Au commencement étaient la faute, l'existence d'un préjudice consécutif à cette faute et la nécessité d'un lien de causalité. C'est du moins ce qui était biberonné à tout juriste en culotte courte sur les contours du 1382 (du Code civil, s'entend). Puis la loi et la jurisprudence, soucieuses de préserver les intérêts du profane face au savoir -par essence suspect- du professionnel, créèrent l'obligation de conseil ou d'information, et cette obligation fût. Et comme tout Bellérophon, l'obligation émancipée prit son envol jusqu'à la reconnaissance controversée d'une responsabilité médicale exacerbée par la perte de chance causée à l'enfant né handicapé. Il n'est nul besoin de revenir sur les circonstances de l'arrêt "Perruche", tant la littérature sur le sujet fût abondante, mais force est de constater que le malaise provoqué par cette décision au sein du corps médical tend à s'étendre désormais à d'autres professionnels tels les avocats ou les banquiers, tant il leur est prescrit un formalisme informatif qui encourage, parfois, à l'inaction. La responsabilité civile professionnelle des avocats n'est pas une affaire nouvelle ; à tel point qu'ils doivent souscrire une assurance particulière pour le compte de qui il appartiendra, qui couvre les détournements de fonds faits par eux (
sic). C'est dire combien l'avocat doit se prémunir contre l'engagement de sa responsabilité, puisqu'il doit se prémunir de lui-même ! Mais passons là la gageure et attachons-nous à la responsabilité engagée même en l'absence de faute : un avocat peut parfaitement avoir donné les informations nécessaires à son client verbalement, mais se trouver dans l'impossibilité absolue de le démontrer, auquel cas le tribunal retiendra sa faute. Toute la matière réside donc dans la preuve, que seul un formalisme de la pratique peut assurer ; que seule une assurance professionnelle peut, par ailleurs, réassurer ! Et un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation de nous rappeler que, même dans l'hypothèse dans laquelle aucune faute ne pourrait être reprochée au médecin dans l'accomplissement d'un acte technique, sa responsabilité ne sera pas pour autant écartée, l'obligation d'information apparaissant précisément comme un instrument permettant à la victime de ne pas rester sans réparation. Controverse de Valladolid nous direz-vous ? Si ce n'est qu'à la causalité directe succède la causalité indirecte du préjudice ; préjudice d'une perte de chance de plus en plus indemnisée à la hauteur du résultat de la fameuse "chance", voire au-delà. Et voici que l'avocat "fautif" sera tenu de débourser une indemnité à son client comprenant les honoraires qui lui auront été versés et sans lesquels il n'y aurait eu ni chance, ni perte de chance, ni préjudice, ni indemnisation du tout d'ailleurs : désormais, un homme non averti en vaut deux (indemnisations) ! Pour le banquier dispensateur de crédit, l'affaire est entendue ; non seulement il doit tirer toutes les conséquences de la situation présente et informer son client des risques encourus ; mais il doit aussi envisager les situations futures et, sur la base d'hypothèses mouvantes, satisfaire à son obligation de conseil ou d'information... C'est du moins les conclusions que l'on peut tirer d'une décision de la Cour de cassation rendue le 2 novembre dernier. Aussi profanes de tous les pays unissez-vous (pardonnez ici l'introduction précipitée de la
class action à la française) et faites mentir John Ruskin pour qui "
plaider l'ignorance n'enlèvera jamais notre responsabilité" ! A moins que les médecins, les avocats et les banquiers ne s'unissent eux-mêmes et concluent, sous l'égide de l'Etat, à une limitation de leur responsabilité à l'image des transporteurs aériens opposant la Convention de Varsovie aux victimes d'accident (cf. Cass. civ. 1, 22 novembre 2005). Mais galvanisons-nous en pensant que "
la responsabilité est le prix à payer du succès" comme en a fait la douloureuse expérience Winston Churchill, à la sortie de la guerre. De là à dégager un principe juridique selon lequel le savoir est porteur de responsabilité, il n'y a qu'un pas... De là à limiter les risques de sa responsabilité professionnelle en enrichissant ses savoirs et ses pratiques, par le truchement de la formation continue par exemple, il n'y en a qu'un autre... Dans ce cercle, que l'on veut tous vertueux, les éditions juridiques Lexbase, dispensatrices d'informations et de formations, jouent leur rôle et vous proposent de lire cette semaine le compte-rendu réalisé par
Florence Labasque, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires, sur la récente conférence sur la responsabilité de l'avocat organisée par la Confédération Nationale des Avocats (CNA) et animée par
Vincent Perraut, du Cabinet HOCQUARD & Associés. Nous vous invitons à poursuivre votre lecture avec
David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit, sur l'"
Obligation d'information et [la]
perte de chance (à propos du durcissement de la responsabilité médicale)" ; enfin,
Richard Routier, Maître de Conférences à l'Université du sud Toulon-Var, revient cette semaine sur le "
Nouveau contour de l'obligation du prêteur de mettre en garde l'emprunteur profane".
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