Réf. : CJCE, 6 octobre 2005, aff. C-243/03, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A6729DKG)
Lecture: 17 min
N0549AKK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA
le 07 Octobre 2010
"En prévoyant un prorata de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée supportée par les assujettis n'effectuant que des opérations taxées et en instaurant une règle particulière limitant la déductibilité de la TVA afférente à l'achat de biens ou de services financés au moyen de subventions, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire et, notamment, des articles 17, paragraphes 2 et 5, et 19 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 ;
En instaurant une règle particulière limitant la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à l'achat de biens d'équipement en raison du fait qu'ils ont été financés au moyen de subventions, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire et, notamment, des articles 17 et 19 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995".
Les subventions d'équipement n'influencent pas l'étendue du droit à déduction de l'assujetti dont toutes les activités dans le champ d'application de la TVA sont imposables. Le prorata ne concerne pas l'assujetti-redevable total. Il ne s'applique qu'aux assujettis-redevables partiels. Etant soumis au système du prorata, ces redevables partiels ne peuvent se voir opposer aucune autre limitation de leur droit à déduction.
1. Les subventions d'équipement perçues par le redevable total
L'article 17, paragraphe 2, a, de la sixième directive-TVA dispose que "dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable [...] la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l'intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti". La déduction de la TVA ayant grevé un prix de revient ne dépend que de l'existence d'une TVA d'aval. En cela, l'article 271 du CGI suit la sixième directive-TVA lorsqu'il dispose : "I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. [...]. II. 1. Dans la mesure où les biens et services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est [notamment] : a) Celle qui figure sur les factures d'achat qui leur sont délivrées par leurs vendeurs, dans la mesure où ces derniers étaient légalement autorisés à la faire figurer sur lesdites factures ; [...]".
Le paragraphe 5 de l'article 17 de la sixième directive-TVA complète, à propos des redevables partiels, le paragraphe 2 précité : "En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations. Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19 [...]". La transposition française de ce texte résulte de l'article 2 du décret n° 94-452, du 3 juin 1994, relatif au droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L4161GUN) codifié sous l'article 212 de l'annexe II au CGI . Ce dernier, en son paragraphe 1er alinéa 1er, prévoit que : "Les redevables qui, dans le cadre de leurs activités situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, ne réalisent pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction sont autorisés à déduire une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les biens constituant des immobilisations utilisées pour effectuer ces activités".
A la lettre, la transposition française paraît envisager l'application du prorata à toutes les immobilisations, nonobstant l'éventuelle affectation totale à la réalisation d'opérations ouvrant droit à déduction. Une telle interprétation heurterait le droit communautaire car l'article 17-5 précité n'évoque la déduction partielle qu'à propos des dépenses à usage mixte. La jurisprudence communautaire nous enseigne que seule l'affectation réelle de chaque dépense détermine le principe et l'étendue du droit à déduction (CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 15 N° Lexbase : A7275AHW ; CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 25 et 27 N° Lexbase : A9796AUD ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 18 N° Lexbase : A9657AU9 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-400/98, Finanzamt Goslar c/ Brigitte Breitsohl, § 35 N° Lexbase : A1912AWQ ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C -98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc., § 32 N° Lexbase : A2016AII ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 37 à 40 N° Lexbase : A1648AWX). Le droit de déduire toute la TVA ayant grevé le prix de revient d'une opération taxée a été expressément rappelé par monsieur l'Avocat général Philippe Léger, au point 5 de ses conclusions à propos de l'affaire EDM (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01, Empresa de Desenvolvimento Mineir o SGPS SA (EDM), anciennement Empresa de Desenvolvimento Mineiro SA (EDM) c/ FazendaPública N° Lexbase : A9953DBA ; lire Yolande Sérandour, Les produits financiers accessoires exclus du calcul du droit à déduction de la TVA, Lexbase Hebdo n° 123, du 3 juin 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1766ABZ). Ledit arrêt "EDM", au point 53, précise que "en vertu de l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive-TVA, si l'assujetti utilise des biens et/ou des services, sur lesquels il a acquitté la TVA en amont, pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, il est nécessaire de calculer, conformément à l'article 19 de cette directive, le prorata de déduction à appliquer au montant de la TVA acquittée en amont".
Le Conseil d'Etat respecte le droit communautaire en excluant toute déduction en cas d'affectation de biens ou services à des opérations exonérées de TVA (CE, Contentieux, 21 février 1979, n° 08070, Société anonyme Socofrein N° Lexbase : A9549AII ; CE, 26 juillet 1985, n° 34907). L'administration fiscale ne peut, donc, pas, contrairement à ses prétentions, imposer l'application du prorata à toutes les dépenses immobilisées (instruction du 8 septembre 1994, BOI n° 3 CA-94, n° 127 N° Lexbase : X0377AA9 ; Doc. adm., 3 D-17, 2 novembre 1996, n° 3). Cette position n'aurait aucune conséquence fâcheuse si les activités non soumises à la TVA pouvaient être sectorisées sans obstacle. En effet, en vue de permettre une récupération complète de la TVA sur les immobilisations affectées aux opérations imposables, il suffirait de distinguer comptablement entre les activités imposables ouvrant droit à déduction totale et les activités exonérées excluant l'exercice d'un tel droit. Malheureusement, l'administration fiscale n'entend pas faciliter la sectorisation.
Aux associations exerçant des activités commerciales, l'administration suggère la sectorisation des activités lucratives en vue de conserver l'exonération si l 'activité lucrative diffère de l'activité non lucrative (instruction du 15 septembre 1998, BOI n° 4 H-5-98, n° 67 et 68 N° Lexbase : X0387AAL ; instruction du 16 février 1999, BOI n° 4 H-1-99, n° 15 et s. N° Lexbase : X0433AAB). Selon l'administration, la sectorisation supposerait des activités différentes par nature, par les moyens employés, par la comptabilisation et par des règles différentes de TVA. Cette condition ne respecte pas le droit communautaire, lequel propose la sectorisation de l'activité imposable pour partie et exonérée pour l'autre. L'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive-TVA permet aux Etats membres d'offrir la sectorisation en cas d'utilisation des dépenses "pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction [...]". Pour le calcul du prorata prévu à l'article 17, l'article 19 reprend la même distinction. Or, selon la Cour de Luxembourg, la notion d'opérations n'ouvrant pas droit à déduction s'entend des opérations exonérées.
En effet, elle exclut du calcul du prorata les dividendes, au motif qu'ils sont hors du champ d'application de la TVA au regard des articles 2 et 4 de la sixième directive-TVA (CJCE, 22 juin 1993, aff. C-333/91, Sofitam SA (anciennement Satam SA) c/ Ministre chargé du Budget N° Lexbase : A7257AHA ; CJCE, 14 novembre 2000, aff. C-142/99, Floridienne SA et Berginvest SA c/ Etat belge N° Lexbase : A2001AIX). Elle considère que la simple acquisition et la seule détention de droits sociaux ne constituent pas des activités économiques conférant la qualité d'assujetti (CJCE, 20 juin 1991, aff. C-60/90, Polysar Investments Netherlands BV c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen, n° 13 N° Lexbase : A7267AHM ; CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA c/ Directeur régional des impôts du Nord-Pas-de-Calais N° Lexbase : A5734AWB). Les fruits d'une participation ne sont pas la contrepartie d'une activité économique (CJCE, 6 février 1997, aff. C-80/95, Harnas & Helm CV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A2997AUK ; CJCE, 26 juin 2003, aff. C-442/01, KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berli n-H ellersdorf 3. Tranche GbR c/ Finanzamt Charlottenburg, § 38 N° Lexbase : A0203C9E). Il en va de même de la cession de participations hors du champ d'application de la TVA (CJCE, 20 juin 1996, aff. C-155/94, Wellcome Trust Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise, n° 32 et 33 N° Lexbase : A7243AHQ ; CJCE, 26 juin 2003 , aff. C-442/01, KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berli n- H ellersdorf 3. Tranche GbR c/ Finanzamt Charlottenburg, précité, § 40) ou de la simple acquisition et vente d'autres titres négociables (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01, Empresa de Desenvolvimento Mineir o SGPS SA (EDM), anciennement Empresa de Desenvolvimento Mineiro SA (EDM) c/ FazendaPública, précité, § 58 ; lire Yolande Sérandour, Les produits financiers accessoires exclus du calcul du droit à déduction de la TVA, Lexbase Hebdo n° 123, du 3 juin 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1766ABZ).
Si des produits financiers peuvent être hors champ et hors prorata, les opérations n'ouvrant pas droit à déduction à distinguer des opérations ouvrant droit à déduction, au sens des articles 17 et 19 de la sixième directive-TVA se résument aux opérations exonérées. La seule opposition entre opérations dans le champ d'application de la TVA formellement exprimée par la sixième directive-TVA n'existe qu'entre les opérations effectivement imposables et les opérations exonérées. Sauf jurisprudence communautaire contraire, l'administration fiscale ne peut suspendre la sectorisation à une différence absolue entre les activités. Rappelons que l'article 17 propose la sectorisation de l'activité et non des activités.
Un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 14 janvier 2005 (CE, 8° s-s., 14 janvier 2005, n° 251332, SA ING Bank (France) c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0333DGG) conduit à se demander si l'administration n'aurait pas implicitement admis la sectorisation d'activités liées. La SA ING Bank (France) demandait au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 10 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 10 juillet 2002, n° 98PA03135, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Banque Bruxelles Lambert N° Lexbase : A5845AZI) avait, sur appel du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie formé à l'encontre du jugement du 23 février 1998 du tribunal administratif de Paris, qui a partiellement réformé ce jugement en remettant à la charge de la banque Bruxelles Lambert France des rappels de TVA, des droits et pénalités. La cour administrative d'appel de Paris avait jugé que la location de matériels informatiques et de terminaux par une banque destinée à améliorer la qualité des services bancaires et financiers fournis aux clients ne constituait pas une activité distincte susceptible de sectorisation. Le Conseil d'Etat constate que la requête est devenue sans objet car "par une décision en date du 26 novembre 2004, postérieure à l'introduction du pourvoi, le délégué interrégional des impôts a accordé à la SA ING Bank (France) la décharge des compléments de taxe sur la valeur ajoutée contestés et des pénalités y afférentes".
L'arrêt rendu par la CJCE contre la France le 6 octobre 2005 constitue une décision juridictionnelle révélant la non-conformité du droit français à la règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190, alinéa 3, du LPF (N° Lexbase : L5561GUI). Ses paragraphes 12 et 36 évoque expressément l'application du système du prorata aux seuls assujettis mixtes. De plus, l'arrêt C-204/03 "Commission/Espagne" précité condamne l'application du prorata aux redevables totaux. En conséquence, les assujettis-redevables totaux qui auraient été soumis au régime des redevables partiels, du seul fait de la perception de subvention(s) peuvent réclamer restitution du montant de la TVA non récupérée par la suite de l'application illégale du mécanisme du prorata (LPF, art. L. 190, alinéa 2 et 3 et R. 196-1-c N° Lexbase : L6486AEX). Les redevables totaux disposent jusqu'au 31 décembre 2007 pour réclamer exécution de leurs droits nés à compter du 1er janvier 2001. La même prérogative s'offre-t-elle aux redevables partiels ayant reçu des subventions d'équipement ?
2. Les subventions d'équipement perçues par le redevable partiel
L'article 212 de l'annexe II au CGI reprend sensiblement l'article 19, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA en matière de calcul du prorata. Néanmoins, selon la CJCE, l'interprétation administrative ne respecte pas ce texte. L'instruction du 8 septembre 1994 précitée définit les subventions d'équipement, puis en indique les conséquences sur le droit à déduction. Citons en les numéros 150 et 151 : "La notion de subvention d'équipement. Il s'agit de subventions non imposables qui sont, au moment de leur versement, allouées pour le financement d'un bien d'investissement déterminé. [...]. La taxe afférente aux investissements financés par la subvention peut être en effet déduite dans les conditions habituelles lorsque le redevable intègre dans le prix de ses opérations les dotations aux amortissements des biens financés en totalité ou partiellement par cette subvention. S'il s'avère que la condition de répercussion des amortissements de ces biens dans les prix n'est pas respectée, la TVA afférente à ces mêmes biens ne pourrait pas être déduite pour la quote-part du montant financée par la subvention d'équipement [...] Le redevable applique, le cas échéant et dans les conditions habituelles le pourcentage de déduction de l'entreprise à la taxe, ainsi, calculée".
Saisie d'une plainte relative à un litige concernant un assujetti français ayant bénéficié d'un abandon de créances, la Commission a estimé que la France enfreignait, en matière de subventions d'équipement, les articles 17, paragraphe 2 et 5, ainsi que 19 de la sixième directive-TVA. Cela, dans la mesure où le système mis en place par l'administration fiscale française limitait le droit à déduction dans des conditions non prévues par la sixième directive-TVA. Une lettre de mise en demeure a été communiquée au gouvernement français le 23 avril 2001. N'ayant pas obtenu de réponse à cette mise en demeure dans le délai prévu, la Commission a émis un avis motivé le 21 décembre 2001. La réponse du gouvernement français à la lettre de mise en demeure, datée du 7 janvier 2002, est parvenue à la Commission le 14 janvier 2002, c'est-à-dire postérieurement à l'envoi de l'avis motivé. Cette réponse précisait que le prorata de déduction s'appliquait uniquement aux assujettis effectuant à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées de la TVA et non pas aux assujettis redevables de la TVA sur toutes leurs activités dans le champ d'application de la TVA. Afin de tenir compte des observations de la France, la Commission a émis un avis motivé complémentaire le 26 juin 2002. Le gouvernement français a répondu à cet avis motivé complémentaire par une lettre, datée du 21 août 2002, par laquelle il a contesté le fondement du grief de la Commission et a soutenu qu'aucun manquement aux articles 17 et 19 de la sixième directive-TVA ne pouvait lui être reproché. Ne partageant pas cette analyse, la Commission a décidé de saisir la CJCE.
Aucun article de la sixième directive-TVA ne fait dépendre l'étendue du droit à déduction de la provenance des fonds ayant servi à acquérir une immobilisation ou des éléments de calcul des prix de vente. A plusieurs reprises, la CJCE a affirmé que "en l'absence de toute disposition permettant aux Etats membres de limiter le droit à déduction conféré aux assujettis, ce droit doit s'exercer immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont. Dès lors que de telles limitations doivent s'appliquer de manière similaire dans tous les Etats membres, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la directive" (CJCE, 21 septembre 1988, aff. C-50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 15 à 17 N° Lexbase : A7265AHK ; CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 18, précité ; CJCE, 6 juillet 1995, aff. C-62/93, BP Soupergaz Anonimos Etairia Geniki Emporiki-Viomichaniki kai Antiprossopeion c/ Etat hellénique, § 18 N° Lexbase : A1750AWQ ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 16 N° Lexbase : A9657AU9 ; CJCE, 8 janvier 2002, aff. C-409/99, Metropol Treuhand WirtschaftstreuhandgmbH c/ Finanzlandesdirektion für Steiermark, § 42 N° Lexbase : A8481AXE).
Certes, la sixième directive-TVA n'ignore pas les subventions. Son article 11 A, paragraphe 1, a), permet d'inclure les subventions dans l'assiette de la TVA applicable à une livraison de bien corporel ou à une prestation de services. Encore faut-il qu'il s'agisse du paiement, par un tiers, de la totalité ou d'une fraction du prix d'un bien ou d'un service précis. La CJCE n'entend retenir que les véritables compléments de prix (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge N° Lexbase : A5858AXA ; CJCE, 13 juin 2002, aff. C-353/00, Keeping Newcastle Warm Limited c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A8770AYH ; lire Yolande Sérandour, obs. in L'Année fiscale 2003, p. 335 et, Les critères d'identification de la subvention à inclure dans l'assiette de la TVA, DF 2003, n° 3, p. 84).
Par ailleurs, l'article 19 de la sixième directive-TVA autorise chaque Etat membre à inclure au dénominateur du rapport servant au calcul du prorata les subventions autres que celles déjà prises en considération en tant que complément de prix d'une opération imposable. Sont visées, en premier lieu, les subventions constitutives du prix ou d'une fraction du prix des opérations exonérées. Cette solution ne tient pas à la nature de la somme en cause mais à sa qualité de contrepartie d'opérations exonérées. Ces dernières étant à inclure au dénominateur, le montant correspond à la contrepartie exactement reçue, dont une éventuelle subvention. En second lieu, la lettre de l'article 19 permet, aussi, d'augmenter le dénominateur du montant de toutes les autres subventions non perçues dans le cadre d'une activité hors champ. S'agissant des activités hors champ, dans la mesure où la jurisprudence communautaire les exclut du calcul du prorata (voir arrêts précités), il en va de même des subventions les finançant. L'administration fiscale française cite, à juste titre, les subventions finançant une activité de service public non assujettie (instruction du 8 septembre 1994, précitée, n° 143).
A priori, le texte français suit la sixième directive-TVA quant à la définition des subventions exclues du numérateur mais à inclure au dénominateur du prorata, celles représentant le prix d'opérations exonérées ou ne finançant pas des activités hors champ. L'administration fiscale française vise explicitement les subventions finançant les activités dans le champ sans se rattacher à des opérations précises. Néanmoins, en raison de leur caractère exceptionnel, elle exclut expressément certaines subventions qu'elle énumère. Cette solution présente l'avantage d'éviter une diminution brutale du pourcentage de droit à déduction liée à la perception ponctuelle d'aides financières.
Après avoir dressé la liste des subventions exceptionnelles exclues du calcul du prorata, l'instruction du 8 septembre 1994 précitée en vient aux subventions d'équipement pour les soumettre au régime susmentionné, non prévu par la sixième directive-TVA. Quoique plus intéressante économiquement que la solution proposée par l'article 19 de la sixième directive-TVA, elle est illégale. Si l'on se souvient que le prorata peut s'appliquer à toutes les dépenses affectées aux opérations imposables et aux opérations exonérées, la solution administrative présente l'avantage d'éviter une diminution généralisée du pourcentage de droit à déduction de l'entreprise ayant perçu une subvention d'équipement. Le droit communautaire permet de l'inclure au dénominateur du rapport servant au calcul du prorata. En renonçant à cette faculté, l'administration fiscale française favorise les assujettis, lesquels préfèrent souvent limiter la récupération de la TVA ayant frappé l'acquisition du bien financé par une subvention plutôt que de pâtir de cette subvention pour toutes leurs dépenses à usage mixte. Il n'en demeure pas moins que la limitation du droit à déduction pour le seul bien d'équipement acquis au moyen d'une subvention ne résulte pas de la sixième directive-TVA.
La Cour de Luxembourg a, déjà, affirmé que "s'il est vrai que la solution, ainsi, dictée par le libellé de l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive-TVA peut ne pas paraître pleinement conforme à l'objet de cette disposition, ainsi qu'à certaines finalités poursuivies par la sixième directive-TVA, telles que la neutralité de la taxe et l'évitement des doubles impositions, il demeure néanmoins que, en l'absence d'intervention du législateur communautaire, le régime de déductibilité de la TVA institué par ce dernier, tel qu'il se trouve défini par la sixième directive-TVA, n'offre aucun fondement à un droit pour l'assujetti de déduire la TVA [...] ni ne permet de déterminer les modalités d'application éventuelles d'un tel droit" (CJCE, 8 novembre 2001, aff. C-338/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume des Pays-Bas, § 55 et 56 N° Lexbase : A5831AXA). L'arrêt commenté réitère ce refus d'autonomie (§ 35).
A propos des règles du droit à déduction, la CJCE a, précédemment, affirmé qu'"elles ne laissent aux Etats membres aucune marge d'appréciation quant à leur mise en oeuvre" (CJCE, 6 juillet 1995, aff. C-62/93, BP Soupergaz Anonimos Etairia Geniki Emporiki-Viomichaniki kai Antiprossopeion c/ Etat hellénique, § 35, précité). Afin de respecter l'objectif d'harmonisation des droits nationaux visé par la sixième directive-TVA, les limitations du droit à déduction doivent faire l'objet d'une interprétation stricte. Aucun Etat membre ne doit pouvoir ajouter des exceptions ou des justifications non prévues par la sixième directive-TVA. La France ne semble pas avoir tiré toutes les conséquences d'une précédente condamnation d'une limitation du droit à déduction sur les immeubles donnés en location non prévue par la sixième directive-TVA (CJCE, 21 septembre 1988, aff. C-50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A7265AHK).
L'administration fiscale française doit, maintenant, cesser de lier la déduction de la TVA ayant grevé l'acquisition d'un bien au moyen d'une subvention à la répercussion des amortissements dans le prix de vente. Notons, néanmoins, que le gain des redevables concernés risque d'être largement dépassé par les effets de l'éventuelle inclusion des subventions d'équipement dans le calcul du prorata général. Toutefois, la sectorisation permettrait peut-être d'isoler la subvention en cause dans un prorata particulier à un secteur. Selon le contexte, il reste à chaque redevable partiel à apprécier s'il doit invoquer l'article L. 190, alinéa 3, du LPF. Manifestement, l'arrêt n° 243/03 de la CJCE constitue une décision juridictionnelle révélant la non-conformité du droit français à la règle de droit supérieure.
Les redevables partiels qui ont subi les effets des numéros 150 et 151 de l'instruction du 8 septembre 1994 sanctionnée par la CJCE peuvent prétendre à la restitution de la TVA illégalement interdite de récupération. Il serait, cependant, prudent d'attendre de savoir si l'administration renonce définitivement ou non à inclure les subventions d'équipement au dénominateur du prorata. Il n'y a aucune urgence car les redevables concernés disposent jusqu'au 31 décembre 2007 pour faire valoir leurs droits à déduction que l'arrêt commenté leur restitue en remontant jusqu'au 1er janvier 2001.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:80549