Réf. : Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-29.317, FS-P+B (N° Lexbase : A3417RNU)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 19 Mai 2016
Résumé
Equivaut à une absence d'écrit, qui entraîne la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, la transmission tardive au salarié d'une copie du volet d'identification qui doit être établi en cas de recours au titre emploi service entreprise. |
Commentaire
I - Le délai de remise du volet d'identification du TESE au salarié
Les procédures simplifiées d'embauche. Depuis les années 1990 (2), le droit du travail a vu apparaître des formes simplifiées d'embauche du salarié. Initialement réservées aux particuliers employeurs pour des services à la personne avec le chèque emploi service, ces procédures simplifiées sont désormais utilisables dans d'assez nombreux cas de figure (3).
En effet, à côté du chèque emploi service universel qui reste l'apanage des particuliers employeurs ou des associations de services à la personne, le législateur a créé de nombreux autres chèques ou titres simplifiés de travail dont le chèque emploi associatif et le titre emploi service entreprise.
Le titre emploi service entreprise. Le TESE est encadré par des dispositions issues du Code de la Sécurité sociale et du Code du travail.
Depuis l'ordonnance n° 2015-682 du 18 juin 2015, relative à la simplification des déclarations sociales des employeurs, le Code de la sécurité sociale accueille plusieurs dispositions relatives au TESE. L'article L. 133-5-6, 1° (N° Lexbase : L0745KWI) prévoit la possibilité de recourir à ce titre dans les entreprises comptant moins de vingt salariés (4). Dans leurs relations avec les organismes sociaux, le TESE permet aux employeurs de "satisfaire aux formalités obligatoires liées à l'embauche et à l'emploi de leurs salariés" (5).
Le Code du travail a conservé les dispositions applicables à la relation entre l'employeur et le salarié. L'article L. 1273-5 (N° Lexbase : L2247IBT) dispose, en particulier, que l'employeur qui recourt au TESE "est réputé satisfaire [à certaines formalités] par la remise au salarié et l'envoi à l'organisme habilité des éléments du titre emploi qui leur sont respectivement destinés". Sont notamment concernées les règles relatives à la déclaration sociale nominative visées à l'article L. 1221-10 (N° Lexbase : L0788H93), celles relatives à la délivrance d'un certificat de travail à l'issue de la relation (6) ou encore les formalités relatives à l'établissement d'un contrat de travail à temps partiel (7).
S'agissant en particulier du recrutement par TESE d'un salarié en contrat de travail à durée déterminée, l'article L. 1273-5, 4° prévoit que sont réputés être accomplis "l'établissement d'un contrat de travail écrit, l'inscription des mentions obligatoires et la transmission du contrat au salarié, prévus aux articles L. 1242-12 (N° Lexbase : L1446H9G) et L. 1242-13 (N° Lexbase : L1447H9H) pour les contrats de travail à durée déterminée".
Volet d'identification du TESE. Les articles D. 1273-1 (N° Lexbase : L9243IDP) et suivants du Code du travail, qui n'ont d'ailleurs pas encore été mis en conformité aux dispositions introduites par l'ordonnance (8), complètent la réglementation de ce titre simplifié de travail.
L'article D. 1273-3 (N° Lexbase : L8913IDH) prévoit, en particulier, que l'embauche d'un salarié par TESE doit donner lieu à l'établissement d'un volet d'identification du salarié comportant de nombreuses informations relatives, notamment, au type de contrat de travail auquel les parties recourent. Le volet doit être signé par l'employeur et le salarié. Il doit être adressé au centre national de traitement du TESE compétent dans les délais prévus par l'article R. 1221-5 (N° Lexbase : L5213IQ7), soit au plus tard le dernier jour ouvrable avant l'embauche (9). Enfin, l'article D. 1273-4 (N° Lexbase : L9048IDH) précise qu'"une copie du volet d'identification du salarié est transmise sans délai par l'employeur au salarié".
L'affaire. Un salarié avait été engagé par TESE en qualité de maître d'hôtel pour plusieurs contrats de travail à durée déterminée à temps partiel. Ayant signé certains volets d'identification tardivement, le salarié saisit le juge prud'homal pour obtenir la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
La cour d'appel d'Amiens refusa la requalification en temps complet (10) mais également en contrat à durée indéterminée. Elle jugea que le régime du TESE n'impose à l'employeur que de remettre au salarié le volet d'identification, mais que les textes n'imposent pas de délai précis ni sa signature effective. Le fait que le salarié n'ait pas signé, ou qu'il ait signé tardivement certains de ces volets, était donc sans incidence sur la validité des contrats en cause.
Par un arrêt rendu le 3 mai 2016, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1242-13, L. 1273-5, D. 1273-3 et D. 1273-4 du Code du travail. A l'appui de ces textes, la Chambre sociale juge que la transmission tardive du volet d'identification équivaut à une absence d'écrit qui entraîne la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée. En refusant de rechercher si l'employeur avait respecté son obligation de transmettre "sans délai au salarié une copie du volet d'identification", la cour d'appel a violé les textes visés.
II - L'interaction entre délai de remise du volet d'identification et délai de remise du contrat à durée déterminée
La remise du volet d'identification "sans délai". Quelle interprétation la Chambre sociale pouvait-elle retenir des dispositions de l'article D. 1273-4 du Code du travail ? En énonçant qu'une copie du volet d'identification "est transmise sans délai par l'employeur au salarié", le texte ne brille, en effet, pas par sa clarté. Il n'est évidemment pas question de considérer que les termes "sans délai" puisse signifier que l'employeur peut adresser la copie du volet au moment qui lui convient : l'expression "sans délai" est plutôt synonyme de "aussitôt que possible". Cela entendu, il était envisageable que l'employeur puisse laisser passer quelques jours avant d'adresser la copie du volet d'identification sans que le délai ne paraisse trop long. La règle de l'article D. 1273-4 doit, toutefois, être mise en perspective des autres délais imposés à l'employeur en matière de contrat de travail à durée déterminée d'une part, et de transmission du volet d'identification aux organismes sociaux, d'autre part.
Pour le premier, on sait que l'article L. 1242-13 du Code du travail, visé par la Chambre sociale, exige que le contrat soit "transmis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l'embauche". Le volet d'identification se substituant au contrat écrit, il importe donc qu'il soit lui aussi transmis dans un délai très court.
Le second, qui résulte lui aussi d'un texte visé par la Chambre sociale, impose la remise du volet d'identification aux organismes sociaux, au plus tard le dernier jour ouvrable avant l'embauche. Si le centre national du TESE doit recevoir le volet avant l'embauche, le salarié peut lui aussi espérer cette remise précoce. L'un comme l'autre sont des délais particulièrement courts et il semble ainsi logique que la remise "sans délai" prévue par l'article D. 1273-4 intervienne très tôt.
Appréciée strictement, la remise "sans délai" de la copie du volet laisse penser que sa délivrance au salarié doit avoir lieu au moment de son établissement. Le salarié et l'employeur ayant l'obligation de le signer, la remise peut matériellement être instantanée. D'ailleurs, l'obligation d'envoi du volet aux organismes sociaux avant l'embauche démontre que le volet peut, en tous cas, être remis au salarié avant celle-ci. Cette interprétation est toutefois troublée par plusieurs éléments d'appréciation.
L'interférence du délai de remise du CDD. On peut avoir de la peine à comprendre pourquoi la Chambre sociale se réfère à l'article L. 1242-13 du Code du travail, relatif au délai de remise au salarié du CDD. Le volet d'identification fait office de contrat de travail et sa remise pallie l'absence de remise d'un contrat écrit classique. Ce n'est donc plus le délai de remise du CDD qui importe, mais bien le délai de remise du volet. La référence à ce texte implique-t-elle que, malgré l'exigence d'une remise "sans délai", malgré l'exigence d'un envoi avant l'embauche au centre national de traitement du TESE, l'employeur pourrait remettre au salarié la copie du volet au plus tard dans les quarante-huit heures suivant l'embauche ?
Il est toutefois possible de voir, dans le visa de l'article L. 1242-13, une simple volonté de justifier la sanction de la remise tardive du volet d'identification. C'est parce que l'employeur n'a pas remis le volet d'identification que la formalité de remise du contrat sous quarante-huit heures, vue comme équivalente, n'a pas été respectée. Or, la remise tardive du CDD a toujours été assimilée à l'absence d'écrit et a justifié la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (11).
Si c'est bien une interprétation stricte qu'il convient de retenir des textes relatifs au TESE, la remise du volet doit se faire "sans délai", et non dans un délai de quarante-huit heures, cela d'ailleurs, quel que soit le contrat de travail concerné. Cette approche aurait toutefois pour inconvénient d'enserrer le TESE dans des conditions plus strictes que celles prévues par le législateur lorsqu'il s'agit d'engager un salarié par CDD sans TESE. Un comble s'agissant d'une procédure précisément destinée à simplifier l'embauche des salariés (12)...
Les décrets d'application des dispositions législatives relatives au TESE n'ont pas encore été révisés après l'adoption de l'ordonnance du 18 juin 2015. Espérons, comme cette affaire y invite, que les futurs textes seront mieux rédigés, soit pour prévoir une remise du volet d'identification à une date clairement déterminée (avant l'embauche, comme pour la remise du volet aux organismes sociaux), soit pour prévoir un délai plus aisément identifiable que l'exigence actuelle d'une remise "sans délai".
(1) S. Tournaux, La simplification des déclarations sociales des employeurs, RDT, 2015, p. 539.
(2) A. Lyon-Caen, Le chèque-service, Dr. soc., 1994, p. 109.
(3) S. Tournaux, La maturité des chèques et titres emploi simplifiés de travail, RDT, 2014, p. 537.
(4) L'ancien article L. 1273-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2245IBR), abrogé par l'ordonnance n° 2015-682 du 18 juin 2015, relative à la simplification des déclarations sociales des employeurs N° Lexbase : L9019I8K), limitait l'accès au TESE aux entreprises comptant moins de onze salariés.
(5) CSS, art. L. 133-5-7, 2° (N° Lexbase : L9075I8M).
(6) C. trav., art. L. 1234-19 (N° Lexbase : L1335H9C).
(7) V. également les formalités spécifiques dont sont dispensés les employeurs par application de l'article D. 1273-7 du Code du travail (N° Lexbase : L8920IDQ).
(8) V. not. les dispositions des articles D. 1273-1 (N° Lexbase : L9243IDP) et D. 1273-2 (N° Lexbase : L9054IDP) du Code du travail qui renvoient à des dispositions légales abrogées par l'ordonnance n° 2015-682 du 18 juin 2015, préc..
(9) Ce délai s'applique, aux termes du texte, à l'envoi de la déclaration préalable d'embauche qui, depuis l'ordonnance n° 2015-682 du 18 juin 2015 (préc.), a été remplacée par la déclaration sociale nominative.
(10) Troisième moyen, non examiné par la Chambre sociale.
(11) Cass. soc., 17 juin 2005, n° 03-42.596, FS-P+B (N° Lexbase : A7534DIU).
(12) Il est vrai que la Chambre sociale adopte une position très ferme à l'égard du formalisme allégé du TESE. Les TESE ne permettent pas d'évincer l'ensemble du droit de la rupture du contrat de travail, mais seulement les formalités d'embauche visées par les textes (Cass. soc., 6 novembre 2013, n° 12-24.053, F-P+B (N° Lexbase : A2058KPW) et nos obs., Lexbase éd. soc., n° 548, 2013 (N° Lexbase : N9507BTB). Le volet d'identification doit être convenablement rempli, par exemple s'agissant de la mention de la durée du travail du salarié recruté à temps partiel (Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-17.809, FS-P+B N° Lexbase : A3997MG7, RDT, 2014, p. 333).
Décision
Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-29.317, FS-P+B (N° Lexbase : A3417RNU). Cassation partielle (CA Amiens, 21 octobre 2014, n° 13/00122 N° Lexbase : A7821MYC). Textes visés : C. trav., art. L. 1242-13 (N° Lexbase : L1447H9H), L. 1273-5 (N° Lexbase : L2247IBT), D. 1273-3 (N° Lexbase : L8913IDH) et D. 1273-4 (N° Lexbase : L9048IDH). Mots-clés : titre emploi service entreprise ; contrat de travail à durée déterminée ; volet d'identification ; délai de remise au salarié. Lien base : (N° Lexbase : E4304EXP). |
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