La lettre juridique n°194 du 15 décembre 2005 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Obligation d'information et perte de chance (à propos du durcissement de la responsabilité médicale)

Réf. : Cass. civ. 1, 29 novembre 2005, n° 03-16.308, Mme Marie Claire Castellonese, épouse Irles c/ M. Gérard Gaujoux, FS-P+B (N° Lexbase : A8410DL3)

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le 07 Octobre 2010

L'occasion a déjà été donnée d'insister, ici même, sur l'importance que revêt l'obligation d'information et de conseil en droit positif, et l'on a déjà dit que l'émergence d'une telle obligation apparaissait comme l'un des traits dominants du droit contemporain des contrats : témoignant du glissement d'une conception subjective à une conception plus objective du contrat, elle permet de corriger l'inégalité naturelle qui existe entre les contractants ignorée par les rédacteurs du Code civil (1). Or, précisément, la multiplication des échanges, la standardisation des contrats, le passage du "sur mesure" au "prêt-à-porter" juridique, la technicité croissante et la complexité des rapports contractuels, expliquent sans doute la relative sévérité dont fait preuve la jurisprudence dans l'appréciation de cette obligation, particulièrement à l'égard des professionnels lorsqu'ils contractent avec des profanes (2). La responsabilité médicale illustre, avec d'autres, cette orientation, comme en témoigne un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 29 novembre dernier, à paraître au Bulletin. En l'espèce, une patiente avait été victime, lors d'une opération du canal carpien gauche réalisée sous endoscopie, d'une section du nerf médian de la main et avait, alors, recherché la responsabilité de son chirurgien. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui avait, certes, écarté l'existence d'une faute technique du praticien, l'avait tout de même déclaré responsable d'une perte de chance au titre d'un manquement à son devoir d'information. La décision est approuvée par la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, relève que le dommage constituait une complication connue de ce type de chirurgie endoscopique, alors même qu'il n'était pas contestable que l'intervention avait été menée suivant une technique éprouvée avec les précautions habituellement recommandées. En clair, pas de faute du chirurgien dans l'accomplissement de l'acte de soin à proprement parler, autrement dit dans le geste technique, mais manquement de celui-ci à son devoir d'information et de conseil ayant privé la patiente d'une chance d'éviter le dommage.

En tant que tel, l'arrêt n'est pas très original et reprend des solutions aujourd'hui acquises. Nul n'ignore, en effet, que, en principe, la responsabilité du médecin suppose que soit démontrée une faute de sa part dans l'exécution de son obligation de soins (3), hors le cas où la responsabilité serait encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé. Par ailleurs, on sait que la jurisprudence a renforcé l'obligation d'information qui pèse sur le médecin, non seulement en affirmant qu'il n'est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que les risques encourus ne se réalisent qu'exceptionnellement (4), mais encore en posant en principe, sur le terrain de la preuve, que le médecin doit rapporter la preuve de l'exécution de son obligation d'information (5). Tout cela est entendu. Encore convient-il peut-être, ici, de relever que la rigueur qui pèse sur les médecins conduit à ce que, même dans l'hypothèse dans laquelle aucune faute ne pourrait leur être reprochée dans l'accomplissement d'un acte technique, leur responsabilité ne soit pas pour autant écartée, l'obligation d'information apparaissant précisément comme un instrument permettant à la victime de ne pas rester sans réparation. Et il faut ajouter que, si, en principe, le préjudice réparable ne peut être alors que la perte d'une chance d'éviter le dommage par une information appropriée et complète, la jurisprudence a bien souvent tendance, sous couvert d'une perte de chance, à en réalité allouer des dommages et intérêts équivalents, ou presque, à ceux qui auraient été versés s'il s'était agi de réparer le préjudice final constitué par le handicap lui-même.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Voir not., en dernier lieu, Cass. civ. 3, 26 octobre 2005, n° 04-16.405, Société Maisons Pierre c/ M. Siger Vélasquez, FS-P+B (N° Lexbase : A1543DLQ) ; Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, deux arrêts, n° 03-17.443, Mme Angèle Kuntzmann c/ Société Cetelem, F-P+B (N° Lexbase : A3277DLX) et n° 03-10.909, Société Eggo conseils c/ Société BNP Paribas, FS-P+B (N° Lexbase : A3247DLT) ; sur ces trois arrêts, lire D. Bakouche, L'intensité du devoir d'information et de conseil en matière contractuelle, Lexbase Hebdo n° 190 du 17 novembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N0756AK9).
(2) Encore que l'obligation d'information ne soit pas limitée aux seuls rapports professionnels-consommateurs : voir not. art. L. 330-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L8526AIM) issu de la loi "Doubin".
(3) Voir déjà Cass. civ., 20 mai 1936, Mercier, GAJC, 11ème éd., n° 161, et, aujourd'hui, l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3).
(4) Cass. civ. 1, 7 octobre 1998, n° 97-10.267, Mme X c/ Clinique du Parc et autres (N° Lexbase : A6405AGC), Bull. civ. I, n° 291 ; sur l'application dans le temps de la solution, voir Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564, M. Franck Abel Coindoz c/ M. Louis Christophe (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249.
(5) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75, GAJC, 11ème éd., n° 13.

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