La lettre juridique n°194 du 15 décembre 2005 : Rel. collectives de travail

[Textes] Présentation de l'ordonnance du 1er décembre 2005 de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel

Réf. : Ordonnance 01-12-2005, n° 2005-1478, de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : L4068HDZ)

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le 07 Octobre 2010

Ainsi que l'indique son intitulé même, la courte ordonnance du 1er décembre 2005 vient apporter quelques simplifications dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel. Si on hésitera à dire qu'en matière de droit du travail toute simplification est bonne à prendre, il faut en tous les cas se féliciter de celle-là. L'ordonnance en cause vient, en effet, apporter des réformes qui étaient attendues et souhaitées de longue date. Il en va principalement ainsi de l'unification du contentieux en matière de reconnaissance des établissements distincts. Désormais, qu'il s'agisse de la détermination de l'établissement distinct pour la mise en place d'un comité d'établissement ou des délégués du personnel, c'est l'autorité administrative qui sera compétente.



1. Unification du contentieux en matière de reconnaissance des établissements distincts
  • Dualité du contentieux

Pour reprendre les propos d'un auteur, "l'établissement apparaît comme la collectivité de travail élémentaire" (G. Couturier, Traité de droit du travail, Tome 2 : Les relations collectives de travail, Puf, 1ère éd., 2001, § 13). Les règles du droit du travail qui s'y réfèrent sont d'ailleurs nombreuses. Ainsi, l'article R. 517-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0663ADW) précise que "le conseil de prud'hommes territorialement compétent pour connaître d'un litige est celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est effectué le travail". De même, la négociation collective peut se dérouler au sein d'un établissement (v., par ex., Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 98-40.769, Electricité de France c/ M. Chaize et autres N° Lexbase : A4844AGI, Dr. soc. 2000, p. 189, obs. G. Couturier). Mais, on le sait, ce sont d'abord les règles relatives à la représentation du personnel dans l'entreprise qui prennent l'établissement pour cadre. On mesure, ce faisant, toute l'importance de déterminer, antérieurement à l'organisation des élections, le nombre d'établissements distincts dans une entreprise.

Si cette détermination pose évidemment la question de la définition de l'établissement distinct, c'est sur la procédure de reconnaissance de celui-ci que l'ordonnance commentée invite à revenir. Jusqu'à cette dernière, en effet, cette procédure variait selon l'institution représentative en cause, ce qui ne pouvait qu'être regretté.

La loi était toutefois claire s'agissant de l'élection des comités d'établissement puisque, en application de l'article L. 433-2, alinéa 9, du Code du travail (N° Lexbase : L6419ACQ), "dans chaque entreprise, à défaut d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales intéressées, le directeur départemental du travail et de l'emploi du siège de l'entreprise a compétence pour reconnaître le caractère d'établissement distinct".

En revanche, aucun texte n'admettait la compétence de l'autorité administrative pour la reconnaissance des établissements distincts au regard de l'élection des délégués du personnel. L'article L. 423-4 (N° Lexbase : L6364ACP) précisait uniquement que la perte de la qualité d'établissement distinct pouvait être reconnue par décision judiciaire.

En d'autres termes, la loi ne prévoyait nullement quelle était l'autorité compétente en matière de contentieux relatif au découpage de l'entreprise en établissements distincts pour la mise en place des délégués du personnel. Aussi, dans le silence de la loi, la jurisprudence considérait-elle de longue date que c'était le tribunal d'instance qui était compétent pour les litiges en la matière. Ce principe de solution avait été dégagé par le tribunal des conflits, dans une décision du 8 février 1965 (T. confl., 8 février 1965, CFTC c/ SA Citroën N° Lexbase : A9888ASZ, JCP 1965, II, 14109, note Lindon).

Jusqu'à l'ordonnance du 1er décembre 2005, on était donc en présence d'une dualité du contentieux puisque si le juge judiciaire était compétent pour la détermination de l'établissement distinct lorsqu'il s'agissait de la mise en place des délégués du personnel, c'est le directeur départemental du travail qui intervenait lorsqu'il s'agissait de la mise en place d'un comité d'établissement.

  • Unification et simplification

L'ordonnance commentée vient, enfin, mettre un terme à cette regrettable dualité, au profit de l'autorité administrative. En effet, l'article L. 423-4 du Code du travail dispose désormais, dans son alinéa 1er, que "dans chaque entreprise, à défaut d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales intéressées, le caractère d'établissement distinct est reconnu par l'autorité administrative". Parallèlement, le texte vient retoucher l'alinéa 9 de l'article L. 433-2 précédemment évoqué, qui précisera désormais que "dans chaque entreprise, à défaut d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales intéressées, le caractère d'établissement distinct est reconnu par l'autorité administrative compétente" (1).

L'ordonnance, et c'est là son intérêt majeur, vient donc unifier le contentieux en matière de reconnaissance des établissements distincts (2). Désormais, en cas de litige, est seule compétente l'autorité administrative. Cela aura évidemment pour conséquence de transférer au Conseil d'Etat le soin de trancher, en dernier recours, les litiges relatifs à la détermination des établissements distincts relativement à l'élection des délégués du personnel.

Il faut, par suite, souhaiter que cette juridiction s'inspirera de la définition que la Cour de cassation a, au fil de nombreux arrêts, su donner de l'établissement distinct. Rappelons que la Chambre sociale considère que "l'établissement distinct permettant l'élection des délégués du personnel se caractérise par le regroupement d'au moins onze salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptible de générer des réclamations communes et spécifiques et travaillant sous la direction d'un représentant de l'employeur, peu important que celui-ci ait le pouvoir de se prononcer sur ces réclamations" (Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.628, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7668A4R, lire La nouvelle définition de l'établissement distinct, Lexbase Hebdo n° 101 du 13 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9956AAY ; Dr. soc. 2003, p. 453, obs. J. Savatier).

Si l'on ne saurait dire que le Conseil d'Etat a, quant à lui, donné une définition de l'établissement distinct pour la mise en place du comité d'entreprise, il résulte toutefois d'une jurisprudence constante de celui-ci que l'établissement distinct est caractérisé par trois critères : une implantation géographique distincte, un caractère de stabilité et un degré d'autonomie minimum quant à la gestion du personnel et à l'organisation du travail (v., par ex., CE, 6 mars 2002, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers N° Lexbase : A2671AYL, RJS 7/02, n° 834. Adde M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 8ème éd., 2005, pp. 141 et s.).

Soulignons, pour conclure, que la Cour de cassation aura toujours son mot à dire en matière d'établissement distinct, dans la mesure où l'autorité judiciaire reste compétente pour les litiges surgissant à propos de la désignation des délégués syndicaux et mettant en cause la reconnaissance d'un établissement distinct (3).

2. Dispositions diverses

  • Eligibilité des salariés

Pour pouvoir être élu en qualité de délégué du personnel ou de membre du comité d'entreprise, les salariés doivent remplir un certain nombre de conditions posées par la loi (C. trav., art. L. 423-8 N° Lexbase : L6368ACT et L. 433-5 N° Lexbase : L6422ACT). Parmi celles-ci, figurait l'exigence que les salariés aient travaillé dans l'entreprise sans interruption depuis un an au moins. L'expression "sans interruption", utilisée par les textes, pouvait prêter à équivoque. Ainsi que le soulignait toutefois le Professeur Couturier, "on doit comprendre qu'elle s'applique à l'appartenance à l'entreprise et non pas au travail effectif : le fait que le l'exécution du contrat de travail ait été suspendue au cours de l'année précédente ne rend pas le salarié inéligible. Peu importerait même que le contrat soit suspendu lors de l'élection" (G. Couturier, ouvrage préc., p. 104 et la jurisp. citée).

L'ordonnance commentée met définitivement un terme aux hésitations que l'expression "sans interruption" pouvait faire naître. En application de l'article 3 du texte, cette dernière est en effet supprimée dans les articles L. 423-8 et L. 433-5 du Code du travail.

  • Application de l'ordonnance

Ainsi que le précise l'article 4 de l'ordonnance, les dispositions de celle-ci sont applicables aux élections professionnelles dont l'organisation a fait l'objet de l'affichage prévu par les dispositions du premier alinéa de l'article L. 423-18 (N° Lexbase : L7795HBC), du premier alinéa de l'article L. 433-13 (N° Lexbase : L7722HBM), ou de la décision de l'autorité administrative prise en application du cinquième alinéa de l'article L. 421-1 (N° Lexbase : L6352ACA), lorsque la date de l'affichage ou celle de la décision est postérieure à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il faut encore noter que l'ordonnance modifie l'alinéa 3 de l'article L. 423-3 (N° Lexbase : L6363ACN) et l'alinéa 7 de l'article L. 433-2 (N° Lexbase : L6419ACQ) du Code du travail, afin de remplacer les mots "inspecteur du travail" par les mots "autorité administrative".

(2) Il convient, en outre, de relever qu'au moins pour les délégués du personnel, l'ordonnance vient organiser la procédure de reconnaissance des établissements distincts. Reprenant la jurisprudence en la matière et les dispositions applicables aux comités d'établissement, la réforme donne la priorité aux partenaires sociaux. Ce n'est qu'à défaut d'accord que l'autorité administrative est appelée à intervenir.

(3) Pour la Chambre sociale, "caractérise un établissement distinct permettant la désignation de délégués syndicaux le regroupement sous la direction d'un représentant de l'employeur d'au moins cinquante salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, peu important que le représentant de l'employeur ait le pouvoir de se prononcer sur ces revendications" (Cass. soc., 24 avril 2003, n° 01-60.876, F-P+B+R+I N° Lexbase : A6796BMN, lire Confirmation de la nouvelle définition de l'établissement distinct, Lexbase Hebdo n° 69 du 1er mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7092AAW ; Dr. soc. 2003, p. 78, obs. J. Savatier).

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