Réf. : CA Aix-en-Provence, 18ème ch., sect. B, 15 janvier 2016, n° 14/08848 (N° Lexbase : A9114N3X) ; CA Amiens, 1ère ch. civ., 17 mars 2016 n° 14/01959 (N° Lexbase : A8463Q7L)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis
le 19 Mai 2016
On se souvient de la médiatique affaire des prothèses mammaires trafiquées, dite affaire "PIP". La cour d'appel d'Aix-en-Provence, en ses chambres sociales, vient de rendre un arrêt intéressant les suites de cette affaire. La société PIP avait, en effet, été placée en liquidation judiciaire, à la suite, notamment, de la découverte de l'utilisation frauduleuse de produits dangereux pour la fabrication des prothèses mammaires, mais aussi, de façon plus générale à une gestion contestable de la société par ses dirigeants. La liquidation judiciaire a été prononcée sur conversion d'un redressement judiciaire, sans poursuite d'activité. Dans ces conditions, le liquidateur a dû procéder aux licenciements des salariés dans le délai de 15 jours de la liquidation judiciaire, aux fins de prise en charge des indemnités de rupture des contrats de travail par l'AGS. Le jugement de liquidation judiciaire n'avait pas été frappé d'appel. Les salariés ont ensuite assigné devant le conseil des prud'hommes de Toulon le liquidateur et l'AGS pour contester le motif économique du licenciement et solliciter en conséquence la fixation à leur profit, au passif de la liquidation judiciaire de la société PIP, d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Tel est le cas de Mme C. demandant, en sus de son indemnisation classique, une indemnité complémentaire de près de 48 000 euros.
Le conseil des prud'hommes a fait droit à cette demande. Appel a été interjeté par l'AGS, qui reproche aux premiers juges d'avoir admis la prétention de la salariée alors que, d'une part, la fraude alléguée par cette dernière était d'une particulière gravité et revêtait, en conséquence, la qualification de faute détachable des fonctions du dirigeant et que, d'autre part, la réalité du motif économique du licenciement ne pouvait être remise en cause par le premier juge dès lors que la société, employeur, avait été placée en liquidation judiciaire.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence va confirmer le jugement entrepris. Elle va, tout d'abord, admettre que le juge prud'homal puisse remettre en cause le caractère économique du licenciement effectué par le liquidateur, en recherchant si la réalité des difficultés économiques qui ont entraîné la liquidation judiciaire n'a pas pour origine le comportement fautif de l'employeur. Et la cour d'appel va ensuite affirmer que "si la cessation de l'activité constitue effectivement une cause économique du licenciement, encore faut-il qu'elle ne soit pas due à une faute de l'employeur ou à sa légèreté blâmable". Ayant retenu cette faute et cette légèreté blâmable, la cour d'appel va en tirer la conséquence que le licenciement faisant suite à la liquidation judiciaire est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Ajoutons que la cour d'appel, en l'espèce, ne va pas retenir la faute détachable des fonctions commises par le dirigeant social, au motif que ces fautes ne seraient pas intentionnelles, mais relèveraient de l'incompétence et de l'inconséquence du dirigeant.
Avant de poursuivre plus avant, arrêtons-nous quelques instants sur les fautes reprochées au dirigeant.
Tout d'abord celle d'avoir utilisé pour fabriquer des implants un gel non homologué, le dirigeant se rendant ainsi coupable de tromperie.
Il est également adressé au dirigeant le reproche d'une rémunération excessive et d'un train de vie dispendieux. Il s'agit là d'un détournement de fonds (cas de banqueroute). Le délit est constitué si le dirigeant se verse des rémunérations excessives (1), procède à une augmentation de ses salaires et se verse des dividendes (2).
Il est encore reproché au dirigeant une captation des fonds en provenance d'Amérique du Sud.
Il est fait reproche au dirigeant d'avoir perdu de l'argent dans le cadre du financement d'autres sociétés dans lesquelles il avait des intérêts. Il en est ainsi du soutien abusif à la filiale espagnole. Il s'agit du fait d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle le dirigeant était directement ou indirectement intéressé (cas de faillite personnelle).
Il est enfin reproché une fraude à la TVA, qui constitue un cas d'application de l'article 267 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L0567IHH), créant une solidarité fiscale entre le dirigeant social et la société pour les manquements graves et répétés ayant empêché le recouvrement de l'impôt.
L'examen de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question de la faute détachable permet d'affirmer qu'il y a faute détachable des fonctions si le dirigeant a eu l'intention de causer le dommage ou s'il a témoigné d'une indifférence manifeste quant aux risques des dommages occasionnés par sa faute (3).
La définition de la faute détachable des fonctions fait clairement apparaître que la faute est quasiment toujours commise dans la limite des attributions du dirigeant social. Ce n'est pas une faute extérieure aux fonctions de dirigeant. Elle est dans l'exercice des fonctions du dirigeant, mais pas, comme le relève la Cour de cassation, dans son exercice normal.
La solution retenue par la cour d'Aix-en-Provence dans l'affaire qui nous intéresse, apparaît, à cet égard, particulièrement critiquable.
D'abord, elle exclut le caractère détachable de la faute au motif que les fautes retenues à l'encontre des dirigeants de la société PIP résultent soit de leur incompétence, soit de leur inconséquence. Or, nous avons pu voir que l'un des deux critères retenus pour qualifier la faute de "détachable des fonctions" du dirigeant social était celui de l'indifférence manifeste quant aux risques des dommages occasionnés par sa faute. Tel est bien ce que recouvre la notion d'inconséquence retenue par la cour d'appel. Ainsi, l'on peut affirmer que la chambre sociale de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, pour le moins, une vision extraordinairement déformée de la notion de faute détachable des fonctions du dirigeant social.
Ensuite, il est pour le moins surprenant de considérer comme relevant de la simple incompétence ou de la simple inconséquence, pour reprendre la terminologie de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, des faits constitutifs de banqueroute aussi graves que celui de détournement d'actifs.
Si la cour d'appel a cru devoir ainsi statuer, c'est qu'elle entendait bien que le licenciement qu'elle va qualifier de sans cause réelle et sérieuse soit indemnisé par l'AGS. De là à dire que la cour d'appel a posé le résultat pour en induire le raisonnement...
Et le raisonnement tenu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, pour parvenir à affirmer qu'un licenciement intervenant à la suite d'une liquidation judiciaire sans poursuite d'activité est dépourvu de cause réelle et sérieuse nous semble exorbitant, et cela à plus d'un titre.
Deux difficultés nous semblent ici se présenter sur la possibilité pour les conseils des prud'hommes de prendre en compte la faute ou la légèreté blâmable des dirigeants sociaux pour procéder à la disqualification du licenciement économique en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La première tient à une question de compétence matérielle des conseils des prud'hommes.
Selon l'article L. 1411-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1878H9G), le conseil des prud'hommes est compétent pour trancher les litiges individuels nés à l'occasion des contrats de travail de droit privé. Cette compétence d'attribution exclut évidemment la compétence d'une autre juridiction, mais ne saurait être étendue au-delà de son domaine.
Cette attribution de compétence n'autorise pas le conseil des prud'hommes à porter un jugement sur la gestion du dirigeant social d'une société commerciale, à apprécier ou à caractériser sa faute de gestion. Ces questions relèvent de la compétence d'une autre juridiction, le tribunal de commerce.
Le conseil des prud'hommes de Saintes, par décision du 20 juillet 2015 (4), a jugé, face à un salarié soulevant, pour remettre en cause le caractère économique de son licenciement et par voie de conséquence, soutenant que ce dernier était sans cause réelle et sérieuse afin de demander à l'AGS la prise en charge de dommages- intérêts, que "le conseil se permet de faire observer que son domaine de compétence est relatif à l'exécution du contrat de travail de droit privé. Il ne lui appartient absolument pas de juger les actions de gestion économique ou financière des entreprises et de leurs dirigeants. Il invite le demandeur, s'il désire poursuivre dans cette voie, à mieux se pourvoir".
La solution doit être suivie au regard de la compétence d'attribution du conseil des prud'hommes, ce qui suffit pour rendre très critiquable la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
La seconde tient à la juridiction devant laquelle le caractère économique du licenciement peut être discuté en cas de procédure collective.
Seul le tribunal qui a ouvert la procédure collective peut entendre la discussion qui s'élève sur la contestation du caractère économique du licenciement.
La solution prend un tour particulier lorsque les licenciements interviennent en liquidation judiciaire, en dehors de toute poursuite d'activité. En effet, il n'existe pas alors de décision judiciaire statuant précisément sur les licenciements. Ces derniers interviennent en application du jugement de liquidation judiciaire lui-même, dès lors qu'il n'y a pas de poursuite d'activité. Et c'est pourquoi la Cour de cassation exige, pour que le licenciement ne soit pas dépourvu de cause réelle et sérieuse, que la lettre de licenciement émanant du liquidateur vise le jugement de liquidation judiciaire, en application duquel les licenciements interviennent.
Le jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire sans poursuite d'activité doit dès lors être tenu pour équivalent à la décision du juge-commissaire autorisant en période d'observation les licenciements, ou encore à la décision du tribunal arrêtant le plan de redressement ou de cession, en application duquel les licenciements interviendront. C'est pourquoi il convient d'effectuer cette comparaison.
On sait qu'en application de l'article L. 631-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L0721IXY), le juge-commissaire autorise les licenciements inévitables, indispensables et urgents. L'ordonnance qu'il rend est notifiée aux institutions représentatives du personnel, notamment aux comités d'entreprise. En revanche, elle n'est pas notifiée aux salariés. Ces derniers ne peuvent donc exercer de recours à son encontre. Au contraire, le comité d'entreprise a la qualité pour contester, devant le tribunal qui a ouvert la procédure collective, l'ordonnance du juge-commissaire. Une fois le délai de recours expiré, l'ordonnance devient définitive et la Cour de cassation juge, de la manière la plus claire, que "l'ordonnance du juge-commissaire autorisant les licenciements partiels du personnel d'une entreprise dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire étant devenue définitive, le caractère économique du licenciement ne peut plus être contesté". La solution a été réaffirmée en 1998 : "dès lors que le juge-commissaire a autorisé l'administrateur, dans le cadre de la période d'observation dont fait l'objet une entreprise en redressement judiciaire, à procéder à des licenciements pour motif économique, ni la suppression d'emploi, ni les difficultés économiques ne peuvent être contestées".
La Cour de cassation n'admet à ce principe qu'une seule réserve, qui est d'évidence : l'hypothèse où l'ordonnance a été obtenue par fraude.
En cas de plan de redressement ou de cession, c'est le jugement arrêtant le plan qui a autorité de chose jugée sur le motif économique du licenciement. Ce jugement fixe la réalité du motif économique.
A l'instar de ce qui vient d'être dit pour les licenciements en période d'observation et lors de l'arrêté d'un plan de redressement ou de cession, le jugement qui prononce la liquidation judiciaire a autorité de la chose jugée sur le motif économique qui fonde la mesure de licenciement.
On comprend, dès lors, pourquoi le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire doit impérativement être notifié aux institutions représentatives du personnel et notamment aux comités d'entreprise. Ces institutions doivent désigner en leur sein une personne à exercer les voies de recours. Cette personne aura qualité pour frapper d'appel le jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire. Cette voie de recours constituera la seule possibilité de discussion, devant le tribunal de la faillite, du caractère économique des licenciements induits par le jugement de liquidation. Il ne peut donc être affirmé que le droit d'accès au juge serait fermé pour les salariés désireux de discuter du caractère économique du licenciement. Ce droit d'accès s'exerce par les institutions représentatives des salariés, et cela quel que soit le nombre de salariés. En effet, à défaut de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exercera les attributions accordées par le livre VI du Code de commerce aux institutions représentatives du personnel.
Il ne peut donc être prétendu que les salariés sont privés de toute discussion sur le caractère économique des licenciements, dès lors que, par l'intermédiaire des institutions représentatives du personnel, ils ont la qualité pour frapper d'appel le jugement de liquidation judiciaire qui constitue en lui-même la cause économique du licenciement.
On sait que la Cour de cassation oblige le liquidateur procédant à des licenciements économiques en liquidation judiciaire à viser spécialement, dans la lettre de licenciement, le jugement de liquidation judiciaire en application duquel les licenciements économiques interviennent. Cette solution s'explique par la finalité de la lettre de licenciement : le salarié doit comprendre pourquoi il est licencié et c'est pourquoi la lettre de licenciement doit énoncer la raison du licenciement (5).
On comprend dès lors pourquoi la Cour de cassation juge qu'il faut, mais qu'il est suffisant, que la lettre de licenciement économique en liquidation judiciaire vise le jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire, en application duquel les licenciements économiques interviennent. La liquidation judiciaire entraîne par principe arrêt de l'activité. L'employeur ne peut donc plus fournir de travail au salarié. Le salarié sait pourquoi il est licencié : parce qu'il y a liquidation judiciaire, la liquidation judiciaire entraînant arrêt de l'activité.
Dès lors que la lettre de licenciement vise le jugement de liquidation judiciaire, toute explication supplémentaire est superflue.
On comprend parfaitement, à travers la problématique de la lettre de licenciement, que la liquidation judiciaire sans poursuite d'activité suffit à elle seule à justifier les licenciements économiques et pourquoi il n'est pas possible juridiquement de remettre en cause le caractère économique du licenciement, dès lors qu'il est fondé sur la liquidation judiciaire. Toute discussion sur la question est inopérante, outre qu'elle ne pourrait prospérer que devant le tribunal de la faillite.
Il n'est donc conforme ni à la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, ni surtout à la lettre des textes d'ajouter des considérations particulières tenant à l'attitude des dirigeants sociaux pour prétendre, comme l'a fait en l'espèce la cour d'appel d'Aix-en-Provence, que les licenciements perdraient leur caractère économique, alors même qu'ils seraient intervenus en application d'un jugement ouvrant ou prononçant une liquidation judiciaire.
Au demeurant, nous avons déjà observé qu'un conseil des prud'hommes ne peut porter son appréciation sur la gestion des dirigeants sociaux.
Dès lors qu'une liquidation judiciaire est prononcée, le caractère économique du licenciement ne peut être discuté que devant le tribunal de la faillite. Pour sa part, le conseil des prud'hommes reste seul compétent pour connaître des questions relatives à la situation individuelle des salariés licenciés (6). "Le juge consulaire est le pivot sur lequel repose l'ensemble de l'édifice [du licenciement dans les procédures collectives...], le juge prud'homal reste, non sans heurts, le juge du contrat de travail".
La cause économique justificative du licenciement économique permet de déterminer si le licenciement est justifié, s'il est conforme au droit. Concrètement, le problème est celui de la cause réelle et sérieuse (7). Le juge judiciaire vérifie la réalité du motif économique du licenciement. Il doit vérifier deux points :
- la réalité de la suppression de l'emploi ;
- et le fait que la suppression de l'emploi repose sur des difficultés économiques réelles. Et comme le relèvent les bons auteurs, là s'arrête son contrôle (8).
Il ne peut être discuté de la réalité du motif économique du licenciement. Il y a suppression d'emploi et le salarié n'est pas remplacé dans son emploi.
La suppression de l'emploi est justifiée, en présence d'une liquidation judiciaire sans poursuite d'activité, car elle entraîne arrêt immédiat de l'activité, et par voie de conséquence obligation de licencier le personnel dans un certain délai aux fins de prise en charge par l'AGS. Il s'en déduit que les conditions matérielles du licenciement économique sont indiscutables.
Si les circonstances économiques justifiant le licenciement sont réelles, le motif économique ne peut davantage être discuté. Or tel est bien le cas si le tribunal prononce la liquidation judiciaire, puisque cela signifie, sur le plan juridique, que l'entreprise n'a plus aucune chance de se redresser et que, par voie de conséquence, son activité doit cesser.
Au demeurant, il importe d'observer que l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7), qui définit le motif économique du licenciement, évoque des mesures consécutives notamment [nous soulignons] à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. En employant l'adverbe "notamment", la loi a donc laissé la place à d'autres motifs comme le relèvent les bons auteurs (9). Et ils indiquent que, à ce jour, la jurisprudence a en a découvert deux : la réorganisation et la cessation d'activité.
Il suffit donc qu'il y ait cessation d'activité pour que le licenciement économique soit justifié. Or tel est le cas en présence d'une liquidation judiciaire sans poursuite d'activité. On n'a donc plus, en cette occurrence, à se demander si le licenciement économique est la conséquence des difficultés économiques, puisqu'il y a cessation d'activité.
La recherche à laquelle s'est, en l'espèce, livré le conseil des prud'hommes et à sa suite la cour d'appel a très largement dépassé le cadre du contrôle que doit opérer le juge en charge de l'appréciation du caractère économique du licenciement, au regard des critères ci-dessus dégagés.
En outre, cette recherche s'est faite en méconnaissance totale de la répartition des pouvoirs entre le juge de la procédure collective et le juge du contrat de travail.
C'est pourquoi la décision de la cour d'appel nous apparaît des plus critiquables.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice à l'encontre du débiteur principal de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au premièrement de l'article L. 622-17 (N° Lexbase : L8102IZ4) et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent (C. com., art. L. 622-21, 1° N° Lexbase : L3452ICT). L'ouverture de la procédure arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers (C. com., art. L. 622-21, 2°).
Tant en sauvegarde qu'en redressement judiciaire, l'arrêt des poursuites individuelles est également posé par le législateur au profit des personnes physiques ou coobligés ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, et ce pendant toute la durée de la période d'observation (C. com., art. L. 622-28, al. 2 N° Lexbase : L7292IZ4). Le législateur a ainsi voulu laisser un peu de répit aux garants personnes physiques. Cependant, cette faveur ne devait pas laisser grande ouverte la possibilité pour les garants de constituer leur insolvabilité pendant la période d'observation. C'est la raison pour laquelle le législateur du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT) a prévu que "les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires". Par là même, le législateur a recherché un juste équilibre.
Afin de prendre une mesure conservatoire, c'est-à-dire inscrire une garantie conservatoire ou pratiquer une saisie conservatoire, le créancier, s'il ne détient pas un titre, doit obtenir une autorisation du juge, dans les prévisions de l'article R. 511-7 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2542ITC). Cependant, au regard de l'article L. 511-1 du même code (N° Lexbase : L5913IRG), le créancier peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire à condition qu'il justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. Il va de soi que lorsque le débiteur principal fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le recouvrement de la créance est en péril en raison de l'état de cessation des paiements du débiteur principal qui justifie l'ouverture de la procédure. Qu'en est-il lorsque le débiteur fait l'objet d'une procédure de sauvegarde ? Puisque l'ouverture de cette procédure suppose que le débiteur ne soit pas en état de cessation des paiements, peut-on considérer que la créance est en péril et ainsi ouvrir la voie à la prise de mesures conservatoires à l'encontre des cautions ? Une juridiction du fond s'est récemment prononcée sur cette intéressante question.
Dans l'espèce rapportée, ayant donné lieu à un arrêt rendu le 17 mars 2016 par la cour d'appel d'Amiens, une banque avait, pendant la période d'observation de la procédure de sauvegarde ouverte à l'égard de personne morale cautionnée, obtenu du juge de l'exécution l'autorisation d'inscrire des hypothèques judiciaires sur des biens appartenant à un couple de cautions. Les cautions personnes physiques avaient alors contesté la prise des mesures conservatoires et saisi le juge de l'exécution d'une demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé la banque à inscrire les hypothèques judiciaires. Les cautions n'ayant pas été suivies par le juge de l'exécution ont alors interjeté appel. Infirmant le jugement rendu par le juge de l'exécution, la cour d'appel a considéré que "la mise en oeuvre au profit [du débiteur principal] du régime protecteur de la sauvegarde, réservé aux débiteurs justifiant de difficultés financières qu'ils ne sont pas en mesure de surmonter, constitue un élément suffisant pour caractériser la menace qui pèse sur le recouvrement de la créance [...] mais n'est pas de nature à démontrer que la créance de [la banque] envers [les cautions personnes physiques] est menacée". La cour d'appel a, en conséquence, ordonné la mainlevée de l'ensemble des inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires prises à la requête de la banque sur les biens immobiliers des cautions personnes physiques.
Ainsi, la cour d'appel considère que le recouvrement de la créance n'est pas menacé compte tenu de la qualité de la consistance du patrimoine des époux cautions. La cour -et c'est là l'intérêt de cet arrêt- considère que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, alors même qu'elle suppose l'absence de cessation des paiements du débiteur principal, constitue un élément suffisant pour caractériser la menace qui pèse sur le recouvrement de la créance sur l'entreprise qui fait l'objet d'une procédure collective mais ne caractérise pas, à elle seule, une telle menace quant au recouvrement de cette créance sur les garants. Ainsi, aux yeux de la cour d'appel, seule une piètre consistance du patrimoine des cautions aurait pu justifier la prise de mesures conservatoires pendant la période d'observation du débiteur sous sauvegarde.
Cette solution peut paraître critiquable dans la mesure où elle laisse ainsi au garant le loisir de constituer son insolvabilité, ce que, précisément, le législateur a souhaité éviter en édictant l'article L. 622-28, alinéa 3.
Deux observations peuvent être faites.
Premièrement, la solution selon laquelle l'ouverture d'une procédure de sauvegarde constitue un élément suffisant pour caractériser la menace qui pèse sur le recouvrement de la créance et ainsi n'est pas un obstacle en soi à la prise de mesures conservatoires, n'était pas évidente puisque, précisément, le débiteur principal n'est pas en état de cessation des paiements. Il aurait donc pu être considéré que le recouvrement de la créance n'était pas en péril à l'égard du débiteur principal. C'est d'ailleurs en ce sens que s'était exprimée la doctrine (10) remarquant cependant que s'il devait être considéré que le recouvrement de la créance n'était pas en péril à l'encontre du débiteur principal, cela ne devait pas nécessairement interdire la prise de mesures conservatoires à l'égard des cautions car deux interprétations sont alors possibles :
- soit le législateur n'a pas réfléchi à la nécessité de la prise de mesures conservatoires spécifiquement en sauvegarde. Il faut se souvenir, en effet, que le texte qui pose le principe de la suspension des poursuites contre les cautions personnes physiques date de la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), époque à laquelle la procédure de sauvegarde n'avait pas fait son entrée dans le livre VI du Code de commerce. Ce texte, devenu l'article L. 622-28, pose en deux alinéas un principe de suspension et ensuite une possibilité de prise de mesures conservatoires. Il a, par la loi du 26 juillet 2005, été appliqué à la sauvegarde car ce texte est en effet devenu un texte de la procédure de sauvegarde que le législateur a rendu applicable en redressement. Si c'est par inadvertance du législateur que l'alinéa 3 de l'article L. 622-28 est applicable en sauvegarde, la prise de mesures conservatoires devrait être impossible dès lors que l'on prend le parti de considérer que la créance n'est pas en péril en l'absence de cessation des paiements du débiteur principal ;
- soit le législateur a délibérément choisi de rendre applicable l'alinéa 3 de l'article L. 622-28 du Code de commerce en sauvegarde. Cela signifie alors que l'idée selon laquelle il faut un péril dans le recouvrement de la créance pour pratiquer des mesures conservatoires lorsque le débiteur principal est en sauvegarde, doit être rejetée. La possibilité de pratiquer des mesures conservatoires sur le garant personnes physiques d'un débiteur, pendant la période d'observation de la procédure de sauvegarde, ne nécessiterait alors pas la démonstration que le recouvrement de la créance est en péril à l'égard du débiteur principal, à l'instar de la solution posée pour la prise de mesures conservatoires sur les biens d'un dirigeant recherché en responsabilité pour insuffisance d'actif (11). Ainsi que l'a relevé un auteur (12), cette interprétation permettrait de ne pas laisser lettre morte l'alinéa 3 de l'article L. 622-28.
En décidant que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard du débiteur principal caractérise, au sens de l'article L. 511-1 du Code des procédures civiles d'exécution, la menace pesant sur le recouvrement de la créance, la cour d'appel d'Amiens rend, sur ce point, une décision favorable au créancier du débiteur sous sauvegarde puisqu'elle ne lui ferme pas ab initio la voie du recours aux mesures conservatoires contre les garants.
Mais c'est sur un autre terrain que la cour d'appel ordonne, en l'espèce, la mainlevée des mesures conservatoires prises à l'encontre des cautions : elle considère que le recouvrement de la créance n'est pas en péril au regard de la consistance du patrimoine des cautions, laquelle démontrait, selon la cour, qu'elles étaient en mesure de faire face à leur engagement sans qu'il soit nécessaire de mettre en oeuvre des mesures conservatoires à leur encontre.
Sur ce point, l'arrêt apparaît critiquable car il n'est pas conforme avec l'objectif du législateur, qui était celui d'éviter de permettre aux garants de constituer leur insolvabilité pendant la période de suspension des poursuites individuelles.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201)
(1) Cass. crim., 18 juin 1998, n° 97-83.996, inédit (N° Lexbase : A8964AG4), JCP éd. E, 1999, 174, note J.-H. Robert ; Rev. sociétés, 1998, 817, obs. B. Bouloc ; Cass. crim., 5 novembre 2008, n° 07-87.086, F-D (N° Lexbase : A4884RN9), Gaz. proc. coll., 2009/1, p. 60, note C. Robaczewski.
(2) Cass. crim., 3 octobre 2007, n° 07-81.030, F+P+F (N° Lexbase : A8638DYL), Bull. crim., n° 237 ; Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 74, note C. Robaczewski.
(3) J. Abras, Responsabilité extra-contractuelle des dirigeants sociaux - L'exigence d'une faute séparable des fonctions entendue restrictivement : présent offert aux dirigeants ou nécessité ?, JCP éd. E, 2008, 1912, spéc. n° 8.
(4) CPH Saintes, 2 juillet 2015, n° F 14/00224.
(5) B. Bossu, F. Dumont et P.-Y. Verkindt, Droit du travail, éd. Montchestien, 2011, n° 734.
(6) Cass. soc., 3 octobre 1989, n° 88-42.835, publié (N° Lexbase : A1534AA3), Bull. civ. V, n° 559 ; Cass. soc., 6 mars 1990, n° 88-40.028, publié (N° Lexbase : A6061CXR), Bull. civ. V, n° 92, D., 1990, Somm. 218, obs. A. Honorat, JCP éd. E, 1991, 46, n° 18, obs. Ph. Pétel, Rev. proc. coll., 1991, 244, obs. E. Kerckhove ; Cass. soc., 5 mai 1993, n° 92-40.835, publié (N° Lexbase : A3987ACN), Bull. civ. V, n° 127 ; Cass. soc., 21 février 1996, n° 93-41.310, inédit (N° Lexbase : A1136AAC), JCP éd. E, 1996, II, 862, note J.-J. Serret.
(7) Bossu, Dumont et Verkindt, préc. n° 752.
(8) Bossu, Dumont et Verkindt, préc., n° 753.
(9) Bossu, Dumont et Verkindt, préc., n° 757.
(10) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2015/2016, n° 712.24.
(11) Cass. com., 31 mai 2011, n° 10-18.472, FS-P+B (N° Lexbase : A3307HTN), Bull. civ. IV, n° 89 ; D., 2011. Actu 1613, obs. A. Lienhard ; D., 2011. 2692, note Guillou ; P.-M. Le Corre, Chron., Lexbase, éd. aff., 2011, n° 255 (N° Lexbase : N4343BSN).
(12) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 712.24.
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