La lettre juridique n°655 du 19 mai 2016 : Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Mai 2016

Lecture: 32 min

N2670BWS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Mai 2016. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/31688473-chronique-chronique-de-procedure-penale-mai-2016
Copier

par Guillaume Beaussonie, Professeur de droit privé à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC, EA 1919) et Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine, directeur de l'IEJ (IFG, EA 7301)

le 19 Mai 2016

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, Professeur de droit privé à l'Université Toulouse-Capitole (IEJUC, EA 1919) et de Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine, directeur de l'IEJ André Vitu (IFG, EA 7301). Parmi les arrêts rendus depuis le début de l'année 2016, on retrouve d'abord différentes questions plutôt classiques : au stade de l'enquête, celles des contrôles d'identité et de l'audition libre ; au stade de l'action publique, celles de la comparution volontaire et de l'article 6-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9880IQY). Une séquence substantielle est ensuite consacrée au mécanisme de l'action civile. Enfin, au stade de l'instruction, est abordée le problème intéressant du rôle joué par l'enquêteur de personnalité. I - L'enquête
  • Le contrôle d'identité prévu à l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4966ISQ) ne peut être réalisé qu'en présence d'un officier de police judiciaire (Cass. avis, 12 janvier 2016, n° 9003 N° Lexbase : A4921RPX ; Cass. civ. 1, 16 mars 2016, n° 14-25.068, FS-P+B+I N° Lexbase : A4890Q7A) ; lors du contrôle d'identité, la fouille des bagages de la personne contrôlée ne peut intervenir qu'avec son consentement, dès lors que la palpation de sécurité n'a pas préalablement révélé l'existence d'un indice de la commission d'une infraction flagrante (Cass. crim., 23 mars 2016, n° 14-87.370, F-P+B N° Lexbase : A3652RAI ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4338EU9)

Les contrôles d'identité et les pouvoirs octroyés aux officiers et agents de police judiciaire sont fréquemment au coeur de polémiques sociales mettant en cause leur caractère arbitraire ou discriminatoire. Ces contrôles sont un élément essentiel de l'activité de la police judiciaire et de la police administrative. Les arrêts commentés viennent préciser les conditions du déroulement des contrôles d'identité et les pouvoirs des agents qui les réalisent. Ils s'inscrivent, en outre, dans une actualité législative mouvante.

Le premier arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (n° 14-25.068) concerne le contrôle d'identité de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale. Ce texte prévoit la possibilité pour les officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints, de réaliser les contrôles d'identité prévus à l'article 78-2, alinéa 6, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9299K48) mais aussi à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public. Un individu interpellé à la suite d'un tel contrôle, effectué par des agents de police judiciaire, puis retenu pour vérification de son droit de circulation et de séjour, avait fait l'objet d'une mesure de rétention sur décision préfectorale. Le juge des libertés et de la détention avait estimé que le contrôle était régulier, ce que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait confirmé. Ce dernier avait estimé que la présence des officiers de police judiciaire n'était requise que pour les visites de véhicules, les contrôles d'identité pouvant être réalisés par les agents de police judiciaire, sous les ordres des officiers de police judiciaire. Le 6 octobre 2015, la première chambre civile avait fait une demande d'avis auprès de la Chambre criminelle, pour savoir si ce contrôle d'identité supposait la présence effective d'un officier de police judiciaire. La question était pertinente : l'article 78-2-2 renvoie à l'article 78-2 du Code de procédure pénale, lequel prévoit expressément que les contrôles qu'il prévoit peuvent être réalisés par les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints, sur l'ordre et sous la responsabilité d'un officier de police judiciaire. Il fallait donc déterminer si l'article 78-2-2 envisage le contrôle et la visite des véhicules comme devant être réalisés en présence d'un officier de police judiciaire ou si cette disposition opère, en raison du renvoi à l'article 78-2, une distinction, entre le contrôle qui pourrait être réalisé hors présence de l'officier de police judiciaire, et la visite, qui nécessiterait cette présence.

Le 12 janvier, la Chambre criminelle a précisé que la présence effective d'un officier de police judiciaire s'impose "dès lors qu'un tel contrôle, qui exige des garanties spécifiques, a pour objet de permettre concomitamment au contrôle d'identité, la réalisation d'une visite de véhicule". Elle ajoute que l'article 78-2-2 n'opère "aucune distinction selon que ce contrôle se limiterait, dans les faits, à celui de l'identité d'une personne ou serait associé à une visite de véhicule". Cet avis est entièrement suivi par la première chambre civile, qui casse et annule sans renvoi la décision du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Bien que portant sur la version de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale antérieure à la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016, relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes de terrorisme dans les transports collectifs de voyageurs (N° Lexbase : L2650K7B), la solution de l'avis de la Chambre criminelle et de l'arrêt de la première chambre civile (n° 14-25.068) est la même dans la rédaction actuelle du texte, et devrait être identique dans la future modification du texte qui résultera du projet de loi sur la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et l'amélioration de l'efficacité et des garanties de la procédure pénale. L'actuel article 78-2-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2743K7Q) permet l'inspection visuelle des bagages ou leur fouille, dans les véhicules et les emprises immobilières des transports publics de voyageurs. Le futur article 78-2-2 permettra cette inspection visuelle et cette fouille, quel que soit l'endroit. En tout état de cause, la présence de l'officier de police judiciaire est et sera nécessaire.

Cette possibilité de procéder à l'inspection visuelle ou à la fouille des bagages concernera donc le contrôle d'identité réalisé dans le cadre de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale. En revanche, pour le contrôle d'identité de l'article 78-2 et la vérification d'identité de l'article 78-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1334HP4), la fouille des bagages n'est pas expressément prévue, ce qui rend l'arrêt rendu le 23 mars 2016 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation particulièrement intéressant. Des gendarmes pensent reconnaître un individu faisant l'objet d'une fiche de recherches et réalisent donc un contrôle d'identité, dans le cadre de l'article 78-2 du Code de procédure pénale. L'individu déclarant ne pas disposer de document d'identité, il est procédé à une vérification d'identité, conformément à l'article 78-3 du Code de procédure pénale. Au cours de cette vérification, les gendarmes procèdent à une "fouille palpation", découvrant un faux permis de conduire dans la sacoche de l'intéressé. Poursuivi pour détention de faux documents administratifs en récidive, le prévenu est condamné par le tribunal correctionnel, qui rejette l'exception de nullité tirée de l'irrégularité de la fouille de la sacoche. La cour d'appel de Grenoble, le 14 octobre 2014, confirme le rejet de l'exception de nullité, estimant que la fouille de la sacoche était l'unique moyen de garantir la sécurité des personnes et des biens. A la suite du pourvoi formé par le prévenu, la Chambre criminelle casse et annule l'arrêt rendu, et renvoi la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry.

La Cour vise les articles 76 (N° Lexbase : L7225IMK) (relatif aux perquisitions), 78-2 et 78-3 du Code de procédure pénale, ainsi que l'article R. 434-16 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9238IYS). Cette dernière disposition précise le cadre du recours à la palpation de sécurité, qui ne revêt pas un caractère systématique et est réservée aux cas dans lesquels elle apparaît nécessaire à la garantie de la sécurité du policier ou du gendarme qui l'accomplit ou de celle d'autrui. Elle a pour finalité de vérifier que la personne contrôlée n'est pas porteuse d'un objet dangereux pour elle-même ou pour autrui. La palpation doit donc être justifiée par un risque qu'il faut caractériser. Par la référence à ces dispositions, la Cour de cassation fixe le cadre des mesures qui peuvent intervenir lors d'un contrôle d'identité de police judiciaire. Le contrôle ne peut intervenir que pour les raisons énumérées aux six premiers alinéas de l'article 78-2. Il est nécessaire de caractériser une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit, ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par l'autorité judiciaire. Le sixième alinéa de l'article 78-2 prévoit, quant à lui, le cas des contrôles d'identité de toute personne, sur réquisitions écrites du procureur de la République. Si le cadre du contrôle est régulier, encore faut-il alors que la réalisation du contrôle le soit également. La palpation de sécurité n'interviendra qu'en raison d'un risque, et ce n'est que si cette palpation révèle l'existence d'un indice de la commission d'une infraction flagrante que la fouille des bagages pourra intervenir sans le consentement de l'intéressé. Cette fouille est expressément assimilée à une perquisition par le visa de l'article 76 du Code de procédure pénale.

Les décisions de la première chambre civile et de la Chambre criminelle de la Cour de cassation apportent donc des précisions utiles sur des pratiques encadrées par des textes mal rédigés. On pourra, toutefois, regretter que le législateur ne se saisisse pas de la question des contrôles d'identité pour créer un régime clair et cohérent qui pourrait s'organiser en deux ou trois dispositions qui regrouperaient toutes les hypothèses de ces contrôles. Il serait ainsi envisageable de préciser le cadre des contrôles d'identité de police judiciaire et des pouvoirs des autorités les réalisant, d'une part, et celui des contrôles d'identité effectués sur réquisition du procureur de la République et des pouvoirs des autorités les réalisant, d'autre part. Les premiers obéiraient à la logique de l'arrêt du 23 mars 2016, les seconds permettraient la fouille des bagages à condition qu'un officier de police judiciaire soit effectivement présent. Une telle clarification bénéficierait à n'en pas douter aux personnes contrôlées, mais également aux autorités de police et de gendarmerie qui verraient le cadre de leur action précisé. Malheureusement, le législateur s'apprête, dans le projet de loi sur la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et l'amélioration de l'efficacité et des garanties de la procédure pénale, à réformer, pour la deuxième fois cette année, l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale.

  • L'absence de notification du droit de quitter les lieux n'est pas une cause de nullité d'une audition libre lorsque celle-ci intervient hors des locaux de police ou de gendarmerie (Cass. crim., 1er mars 2016, n° 14-87.368, FS-P+B N° Lexbase : A0816QYU ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1769EU3)

Un officier de police judiciaire constate un excès de vitesse. Le conducteur du véhicule est entendu sur les lieux de constatation de ce dépassement. Poursuivi pour excès de vitesse d'au moins 50 km/h en récidive, il est condamné à un mois d'emprisonnement avec sursis, 2 000 euros d'amende et à la suspension du permis de conduire pendant six mois. Devant le tribunal correctionnel, il soulève la nullité du procès-verbal de constatation d'infraction. Le tribunal, puis la cour d'appel rejettent cette exception de nullité. La Chambre criminelle rejette le pourvoi formé. Le demandeur au pourvoi faisait valoir que les droits de l'audition libre auraient dû lui être notifiés et, notamment, le droit de quitter les lieux. La Cour de cassation estime que la cour d'appel a exactement appliqué les textes en précisant que "l'intéressé, qui a été informé de la nature et de la date de l'infraction, ne se trouvant pas dans des locaux de police ou de gendarmerie, mais sur la voie publique, lieu du contrôle routier, n'avait pas à être informé des droits prévus aux articles 62 (N° Lexbase : L3155I3A) et 78, alinéa 1er (N° Lexbase : L9804I3I) [...], en particulier son droit de quitter les lieux, au sens des réserves du Conseil constitutionnel". La décision appelle quelques précisions, sur les normes appliquées, d'une part, et leur interprétation, d'autre part.

S'agissant des normes appliquées, il s'agissait des articles 62 et 78 du Code de procédure pénale, interprété à la lumière des réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel. Les faits ont eu lieu le 29 septembre 2012.

A cette époque, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN) était intervenue, modifiant l'article 62 du Code de procédure pénale, qui prévoyait alors que les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures. Les suspects ne pouvaient être entendus que sous le régime de la garde à vue. L'article 78 du Code de procédure pénale prévoyait, quant à lui que les personnes non suspectes, convoquées par un officier de police judiciaire, pouvaient être retenues pendant le temps nécessaire à leur audition, qui ne pouvait excéder quatre heures. Les suspects, en revanche, ne pouvaient être maintenus sous la contrainte que sous le régime de la garde à vue. Le Conseil constitutionnel, saisi de questions prioritaires de constitutionnalité, avait, dans sa décision QPC du 18 novembre 2011 (1), estimé que l'article 62 du Code de procédure pénale était conforme à la Constitution, assortissant sa décision de la réserve d'interprétation suivante : "le respect des droits de la défense exige qu'une personne à l'encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être placée en garde à vue, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie". Depuis, la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L2680I3N) est intervenue, qui permet l'audition libre du suspect, sous réserve de la notification des information suivantes : la qualification, la date et le lieu présumés de l'infraction ; le droit de quitter à tout moment les locaux ; le droit d'être assisté par un interprète ; le droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire ; le droit d'être assisté par un avocat si l'infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d'emprisonnement ; la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit.

S'agissant de l'interprétation des normes appliquées, la décision de la Cour de cassation n'est guère surprenante. De la même manière qu'elle avait pu considérer qu'il n'y a pas d'atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ou au droit au silence, dans l'hypothèse où l'on ne parle pas (2), elle considère qu'il n'y a pas lieu de notifier un droit de "quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie" -selon la formule du Conseil constitutionnel- lorsque l'on est pas entendu dans les dits locaux, mais sur la voie publique. Transposée à l'actuel article 61-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2752I3C), il n'y aurait pas davantage lieu d'informer le droit de quitter "les locaux" où la personne est entendue librement. Le Conseil constitutionnel, et la loi maintenant, font référence aux locaux, et non aux lieux : il était dès lors difficile de considérer que la Cour aurait pu assimiler les deux. Mais la décision semble bien dire que l'audition d'une personne sur la voie publique est une audition libre, au sens où l'entendait le Conseil constitutionnel, et au sens de l'article 61-1 du Code procédure pénale. La cour d'appel a en effet considéré que l'interpellation s'assimilait à une convocation par un officier de police judiciaire, et que l'intéressé avait bien été informé de la nature et de la date de l'infraction. Faut-il alors considérer que, désormais, lors d'un contrôle routier s'assimilant à une convocation par un officier de police judiciaire, les informations de l'article 61-1 du Code de procédure pénale doivent être notifiées, et notamment celle d'être assisté par un avocat, dans l'hypothèse d'un crime ou d'un délit puni d'emprisonnement ? C'est en tout cas ce que suggère la décision.

Jean-Baptiste Thierry

II - L'action publique

  • La comparution volontaire suppose, au préalable, la mise en mouvement de l'action publique dans les conditions prévues par l'article 1er du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9909IQ3) (Cass. crim., 2 février 2016, n° 15-82.790, F-P+B N° Lexbase : A3107PKB ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2063EUX)

Si, en vertu de l'article 388 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2281H4A), "le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence soit par la comparution volontaire des parties, soit par la citation, soit par la convocation par procès-verbal, soit par la comparution immédiate, soit enfin par le renvoi ordonné par la juridiction d'instruction", encore faut-il que l'action publique ait été préalablement mise en mouvement "dans les conditions prévues par l'article 1er" de ce même code. La chose est évidente pour presque tous ces modes de saisine, qui reposent sur des poursuites exercées par le ministère public, ne serait-ce que lorsque celui-ci décide de faire comparaître une personne devant le tribunal ; mais tel ne semble pas être le cas de la comparution volontaire, qui paraît ne procéder que de l'initiative du prévenu, comme en l'espèce, où le gardien d'un véhicule a souhaité prendre la place du titulaire du certificat d'immatriculation qui était poursuivi pour l'avoir maintenu en circulation sans avoir satisfait aux obligations du contrôle technique. Sa condamnation heurte sans surprise la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui rappelle "qu'à défaut de poursuites engagées à son encontre, la seule comparution volontaire d'une personne ne saurait mettre en mouvement l'action publique".

C'est, qu'en effet, il ne faut lire le début de l'article 388 du Code de procédure pénale qu'à la lueur de son article 389 (N° Lexbase : L3797AZN), aux termes duquel "l'avertissement, délivré par le ministère public, dispense de citation, s'il est suivi de la comparution volontaire de la personne à laquelle il est adressé". Il ne s'agit, en vérité, que de prévoir qu'un défaut de citation, l'oubli d'une infraction ou encore la découverte de faits nouveaux n'empêchent pas le jugement d'un prévenu comparant.

A défaut d'une telle restriction dans l'utilisation de la comparution volontaire, toute personne pourrait exiger d'une juridiction répressive qu'elle le juge pour une infraction qu'elle prétendrait avoir commise, ce qui impliquerait de repenser l'action publique, le procès pénal et, disons-le, le principe même de la répression...

  • Les dispositions de l'article 6-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9880IQY) ne sauraient trouver application lorsque la procédure à l'occasion de laquelle l'acte dénoncé aurait été commis n'a donné lieu à la saisine d'aucune juridiction pénale habilitée à constater le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli (Cass. crim., 30 mars 2016, n° 14-87.251, FS-P+B+I N° Lexbase : A5105RAC ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2835EUK)

En vertu de l'article 6-1 du Code de procédure pénale, lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire impliquerait la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie. Le délai de prescription de l'action publique court à compter de cette décision. Pour le dire plus clairement, cette disposition "instaure un obstacle à l'action publique si les agissements délictueux reprochés à une personne concourant à la procédure constituent, à la fois, un des éléments d'une infraction, criminelle ou délictuelle, et une irrégularité procédurale, tant que cette dernière n'aura pas été constatée définitivement par la juridiction répressive saisie de l'affaire au cours de laquelle elle a eu lieu" (3). Mais que se passe-t-il en l'absence de décision définitive ? Pas d'action publique ou, à l'inverse, pas d'obstacle à l'action publique ?

En l'espèce, aucune décision définitive n'avait été rendue, puisque les poursuites aux cours desquelles une irrégularité procédurale constituant également une infraction aurait été commise, classiquement un placement en garde à vue perçu comme une atteinte à la liberté individuelle, s'étaient soldées par un classement sans suite, décision administrative provisoire. En conséquence, alors que le requérant n'avait eu aucune occasion de faire sanctionner l'irrégularité dont il avait été victime et, par là même, ne pouvait remplir les conditions posées par l'article 6-1 du Code de procédure pénale, c'est sur le fondement de ce texte que le juge d'instruction rendait à son égard une ordonnance de refus d'informer, ce que la chambre de l'instruction confirmait.

La Cour de cassation sanctionne les juges du fond, précisant que "si", aux termes de l'article 6-1 du Code de procédure pénale, "lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire implique la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie, ces dispositions ne sauraient trouver application lorsque la procédure à l'occasion de laquelle l'acte dénoncé aurait été commis n'a donné lieu à la saisine d'aucune juridiction pénale habilitée à constater le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli". Or, relève-t-elle, "la garde à vue dont se plaint [le requérant] est intervenue dans une procédure d'obtention frauduleuse de documents administratifs finalement classée sans suite, [...] aucune juridiction pénale [n'ayant] été saisie". L'article 6-1 du Code de procédure pénale ne devait donc pas être appliqué, la Cour de cassation n'opérant donc pas de renvoi mais ordonnant le retour du dossier au président du tribunal de grande instance aux fins de désignation, en application de l'article 83 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2976IZA), d'un magistrat instructeur autre que celui initialement saisi.

Laissons la conclusion à M. Jean-Baptiste Thierry (4) : "l'article 6-1 constitue donc un obstacle temporaire à l'exercice de l'action publique, mais il ne saurait constituer un obstacle permanent. Adopter une solution inverse reviendrait à rendre impossible l'exercice du droit à un recours juridictionnel effectif" (ce dernier droit ayant été très pertinemment invoqué par le requérant).

Guillaume Beaussonie

III - L'action civile

  • La confiscation d'un objet placé sous scellés s'analyse, à l'égard de parties civiles qui le revendiquent, en un refus de restitution (Cass. crim., 26 janvier 2016, n° 14-86.030, F-P+B N° Lexbase : A3215N79 ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale N° Lexbase : E4278EUT)

La confiscation est une mesure à la mode dont les contours apparaissent encore très flous. Ce qui est sûr est qu'elle ne peut, en tant que peine, concerner que le condamné. Que se passe-t-il, dès lors, si l'objet "confisqué" appartient, en réalité, à la partie civile et que celle-ci est la seule à le revendiquer ?

Il faut alors requalifier la confiscation en ce qu'elle est vraiment : un refus de restitution qui, en tant que tel, peut faire l'objet d'un recours, comme le précise l'article 482 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9919IQG), en vertu duquel "le jugement qui rejette une demande de restitution est susceptible d'appel de la part de la personne qui a formé cette demande".

  • Le détenteur d'une somme d'argent à la suite d'un vol peut, à son tour, être la victime du vol de cette même somme ; il peut donc, en tant que telle, exercer l'action civile (Cass. crim., 9 mars 2016, n° 15-80.107, F-P+B N° Lexbase : A1733Q7C ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2069EU8)

Le simple détenteur d'une chose, entendu comme celui qui en a la possession sans en avoir la propriété, est-il l'une des victimes de son vol, avec toutes les conséquences que cela peut avoir (notamment la possibilité d'exercer l'action civile) ? De façon constante, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que tel est le cas (5), l'idée étant, sans doute, que ce dernier aura des comptes à rendre au propriétaire -à défaut de la chose- à un moment ou à un autre. Il faudrait certainement limiter cette extension de la qualité de victime pénale à celui qui peut se prévaloir d'un droit réel sur la chose (6), ce que ne fait pas la Cour de cassation en l'espèce, qui ouvre l'action civile à celui qui détient la chose... à la suite d'un vol ! Autrement dit, le premier voleur d'une chose peut agir contre le second, quand bien même il ferait lui-même l'objet de poursuites.

En l'occurrence, les deux acquéreurs d'une maison y trouvent de l'argent et des bons au porteur pour une valeur qui représente presque le double du prix d'acquisition de la maison. Différents éléments démontrant aisément que les acquéreurs ne pouvaient ignorer que cette valeur appartenait aux vendeurs de la maison -les héritiers de son ancien propriétaire-, ils sont logiquement condamnés pour vol. Le problème est que, préalablement à cette condamnation, une partie de la somme trouvée a été soustraite aux acquéreurs. Ces derniers agissent donc à l'encontre des voleurs et, semble-t-il, c'est à cette occasion que les enquêteurs se rendent compte que les victimes étaient elles-mêmes des voleurs. Il n'empêche que leur action est déclarée recevable en première instance, ce que la cour d'appel infirme puisqu'il a été démontré qu'elles n'étaient pas propriétaires de la somme.

Au visa de l'article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ), en vertu duquel "l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction", la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse l'arrêt rendu par la cour d'appel. Elle précise, en ce sens, que le vol dont a été victime l'acquéreuse survivante -l'autre étant entre-temps décédé- l'a "privé d'une somme dont elle était détentrice et qu'elle a été condamnée à verser aux" véritables propriétaires.

D'un point de vue théorique, il est difficile de fonder une telle action ; d'un point de vue pratique, n'est-ce pas simplement pour autoriser l'indemnisation du vrai propriétaire que la fausse victime a été promue ?

  • La spécificité de l'action civile engagée par une victime devant le juge répressif justifie la distinction du régime de la preuve en matière civile et en matière pénale (Cass. crim., 9 mars 2016, n° 15-83.517, F-P+B N° Lexbase : A1770Q7P ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1782EUK)

La juridiction pénale peut être amenée à statuer sur la seule action civile, par exemple, lorsque la faute civile d'un prévenu définitivement relaxé est examinée par le juge pénal saisi en appel exclusivement par la partie civile. Dans un tel cas, le juge pénal doit-il appliquer les règles régissant la preuve pénale, en raison du contexte, ou celles relatives à la preuve civile, en raison de l'enjeu ? C'était finalement la question à laquelle devait répondre la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans l'optique d'un éventuel renvoi pour un examen des dispositions fondant sa position actuelle par le Conseil constitutionnel.

Comme le rappelle le requérant, cette position, c'est l'application des règles pénales, et ces dispositions, ce sont celles contenues par "l'article 427 du Code procédure pénale (N° Lexbase : L6531H7Z), qui dispose que, hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve, et les articles 3, 10, al. 2, et 497, 3° du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6614H74), qui ne prévoient aucune disposition spécifique concernant les règles de preuve applicables dans le cas où la juridiction pénale est amenée à statuer sur la seule action civile". Y aurait-il, alors, contrariété "au principe d'égalité devant la Loi qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), au respect de la présomption d'innocence affirmé à l'article 9 de la Déclaration (N° Lexbase : L1373A9Q) et au principe de garantie des droits affirmé à l'article 16 de la Déclaration (N° Lexbase : L1363A9D), en tant qu'ils excluent l'application des règles de preuve propres au droit civil, plus protectrices, dans le cas où un litige, quoi qu'exclusivement civil, se trouve porté devant une juridiction pénale" ? L'idée, bien sûr, est qu'il sera plus facile d'établir la responsabilité civile du prévenu dans un système -pénal- de preuve libre que dans un système -civil- de preuve réglementée.

La réponse est négative, selon la Cour de cassation qui, après avoir recentré la question sur les articles 3 (N° Lexbase : L9886IQ9) et 427 du Code de procédure pénale, précise que "la distinction du régime de la preuve en matière civile et en matière pénale et la différence de traitement qui pourrait en résulter entre le prévenu définitivement relaxé et dont la faute civile est envisagée par le juge pénal saisi en appel par la seule partie civile et celui dont la responsabilité est envisagée devant le juge civil, est justifiée au regard de la spécificité de l'action civile engagée par une victime devant le juge répressif, dont le bien-fondé ne peut être apprécié qu'au regard de l'objet et dans la limite de la poursuite".

Autrement dit, même à fin civile, l'action exercée devant le juge pénal conserverait sa particularité car elle évolue dans un cadre répressif. Si on peut ne pas être convaincu par ces motifs, au demeurant pas très précis -que signifie exactement "au regard de l'objet et dans la limite de la poursuite" ?-, l'enjeu n'est peut -être pas aussi important qu'on pourrait le croire : la preuve dont il est question concernant un fait juridique, elle est libre. Seule la considération des preuves illégales et déloyales différencie alors le droit civil, qui les rejette, du droit pénal, qui les admet quand elles émanent de parties privées.

  • L'associé d'une société anonyme victime de différentes infractions ne peut pas se constituer partie civile en son nom propre, quand bien même il est la caution de cette société (Cass. crim., 23 mars 2016, n° 15-81.448, F-P+B N° Lexbase : A3742RAT ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1923EUR)

Le fait qu'une personne morale soit la victime d'une infraction rend difficile, notamment du point de vue de l'action civile, la détermination du statut juridique des personnes physiques qui l'incarnent. La chose s'avère d'autant plus ardue qu'est en cause le patrimoine d'une société, celui-ci étant susceptible d'intéresser, au-delà des personnes physiques constitutives de la personne morale, bien d'autres personnes encore.

Nul ne s'étonnera alors que la Chambre criminelle de la Cour de cassation ait, en matière d'abus de biens sociaux, d'abord considéré que cette incrimination avait "pour but de protéger non seulement les intérêts des associés, mais aussi le patrimoine de la société et les intérêts des tiers qui contractent avec elle" (7). Toutefois, par une application plus rigoureuse de l'article 2 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation a ensuite fermé l'action civile à tous les propriétaires d'un droit personnel envers la société, c'est-à-dire aux créanciers quelconques (8), aux salariés et syndicats (9), ainsi qu'aux actionnaires et associés (10). Dans la même idée, la Chambre criminelle a précisé que l'éventuel fidéjusseur de la personne morale, la plupart du temps l'un de ses dirigeants, parce qu'il n'était obligé qu'en vertu d'une sûreté personnelle, ne pouvait mettre en avant cette qualité pour exercer l'action civile (11). Seuls les représentants légitimes de la société, quel que soit leur statut, et à condition qu'ils agissent valablement au nom de cette dernière, ont finalement la qualité de mettre en oeuvre cette action. Ainsi, les actionnaires d'une société gardent la possibilité d'exercer l'action civile ut singuli, au même titre que ce droit appartient légalement, en vertu du code de commerce, à des personnes déterminées (12).

En l'espèce, était en cause l'associé principal d'une société anonyme victime, de la part d'un autre associé qui était aussi son directeur général, de vols, faux et usage, abus de biens sociaux et escroquerie. Sa constitution de partie civile personnelle était rejetée, en première instance comme en appel, les juges du fond relevant que, "d'une part, le préjudice causé par les condamnations prononcées à l'encontre de ce dernier en sa qualité de caution ne résult[ait] pas directement des infractions, d'autre part, le second préjudice dont il se préva[lait] ne se rattach[ait] à aucune des infractions dont [le prévenu] a été reconnu coupable". L'associé principal se prétendait effectivement victime de deux préjudices : l'un lié aux condamnations consécutives à son rôle de caution ; l'autre découlant des incidences des infractions sur la présentation conséquemment fausse des comptes de la société.

Restant fidèle à sa position traditionnelle, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi, précisant à cette fin que "l'exécution de l'obligation mise à la charge de la caution ne résulte directement que de son seul engagement contractuel", et donc pas des infractions.

Cette solution a sans aucun doute pour vertu d'éviter la prolifération des actions civiles exercées par tous les créanciers d'une société victime d'une infraction. Pour autant, l'associé principal invoquait pertinemment l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9), dont une application extensive pourrait bien sonner le glas d'une telle jurisprudence. Sauf à considérer que, précisément en raison de cette jurisprudence, l'associé n'avait aucune "espérance légitime" d'obtenir une indemnisation à la suite d'infractions subies par... quelqu'un l'autre !

Guillaume Beaussonie

IV - L'instruction

  • L'enquêteur désigné par le juge d'instruction pour faire un rapport sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou sociale du mis en examen peut s'entretenir avec celui-ci hors la présence de son avocat. Il ne peut recueillir aucune déclaration de l'intéressé sur les faits reprochés (Cass. crim., 12 avril 2016, n° 15-86.298, F-P+B N° Lexbase : A6838RI4 ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4445EU8)

On n'insistera jamais assez sur l'importance de la mise en examen, qui confère au suspect un ensemble de droits destinés à garantir le procès équitable et la présomption d'innocence. Dès lors que le suspect est mis en examen, il ne peut être interrogé que par le juge d'instruction. L'article 164 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5584DYH) permet aux experts de recevoir, à titre de renseignement et pour le seul accomplissement de leur mission, les déclarations de toute personne autre que la personne mise en examen, le témoin assisté ou la partie civile. S'ils y ont été autorisés par le juge d'instruction, ils peuvent, avec son accord, recueillir les déclarations du mis en examen, recueillies en présence de leur avocat. En dehors de cette hypothèse, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion d'insister sur la rigueur du monopole de l'interrogatoire du mis en examen par le juge d'instruction, en précisant "qu'est contraire au droit à un procès équitable et aux droits de la défense, le fait, pour des officiers de police judiciaire d'entendre, dans le cadre d'une même information, sous quelque forme que ce soit, une personne qui, ayant été mise en examen, ne peut plus, dès lors, être interrogée que par le juge d'instruction, son avocat étant présent ou ayant été dûment convoqué" (13). L'article 164, alinéa 3, du Code de procédure pénale, précise enfin que les médecins ou psychologues experts chargés d'examiner la personne mise en examen, peuvent dans tous les cas leur poser des questions pour l'accomplissement de leur mission hors la présence du juge et des avocats. Cette disposition avait fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, cette absence d'assistance par un avocat au cours de l'expertise pouvant apparaître problématique au regard des droits de la défense. Elle n'avait pas été transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation (14).

Si l'on met de côté l'hypothèse de l'article 164, alinéa 3, du Code de procédure pénale, les déclarations du mis en examen sur les faits ne peuvent être recueillies que par le juge d'instruction. La question n'est pas tranchée si nettement pas la Cour de cassation dans cet arrêt du 12 avril 2016.

Une personne est mise en examen. Le juge d'instruction ordonne une enquête de personnalité. Le rapport de l'enquêteur fait référence au positionnement du suspect sur les faits. Ce dernier soulève alors la nullité de l'enquête. La chambre de l'instruction refuse de prononcer cette nullité, faute d'atteinte aux intérêts du mis en examen n'est pas rapportée. Elle ajoute que si une éventuelle déclaration de culpabilité intervenait, fondée sur les mentions litigieuses du rapport, l'intéressé pourrait alors former un recours contre cette décision. La solution était pragmatique : les déclarations en question n'étaient que des réitérations de dénégations. A en croire la chambre de l'instruction, les propos tenus par le mis en examen et repris par l'enquêteur de personnalité n'apportant rien de nouveau, il était inutile de constater une quelconque atteinte aux intérêts de la défense.

Saisie du pourvoi formé par le mis en examen, la Cour de cassation n'est pas rentrée dans l'appréciation de l'existence d'un grief. Elle a cassé et annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause et les parties devant une autre chambre de l'instruction. Au visa des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), 81, alinéa 6 (N° Lexbase : L6395ISN), D. 16 ([LXB=L4683HZH ]) et 114 (N° Lexbase : L2767KGL) du Code de procédure pénale, la Cour de cassation précise que "si l'enquêteur désigné par le juge d'instruction pour faire rapport sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou sociale de la personne mise en examen peut, à cette fin, s'entretenir avec celle-ci, hors la présence de son avocat et sans que ce dernier ait été appelé, il ne peut lors de cet entretien recueillir aucune déclaration de l'intéressé sur les faits qui lui sont reprochés".

La solution doit, sur ce point, être approuvée et la pratique qui consiste pour les enquêteurs de personnalité à entendre le mis en examen sur les faits, rejetée. Mais la décision apparaît en réalité plus subtile. D'abord, parce que la Cour de cassation reconnaît que l'enquête de personnalité, qui "ne saurait avoir pour but la recherche des preuves de la culpabilité" (15), peut consister en un interrogatoire du mis en examen, par une autre personne que le juge d'instruction, dès lors qu'aucune déclaration sur les faits n'est recueillie. Ensuite, parce que la référence à la présence de l'avocat est étonnante. L'arrêt pourrait être interprété a contrario : si l'enquêteur désigné par le juge d'instruction pour faire l'enquête de personnalité s'entretient avec le mis en examen en présence de son avocat, il pourrait lors de cet entretien recueillir des déclarations sur les faits de l'intéressé sur les faits qui lui sont reprochés. Autrement dit, les déclarations sans lien avec les faits pourraient être recueillies au cours de l'enquête de personnalité hors assistance de l'avocat, quand les déclarations en lien avec les faits ne pourraient l'être qu'en présence de l'avocat. Une telle distinction apparaît inutilement subtile et l'interprétation a contrario doit être rejetée. En réalité, la Cour de cassation a tout simplement entériné la pratique existante de l'interrogatoire du mis en examen par l'enquêteur de personnalité. Il aurait été préférable de considérer que l'avocat doit être présent lors de cette enquête de personnalité, d'une part, et qu'aucune déclaration sur les faits ne peut être recueillie à cette occasion, d'autre part. L'article 164 du Code de procédure pénale est, en effet, la seule disposition qui permet à un expert médecin ou psychologue de recueillir de telles déclarations hors assistance de l'avocat. L'arrêt de la Cour de cassation n'apparaît donc pas si protecteur des droits de la défense qu'au premier abord.

Jean-Baptiste Thierry


(1) Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011 (N° Lexbase : A9214HZB), D., 2011, p. 3034, note H. Matsopoulou ; AJ Pénal, 2012, p. 102, obs. J.-B. Perrier.
(2) "Le droit au silence et celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne s'étendent pas au recueil de données qu'il convient d'obtenir indépendamment de la volonté de la personne concernée" : Cass. crim., 6 janvier 2015, n° 13-87.652, F-P+B (N° Lexbase : A0705M9Y).
(3) V. M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse Toulouse 1-Capitole, 2010, n° 85.
(4) Obstacle à l'action publique, JCP éd. G, 2016, 463.
(5) V. par ex. Cass. crim., 5 mars 1990, n° 89-80.536 (N° Lexbase : A1651CGA), Bull. crim., n° 103 : cassation de l'arrêt qui a déclaré irrecevable une constitution de partie civile, "alors que les parties civiles, détenteurs précaires de la chose volée, étaient tenues à défaut de restitution, d'indemniser le propriétaire et justifiaient à ce titre d'un éventuel préjudice" ; Cass. crim., 12 janvier 1994, n° 93-81.065 (N° Lexbase : A1170CHS), Bull. crim., n° 16 : la constitution de partie civile des parents d'un enfant mort en clinique, pour vol du tracé cardiotocographique de ce dernier, produit et approprié par la clinique, est recevable, car les parents "étaient en droit à tout moment de réclamer en original ou en copie pour leur dossier médical et pour rechercher les causes véritables de la mort de leur enfant et de la stérilité" de la mère ; la Cour de cassation précise "qu'en effet la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui n'est pas nécessairement préjudiciable au seul propriétaire de celle-ci".
(6) En ce sens, v. notre thèse : La prise en compte de la dématérialisation des biens par le droit pénal, LGDJ, 2012, nos 769 et s..
(7) Cass. crim., 19 octobre 1971, n° 70-90.661 (N° Lexbase : A1689CIE), Bull. crim., n° 272. V. aussi, par ex., Cass. crim., 8 mars 1967, n° 65-93.757 (N° Lexbase : A5750CG3), Bull. crim., n° 94 ; Cass. crim., 26 mai 1994, n° 93-84.615 (N° Lexbase : A8414ABA), Bull. crim., n° 206.
(8) Cass. crim., 16 octobre 1957, Bull. crim., n° 645 ; Cass. crim., 16 janvier 1964, n° 63-90.263 (N° Lexbase : A6450CHD), Bull. crim., n° 27 ; Cass. crim., 24 avril 1971, n° 69-93.249 (N° Lexbase : A3030AUR), Bull. crim., n° 117 ; Cass. crim., 9 novembre 1992, n° 92-81.432 (N° Lexbase : A0804ABE), Bull. crim., n° 361 ; Cass. crim., 27 juin 1995 (N° Lexbase : A8934ABI), Bull. crim., n° 236 ; Cass. crim., 9 janvier 1996, n° 95-81.596 (N° Lexbase : A0741CQI).
(9) Cass. crim., 11 mai 1999, n° 97-83.264 (N° Lexbase : A4511CRI) et Cass. crim., 11 mai 1999, n° 97-84.232 (N° Lexbase : A4514CRM) ; Cass. crim., 27 octobre 1999, n° 98-85.213 (N° Lexbase : A5607AWL), Bull. crim., n° 236 ; Cass. crim., 29 novembre 2000, n° 99-80.324 (N° Lexbase : A5119CKS), Bull. crim., n° 359 ; Cass. crim., 23 février 2005, n° 04-83.792 (N° Lexbase : A9095DIP) ; Cass. crim., 23 mars 2005, n° 04-84.756, F-D (N° Lexbase : A6863RNI).
(10) Cass. crim., 13 décembre 2000, n° 97-80.664 (N° Lexbase : A8617CSX), Bull. crim., nos 373-378 ; Cass. crim., 12 septembre 2001, n° 01-80.895 (N° Lexbase : A1155CSL) ; Cass. crim., 5 décembre 2001, n° 01-80.065 (N° Lexbase : A0580AY7) : "attendu que le délit d'abus de biens sociaux n'occasionne un dommage personnel et direct qu'à la société elle-même et non à chaque associé" ; Cass. crim., 18 septembre 2002, n° 02-81.892 (N° Lexbase : A9977A4B) ; Cass. crim., 9 mars 2005, n° 04-85.825, F-D (N° Lexbase : A6864RNK).
(11) Cass. crim., 25 novembre 1975, n° 74-93.426 (N° Lexbase : A7466AY8), Bull. crim., n° 257.
(12) Cass. crim., 12 décembre 2000, n° 00-83.654 (N° Lexbase : A2913CSP), Bull. crim., n° 372 ; Cass. crim., 4 avril 2001, n° 00-80.406 (N° Lexbase : A3631CMG) ;Cass. crim., 8 octobre 2003, n° 02-81.471, FS-P+F (N° Lexbase : A8173C9L), Bull. crim., n° 184 ; Cass. crim., 28 janvier 2004, n° 02-87.585, FS-P+F (N° Lexbase : A3306DB3), Bull. crim., n° 18. En ce qui concerne les représentants légaux, v., classiquement, C. com., art. L. 223-18 (N° Lexbase : L2030KGB) (SARL : gérant), L. 225-51-1 (N° Lexbase : L2183ATZ) et L. 225-56 (N° Lexbase : L5927AID) (SA : PDG ou DG), L. 225-66 (N° Lexbase : L5937AIQ) (SA à directoire : DG), L. 227-6 (N° Lexbase : L6161AIZ) et L. 227-7 (N° Lexbase : L6162AI3) (SAS : président).
(13) Cass. crim., 5 mars 2013, n° 12-87.087, FS-P+B (N° Lexbase : A3135I9Y).
(14) Cass. crim., 9 mai 2012, n° 12-90.011, arrêt non publié.
(15) C. pr. pén., art. D. 16 (N° Lexbase : L4683HZH).

newsid:452670