentent des liens étroits avec la France et la loi française est applicable au litige. |
Décision
Cass. soc., 14 mars 2006, n° 04-43.119, Société Défense conseil international (DCI) c/ M. Jean Yves Chuiton, FS-P (N° Lexbase : A6126DN9) Rejet (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 20 février 2004) Textes concernés : Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, art. 3 et 6 (N° Lexbase : L6798BHA) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU) ; C. trav., art. L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU) ; C. trav., art. L. 122-3-10 (N° Lexbase : L9643GQ9), C. trav., art. D. 121-2 (N° Lexbase : L8259ADA). Mots-clefs : contrat de travail international ; Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; loi applicable ; absence de choix de la loi ; liens étroits, changement de loi. |
Faits
M. Chuiton a été engagé le 1er février 1990 en qualité d'instructeur par la société Navale française de formation et de conseil (Navfco) aux droits de laquelle est la société Défense conseil international (DCI). Il a exercé ses fonctions en Arabie Saoudite jusqu'au 31 mars 2001, date à laquelle expirait le dernier des contrats à durée déterminée successivement conclus. Son employeur a calculé les contributions au régime d'assurance chômage sans tenir compte de la prime d'expatriation perçue par le salarié. Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à voir requalifier sa relation de travail, à obtenir diverses indemnités en raison de la rupture abusive de cette dernière et à la condamnation de l'employeur à lui verser des indemnités égales au montant des prestations chômage qui lui auraient été dues si les cotisations avaient été assises sur son salaire réel. |
Solution
1. Rejet. 2. "[...] la cour d'appel, après avoir relevé que les parties n'avaient fait choix d'aucune loi pour régir leurs rapports, a constaté que les relations de travail étaient établies depuis un premier contrat conclu le 1er février 1990 en France entre une personne morale de droit français et un français, [...] ; qu'elle a pu en déduire que les contrats de travail successifs présentaient des liens étroits avec la France et qu'elle a exactement décidé que la loi française était applicable au litige [...]". 3. "[...] il ne résulte ni de l'arrêt ni de la procédure que l'employeur a soutenu devant les juges du fond que les parties auraient convenu de nover leur accord d'origine en sorte que la loi française n'aurait plus régi leurs rapports [...]". |
Commentaire
Les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sont applicables, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles. S'agissant de la loi applicable au contrat, le principe est celui du libre choix par les parties, c'est-à-dire la loi d'autonomie. D'un point de vue formel, l'article 3 de la Convention de Rome précise que ce choix "doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause". A défaut de choix par les parties de la loi régissant leurs relations contractuelles, il convient de se tourner vers les dispositions de l'article 6 de la Convention de Rome, dispositions spécifiques à l'hypothèse du contrat individuel de travail. En son paragraphe 2, cet article dispose, notamment, qu'à défaut de choix, "le contrat de travail est régi : a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays, ou b) si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable". A plusieurs reprises, l'attention s'est portée sur la détermination des "liens plus étroits" qu'un contrat de travail peut présenter avec un autre pays. L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 14 mars 2006, en est une parfaite illustration. Dans cet arrêt, la Chambre sociale se prononce sur un litige opposant la société DCI à Monsieur Jean-Yves Chuiton. Le litige était relatif, notamment, à la caractérisation des éléments de proximité de la relation contractuelle avec la France et, partant, avec la loi française (1). Il est, par ailleurs, prévu par les dispositions de l'article 3 de la Convention de Rome que la liberté des parties dans le choix de la loi puisse s'exprimer autrement. Ainsi, la liberté de choix peut-elle conduire les parties à ne pas soumettre l'intégralité du contrat à une même loi. Une telle pratique est connue sous l'expression de "dépeçage du contrat". Cette liberté de choix peut également conduire les parties à changer de loi applicable au cours de la vie du contrat. Dans cette hypothèse, comme dans les autres, le choix doit être exprès. Quels sont alors les éléments permettant de justifier la volonté des parties de nover l'accord d'origine et, partant, la loi applicable ? En l'espèce, il a été jugé que la loi française était la seule loi applicable au contrat dans la mesure où les parties n'avaient aucunement convenu de nover leur accord d'origine (2). 1. La caractérisation des liens étroits existant entre les contrats de travail et la France Il n'est pas inutile de rappeler, ici, que la Convention de Rome, entrée en vigueur le 1er avril 1991, présente un caractère universel en ce sens que la loi qu'elle désigne s'applique même s'il s'agit d'une loi d'un Etat non contractant. En conséquence, la considération suivant laquelle la demanderesse au pourvoi principal soutient que les contrats litigieux étaient soumis à la loi saoudienne ne fait pas échec à l'application des dispositions de la Convention du 19 juin 1980. D'ailleurs, l'application de cette Convention était expressément demandée par la société DCI. Elle reproche même à la cour d'appel d'avoir violé certaines de ses dispositions. Ainsi, au soutien de son pourvoi, la société DCI fait-elle notamment grief à la cour d'appel d'avoir violé, par fausse application, l'article 3 de la Convention de Rome. En décidant "qu'aucun choix en faveur de la loi française n'était exprès (ou) ne résultait de façon certaine du contrat ou des circonstances de la cause", les juges du fond auraient violé, par fausse application, les dispositions de l'article 3 de la Convention de Rome. La Cour de cassation va dénier tout intérêt à cette prétention en jugeant les dispositions de l'article 3 de la Convention de Rome inapplicables et ce, au profit de celles de l'article 6.
En soutenant une telle argumentation, la demanderesse avance, en fait, qu'en aucun cas, il n'est possible de soutenir que les parties auraient opté pour l'application de la législation française. L'exigence d'un choix formulé de manière expresse n'est, en effet, pas remplie. A titre d'exemple, elle se trouve, au contraire, remplie lorsque le contrat de travail de salariés engagés en qualité de plongeurs-scaphandriers prévoit l'application de la législation en vigueur à Jersey. Dans cette affaire, la Chambre sociale a rejeté le pourvoi intenté par les salariés au motif que "les parties avaient expressément choisi d'appliquer la loi en vigueur où se trouvait l'établissement qui avait embauché les salariés et que ces derniers travaillaient à l'étranger" (Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-43.416, FS-D N° Lexbase : A0292B7X). En outre, dans l'affaire jugée le 14 mars 2006, l'éventualité d'un choix en faveur de la loi française ne ressort nullement des éléments de la cause. Bien au contraire, ces derniers semblent plutôt plaider en faveur de l'application de la loi étrangère, en l'occurrence, la loi saoudienne. Cet argument, qui n'avait guère de réelles chances de prospérer à lire les éléments de fait fournis dans l'arrêt, va être rapidement écarté par les magistrats de la juridiction suprême. Ces derniers se contentent, en effet, de préciser que la cour d'appel a relevé que "les parties n'avaient fait choix d'aucune loi pour régir leurs rapports". Cette précision suffit à écarter le moyen pris de la violation, pour fausse application, de l'article 3 de la Convention de Rome. Partant, les juges étaient logiquement invités à se placer sur un autre terrain, à savoir sur celui de l'article 6 de la Convention de Rome.
Même si ce point n'était pas soulevé en l'espèce, il n'est pas superflu de rappeler que le choix par les parties ne peut priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable (Convention de Rome, art. 6 § 1). Au soutien de son pourvoi, la société DCI prétend, notamment, qu'en ayant refusé d'appliquer tant l'article 6 de la Convention de Rome que l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), l'arrêt de la cour d'appel de Paris encourt la cassation pour violation de base légale. Cette argumentation s'appuie plus particulièrement sur l'article 6 § 2 a) de la Convention de Rome aux termes duquel, à défaut de choix exercé par les parties, le contrat de travail est régi par "la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays". Or, en l'espèce, il est établi que M. Chuiton a "exercé ses fonctions en Arabie Saoudite jusqu'au 31 mars 2001, date d'expiration du dernier des contrats à durée déterminée successivement conclus". Le lieu d'accomplissement habituel de son travail étant l'Arabie Saoudite, la loi de cet Etat devait logiquement régir leurs rapports contractuels. Cette affirmation trouve appui en jurisprudence et, notamment, dans un arrêt en date du 8 novembre 2005 (Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46.970, F-D N° Lexbase : A5114DLY). En l'espèce, la cour d'appel, après avoir constaté qu'aucun choix n'avait été exprimé de façon expresse par les parties lors de la mutation du salarié en France, a légitimement décidé d'appliquer la loi française dans la mesure où, en exécution de son contrat de travail, le salarié accomplissait habituellement son travail en France. Par ailleurs, la solution préconisée par la société DCI se justifie d'autant plus au regard du respect du principe, édicté par l'article 1134 du Code civil, suivant lequel le contrat fait la loi des parties. Dans l'ensemble, une telle argumentation aurait pu prospérer, mais c'était sans compter la disposition finale de l'article 6 de la Convention de Rome. Une lecture attentive de celle-ci nous enseigne, en effet, qu'à défaut de choix, plusieurs lois sont susceptibles de trouver application. Conformément aux dispositions de l'article 6 § 2 de la Convention de Rome, outre la loi du lieu d'exécution habituelle du travail, il est possible de retenir la loi du pays de situation de l'établissement embaucheur lorsque le travail n'est pas exécuté dans un seul pays. Deux rattachements peuvent donc être retenus en vue de déterminer la loi applicable au contrat individuel de travail. Si le premier rattachement est susceptible d'être invoqué, ainsi que nous l'avons indiqué précédemment, il en va autrement du deuxième. Rappelons, ici, que le travail n'a été exécuté que dans un seul pays, à savoir l'Arabie Saoudite. Cela étant, il convient de préciser qu'il existe un cas dans lequel ces rattachements doivent nécessairement s'effacer. En effet, il ressort, au moins in fine, des dispositions de l'article 6 § 2, que les rattachements énoncés précédemment doivent être écartés s'il "résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable". Il revient donc aux juges du fond, dans le cadre de leur appréciation souveraine de la commune intention des parties et des éléments de fait et preuve (Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-45.864, M. Joaquim Gasalho c/ Société Tap air Portugal, société anonyme N° Lexbase : A9767ATW), de chercher à localiser le contrat de travail international. Pour effectuer cette recherche de la localisation objective du contrat, il est nécessaire de prendre en compte différents éléments matériels. C'est à cette tâche que s'est livrée la cour d'appel, lorsqu'elle relève des éléments matériels révélateurs de la proximité entre le contrat et la France.
Il convient de préciser que cet arrêt est l'occasion de rappeler les éléments qui peuvent être pris en considération par les juges aux fins de caractériser la proximité du contrat individuel de travail avec telle ou telle législation étatique. Cet arrêt met également en évidence la nécessité de retenir plusieurs éléments matériels, l'existence de l'un d'entre eux n'étant pas, à elle seule, déterminante. En l'espèce, les juges ont pris soin de relever plusieurs indices permettant de situer le centre de gravité de l'opération contractuelle litigieuse en France. Ils se sont, tout d'abord, attachés à relever que "les relations de travail étaient établies depuis un premier contrat conclu le 1er février 1990 en France entre une personne morale de droit français et un français". La nationalité commune des parties contractantes, si elle n'est pas à elle seule un élément décisif, contribue tout de même, pour une part non négligeable, à la caractérisation des liens étroits que le contrat entretient avec un tel pays. En ce sens, dans un arrêt en date du 23 mars 2005 (Cass. soc., n° 03-42.609, F-D N° Lexbase : A4238DHG), la Cour de cassation précise que la cour d'appel a, entre autres indices, constaté que "les contrats de travails successifs de la salariée avaient été conclus entre personnes de nationalité française". Dans l'espèce opposant la société DCI à M. Chuiton, les juges ont également relevé que "le salaire de l'intéressé était libellé en francs français et déterminé par référence à la convention collective Syntec". Pareillement, il est précisé que "les bulletins de salaire portaient la mention de cette convention", que "le salarié bénéficiait de la couverture sociale française" et que "l'employeur cotisait à la caisse de sécurité sociale des français à l'étranger, au régime de retraite complémentaire des cadres et au régime de l'assurance chômage". Indéniablement, il ressort de l'ensemble de ces éléments que le contrat de travail litigieux présente des liens très étroits avec la France ou, du moins, des liens plus étroits avec la France qu'avec l'Arabie Saoudite. En effet, les juges n'ont relevé qu'un seul élément qui n'atteste pas de l'existence d'une proximité avec la France. Ainsi, les juges ont-ils pris soin d'indiquer que "seules les indemnités journalières destinées à couvrir les frais exceptionnels de vie en Arabie Saoudite étaient libellées en devises étrangères". Le contrat de travail de M. Chuiton est donc régi par les dispositions de la loi française. Il est à noter que la liste établie en l'espèce n'est nullement exhaustive. Les juges peuvent, en effet, retenir d'autres éléments aussi significatifs. Ainsi et pour exemple, parmi les éléments matériels pouvant servir à déterminer le centre de gravité de la relation litigieuse, les juges peuvent s'attarder sur la langue dans laquelle le contrat a été rédigé. Egalement, dans l'arrêt du 23 mars 2005 précité, l'attention a notamment été portée sur le fait que le salarié accomplissait son travail dans un établissement français soumis à la réglementation française en vigueur dans les établissements d'enseignement, sous le pouvoir disciplinaire du conseiller culturel de l'ambassade de France, lui-même placé sous l'autorité du ministre français de la Coopération. Dans cette affaire, la Cour da cassation a, fort logiquement, approuvé les juges du fond d'avoir appliqué la loi française. La réunion des différents éléments matériels relevés par les juges de la cour d'appel de Paris justifiait incontestablement la proximité du contrat en cause avec la France. Partant, le rattachement qu'est la loi du lieu d'exécution habituelle du travail a été logiquement écarté. L'application de la loi française, conformément aux dispositions de l'article 6 § 2 de la Convention de Rome, ne fait alors aucun doute. Une fois la question de la loi applicable au contrat résolue, se posait la question d'une éventuelle novation de la convention originaire et, par conséquent, d'un changement de la loi applicable. La Cour de cassation y a répondu par la négative. 2. L'absence de novation de l'accord d'origine Il convient d'indiquer que, conformément aux dispositions de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, les parties ont toute latitude de "convenir, à tout moment, de faire régir le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant soit en vertu d'un choix antérieur selon le présent article, soit en vertu d'autres dispositions de la Convention". L'hypothèse du changement de loi applicable en cours d'exécution du contrat est donc expressément formulée. C'est dans ce cadre là que s'est placée la société défenderesse lorsqu'elle prétend, dans la troisième branche de son moyen, que les parties ont entendu nover la convention originaire. Préalablement à tout examen de la solution retenue par les juges de la Chambre sociale, il est nécessaire d'apporter quelques précisions terminologiques. Par définition, la novation s'entend d'une substitution d'une obligation nouvelle à une obligation ancienne qui se trouve par conséquent éteinte. Pour qu'il y ait effectivement novation, différentes conditions doivent être remplies dont, notamment, la volonté des parties de remplacer l'obligation ancienne par l'obligation nouvelle. Qu'en est-il en l'espèce ? En l'occurrence, le choix par les parties d'une loi étrangère applicable au contrat de travail traduit-il la volonté commune des contractants de nover la convention originaire soumise à la loi française ? C'est notamment ce que prétendait la société DCI lorsqu'elle reproche à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris de ne pas avoir recherché "si les parties en faisant le choix de la loi saoudienne dans les contrats conclus à compter du 30 octobre 1991 n'avaient pas d'un commun accord nové la convention originaire faisant obstacle à ce que ces contrats puissent être regardés comme la continuation de la convention initiale de droit français". Avant de se pencher sur la réponse apportée par la Cour de cassation, il convient de s'attarder quelques instants sur un point qui est loin d'être anodin. En argumentant de la sorte, la demanderesse au pourvoi reconnaît explicitement que, s'agissant au moins du contrat de travail initialement conclu entre M. Chuiton et la société Navfco, il est incontestablement régi par les dispositions de la loi française. Pour la société DCI, il convient d'établir une distinction entre, d'une part, la convention originaire et, d'autre part, les contrats à durée déterminée successivement conclus à partir du 30 octobre 1991. Alors que le premier contrat serait régi par la loi française, les autres le seraient, d'un commun accord, par la loi saoudienne. Ces contrats ne pourraient donc être considérés comme étant "la continuation de la convention initiale de droit français". Cette argumentation est loin d'avoir convaincu les magistrats de la juridiction suprême qui ont, au contraire, approuvé les juges du fond d'avoir accueilli la demande en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée. En matière de succession de contrats à durée déterminée, il est prévu que si la relation contractuelle se poursuit avec le même salarié à l'issue du contrat à durée déterminée, le contrat devient à durée indéterminée (C. trav., art. L. 122-3-10, al. 1 N° Lexbase : L9643GQ9). Dans certains cas (contrats de remplacement, contrats saisonniers, contrats d'usage) l'employeur peut conclure avec le même salarié des contrats à durée déterminée successifs (C. trav., art. L. 122-3-10, al. 2). Qu'en est-il en l'espèce ? En d'autres termes, quelles sont les raisons qui ont animé les juges du fond dans leur opération de requalification de la relation litigieuse ? A cet égard, dans la deuxième branche de son moyen, la société DCI fait grief à la cour d'appel de s'être contentée de se référer au préambule de l'avenant n° 11 du 8 juillet 1993 à la convention collective Syntec , alors même que la Cour aurait dû préciser si le secteur d'activité concerné est défini par décret, par voie de convention ou d'un accord collectif étendu. Les juges auraient également omis de préciser la nature de l'emploi concerné par ledit secteur. Ces prétendues omissions n'ont pas retenu l'attention de la Chambre sociale qui, de manière très laconique, précise que, dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation, les juges du fond ont constaté que le secteur d'activité en question était celui de l'ingénierie. Or, dans la mesure où il y est d'usage de recourir à des contrats à durée indéterminée, la relation litigieuse doit être requalifiée. Partant, qu'en est-il d'un éventuel changement de la loi applicable et ce, au profit de la législation saoudienne ? Pour réfuter toute idée de novation de l'accord d'origine, et partant toute modification de la loi applicable, la Cour de cassation précise "qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de la procédure que l'employeur a soutenu devant les juges du fond que les parties auraient convenu de nover leur accord d'origine en sorte que la loi française n'aurait plus régi leurs rapports". Outre le fait que le moyen est irrecevable en sa troisième branche comme nouveau et mélangé de fait et de droit, il importe de souligner que la preuve de la novation n'a pas été apportée par la société demanderesse. Le prétendu changement de loi au profit de la législation saoudienne n'est donc pas effectif. Il s'ensuit que l'ensemble des rapports existants entre M. Chuiton et la société Navfco reste régi par le droit français. L'employeur a donc rompu abusivement la relation de travail en invoquant à tort le terme d'un contrat à durée déterminée. La Cour de cassation déclare logiquement que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches. Finalement, l'intérêt principal de l'arrêt rendu le 14 mars 2006 par la Chambre sociale réside incontestablement dans la caractérisation, par les juges du fond, des différents éléments matériels servant à localiser objectivement le centre de gravité de la relation de travail internationale litigieuse. |
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