La lettre juridique n°194 du 15 décembre 2005 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'effet relatif des usages et engagements unilatéraux transférés au nouvel employeur

Réf. : Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La cession de l'entreprise entraîne classiquement la cession des contrats de travail mais, également, celle du statut collectif applicable dans l'entreprise. Si cette cession équivaut, en réalité, à une dénonciation des accords, dès lors que le nouvel employeur ne s'y trouve pas personnellement obligatoirement assujetti, les usages et engagements unilatéraux lui sont opposables. Dans cet arrêt rendu le 7 décembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise toutefois que seuls les salariés dont le contrat de travail a été maintenu pourront en bénéficier, à l'exclusion des salariés embauchés postérieurement au transfert. Cette solution, affirmée pour la première fois avec autant de netteté, souligne la nature ambivalente des usages et engagements unilatéraux et n'est pas pleinement satisfaisante (1). Le débat n'avait pas été placé sur le terrain du respect "A travail égal, salaire égal", pourtant en jeu ici, même si la différence de traitement induite par la décision nous semble justifiée (2).
Décision

Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD)

Cassation (conseil de prud'hommes de Martigues, 9 avril 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-12, al. 2 (N° Lexbase : L5562ACY) ; C. trav., art. L. 132-8, al. 7 (N° Lexbase : L5688ACN) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clefs : transfert d'entreprise ; sort des usages et engagements unilatéraux ; maintien ; bénéfice réservé aux seuls salariés embauchés antérieurement au transfert.

Lien bases :

Apport de l'arrêt

En cas de transfert d'une entité économique autonome, le nouvel employeur n'est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qu'à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert.

Faits

1. En avril 1989, dans le cadre d'une opération de restructuration, les salariés de la société Foster Wheeler France ont été transférés à la société Foster Wheeler conception études entretien.

Cette dernière société a engagé M. X en février 1990, lequel, mis à la retraite le 15 juin 2001 au titre d'un dispositif de replacement pour l'emploi (ARPE), a réclamé le bénéfice d'une prime dite "Richard", résultant d'un engagement unilatéral pris en 1967 par la direction de la société Foster Wheeler France en faveur de ses salariés partant à la retraite.

2. Pour condamner la société Foster Wheeler France à verser au salarié des sommes à titre de rappel de prime dite "Richard", le conseil de prud'hommes a retenu que l'engagement unilatéral pris en 1967 était maintenu non seulement au bénéfice de ceux de ses salariés dont le contrat de travail avait ensuite été transféré en 1989, mais également des salariés engagés par la société Foster Wheeler conception études entretien, postérieurement au transfert.

Solution

1. "En cas de transfert d'une entité économique autonome, le nouvel employeur n'est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qu'à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert".

2. "Le conseil de prud'hommes a violé, par fausse application, les textes susvisés. Casse et annule, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 9 avril 2004, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Martigues ; dit n'y avoir lieu à renvoi du chef faisant l'objet de la cassation".

Commentaire

1. L'effet relatif du maintien de l'engagement unilatéral après transfert d'entreprise

  • Principes légaux applicables en cas de transfert d'entreprise

L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), assure la survivance des contrats de travail entre les salariés de l'entreprise et le cessionnaire de cette dernière.

Les règles applicables au statut collectif en cas de transfert sont plus complexes.

S'agissant des accords de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels, le transfert ne présente pas de difficulté lorsque le cessionnaire est lui-même tenu d'appliquer l'accord, soit parce que ce dernier a été étendu, soit parce qu'il adhère à une organisation patronale qui en est signataire.

Dans les autres hypothèses, qu'il s'agisse d'accords de branche ou professionnels non étendus et qui ne s'appliquent pas en raison de la non appartenance de l'employeur à une organisation patronale signataire, ou pour les accords d'entreprise, la cession de cette dernière vaut en réalité dénonciation de l'accord.

L'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail, impose alors une période de survie de 12 mois maximum, en attendant qu'un accord de substitution soit conclu dans l'entreprise "soit pour l'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l'élaboration de nouvelles dispositions". A l'issue de cette période, les salariés conserveront le bénéfice des avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord éteint.

  • Principes jurisprudentiels applicables aux usages et engagements unilatéraux

Le Code du travail n'a toutefois rien prévu s'agissant des usages d'entreprises ou des engagements unilatéraux collectifs de l'employeur.

La jurisprudence a considéré que ces usages et engagements unilatéraux étaient transférés au nouvel employeur et qu'il appartenait à ce dernier, le cas échéant, de les dénoncer, conformément aux règles élaborées par la Cour de cassation (pour les usages : Cass. soc., 18 octobre 1995, n° 94-40.457, Société Les Rapides de Saône-et-Loire c/ M. Michel Renard et autres, inédit N° Lexbase : A2131AA8, JCP G 1996, II, 22628, note Ph. Coursier ; pour les engagements unilatéraux : Cass. soc., 4 février 1997, n° 95-41.468, Société Total raffinage distribution c/ Consorts Rocaboy et autres N° Lexbase : A2094ACK).

  • La question de l'étendue du maintien

Reste à déterminer le champ d'application personnel de ces règles et, notamment, la possibilité reconnue aux autres salariés, qui ne sont pas issus du transfert, d'en revendiquer l'application, qu'il s'agisse des salariés appartenant à l'entreprise cessionnaire ou de ceux qui auraient été recrutés après le transfert.

C'est à cette question délicate que devait répondre la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cette affaire, semble-t-il pour la première fois, et l'examen de la jurisprudence ne dégageait pas de réponse évidente. Des formules très générales ne semblaient pas induire de restriction quant aux salariés concernés par le maintien (ainsi, Cass. soc., 4 février 1997, n° 95-41.468, Société Total raffinage distribution c/ Consorts Rocaboy et autres N° Lexbase : A2094ACK, préc. : "l'engagement unilatéral pris par un employeur est transmis, en cas d'application de l'article L. 122-12 du Code du travail, au nouvel employeur, qui ne peut y mettre fin qu'à la condition de prévenir individuellement les salariés et les institutions représentatives du personnel dans un délai permettant d'éventuelles négociations" ; Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 89-45.656, Assedic de l'Isère et autre c/ M Ait Byalla Mohamed et autres, publié N° Lexbase : A1100AAY : "l'usage était opposable au nouvel employeur" ; dernièrement Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-43.532, F-P+B N° Lexbase : A5053DKD : "l'engagement unilatéral pris par un employeur est transmis, en cas d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, au nouvel employeur") mais, dans d'autres décisions, la Haute juridiction indiquait que "par le simple effet du transfert d'entreprise dans le cadre de l'absorption de la société L. par la société M., cette dernière était tenue des engagements unilatéraux pris par la première" (Cass. soc., 17 mars 1998, n° 95-42.100, M. Friberg c/ Société Moore France, publié N° Lexbase : A2525ACI), ce qui pouvait laisser penser que seuls les salariés de l'entreprise cédée continueraient d'en bénéficier, ou même que le cessionnaire "doit également appliquer au personnel de l'entité économique transférée les usages et engagements unilatéraux en vigueur au jour du transfert", ce qui semblait a contrario exclure les salariés recrutés postérieurement (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-43.661, Mme Michèle Fournier, épouse Bauduin, publié N° Lexbase : A2213AWU).

  • Examen de l'espèce

Dans le cadre d'une opération de restructuration, les salariés d'une société avaient été transférés à une autre société du groupe. Un salarié, embauché quelques mois plus tard, avait réclamé le bénéfice d'une prime de mise à la retraite en vigueur dans l'entreprise cédée en vertu d'un engagement unilatéral pris plusieurs années plus tôt par l'ancien employeur.

Le conseil de prud'hommes de Martigues lui avait donné raison, considérant que l'engagement unilatéral transféré devait profiter à l'ensemble des salariés de la nouvelle entreprise, et ce même s'ils avaient été recrutés postérieurement au transfert.

Or, tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse ce jugement, au visa des articles L. 122-12, alinéa 2, L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail et 1134 du Code civil, considérant qu'"en cas de transfert d'une entité économique autonome le nouvel employeur n'est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qu'à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert".

  • La nature ambivalente des usages et engagements unilatéraux

Le visa de l'article 1134 du Code civil, ainsi que la référence aux contrats "en cours au jours du transfert", traduisent incontestablement la volonté de la Haute juridiction de subordonner le transfert de l'engagement non au transfert du statut collectif, auquel fait allusion l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail, pourtant visé par la Cour, mais bien à celui des contrats de travail, par application de l'article L. 122-12 du Code du travail. Ce faisant, la Haute juridiction semble s'écarter de l'analyse classique qui visait à intégrer les usages et autres engagements unilatéraux dans le "statut collectif" applicable dans l'entreprise, pour le rattacher directement au contrat de travail.

Or, c'est bien ce rattachement au contrat de travail des salariés transférés qui justifie le refus d'en faire bénéficier les salariés qui n'avaient pas été concernés par le transfert, parce qu'ils avaient été recrutés postérieurement à celui-ci. L'effet relatif du transfert des engagements et usages constitue bien le pendant du principe de l'effet relatif des contrats présent dans l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK).

  • Une solution en partie justifiée

Ce refus de rattacher ici usages et engagements unilatéraux au statut collectif se justifie en partie, à la fois pour des raisons juridiques et d'opportunité.

Juridiquement, tout d'abord, l'engagement unilatéral de l'employeur n'est pas un accord collectif. Il ne s'agit pas d'un accord de volonté, mais d'une manifestation unilatérale de volonté de l'employeur. Il n'est pas, en tous cas formellement, négocié avec les syndicats représentatifs de l'entreprise, et n'est pas soumis au régime des conventions collectives, même si les principes applicables à sa dénonciation s'en inspirent indiscutablement.

En opportunité, ensuite, la non application des dispositions de l'article L. 132-8 du Code du travail, pourtant visé dans l'arrêt, n'apparaît pas nécessairement comme une mauvaise chose car le transfert de l'entreprise ne vaut pas dénonciation de l'engagement ou de l'usage.

Ces derniers continueront donc de produire effet au-delà du délai de 12 mois qui marque l'extinction des accords transférés, en l'absence d'accord de substitution.

Cet avantage n'est toutefois que très relatif lorsqu'un accord d'entreprise, ayant le même objet, sera conclu dans l'entreprise postérieurement au transfert. Dans cette hypothèse, en effet, cet accord se substituera de plein droit à l'engagement (Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-45.220, M. Nicolas et autres c/ Commissariat à l'énergie atomique (CEA), publié N° Lexbase : A5396ACT, Dr. soc. 1998, p. 528, obs. G. Couturier ; Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-40.289, Société Unibail participations c/ M Giuliacci, publié N° Lexbase : A6699AHL) ou à l'usage (Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 94-42.773, M. Roche c/ Conseil général de la Côte-d'Or et autre N° Lexbase : A2144AAN, Dr. soc. 1996, p. 906, note J. Déprez ; JCP E 1997, II, 938, note G. Lachaise), sans qu'il soit, par ailleurs, nécessaire de le dénoncer formellement. De ce point de vue, l'engagement unilatéral est soumis au même régime que l'accord collectif.

L'analyse contractuelle présente également un avantage sur le plan individuel en l'absence d'accord de substitution. Une fois l'accord collectif éteint, après 12 mois de survie, les salariés ne conserveront que le bénéfice des avantages individuels acquis. Or, les salariés cédés continueront à bénéficier de l'engagement unilatéral de l'employeur dans toutes ses dispositions, individuelles comme collectives, et ce même s'ils n'ont pas bénéficié des avantages antérieurement au transfert.

  • Un rattachement contractuel non satisfaisant

L'analyse contractuelle qui guide ici le juge n'est donc pas défavorable aux salariés sur le plan pratique, mais elle n'est guère satisfaisante.

La Cour de cassation a, en effet, toujours refusé de considérer que les avantages garantis par un usage -mais le raisonnement vaut également pour les engagements unilatéraux- soient intégrés au contrat de travail ; l'employeur est donc en droit d'y mettre un terme, en respectant les formalités de dénonciation adéquates, sans que les salariés ne puissent s'y opposer en prétendant refuser une modification de leur contrat de travail qui n'a, en réalité, pas eu lieu (Cass. soc., 25 février 1988, n° 85-40.821, Mme Deschamps et autres c/ Société Desarbre, publié N° Lexbase : A1751ABH, Dr. soc. 1989, p. 86, obs. A. Penneau).

Le lien qui unit l'engagement unilatéral ou l'usage au contrat de travail est alors ambigu. Ce dernier semble lui servir de support, au moment du transfert de l'entreprise, mais non pas de fondement ni avant, ni après. De ce point de vue, l'engagement et l'usage appartiennent plutôt au statut collectif.

Cette ambivalence n'est guère satisfaisante sur le plan intellectuel, même si on comprend les raisons qui poussent le juge à jouer sur les deux tableaux.

Il nous semblerait plus cohérent et plus logique de choisir purement et simplement l'analyse statutaire ou contractuelle.

L'analyse statutaire, qui nous semble la plus logique, imposerait alors de raisonner par analogie avec les accords collectifs et de considérer que les engagements et usages de l'ancien employeur ne sont pas transférés au nouvel acquéreur, la cession valant, comme c'est le cas pour les accords collectifs, dénonciation. La solution serait toutefois sévère pour les salariés puisque aucune période de survie n'existerait, ni aucun principe de maintien des avantages individuels acquis. Mais n'appartiendrait-il pas alors au Parlement d'intervenir et de reconnaître la validité de ces sources de droit et d'en construire le régime ?

2. Valeur de la solution au regard du principe "A travail, salaire égal"

  • L'enjeu du débat

On peut s'étonner que dans cette affaire le salarié n'ait pas également placé le débat sur le terrain du respect du principe "A travail égal, salaire égal", ce qui aurait pu lui permettre d'augmenter ses chances de succès. Sans doute n'y aura-t-il pas pensé, même si, il faut bien l'admettre, l'argument était voué à l'échec.

  • Une différence de traitement justifiée

La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que la différence de traitement constatée entre les salariés de l'entreprise cédée et celle de l'entreprise cédante pouvait être justifiée, précisément par les droits particuliers que les premiers tiraient de l'article L. 132-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4696DZX), lequel impose le maintien des avantages individuels acquis postérieurement à l'extinction de l'accord transféré, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution (Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, FS-P N° Lexbase : A0168DGC).

Cette décision est d'ailleurs à mettre en parallèle avec une autre, rendue quelques semaines plus tard, qui avait refusé d'admettre qu'une différence de traitement soit justifiée uniquement par la seule date d'embauche des salariés, à défaut d'autres éléments justificatifs (Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, FS-P+B N° Lexbase : A4304DIA).

En d'autres termes, la différence tenant à la date d'embauche des salariés ne saurait suffire à justifier une différence de traitement, l'employeur étant tenu d'indiquer en quoi cette différence recouvre une différence de situation entre les salariés, comme c'était le cas dans cet arrêt où les salariés embauchés avant la réduction de la durée du travail applicable dans l'entreprise subissaient une baisse de rémunération.

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