La lettre juridique n°189 du 10 novembre 2005 : Concurrence

[Jurisprudence] Lorsque la Commission inflige des amendes, elle doit respecter ses propres lignes directrices

Réf. : TPICE, 25 octobre 2005, aff. T-38/02, Groupe Danone c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A0737DLU)

Lecture: 7 min

N0586AKW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Lorsque la Commission inflige des amendes, elle doit respecter ses propres lignes directrices. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207709-jurisprudence-lorsque-la-commission-inflige-des-amendes-elle-doit-respecter-ses-propres-lignes-direc
Copier

le 07 Octobre 2010

Le 25 octobre dernier, le TPICE a rejeté la demande d'annulation de la décision de la Commission, du 5 décembre 2001 introduite par le groupe Danone (la requérante) dans le cadre de l'affaire "Interbrew et Alken-Maes". Il s'agit donc d'une affaire classique, sauf qu'au cas d'espèce, le tribunal a fait droit à la demande de réduction de l'amende de 44,043 millions d'euros infligée à la requérante par la Commission. La décision attaquée analyse clairement le mécanisme de l'entente [notamment point 265]. Il ressort de l'instruction qu'entre janvier 1993 et janvier 1998, dans un premier temps par le biais d'un pacte général de non-agression, puis dans un second temps depuis 1994, par la mise en oeuvre d'accords de répartition des marchés et de fixation de prix, les sociétés Interbrew et Alken-Maes (filiale à l'époque du groupe Danone SA) ont constitué un cartel sur le marché brassicole belge. C'est donc à juste titre que la Commission a considéré [article premier] qu'"Interbrew NV, Brouwerijen Alken-Maes NV et le Groupe Danone SA ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, du traité , en participant à un ensemble complexe d'accords et/ou de pratiques concertées, portant sur un pacte général de non agression, les prix et les promotions dans le commerce de détail, le partage de la clientèle dans le secteur horeca (comprenant l'horeca "classique" et les clients nationaux), la limitation des investissements et de la publicité sur le marché horeca, une nouvelle structure tarifaire applicable au secteur horeca et au commerce de détail et l'échange d'informations sur les ventes dans le secteur horeca et le commerce de détail, et cela pendant la période allant du 28 janvier 1993 au 28 janvier 1998".

Le 22 février 2002, la requérante a introduit le présent recours dans lequel elle soulève pas moins de huit moyens [point 25]. Deux moyens, introduits à titre principal, visent l'annulation de la décision attaquée (violation des droits de la défense et du principe de bonne administration, d'une part, et violation de l'obligation de motivation, d'autre part). Les six autres moyens soulevés à titre subsidiaire ont, principalement, pour objet la réduction du montant de l'amende.

Le Tribunal a écarté cinq de ces moyens relatifs à l'évaluation erronée de la gravité de l'infraction, à l'appréciation erronée de la durée de l'infraction, à la récidive de la requérante en la matière, à la prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes applicables, à une appréciation incorrecte de l'ampleur de la coopération de la requérante en violation du principe d'égalité de traitement et de la "communication sur la coopération" (1) de la Commission.

Finalement [points 248 à 313], le Tribunal n'a pas écarté le moyen reposant sur le caractère infondé de la circonstance aggravante retenue au titre de la contrainte exercée sur Interbrew (cinquième moyen). Le point 313 de l'arrêt est sans équivoque : "Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu'il convient d'exercer le pouvoir de pleine juridiction qui lui est conféré en vertu de l'article 17 du règlement n° 17 en fixant l'augmentation globale du montant de base de l'amende retenue au titre des circonstances aggravantes à 40 %".

Examinons comment le Tribunal est parvenu à cette conclusion. Le considérant 315 de la décision contestée est ainsi rédigé : "Danone a en outre menacé de détruire Interbrew sur le marché français si celle-ci ne transférait pas 500 000 hectolitres de bières à Alken-Maes. Cela a conduit à une extension de la coopération entre Interbrew et Alken-Maes (voir les considérants 232 à 234 et 236). Il convient dès lors de conclure, en ce qui concerne le rôle de Danone, que celle-ci a forcé Interbrew à étendre leur coopération en la menaçant de représailles au cas où elle refuserait". C'est en s'appuyant sue cette conclusion que la Commission [point 316] a majoré de 50 % le montant de base de l'amende de Danone, le portant ainsi à 44,043 millions d'euros.

Dans un premier temps, le Tribunal constate, comme l'avait formulé précédemment la Commission, qu'une menace a bien été formulée à l'encontre d'Interbrew par Danone mais que dans le même temps il y a eu un développement du pacte de non-agression entre les protagonistes à l'entente. En conséquence [point 309], pour la juridiction : "Il résulte de ce qui précède que, sur l'ensemble de la période infractionnelle, les parties à l'entente ont chacune pris des initiatives dont l'objet était anticoncurrentiel et, en particulier, que l'on ne saurait conclure, sur le fondement des éléments du dossier, que c'est sous le seul effet d'une contrainte qu'Interbrew a consenti à l'extension de l'entente à un pacte de non-agression. Nonobstant le fait que la Commission précise, dans ses écritures, que la circonstance aggravante retenue à l'encontre de la requérante n'exonère pas Interbrew de sa responsabilité dans l'entente, l'attitude dont témoigne cette dernière tout au long de la période infractionnelle ne permet pas de conclure à l'existence d'un lien de causalité direct entre la menace formulée par la requérante le 11 mai 1994 et l'extension de l'entente".

C'est pour cette raison que la réduction de l'augmentation globale du montant de base de l'amende retenue par le Tribunal, au titre des circonstances aggravantes, passe de 50 à 40 %, en ne laissant, il est vrai, subsister que l'augmentation due à la circonstance aggravante tenant aux éléments de récidive dans le comportement de la requérante, qui a joué ici incontestablement un rôle prépondérant.

De sa propre initiative, alors que ce moyen n'a évidemment pas été abordé par la requérante, le Tribunal [points 519 à 525] remet en cause la méthode de calcul du montant final de l'amende à la suite de cette modification. Pour la juridiction, il n'y a pas d'ambiguïté : "en procédant au calcul de l'amende infligée à la requérante, la Commission s'est écartée de la méthodologie indiquée dans les lignes directrices".

Reprenons le cadre légal dans lequel le Tribunal inscrit son raisonnement. Le règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962 (2), dispose en son article 15, paragraphe 2, que : "La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille [euros] au moins et d'un million d'[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article
[81], paragraphe 1, ou de l'article [82] du traité, ou
b) elles contreviennent à une charge imposée en vertu de l'article 8, paragraphe 1
[du règlement].
Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci
".

Ce premier règlement a été complété par une communication de la Commission (3) concernant la non-imposition des amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, c'est cette communication qui définit, notamment, "les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées d'amende ou bénéficier d'une réduction de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter". Par ailleurs, depuis 1998, les lignes directrices (4) de la Commission fournissent la méthodologie applicable au calcul du montant des éventuelles amendes, "qui repose sur la fixation d'un montant de base auquel s'appliquent des majorations pour tenir compte de circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes". Toujours, selon ces mêmes lignes directrices, "ce montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, seuls critères retenus à l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17". Or, comme le rappelle la jurisprudence "Cheil Jedang" (5), "eu égard au libellé des lignes directrices, le Tribunal estime que les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être appliqués au montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, et non au montant d'une majoration précédemment appliquée au titre de la durée de l'infraction ou au résultat de la mise en oeuvre d'une première majoration ou réduction au titre d'une circonstance aggravante ou atténuante. Ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre dans sa réponse à la question écrite du Tribunal, la méthode de calcul du montant des amendes décrite ci-dessus se déduit du libellé des lignes directrices et permet de garantir une égalité de traitement entre différentes entreprises participant à un même cartel".

En conséquence, les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, auraient du être appliqués au montant de base de l'amende, et non au résultat de la mise en oeuvre d'une première majoration ou réduction au titre d'une circonstance aggravante ou atténuante. Ce qui, comme nous l'avons vu précédemment, n'a pas été mis en oeuvre par la Commission. C'est pour cette raison que le tribunal affirme [point 523] que, "si la méthode de calcul du montant des amendes contenue dans les lignes directrices n'est certes pas la seule méthode envisageable, elle est de nature à assurer une pratique décisionnelle cohérente en matière d'imposition des amendes, laquelle permet, à son tour, de garantir l'égalité de traitement des entreprises qui sont sanctionnées pour infractions aux règles du droit de la concurrence. Dans le cas présent, le Tribunal constate que la Commission s'est écartée des lignes directrices, en ce qui concerne la méthode de calcul du montant final des amendes, sans fournir aucune justification".

En conséquence, le montant final de l'amende infligée à la requérante par le tribunal a donc été calculé comme suit : "au montant de base de l'amende [36,25 millions d'euros] sont d'abord ajoutés 40 % de ce montant de base [14,5 millions d'euros] et soustraits 10 % dudit montant [3,625 millions d'euros], ce qui aboutit à un montant de 47,125 millions d'euros. Ensuite, ce montant est réduit de 10 % au titre de la coopération, ce qui aboutit à un montant final d'amende de 42,4125 millions d'euros".

Jean-Pierre Lehman
Ancien rapporteur du Conseil de la concurrence


(1) JO 1996C207 p. 4.
(2) Règlement (CE) n° 17 du Conseil, 6 février 1962, Premier règlement d'application des articles 85 [81] et 86 [82] du traité (N° Lexbase : L0676BAB) (JO 1962, 17, p. 204).
(3) JO 1996, C 207, p. 4.
(4) JO 1998, C 9, p. 3.
(5) TPICE, 9 juillet 2003, aff. T-220/00, Cheil Jedang Corp. c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A0650C9X).

newsid:80586