Réf. : CAA Paris, 2ème ch., 24 juin 2005, n° 04PA01300, Société Papillon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ( N° Lexbase : A3180DKY)
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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne
le 07 Octobre 2010
La société Papillon avait opté pour le régime de l'intégration fiscale prévu par l'article 223 A du CGI , afin de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû par elle-même, la SARL Kiron, ainsi que des sociétés françaises détenues par cette dernière.
L'administration fiscale avait, toutefois, refusé l'application de l'article 223 A du CGI, au motif que les conditions de cette présente disposition ne se trouvaient pas en l'espèce remplies, puisque la société Papillon ne détenait pas la SARL Kiron par l'intermédiaire d'une société entrant dans le périmètre du groupe fiscalement intégré.
Contestant la position de l'administration, la société Papillon avait, alors, argué que le régime français de l'intégration fiscale générait une restriction injustifiée à l'exercice de sa liberté d'établissement garantie par l'article 43, ex-52 du Traité CE, en ce qu'il excluait l'interposition, dans les chaînes de participation de filiales intégrées, de sociétés établies dans d'autres Etats membres.
La cour administrative d'appel de Paris a, néanmoins, rejeté les prétentions de la société appelante et a considéré, à l'instar de l'administration fiscale, que "la société Papillon ne détenait pas le capital de la société Kiron, par l'intermédiaire d'une société entrant dans le périmètre du groupe fiscalement intégré, ainsi que l'exige l'article 223 A du CGI".
Cet arrêt vient se placer à contre-courant de la jurisprudence traditionnelle en la matière.
En effet, il convient de rappeler aux lecteurs qu'il est de plus en plus difficile pour un Etat membre de justifier de ses régimes fiscaux par la nécessité de garantir la cohérence fiscale.
Les diverses décisions tant nationales qu'européennes, dont certaines seront évoquées ci-après, en attestent (1).
Toutefois, la cour administrative d'appel de Paris, dans l'arrêt ici commenté, a estimé que le principe de cohérence du système fiscal pouvait venir atténuer l'une des libertés fondamentales, à savoir la liberté d'établissement (2).
1. La restriction actuelle des particularités fiscales nationales au nom du respect des libertés fondamentales prévues par le Traité CE
A titre liminaire, il est nécessaire de préciser qu'en matière fiscale, les Etats restent souverains et demeurent libres de définir l'organisation et la conception de leur système fiscal. Toutefois, comme le souligne l'arrêt "Schumacker" du 14 février 1995, les Etats membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire (CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker N° Lexbase : A1803AWP).
Dès lors, les régimes fiscaux nationaux peuvent être considérés comme contraires à certaines libertés fondamentales prévues par le Traité CE telles que la liberté de circulation des capitaux ou bien la liberté d'établissement.
Les justifications nationales invoquées aux fins de maintenir les particularités fiscales de chaque Etat membre telles que le principe de cohérence du système fiscal n'emportent à l'heure actuelle pas un franc succès, comme le prouvent de récentes décisions des juridictions françaises et européennes.
Ainsi, par un arrêt du 28 mai 2004, le Conseil d'Etat a jugé que l'application de l'article 167 du CGI à un contribuable ayant demandé le report d'imposition des plus-values réalisées à l'occasion d'un échange de titres, conformément à l'article 92, B-II du CGI , alors applicable, était contraire au principe de liberté d'établissement posé par l'article 43 du Traité CE (CE, 3° et 8° s-s., 28 mai 2004, n° 261289, Lassus c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2997DCY).
A l'instar de la Cour de Luxembourg, les hauts juges de l'ordre administratif ont considéré que le système de l'"exit tax", mis en place pour lutter contre l'évasion fiscale et auquel est assujetti tout contribuable français qui quitte le territoire, revient à faire supporter à ce dernier une charge fiscale plus lourde que celle à laquelle il aurait été soumis s'il avait conservé son domicile fiscal en France.
En effet, le contribuable domicilié en France qui transfère son domicile à l'étranger est passible de l'impôt sur le revenu à raison des revenus dont il a disposé pendant l'année de son départ jusqu'à la date de celui-ci, des bénéfices industriels et commerciaux qu'il a réalisés depuis la fin du dernier exercice taxé, et de tous revenus qu'il a acquis sans en avoir la disposition antérieurement à son départ (lire, sur ce point, Jean-Marc Priol, Liberté d'établissement : transfert du domicile fiscal et modalités d'impositions de plus-values mobilières, Lexbase Hebdo n° 101, du 31 décembre 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N9979AAT).
Dans la décision du 28 mai 2004 susvisée, le contribuable en cause avait été soumis à l'impôt sur le revenu au titre de la plus-value en report d'imposition. Or, selon le Conseil d'Etat, une telle discrimination est contraire au principe de liberté d'établissement.
Il convient, également, de rappeler que la loi de finances pour 2004 a supprimé l'avoir fiscal et ce, à compter du 1er janvier 2005.
La raison de cette suppression était la suivante : l'article 158 bis du CGI était contraire au principe de la liberté de circulation des capitaux et de la liberté d'établissement dans la mesure où une société qui recevait des dividendes de sociétés françaises bénéficiait de l'avoir fiscal ou du crédit d'impôt, alors qu'une société française qui recevait des dividendes de sociétés étrangères ne bénéficiait pas de ce cadeau fiscal.
La Cour de Justice des Communautés Européennes, partant du principe qu'une société doit pouvoir s'implanter où elle veut, a, également, considéré que l'avoir fiscal était contraire à la liberté d'établissement (CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen N° Lexbase : A2692DD3 ; lire Jean-Marc Priol, Avoir fiscal et libre circulation des capitaux, Lexbase Hebdo n° 137, du 7 octobre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3048ABI ; Valérie Le Quintrec, L'avoir fiscal et le précompte : une suppression controversée, Lexbase Hebdo n° 103, du 15 janvier 2004 - édition fiscale [LXB=N0119ABZ ]).
Enfin, on ne peut faire abstraction de l'affaire "Marks & Spencer" actuellement pendante devant la Cour de Justice des Communautés Européennes dans laquelle l'Avocat général Poiares Maduro a rendu ses conclusions le 7 avril 2005.
Dans ses écritures, il précise que le refus de prendre en compte au niveau de la société mère britannique les pertes réalisées par ses filiales résidentes dans d'autres Etats membres de l'UE est contraire aux articles 43 et 48 du Traité UE, c'est-à-dire à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux.
Si la Cour de Justice de Communautés Européennes venait à entériner la position de l'Avocat général, alors la tendance traditionnelle, selon laquelle les particularités fiscales nationales doivent être en conformité avec les libertés fondamentales prévues par le Traité UE, serait confirmée (lire Jean-Marc Priol, Les transferts de pertes communautaires à l'épreuve de l'examen du principe de la cohérence fiscale et du traitement fiscal équivalent, Lexbase Hebdo n° 165, du 28 avril 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N3516AI3).
Toutefois, en dépit de ces décisions et de la tendance jurisprudentielle actuelle, toute mesure restrictive à une liberté fondamentale du Traité n'est pas automatiquement interdite si elle poursuit un objectif légitime d'intérêt général compatible avec le Traité et si cette mesure est proportionnée au but à atteindre.
Ainsi, la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal, afin de garantir toute soustraction abusive aux législations nationales ou toute exploitation artificielle des différences entre législations, peut justifier une réglementation de nature à restreindre les libertés fondamentales.
L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 24 juin 2005 en constitue un bel exemple.
2. L'intégration fiscale et liberté d'établissement : justification au nom du principe de cohérence du système fiscal
Lorsqu'une disposition de droit interne n'est pas contraire au droit communautaire, cette disposition a plein effet.
Tel est le cas de l'article 223 A du CGI dans l'affaire commentée.
Dans l'arrêt du 24 juin 2005, la cour administrative d'appel de Paris, aux visas des articles 223 A du CGI et de l'article 52 du Traité, nouvellement 43, a statué comme suit :
"Considérant qu'en application des dispositions de l'article 223 A du CGI, [...] la société Papillon ne détenait pas le capital de la société Kiron, par l'intermédiaire d'une société entrant dans le périmètre du groupe fiscalement intégré, ainsi que l'exige l'article 223 A précité du code général des impôts ; que s'agissant de l'application de l'article 52 du Traité instituant la Communauté économique européenne, devenu l'article 43, [...] la constitution d'un groupe fiscalement intégré permettant à une société-mère de se constituer redevable de l'impôt sur les sociétés dû par l'ensemble des membres du groupe suppose que ces derniers soient soumis à des règles identiques de détermination de leurs résultats imposables et que lesdits résultats puissent effectivement être agrégés dans leur totalité au niveau de la société-mère ; que tel ne pourrait être le cas si était admise dans le périmètre du groupe, une filiale dont le capital est détenu par l'intermédiaire d'une société qui n'est pas établie sur le territoire français et dont les bénéfices ne sont pas soumis, par voie de conséquence, à l'impôt sur les sociétés français ; qu'en effet, l'interposition d 'une telle société dans la chaîne des participations, comme de toute société qui, pour quelque raison que ce soit, n'est pas soumise à l'impôt sur les sociétés, ne permettrait pas d'agréger l'ensemble des résultats réalisés par les sociétés économiquement et juridiquement intégrées au groupe ; que cette exigence procède de la cohérence même de l'intégration fiscale ; que, par suite et sans qu'il soit besoin de faire droit à ses conclusions tendant à ce que la Cour de justice des Communautés européennes soit saisie d'une question préjudicielle, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 223 A comportent une restriction injustifiée au principe de la liberté d'établissement consacré par l'article 52 précité du Traité instituant la Communauté économique européenne, au motif qu'elles interdisent de comprendre dans un groupe fiscalement intégré une société française dont le capital est détenu par l'intermédiaire d'une société d'un Etat membre non établie sur le territoire français [...]".
En d'autres termes, les juges du second degré ont clairement considéré que la différence de traitement entre les détentions de sociétés intégrées par des filiales françaises ou par des filiales communautaires était justifiée par la cohérence de l'intégration fiscale, ce régime permettant d'agréger arithmétiquement les résultats soumis à l'impôt sur les sociétés français des sociétés incluses dans le périmètre d'intégration. Or, l'interposition de la filiale hollandaise, en ce qu'elle n'était par nature pas soumise à l'impôt sur les sociétés français, faisait échec à une telle addition des résultats. Partant, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les prétentions de la société Papillon selon lesquelles, notamment, il était porté atteinte à la liberté d'établissement.
Cet arrêt se fait l'écho d'une jurisprudence communautaire minoritaire qui précise qu'une mesure entravant une des libertés consacrées par le Traité CE peut être admise à la condition qu'elle poursuive un objectif légitime compatible avec le Traité, qu'elle soit justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et pour autant que son application soit propre à garantir la réalisation de l'objectif, ainsi, poursuivi et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.
La nécessité de préserver la cohérence d'un régime fiscal constitue l'une de ces justifications (CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Hanns-Martin Bachmann c/ Etat belge N° Lexbase : A9890AUT ; CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A9599AU3).
La cour administrative d'appel de Paris reprend, ainsi, la jurisprudence "Schumacker" précédemment citée, selon laquelle "le fait pour un Etat membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde aux résidents n'est, en règle générale, pas discriminatoire puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable".
Appliquée aux filiales d'un groupe fiscalement intégré, cette jurisprudence permet, ainsi, d'expliquer la décision des juges d'appel.
En effet, selon la cour administrative d'appel de Paris, il ne saurait y avoir de discrimination entre une filiale française et une filiale hollandaise, ces dernières ne se trouvant pas dans une situation juridique comparable, et partant, il ne saurait y avoir atteinte à la liberté d'établissement.
Dès lors, au nom du principe de la cohérence de l'intégration fiscale, le régime de l'intégration fiscale de l'article 223 A du CGI pour lequel avait opté la société Papillon pouvait être remis en cause puisque les conditions de détention requise pour bénéficier de ce régime faisaient défaut en raison de la présence de la société hollandaise.
Ce qui revient à considérer que ce régime n'aurait jamais été contesté en présence d'une société française intermédiaire et non hollandaise.
Cet arrêt surprendra très certainement plus d'un lecteur qui s'attendait à voir le principe de la liberté d'établissement l'emporter sur le principe de la cohérence du système fiscal.
Toutefois, un pourvoi en cassation est parfaitement envisageable, ainsi qu'une éventuelle question préjudicielle du Conseil d'Etat à la Cour concernant la comptabilité de l'article 223 A du CGI avec les dispositions du droit communautaire.
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