Réf. : 27ème colloque organisé par Droit social et présidé par Jean-Emmanuel Ray sur les Restructurations
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par Propos recueillis par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Or, constate Christophe Radé, les délocalisations, qui impliquent un changement de lieu, un déplacement de l'activité hors du territoire national, n'entraînent qu'un faible contentieux. Par suite, leur impact sur l'emploi est assez délicat à établir. Rares sont les décisions sur les délocalisations à l'étranger, et pour cause : les litiges se règlent généralement par une négociation en interne, et rarement par la voie judiciaire.
1. Délocalisation et mobilité du salarié
Ainsi que l'observe Christophe Radé, les restructurations et les délocalisations subséquentes sont, la plupart du temps, réglées par la voie contractuelle.
Lorsque le lieu de travail est modifié au-delà des frontières du secteur géographique dans lequel travaille habituellement le salarié, la Cour de cassation considère, selon une jurisprudence désormais classique, que son contrat de travail est modifié (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.576, M. Hczyszyn c/ Société Paul Jacottet, publié N° Lexbase : A4696AGZ ; Cass. soc., 27 novembre 2002, n° 00-45.751, F-D N° Lexbase : A1188A4R). L'employeur a donc tout intérêt à négocier les délocalisations, pour éviter de devoir essuyer un éventuel refus du salarié.
Une solution pourrait alors consister à insérer une clause de mobilité au sein du contrat de travail du salarié, mais on sait que la Cour de cassation considère que la mise en oeuvre de la clause ne doit pas se traduire par un changement d'employeur. D'où l'intérêt d'imaginer des clauses de mobilité s'appliquant au sein de la holding ou stipulant que la mobilité pourra s'effectuer dans le groupe. La Cour de cassation a eu l'occasion d'admettre la validité d'une telle clause, s'agissant d'une mutation à l'intérieur des frontières françaises, dans une décision rendue le 20 octobre 1988 (Cass. soc., 20 octobre 1988, n° 86-43.227, Meunier c/ SA Agir, inédit N° Lexbase : A1328AAG). Cependant, à partir du moment où la création d'activité s'effectue au-delà du territoire national, la mise en oeuvre de la clause sera paralysée.
En effet, la Cour de cassation exige, pour que la mise en oeuvre d'une clause de mobilité soit valable, que celle-ci n'entraîne aucune autre modification du contrat de travail, qu'il s'agisse de la rémunération du salarié, de ses fonctions ou de tout autre élément contractualisé (voir, par exemple, pour le maintien de la rémunération contractuelle, Cass. soc., 13 juillet 2005, n° 03-44.632, F-D N° Lexbase : A9251DIH). Or, une mutation, a fortiori à l'étranger et sauf à ce que le salarié obtienne un statut d'expatrié, entraîne inéluctablement son lot de modifications contractuelles, à commencer par une modification de la rémunération. Prenons-en pour exemple l'affaire "Lycos", où 34 salariés s'étaient vu proposer de travailler en Arménie pour 300 à 500 euros... On comprend tout de suite les enjeux du problème : le salaire est adapté au coût de la vie dans le pays étranger et, par conséquent, subit immanquablement une révision.
Finalement, l'employeur, face à ces phénomènes de restructurations/délocalisations à l'étranger, se trouve relativement démuni et ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte face à un salarié réfractaire à la mobilité. La seule solution valable réside, selon Christophe Radé, dans la négociation.
Pour Yves Fromont, le praticien doit se situer en amont de la délocalisation, et non dans la délocalisation, pour traiter ces phénomènes. En outre, en pratique, le traitement social du salarié va varier en fonction de son statut et de sa position dans l'entreprise. Généralement, les postes d'encadrement, postes clés dans l'entreprise, vont bénéficier d'un traitement différencié. Lors d'une mutation intergroupe, le salarié cadre va régler le sort de sa rémunération, de ses conditions de travail, de sa protection sociale...
S'agissant des autres salariés, il en va différemment. Cela étant, ils ne sont pas pour autant désarmés et c'est là, d'ailleurs, qu'interviennent les institutions représentatives du personnel (par exemple, obligation de consultation du comité d'entreprise) et les partenaires sociaux. Ils bénéficient d'un certain nombre d'outils, au nombre desquels figure, notamment, le fameux droit d'alerte.
2. Délocalisation et application de l'article L. 122-12 du Code du travail
Selon le professeur Christophe Radé, l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) à la restructuration accompagnée d'une délocalisation n'est pas évidente et soulève des interrogations, au nombre desquelles figure celle de l'application de l'article L. 122-12 à l'hypothèse d'une délocalisation à l'étranger.
Selon Christophe Radé, l'autonomie dont est doté l'article L. 122-12 du Code du travail au regard des Directives communautaires lui permet de produire ses effets même lorsque lesdites directives ne s'appliquent pas (Directive (CE) n° 77/187 du Conseil du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements N° Lexbase : L4352GUQ ; Directive 98/50/CE du Conseil du 29 juin 1998 modifiant la Directive 77/187/CEE concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements N° Lexbase : L9988AUH ; Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements N° Lexbase : L8084AUX).
En effet, dès lors que les conditions d'application de l'article L. 122-12 sont réunies, celui-ci doit s'appliquer au transfert transfrontalier.
Cela étant, puisque l'application du transfert ne doit entraîner aucune autre modification du contrat de travail, on peut aisément imaginer qu'en pratique, le cas ne pourra que très rarement, voire jamais, se présenter.
D'ailleurs, selon Yves Fromont, l'application de l'article L. 122-12 dans le cadre extraterritorial ne se rencontre guère en pratique. La mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 122-12 n'est pas la solution pour laquelle les salariés optent le plus volontiers dans les plans de sauvegarde de l'emploi, ceux-ci préférant négocier la rupture de leur contrat de travail et obtenir des indemnités. Aussi, sauf peut être à voir transférer l'ensemble des composantes de leurs contrats de travail ce qui, en pratique, est utopique, les salariés sont peu enclins à bénéficier du jeu de l'article L. 122-12 dans le cadre extraterritorial. Et le praticien d'ajouter que, de surcroît, l'article L. 122-12 n'a pas été conçu à l'origine pour s'appliquer aux délocalisations. Par définition, l'article L. 122-12 n'implique qu'un changement d'employeur stricto sensu et non un changement d'entreprise ou de lieu de travail.
Dans la célèbre affaire "Vidéocolor" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3), le problème ne s'était pas posé sous l'angle de l'entité transférée, mais il s'agissait plus précisément de la question de savoir si les emplois avaient été transférés ou supprimés. Mais, que faut-il alors entendre par la notion d'"emploi" ? Ne faut-il pas conserver une approche "franco française" du contenu de l'emploi puisque, par hypothèse, le métier va quelque peu différer avec la délocalisation ?
3. Délocalisation et suppression d'emplois
La question de la suppression d'emplois liée à une délocalisation soulève deux problématiques ; d'une part, celle de la justification du licenciement et, d'autre part, celle du traitement social des salariés français victimes de la délocalisation.
Depuis l'arrêt "Vidéocolor" du 5 avril 1995, les difficultés économiques sont appréciées au regard du "secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée". Par suite, dès lors que le groupe déborde les frontières françaises et compte des entreprises sur le sol étranger, il faudra prendre en considération cette composante internationale pour apprécier les difficultés économiques.
L'introduction de nouvelles technologies peut, également, constituer la cause du licenciement. Dans un arrêt "Lee Cooper" du 13 mai 2003, une société avait délocalisé son service informatique en Grand Bretagne et avait invoqué des arguments stratégiques à l'appui des licenciements prononcés, arguant, notamment, que "l'introduction de nouvelles technologies dans l'entreprise est de nature à justifier sa restructuration et à constituer une cause économique de la suppression de certains emplois" (Cass. soc., 13 mai 2003, n° 00-46.766, F-D N° Lexbase : A1477B9L). La Cour de cassation n'a pourtant pas cédé et a refusé de reconnaître que les licenciements prononcés reposaient sur une cause réelle et sérieuse, considérant par là même que la localisation géographique importe peu en matière de nouvelles technologies !
Parfois également, la délocalisation poursuit une finalité préventive ou, à tout le moins, semi préventive. C'est ici qu'intervient la fameuse "sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise", née des arrêts "Vidéocolor" en 1995. La position de la Chambre sociale sur ce motif de licenciement est toutefois très réservée, celle-ci faisant preuve d'une grande sévérité pour reconnaître qu'une réorganisation est entreprise dans le but de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Aussi, la Cour refuse d'admettre des arguments de pure stratégie, comme c'était le cas, par exemple, dans l'arrêt "Lee Cooper".
Ainsi que le souligne Yves Fromont, il y a encore 15 ans, les juges ne vérifiaient guère le prétendu intérêt de l'entreprise à délocaliser et à licencier. Désormais, les juges poussent très loin l'analyse et demandent des explications sur le pourquoi de la délocalisation, laissant une marge de manoeuvre affaiblie à l'employeur. Arguer que les coûts sont moins élevés à l'étranger ne suffit plus. Aujourd'hui, la notion de prise en compte du groupe est fondamentale pour procéder à une appréciation objective du motif du licenciement.
La priorité est ici de reclasser les salariés menacés de licenciement. Or, ce reclassement doit intervenir non pas à l'échelle de l'entreprise, mais au niveau du groupe, même si certaines entreprises sont situées à l'étranger (Cass. soc., 7 octobre 1998, n ° 96-42.812, Société Landis et Gyr Building Control c/ M. Bellanger, publié N° Lexbase : A5643ACY).
Comme le rappelle Christophe Radé, l'employeur est tenu de proposer les postes disponibles à l'étranger, même s'il sait pertinemment que les salariés les refuseront. La Cour de cassation n'a de cesse répéter que le reclassement incombe à l'employeur et qu'à défaut de proposer ces postes, il sera condamné pour manquement à ses obligations de reclassement (Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-44.023, Mme Sidonie Correia c/ Agence Office du tourisme et du commerce du Portugal, inédit N° Lexbase : A1244CQ7). En outre, le reclassement à l'étranger pose le problème de la compatibilité des statuts juridiques. Selon la Cour de cassation, le seul obstacle au reclassement à l'étranger est juridique, puisqu'il faut que "la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers" (Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40.304, M. Henri Jean Aimetti c/ Société Hudig Langeveldt SECA, actuellement société Aon France, inédit N° Lexbase : A3686C7N). Or, on sait que dans la pratique, il existe de nombreux autres obstacles que celui de l'incompatibilité des statuts juridiques.
Le Conseil d'Etat a, sur la question, sa propre position et fait référence à la notion de fonctions "compatibles" ou "comparables" (CE Contentieux, 17 novembre 2000, n° 206976, Mme Marie-Louise Goursolas et autres N° Lexbase : A9603AH7). Par ailleurs, en 2004, le Conseil d'Etat a ajouté un critère réaliste au reclassement à l'étranger, consistant à limiter les propositions de reclassement à l'étranger aux seuls salariés ayant manifesté un intérêt de principe à cet égard et permettant à l'employeur de faire un premier tour de table avant de procéder aux propositions formelles de reclassement à l'étranger (CE 3/8 SSR, 4 février 2004, n° 255956, Société Owens Corning Fiberglass France N° Lexbase : A2593DBN).
Reste à préciser que, dans tous les cas de reclassement à l'étranger, le droit de refus du salarié est absolu. Aussi, ne peut-on pas considérer comme excessive la jurisprudence, notamment de la Cour de cassation, sur le reclassement hors frontières, notamment lorsque l'on sait que l'employeur est tenu à une obligation de bonne foi en la matière ?
Selon Yves Fromont, la mobilité hors frontières reste difficile à mettre en oeuvre en pratique. Certaines entreprises ont adopté une solution consistant à laisser les salariés apprécier eux-mêmes l'offre en se rendant sur place, ce qui paraît aller dans le sens d'un certain réalisme. En outre, lorsque le reclassement à l'étranger devient impossible pour telle ou telle raison, on aura recours à des mesures plus classiques, consistant à octroyer des indemnités pour un projet ou des formations pour des salariés inadaptés (cabinet d'outplacement).
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