La lettre juridique n°189 du 10 novembre 2005 : Social général

[Jurisprudence] Conclusion dolosive d'une convention AS-FNE

Réf. : Cass. soc., 12 octobre 2005, n° 03-41.762, Société Ingenierie financière et immobilière de la Réunion (IFIRUN), venant aux droits de la société Novha c/ M. André Auceil, F-P+B (N° Lexbase : A8316DK9)

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le 07 Octobre 2010

Il existe plusieurs dispositifs de préretraite : l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), dispositif propre à l'Unédic et en voie d'extinction ; la cessation d'activité de certains travailleurs salariés (CATS) ; la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (CAATA) ; l'allocation spéciale du fonds national de l'emploi (AS-FNE) ; les préretraites privées (également appelées préretraites d'entreprise) ; enfin, la préretraite progressive, dispositif en voie d'extinction (la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM a abrogé la préretraite progressive depuis le 1er janvier 2005). Les préretraités bénéficiant de dispositifs publics sont de moins en moins nombreux (1). Les départs anticipés sont souvent perçus comme un facteur de solidarité entre les générations et comme un outil efficace pour rétablir un équilibre dans les pyramides des âges d'établissements vieillissants. Ce double aspect a conduit au développement, en France, d'une véritable culture de la préretraite (2). Ce consensus a pourtant été remis en cause par la loi du 21 août 2003, laquelle a recentré les dispositifs de préretraite autour de deux dispositifs : CATS (pénibilité) et AS-FNE. La loi a assujetti les avantages de préretraites "maison" à une contribution spécifique, à la charge exclusive des employeurs.
Décision

Cass. soc., 12 octobre 2005, n° 03-41.762, Société Ingenierie financière et immobilière de la Réunion (IFIRUN), venant aux droits de la société Novha c/ M. André Auceil, F-P+B (N° Lexbase : A8316DK9)

Rejet (CA de Saint-Denis-de-la-Réunion, chambre sociale, 17 décembre 2002)

Textes applicables : C. trav., art. L. 322-2 (N° Lexbase : L8933G7Y) ; C. trav., art. L. 322-4 (N° Lexbase : L6519DIB) ; C. trav., art. R. 322-1 (N° Lexbase : L0069ADW) ; C. trav., art. R. 322-7 (N° Lexbase : L0086ADK) ; C. civ., art. 1108 et s. (N° Lexbase : L1014AB8).

Mots-clefs : convention AS-FNE ; préretraite ; vice du consentement (dol) ; fraude

Lien bases :

Résumé

C'est à la date à laquelle l'adhésion à la convention AS-FNE a été frauduleusement obtenue qu'il y a lieu d'apprécier l'existence du préjudice du salarié né de la perte de sa rémunération antérieure.

Faits

1. M. Auceil, salarié de la société Novha, a été licencié pour motif économique le 25 octobre 1996. La lettre de licenciement fait état de la décision de la société Réunion habitat, qui détenait l'intégralité des parts de la société Novha, de la suppression de l'activité de celle-ci.

2. Le salarié a adhéré le 12 février 1997 à la convention d'allocations spéciales du Fonds national de l'emploi (AS-FNE). Ayant appris la poursuite de l'activité de la société Novha sous une autre dénomination, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

3. L'arrêt confirmatif rendu par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion le 17 décembre 2002 alloue au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4. Pourvoi formé par l'ancien employeur, la Société Novha, rejeté.

Solution

La cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain et sans inverser la charge de la preuve, a constaté l'existence d'une fraude de l'employeur ayant conduit le salarié à adhérer à la convention AS-FNE. C'est à la date à laquelle l'adhésion à la convention AS-FNE a été frauduleusement obtenue qu'il y a lieu d'apprécier l'existence du préjudice du salarié né de la perte de sa rémunération antérieure

Observations

La conclusion d'une convention AS-FNE présente des avantages indéniables pour les employeurs, qui y ont recours très largement ; pour les salariés, l'avantage financier est certain, puisqu'ils trouvent là un dispositif efficace pour assurer une transition vers la retraite. Mais, en contrepartie, la jurisprudence leur retire le droit de contester le motif économique du licenciement, sauf fraude ou vice du consentement (I). Lorsque le salarié a été victime d'un comportement dolosif de l'employeur l'ayant conduit, malgré lui, à conclure une telle convention AS-FNE, il peut obtenir réparation, comme le montre l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 octobre 2005 (II).

I. Eléments constitutifs de la fraude d'un employeur dans la conclusion d'une convention AS-FNE

A. Modes de contestation du licenciement dans l'hypothèse d'une convention AS-FNE

La situation du salarié adhérant d'une convention AS-FNE déroge au droit commun de la contestation du licenciement économique collectif, portant sur la cause réelle et sérieuse ou sur le motif économique du licenciement. En effet, selon la jurisprudence, lorsqu'un salarié licencié pour motif économique, qui a adhéré à la convention AS-FNE, entend remettre en cause la légitimité de la rupture de son contrat de travail, il doit établir une fraude de l'employeur ou un vice du consentement.

Les salariés ordinaires ne peuvent plus contester la régularité (la légitimité) du licenciement en cas d'adhésion à un dispositif tel que l'AS-FNE (Cass. soc., 27 janvier 1994, n° 90-46.034, Société Pomona c/ M. Leclerc et autres, publié N° Lexbase : A0469ABY ; Cass. soc., 14 oct.obre 1997, n° 95-40.599, Mme Nicole Pruvost c/ Association Fontainebleau Loisirs et Culture (FLC), inédit N° Lexbase : A8367AYK ; Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-42.636, Société Raynier et Marchetti c/ M. Belaïd Amoura, FS-P+B N° Lexbase : A4890AZ7 : à moins d'établir une fraude de leur employeur ou l'existence d'un vice du consentement, les salariés licenciés pour motif économique, qui ont personnellement adhéré à la convention passée entre leur employeur et l'Etat, laquelle, compte tenu de leur classement dans la catégorie des salariés non susceptibles d'un reclassement, leur assure le versement d'une allocation spéciale jusqu'au jour de leur retraite, ne peuvent remettre en discussion la régularité et la légitimité de la rupture de leur contrat de travail même dans le cas où la convention leur a été proposée dans le cadre d'un plan social dont ils entendent contester la validité ; Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-41.171, M. Gérard Vallois c/ Société Compaq Computer, FS-D N° Lexbase : A7572BSA).

La jurisprudence n'a pas toujours été aussi déterminée dans cette solution, puisqu'elle a admis, au contraire, dans certaines décisions, que le salarié puisse contester la cause réelle et sérieuse de son licenciement, même en cas d'adhésion à une convention AS-FNE (Cass. soc., 8 juin 1999, n° 97-41.498, Société IBM France c/ M. Ravel et autre, publié N° Lexbase : A4740AGN : reconnaissant au salarié protégé, adhérant d'une convention AS-FNE, le droit de contester la rupture du contrat de travail pour défaut d'autorisation de l'inspection du travail, car le salarié protégé jouit d'un statut protecteur ; Cass. soc., 5 octobre 1999, n° 97-41.826, M. Daniel Vigneron c/ Société Seco tools France, société anonyme, inédit N° Lexbase : A1546CNL : admettant que le salarié conteste la rupture de son contrat de travail consécutive à l'adhésion d'une convention AS-FNE qui avait pour objet de transformer son emploi à temps plein en emploi à temps partiel).

En revanche, l'adhésion d'un salarié licencié pour motif économique à une convention de préretraite FNE, lorsqu'elle est postérieure au licenciement, n'a pas pour effet d'annuler celui-ci, en sorte que le contrat de travail a bien été résilié par l'employeur : il appartient alors aux juges d'examiner le bien-fondé du licenciement. La Cour de cassation refuse le principe selon lequel, quel que soit le moment auquel intervient l'adhésion à la convention AS-FNE, celle-ci rend impossible toute contestation du motif économique du licenciement (Cass. soc., 20 novembre 2002, n° 00-46.758, F-D N° Lexbase : A0602A43).

B. Régime de la fraude d'un employeur dans la conclusion d'une convention AS-FNE

  • Charge de la preuve

Selon l'employeur, il appartient au salarié licencié pour motif économique, qui a adhéré à la convention AS-FNE, s'il désire remettre en cause la légitimité de la rupture de son contrat de travail, d'établir une fraude de l'employeur ou un vice du consentement.

En reprochant à la société Ifirun de ne pas justifier la décision du conseil d'administration de la société Habitat réunion relative à l'arrêt de l'activité de la société Novha, ni de la teneur de sa nouvelle activité et de sa différence avec celle de la société Novha, ainsi que de ne pas rapporter la preuve de l'absence d'embauche d'un salarié aux mêmes fonctions que M. Auceil, la cour d'appel aurait inversé la charge de la preuve.

Mais, pour la Cour de cassation, les juges du fond exercent en la matière un pouvoir souverain. En l'espèce, sans inverser la charge de la preuve, la cour d'appel a constaté l'existence d'une fraude de l'employeur ayant conduit le salarié à adhérer à la convention AS-FNE.

  • Eléments constitutifs de la fraude

La jurisprudence retient la formule de "fraude de l'employeur ou existence d'un vice du consentement" pour autoriser le salarié à contester le motif économique du licenciement ou à demander réparation pour absence de cause réelle et sérieuse. En réalité, l'expression "fraude de l'employeur ou existence d'un vice du consentement" recouvre la fraude, au sens du droit pénal, d'une part, et le vice du consentement, au sens du droit des obligations (C. civ., art. 1108 s. N° Lexbase : L1014AB8), d'autre part.

Mais, le droit pénal n'a pas sa place, ici, puisque la fraude n'est pas, en tant que telle, visée par le Code pénal, l'incrimination d'escroquerie (C. pén. art. 313-3 N° Lexbase : L1902AME) étant la plus proche. Cette incrimination, en matière de convention de préretraite, n'a pas de sens.

Aussi, l'application pure et simple du droit civil (vices du consentement) semble la plus adaptée à la conclusion d'une convention AS-FNE, car l'employeur peut poursuivre des intérêts propres à ce qu'une convention AS-FNE soit conclue, notamment pour réduire le coût d'une opération de restructuration (donnant lieu à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi), sans que cet intérêt rencontre celui du salarié.

L'objet de la convention AS-FNE (C. civ., art. 1126 N° Lexbase : L1226ABZ) et sa cause (C. civ., art. 1131 N° Lexbase : L1231AB9) ne posent aucune difficulté, car les dispositions légales et surtout réglementaires, fixent le régime juridique de la convention AS-FNE. Le débat est ouvert, au final, au regard des vices du consentement (C. civ., art. 1109 N° Lexbase : L1197ABX) : erreur, violence, dol.

L'employeur peut inciter un salarié à conclure une convention AS-FNE et vicier son consentement, sur la base de l'erreur et du dol : la violence, sauf psychologique peut-être, ne paraît pas très pertinente. En l'espèce, le comportement de l'employeur a conduit le salarié, malgré lui, à conclure une convention AS-FNE. La cour d'appel se réfère à la notion de fraude, improprement, la qualification de dol (C. civ., art. 1116 N° Lexbase : L1204AB9) convenant mieux.

  • Elément matériel de la fraude

En l'espèce, selon l'employeur, l'existence d'une "fraude de l'employeur ou d'un vice du consentement" ne peut se déduire de la seule inexactitude de la raison économique mentionnée dans la lettre de licenciement. La cour d'appel avait pourtant relevé que la société Ifirun avait continué son activité antérieure contrairement à ce qui était indiqué dans la lettre de licenciement, cet élément constituant l'élément matériel de la fraude. La Cour de cassation n'est pas revenue sur cette analyse.

  • Elément moral de la fraude

L'obstruction de l'employeur à justifier de son activité réelle suffisait, selon les juges du fond, à en caractériser l'élément moral. Mais la convention d'allocation spéciale du FNE a fait l'objet d'une adhésion par erreur qui, selon l'employeur, ne caractérise pas l'existence ni d'une fraude de l'employeur, ni d'un vice du consentement. L'argument n'a pas convaincu les juges du fond.

II. Réparation du préjudice né la fraude d'un employeur dans la conclusion d'une convention AS-FNE

A. Arbitrage entre conclusion d'une convention AS-FNE et poursuite du contrat de travail

Il faut rappeler que le préretraité, au titre de l'AS-FNE, perçoit une allocation qui s'élève à 65 % du salaire journalier de référence pour la part de celui-ci comprise dans la limite du plafond retenu pour le calcul des cotisations de sécurité sociale (29 712 euros par an, en 2004). A cela, peut s'ajouter 50 % du salaire de référence, pour la part de ce salaire comprise entre une et deux fois le plafond retenu par la Sécurité sociale (entre 29 712 euros et 59 424 euros par an, en 2004). L'allocation minimale journalière est de 27,35 euros au 1er janvier 2004.

Le préretraité perçoit cette allocation jusqu'à 60 ans ou, au-delà, jusqu'à l'obtention du nombre de trimestres de cotisations requis afin de bénéficier de la retraite à taux plein, mais au plus tard jusqu'à 65 ans.

L'employeur qui propose une convention AS-FNE (le plus souvent, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi) voit dans ce dispositif de nombreux avantages : pas de procédure de licenciement à mettre en place, parce que la conclusion d'une convention AS-FNE vaut, en elle-même, rupture sui generis du contrat de travail ; l'employeur satisfait à son obligation de reclassement, auquel il est tenu s'il doit mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi.

Le salarié doit, de son côté, calculer les avantages financiers à la conclusion d'une convention AS-FNE, ou apprécier les avantages conférés par le bénéfice d'autres dispositifs de reclassement que l'employeur pourrait lui proposer dans le cadre d'un plan de reclassement (reclassement interne, mutation...).

B. Calcul du préjudice d'une convention AS-FNE conclue en présence d'un vice du consentement

En l'espèce, la cour d'appel avait caractérisé l'existence d'une "fraude de l'employeur ou d'un vice du consentement du salarié". La question qui s'est alors posée était la suivante : la perte de revenus résultant de l'adhésion à la convention FNE constitue-t-elle un préjudice ? Ce préjudice est-il en relation de causalité avec la "fraude ou le vice du consentement" ?

Selon l'employeur, le préjudice subi par le salarié n'est en relation de causalité que s'il est établi que le salarié, s'il n'avait pas adhéré à la convention FNE, aurait continué à travailler dans l'entreprise avec un niveau de salaire supérieur à l'allocation perçue du FNE.

En l'espèce, la société Ifirun indiquait qu'il n'existait aucun poste pour M. Auceil après son licenciement, le seul salarié embauché après cette date ayant des fonctions d'ingénieur gestionnaire de patrimoine, radicalement différentes de celles de conducteur d'opération pouvant être assumées par M. Auceil. Pourtant, les juges du fond ont accordé au salarié une somme équivalente à la différence entre son salaire moyen net mensuel sur l'année 1996 et les sommes perçues au titre de la convention AS-FNE.

Selon l'employeur, la cour d'appel, en l'espèce, aurait dû constater que M. Auceil aurait pu continuer à travailler pour la société Ifirun, s'il n'avait pas adhéré à la convention AS-FNE ; la cour d'appel aurait dû a fortiori relever qu'il aurait ainsi perçu un salaire supérieur aux allocations FNE.

La Cour de cassation rejette le moyen du pourvoi : c'est à la date à laquelle l'adhésion à la convention AS-FNE a été frauduleusement obtenue qu'il y a lieu d'apprécier l'existence du préjudice du salarié né de la perte de sa rémunération antérieure, si bien que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes.

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace


(1) D. Anglaret, Les dispositifs de cessation anticipée d'activité publics ou conventionnels, Dares, 1ère information, 1ère synthèse, janv. 2003, n° 03.1.
(2) D. Anglaret et M. Massin, Dares, Premières informations et Premières synthèses, Novembre 2002 - N° 45.1

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