Réf. : Les entretiens de l'IRES, "Les restructurations, nouveaux enjeux", jeudi 27 octobre 2005
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par Propos recueillis par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Pour aborder un sujet aussi sensible que celui des restructurations, l'IRES a organisé deux tables rondes, l'une axée sur le dialogue social et l'autre sur le reclassement, lors des entretiens qui se sont déroulés le 27 octobre dernier à l'hémicycle du Conseil économique et social. Faisant intervenir des acteurs provenant d'horizons divers, ce rendez-vous a été l'occasion de faire le point sur les travaux qui ont été menés par l'IRES depuis plusieurs mois sur ce thème.
Selon Marie Raveyre, chercheuse à l'IRES, avant de se poser la question des restructurations comme un objet de dialogue social, il convient de s'interroger sur la nature des restructurations elles-mêmes. Or, ces restructurations auraient changé de nature, adoptant une forme désormais plus diffuse, plus continue, plus multiforme. Même si les restructurations se manifestent toujours sous forme de "crises", on assisterait davantage, aujourd'hui, à des restructurations de type offensives de la part d'entreprises en bonne santé. La course au changement et la recherche permanente de flexibilité conduisent à des remaniements permanents au sein de l'entreprise. Aussi, pourrait-on avancer que les licenciements collectifs et la fermeture d'établissements ne constituent que la face visible d'un mouvement plus diffus et constant de la structure des entreprises.
Les formes de restructurations sont, quant à elles, également diversifiées et varient suivant les entreprises et les secteurs d'activité.
Il est, à l'heure actuelle, difficile d'analyser ces restructurations, ce qui n'est pas sans conséquences sur la conduite du dialogue social.
Où, quand et comment conduire ce dialogue social ? Choisir le niveau le plus pertinent de négociation n'est pas chose aisée, tant on assiste aujourd'hui à une multiplication des niveaux de prise de décision. D'un côté, il faut prendre en considération le niveau local, "micro" ; de l'autre, on ne peut occulter un déplacement plus global au niveau national et international. Face à ce constat, quel niveau de négociation privilégier ? Comment doit s'opérer l'articulation entre ces différents niveaux ? La question est ouverte..
En outre, comment faire en pratique pour anticiper sur les restructurations, le dialogue social s'engageant généralement plus volontiers en période de crise ?
Cette extension du dialogue social à la fois dans le temps et dans l'espace doit conduire à davantage de réactivité ainsi qu'à une action inscrite dans la durée, qui prendrait en compte la diversité des cas concrets, particuliers.
Danielle Kaisergruber, consultante et Directeur de DKRC a, pour sa part, analysé les spécificités du dialogue social français à la lumière d'autres pays de l'Union européenne. Si le bilan de cette étude comparative fait apparaître de nombreuses différences entre pays d'Europe, en ressort également la faiblesse de la place laissée au dialogue social en France par rapport à l'Allemagne (où le PSE doit être négocié), la Suède (90 % des restructurations sont négociées), l'Espagne (les autorisations administratives de licenciements sont négociées)... Au contraire, la France, estime Danielle Kaisergruber, est dotée d'un dispositif reposant sur une procédure d'information et de consultation, avec tout le rituel qui en découle, laissant une place de moindre importance à la négociation collective.
En France, sont discutées et négociées les mesures alternatives au licenciement, telles que la réduction du temps de travail, les différentes formes d'organisation du travail ou encore le jeu sur les rémunérations. Or, dans les autres pays d'Europe, c'est en permanence que le dialogue social porte sur ces sujets, tout au long de la vie des entreprises.
Par contre, la France a une "longueur d'avance" sur les autres pays d'Europe en matière de reclassement, faisant intervenir dans le suivi de ces mesures de reclassement les organisations syndicales. Au contraire, en Allemagne, c'est l'enveloppe financière qui sera négociée et non le reclassement du salarié.
Selon Carole Tuchszirer, chercheuse à l'IRES, les résultats du reclassement en France sont très médiocres. Tout d'abord parce que moins d'un salarié sur deux intègre la cellule de reclassement mise à sa disposition. La désaffection pour ce dispositif proviendrait, selon Carole Tuchszirer, du manque d'information dont souffre le salarié sur de telles mesures et sur la nature de ce dispositif, ainsi que de l'absence de coordination entre les différents acteurs de ces cellules de reclassement. Second constat : moins d'un salarié sur deux renoue avec un emploi stable au sein de cette cellule. Pourquoi un tel constat d'échec ?
Et surtout, qui anime ces cellules ? Si elles relèvent, en principe, de la responsabilité de l'entreprise, force est de constater qu'en pratique, elles ne font plus partie de l'entreprise...
De plus, on se trouve face à un manque cruel de coopération, au sein de ces cellules de reclassement, entre la cellule elle-même, l'entreprise et le service public de l'emploi (SPE).
Cette absence de coopération entre les différents acteurs de la procédure de licenciement et de reclassement se retrouve également au stade du plan de sauvegarde de l'emploi, puisque son élaboration relève du seul pouvoir de l'employeur (le PSE reste un acte unilatéral de l'employeur), l'inspection du travail n'ayant qu'un rôle cantonné à la vérification du nombre et de la variété de ses mesures et le comité d'entreprise n'ayant, de son côté, aucun lien avec les cabinets de reclassement.
De plus, soulève Carole Tuchszirer, la responsabilité des acteurs, selon les époques et les gouvernements, oscille du "tout entreprise" au "tout collectivité publique" (c'est, par exemple, aujourd'hui le cas avec la mise en oeuvre des conventions de reclassement personnalisé). Cette représentation polaire laisserait trop peu, voire pas du tout, de place pour une coopération des différents acteurs qui, tous, disposent d'un certain nombre de ressources.
De tels propos doivent toutefois, estime le Professeur Antoine Lyon-Caen, être tempérés. Il convient, en effet, de relativiser l'analyse de l'efficacité des cellules de reclassement, qui ne représentent au final qu'un petit aspect de la question du reclassement. Le reclassement apparaît, avant tout, comme un objet de négociation dans l'entreprise ou comme le fruit de mesures unilatérales de l'employeur. La cellule apparaît donc assez tardivement dans la procédure de reclassement et ne constitue pas un bon indicateur pour mesurer l'efficacité du reclassement. Autrement dit, les cellules de reclassement ne sont pas le seul point d'entrée qui s'offre au salarié menacé de licenciement !
Même si les entreprises sont responsabilisées dans la procédure de reclassement, elles ne sont pas les seules en scène. Il faut ici garder à l'esprit l'idée que le reclassement n'est pas, pour l'entreprise, une obligation de résultat, celle-ci pouvant montrer son impossibilité à s'acquitter d'une telle tâche. Le poids de la responsabilité du reclassement est alors reporté sur la collectivité. D'ailleurs, le concept de proportionnalité, permettant aux entreprises d'agir dans la mesure de leurs moyens, confirme bien cette idée.
L'obligation de reclassement n'a d'ailleurs été inventée ni par les partenaires sociaux, ni par le législateur, mais par le juge. L'entreprise doit ainsi, rappelle celui-ci, étudier les possibilités de reclassement avant même que ne soit élaboré le plan de sauvegarde de l'emploi. Le juge a donc inventé l'obligation de reclassement et l'a généralisée en l'imposant à toutes les entreprises, petites et grandes. Aussi, si l'intervention du juge dans le débat sur les restructurations a été critiquée, c'est à tort, selon le Professeur Lyon Caen, pour qui le juge contribue à un débat et au pluralisme des évaluations.
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