Réf. : Cass. com., 11 octobre 2005, n° 02-13.520, Société Ciments Français c/ M. Pierre Conso, F-P+B (N° Lexbase : A0177DL7)
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, le conseil d'administration de la société Ciments Français a désigné un comité composé de deux administrateurs, chargé de fixer les conditions générales de la rémunération et de la retraite de Monsieur C., devenu directeur général, puis président du conseil d'administration. Le comité a fait savoir à Monsieur C., par deux documents intitulés "lettre" et "décision", qu'il lui garantissait le versement d'un complément de retraite s'il ne quittait pas volontairement la société avant l'âge de la retraite fixé à 65 ans et qu'il lui garantissait, dans les mêmes conditions, un montant minimum annuel de ressources.
Monsieur C. a démissionné de ses fonctions de président du conseil d'administration et a été licencié de la société. Ayant atteint les 65 ans requis pour bénéficier des compléments de rémunération, Monsieur C. a sollicité le versement de la retraite complémentaire qui lui avait été accordée. La société Ciments Français s'y est, alors, opposé faisant valoir, d'une part, l'irrégularité de la décision du conseil d'administration et, d'autre part, l'absence de justification de cette rémunération complémentaire par les services rendus lors de son mandat.
Les juges versaillais, saisis en appel (CA Versailles, sect. 2, 12e ch., 31 janvier 2002 N° Lexbase : A3309A4C), ont estimé, en substance, que "l'engagement de versement d'un complément de retraite, tant qu'il procède d'une délibération du conseil d'administration, n'est entaché d'aucune irrégularité formelle". Concernant les conditions de fond de l'attribution d'une rémunération complémentaire à Monsieur C., la cour d'appel retient que ladite rémunération trouve sa cause dans les services particuliers rendus par ce dernier à la société et qu'elle est, donc, valable.
L'arrêt est cassé en toutes ses dispositions par la Haute juridiction qui précise, concernant les conditions de forme de l'engagement, que : "la rémunération allouée au président, notamment, sous la forme d'un complément de retraite, doit faire l'objet d'une délibération du conseil d'administration sur son montant et ses modalités, et que la confirmation, par simple référence à une décision prise par deux administrateurs même mandatés à cet effet, ne peut suppléer la décision du conseil d'administration".
Elle ajoute, concernant la validité "de fond" de cet engagement, qu'il appartenait aux premiers juges de "caractériser les services rendus par le dirigeant social qui seraient de nature à justifier l'octroi d'un complément de retraite".
Cet arrêt souligne la fermeté de la Cour de cassation concernant, tant les modalités de détermination de la rémunération complémentaire allouée au président du conseil d'administration (I), que sa justification (II).
I - La compétence exclusive du conseil d'administration pour déterminer la rémunération de son président
Ainsi qu'il l'a été rappelé, l'article L. 225-47 du Code de commerce attribue au conseil d'administration une compétence de principe pour déterminer la rémunération de son président. Cela implique donc, a contrario, l'exclusion de la compétence de tout autre organe de la société, même dans l'hypothèse où le conseil viendrait ratifier a posteriori cette décision.
A - Le caractère exclusif de la compétence du conseil d'administration
Si la compétence de principe résulte des textes du Code de commerce, le caractère exclusif de cette compétence a été affirmé par la jurisprudence.
Ainsi, dans un arrêt de principe du 4 juillet 1995, la Haute juridiction a pu décider que pour être déterminée conformément aux dispositions de l'article L. 225-47 du Code de commerce, ou autorisée conformément aux dispositions de l'article L. 225-38 du même code (N° Lexbase : L5909AIP) lorsqu'elle procède d'une convention, "la rémunération allouée au président, notamment sous forme d'un complément de retraite, doit faire l'objet d'une délibération du conseil d'administration sur son montant et ses modalités" (Cass. com., 4 juillet 1995, n° 93-17.969, M. de la Fournière c/ M Aymard et autre, publié N° Lexbase : A1252ABY ; Bull. civ. IV, n° 206 p. 192).
La Cour rejette, donc, en l'espèce, la possibilité pour une commission ad hoc désignée par le conseil d'administration de déterminer la rémunération du président dès lors que le rapport de ladite commission n'avait pas fait l'objet d'une délibération formelle par le conseil d'administration.
B - L'exclusion de la compétence d'autres organes de la société
Le caractère exclusif de la compétence du conseil d'administration a été maintes fois réaffirmé depuis. Ainsi, le conseil d'administration ne peut valablement déléguer ses pouvoirs à un comité, même dans l'hypothèse où les membres seraient administrateurs. L'arrêt rapporté est une illustration de ce principe.
De même, le président du conseil d'administration n'a pas compétence pour s'"auto-attribuer" une rémunération complémentaire. C'est ce qu'a récemment précisé la Haute juridiction dans un arrêt du 30 novembre 2004 (Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-13.216, F-D N° Lexbase : A1144DE4) en retenant que "le conseil d'administration d'une société anonyme a une compétence exclusive pour déterminer la rémunération du président, mais n'a pas le pouvoir de ratifier la décision du président qui, sans obtenir préalablement une décision du conseil, s'est allouée une rémunération".
Cette compétence exclusive du conseil d'administration exclut également la compétence de l'assemblée générale des actionnaires (voir, en ce sens, CA Aix-en-Provence, 5 janvier 1982, Bull. Cour d'Aix 1982/2, p. 93, cité in Mémento Francis Lefebvre, Sociétés commerciales 2005, n° 8111).
C - Le caractère exprès et collégial de la décision du conseil d'administration
La jurisprudence va plus loin et exige que la décision du conseil résulte d'une délibération expresse et non d'une ratification ou d'une acceptation implicite.
Ainsi, dans un arrêt du 27 février 2001, la Cour casse l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 225-47 du Code de commerce, lequel avait déduit la ratification implicite par le conseil d'administration d'un engagement de porte-fort concernant l'octroi d'un complément de retraite à son président de la connaissance qu'en auraient eue personnellement certains membres du conseil d'administration (Cass. com., 27 février 2001, n° 98-14.502, Société Malteries franco Belges c/ M. Gérard Bernheim, inédit N° Lexbase : A0453ATX).
Il faut, donc, que la décision du conseil d'administration se traduise, matériellement, par une délibération préalable à l'allocation d'une rémunération au président, délibération qui sera constatée dans un procès-verbal.
Selon une partie de la doctrine, si le procès-verbal relate la lecture des propositions d'un comité ad hoc et leur approbation, ce serait suffisant, à condition que ces propositions soient annexées au procès-verbal et fassent corps avec lui (J. Mestre et D. Velardocchio, Lamy Sociétés commerciales 2005, n° 3408).
L'arrêt commenté semble en contradiction avec ce courant doctrinal et marque une position ferme de la Haute juridiction, laquelle indique que "la confirmation par simple référence à une décision prise par deux administrateurs même mandatés à cet effet, ne peut suppléer à la décision du conseil d'administration". Elle sanctionne, ainsi, la position des juges du fond lesquels avaient estimé suffisant le fait que le conseil d'administration ait donné "plein effet" aux propositions faites par le comité ad hoc et qu'en confirmant les propositions faites par ledit comité les administrateurs avaient nécessairement délibéré sur le montant et les modalités d'un complément de retraite. En l'occurrence, la Haute juridiction a estimé que le principe même d'une décision prise par le conseil d'administration était contestable.
La délibération du conseil d'administration doit, donc, traduire expressément la volonté de cet organe d'allouer une rémunération à son président ainsi que la détermination par le conseil, réuni collégialement, des modalités de cette rémunération.
Outre l'inscription à l'ordre du jour de l'allocation d'une rémunération au président et de la détermination de ses modalités, le procès-verbal des délibérations du conseil devra relater l'existence d'un vote par les administrateurs sur ces questions qui auront été débattues pendant la séance du conseil. Même si la décision du conseil revient à entériner les solutions arrêtées par un comité ad hoc, la jurisprudence exige qu'il y ait un vote du conseil sur les propositions faites par ledit comité, le conseil ne pouvant se contenter de donner plein effet à ces propositions.
D - La compétence du conseil pour déterminer la rémunération de son président emporte celle, sauf abus de droit, de la modifier ou de la supprimer
La compétence du conseil d'administration s'étend à la modification de la rémunération allouée au président ainsi qu'à sa suppression.
En revanche, la Haute juridiction a adopté une position critiquable dans l'arrêt précité du 30 novembre 2004 (Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-13.216, F-D, précité) puisqu'elle admet que le conseil d'administration puisse modifier implicitement cette rémunération. En effet, dans cette espèce, le conseil d'administration avait adopté en 1988 une délibération "cadre" fixant la rémunération de son président, cette délibération ne prévoyant pas de limitation de durée. Puis, en 1990 et 1991, la rémunération avait été fixée annuellement par le conseil. En 1992, le président a décidé de s'octroyer une rémunération identique à celle prévue les autres années.
La question qui se posait, alors, était celle de savoir si l'absence de délibération du conseil en 1992 impliquait la suppression implicite de la rémunération du président du conseil d'administration ? C'est ce qu'a admis la Cour de cassation. Or, et par application du principe du parallélisme des formes, s'il est exigé une décision explicite pour déterminer les modalités et le montant de la rémunération du président, ne faut-il pas exiger que la décision de modification ou de suppression soit également explicite ?
Nous rejoignons en ce sens Monsieur J.-F. Barbiéri (note sous Cass. com., 30 nov. 2004, Rev. Sociétés 2005, n° 3, p. 631 et s.) qui s'interroge en ces termes : "une décision qui modifierait, réduirait ou supprimerait une rémunération antérieurement allouée ne doit-elle pas, à son tour, être explicite ? Ne suppose-t-elle pas nécessairement une délibération expresse -et motivée- du conseil ?".
En tout état de cause, la décision de modifier ou de supprimer la rémunération allouée au président du conseil d'administration demeure possible, sous réserve pour le président de démontrer l'existence d'un abus de droit du conseil d'administration (Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-18.367, Mme Hugon c/ Société L'Impeccable et autre, publié N° Lexbase : A9320ATD ; Bull. civ. IV, n° 166 p. 148). La Cour de cassation a, en effet, indiqué que la décision de supprimer la rémunération complémentaire allouée au président du conseil répondait à des difficultés économiques rencontrées par la société, ce dont il résultait qu'elle était devenue une charge excessive pour celle-ci, et qu'ainsi, sauf abus de droit, il appartenait au conseil d'administration de la modifier ou de la supprimer.
E - L'absence de délibération préalable, collégiale et expresse du conseil d'administration ne constitue pas une "simple" irrégularité formelle et implique la nullité de la décision illégalement adoptée
Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 mars 1990 (CA Paris, 5e ch. sect. A, 21 mars 1990, Société Française Auer c/ Laurans, Bull. Joly Sociétés 1990 § 137) avait retenu que le non-respect, notamment, de l'article L. 225-47 du Code de commerce constituait une irrégularité formelle et qu'il convenait, en conséquence, de rechercher si cette irrégularité avait eu des conséquences pour la société et lui avait causé un préjudice.
Ce moyen avait été repris dans l'arrêt précité du 30 novembre 2004 par l'auteur du pourvoi en cassation. Cependant, la Haute juridiction ne s'est pas arrêtée sur cette question.
Ainsi, l'absence de délibération préalable, collégiale et expresse du conseil d 'administration sur la détermination de la rémunération allouée à son président constitue une irrégularité de fond sanctionnée par la nullité de la décision prise irrégulièrement. Elle implique une obligation de restituer les sommes indûment perçues par le mandataire social, sous réserve que l'action en restitution ne soit pas prescrite (Cass. com., 4 juillet 1995, n° 93-17.969, M. de la Fournière c/ M. Aymard et autre, publié, précité).
II - La justification de la rémunération complémentaire allouée au président du conseil d'administration
La seconde question soulevée par l'arrêt rapporté concerne la justification de la rémunération complémentaire allouée par le conseil d'administration à son président.
Il est, désormais, acquis qu'entre dans les prévisions de l'article L. 225-47 du Code de commerce, et non dans celles de l'article L. 225-38, l'octroi d'un complément de retraite ayant pour contrepartie des services particuliers rendus à la société pendant l'exercice de ses fonctions par le président dès lors que l'avantage accordé est proportionné à ces services et ne constitue pas une charge excessive pour la société.
Dès lors que l'octroi d'une retraite complémentaire répond à ces trois conditions, la décision doit être prise dans les conditions de l'article L. 225-47 du Code de commerce et ne relève pas du domaine des conventions réglementées.
En outre, lorsque la rémunération devient une charge excessive pour la société, le conseil d'administration a la faculté de la réduire ou de la supprimer, et ce de manière unilatérale : il ne s'agit pas d'une obligation contractuelle dont la modification impliquerait l'accord des parties et donc celui du président du conseil (voir en ce sens Cass. com., 10 février 1998,n° 95-22.052, Société Sidergie c/ M. Marmonier, publié N° Lexbase : A2489AC8 ; Bull. civ. IV, n° 70 et Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-18.367, Mme Hugon c/ Société L'Impeccable et autre, publié, précité).
La notion de "services particuliers" rendus par le mandataire social à la société justifiant l'allocation d'une rémunération complémentaire, utilisée pour la première fois dans l'arrêt du 3 mars 1987, concerne des actions indépendantes de celles impliquées par l'exercice du mandat social.
Comme le relève M. Hatoux (note sous Cass. com. 3 mars 1987, n° 84-15.726, Union de banques à Paris c/ M Lebon, publié N° Lexbase : A3045AAZ ; Bull. civ. IV, n° 64 p. 49 ; Gaz. Pal. 1987, 264), "il est manifeste que les juges ont entendu exiger que soient rétribués non les services constitués par l'exercice du mandat social en lui-même, mais ceux qui ne pouvaient être appréciés qu'en fin de mandat au regard d'une sorte de bilan révélant le dévouement et la réussite du président manifestés par les résultats obtenus". Il appartient aux juges du fond de déterminer la nature de ces services.
C'est ce que rappelle précisément l'arrêt commenté qui retient que "en se déterminant ainsi sans caractériser les services rendus par le dirigeant social qui seraient de nature à justifier l'octroi d'un complément de retraite" les juges du fond ont violé les dispositions de l'article L. 225-47 du Code de commerce. En l'espèce, les juges versaillais avaient justifié l'allocation de cette retraite complémentaire en procédant à une analyse a contrario. Ils ont retenu, en effet, qu'à la date du prononcé de l'arrêt, aucun fait imputé à M. C. n'a reçu de qualification pénale ayant justifié sa condamnation des chefs des poursuites dirigées contre lui et qu'il n'est pas davantage démontré que l'option, alors, prise par ce dirigeant en faveur d'importants investissements industriels et d'une diversification à l'échelle internationale des produits de la société se serait révélée contraire aux intérêts commerciaux et financiers à moyen et long terme de la société.
Or, les juges du fond auraient dû procéder par une analyse positive de l'action du président du conseil d'administration, consistant à souligner les actions positives pour la société dont le président est à l'origine.
Cet arrêt, s'inscrivant dans le courant jurisprudentiel antérieur, marque, néanmoins, un affermissement de la position de la Cour de cassation relatif tant à l'analyse des modes de détermination de la rémunération allouée au président du conseil d'administration qu'à sa justification.
Il convient, enfin, de souligner que de nouvelles dispositions sont applicables au contrôle de la rémunération des dirigeants depuis la loi "Breton" .
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